LA SAGA RACHID TAHA Épisode 5 : Hakim Hamadouche
Six ans déjà que Rachid Taha nous a quittés et qu’il nous manque toujours autant. Pourtant, son chaâbi-electro-punk-groove-rock-fusion résonne toujours aussi puissant à nos oreilles, comme son propos aussi cool qu’humaniste, sa tolérance et son amour des gens. Aussi, pour tenter de combler ce vide abyssal et lui rendre l’hommage qu’il mérite, j’ai souhaité interroger ceux qui l’ont non seulement accompagné, fidèles entre les fidèles, mais également contribué à édifier sa légende. C’est ainsi que j’ai successivement tendu mon micro à Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay, à Alain Lahana, qui produisait ses concerts planétaires, à Yves Aouizerate, son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans, avant de tendre mon micro à Hakim Hamadouche, qui l’a accompagné de son mandoluth magique sur scène, comme sur de nombreuses chansons et enfin à Gaëtan Roussel, qui a produit son lumineux « Bonjour »
Épisode 5 : Hakim Hamadouche, sans doute son compagnon musicien le plus proche qui l’a accompagné depuis l’album « bleu »…
L’an passé, j’avais voulu vous raconter la magnifique épopée rock de Carte de Séjour en vous retraçant en trois épisodes la saga de la formation de Rachid Taha, Jérome Savy, Mohamed Amini, Mokhtar Amini et de Djamel Dif ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA CARTE DE SÉJOUR: Épisode 1 de Rillieux à Polac , LA SAGA CARTE DE SÉJOUR Épisode 2 et aussi LA SAGA CARTE DE SÉJOUR : Épisode 3 ). Depuis notre rencontre à Lyon, juste avant la sortie de son premier maxi 45 tours, Rachid était mon ami et il le sera resté jusqu’à la fin. Que cela soit à BEST ou à la télé, j’ai bien souvent documenté la carrière du natif de Saint-Denis-du-Sig, en Algérie ( Voir sur Gonzomusic ROCK À LYON ANNÉES 80 , TRANSMUSICALES DE 1981 , RACHID TAHA présente MA DISCOTHÈQUE DE MÉTÈQUES , SO LONG RACHID TAHA MON FRÈRE , Hommage de son armée mexicaine à Rachid Taha et aussi RACHID TAHA « Je suis Africain » ). Avec la publication du premier coffret intégral, qui regroupe non seulement les deux premiers LP de CDS, comme les 10 albums solos de Rachid mais aussi un live autour de deux concerts, l’un à Bercy en 1998 durant l’enregistrement du fameux « 1,2,3 Soleils » et l’autre à Bruxelles trois ans plus tard et enfin un album de remixs intitulé « RMX ».». En attendant le prochain épisode avec Gaëtan Roussel qui a produit le lumineux « Bonjour », voici l’épisode 5 de la Saga Taha !
Hakim Hamadouche ne se contente pas d’être un bon gros nounours, il est comme un pot de miel, la douceur incarnée et la générosité illimitée. Cependant, le fidèle compagnon de route de Rachid Taha est avant tout un immense musicien, qui a su mettre son instrument au service de moult géants du rock Steve Hillage, bien entendu, mais également Tricky, Mick Jones, Brian Eno, Robert Plant, Bill Laswell, Rodolphe Burger, Les Têtes Raides, Femi Kuti et même Patti Smith. Ila également publié voici quelques années un album en public sobrement intitulé « Live ». Rencontre…
« Première question, facile… quelle est la toute première fois où tu as entendu prononcer le nom de Rachid Taha ?
C’était à Marseille, parce qu’on avait un ami en commun. Quand j’avais mon groupe, dans les années 80. On faisait ce que je qualifierais de « free punk » car on avait créé un véritable free jazz punk. Bon, à l’époque je ne savais pas que ça s’appelait comme ça !
Et comment s’appelait le groupe ?
Hakim Seïmar ! On a aussi eu un autre nom, celui de Leila Percussions.
Mais il n’y avait pas de Leila, n’est-ce pas ?
(rire) On jouait sur les deux sens du mot, à la fois le mot nuit en arabe et le prénom d’une femme, en effet. C’était un groupe qui existait déjà, mais dont j’ai repris la direction.
Donc toi tu es originaire de Marseille ?
Non, moi je suis d’Alger. Plus précisément de Saoula, petit village à 9 km d’Alger, devenu une banlieue d’Alger, Je suis arrivé à Marseille début 80. Et j’y suis resté.
Et c’est donc là où tu as entendu le nom de Rachid ?
Par un ami commun, qui vivait en partie à Marseille. C’était un artiste peintre du nom de Djamel Tatah qui est reconnu internationalement, je crois qu’il était originaire de Saint Etienne. Il adorait ce que je faisais et il me disait sans cesse : je voudrais que tu connaisses quelqu’un qui s’appelle Rachid. Et il faisait la même chose avec Rachid : il faut que je te présente Hakim !
C’était à l’époque de Carte !
Voilà, on est vers 84.
Et la toute première fois que tu l’as rencontré ?
C’était à Paris, en 1992.
Ah oui… vous avez mis tout ce temps à vous retrouver, c’est dingue. Jamais ni Rachid ni toi n’avez écouté votre copain et vous ne vous étiez jamais rencontrés.
Non, non. Je l’ai vu sur scène, je crois en 86 dans un Festival de jazz et n s’est juste croisés vite fait dans un café, c’est tout. Mais c’était après Carte de Séjour. C’était l’époque où il avait sa boite de nuit à Lyon.
Ah je ne savais pas.
Oui. Je suis certain que tu ne connais pas la moitié de ce que Rachid a fait… et qu’on a fait ensemble aussi. C’est normal !
Tellement riche et tellement chaotique. C’est normal, moi je n’ai connu que ce que j’ai vécu avec lui.
Il a monté un boîte à Lyon car toutes autres boites refusaient à l’entrée les types comme nous, si tu vois ce que je veux dire.
Oui « Ca va pas être possible, ce soir ! », « C’est une soirée privée »… oui je connais tous les prétextes pour laisser à la porte les types un peu trop basanés. Rachid en a même fait le thème d’une de ses premières chansons « La moda ». De surcroit Rachid faisait aussi le DJ.
Il a donc monté une boite, c’était plutôt un local où il répétait qu’il a transformé en boite de nuit. Le lieu s’appelait d’ailleurs « Les refoulés ».
Avant de continuer de parler de Rachid, on va parler de toi et tu vas nous raconter comment es-tu venu à la musique ?
C’est par accident. Mon grand frère qui étudiait à Moscou m’appelle et me dit : qu’est-ce que tu veux que je te rapporte comme cadeau ? Il voulait me récompenser pour mon BEPC. Je lui disais : une mallette de peintre. Nous, à la maison, on n‘avait pas les moyens, donc j’en rêvais. On devait être en 73 ou en 74. Je rêvais de ce truc, je n’en dormais pas la nuit.
Tu attendais son retour.
Oui, moi à l’époque je dessinais sans arrêt. Chaque jour, c’était mon hobby. La musique je ne connaissais pas du tout. Donc mon frère avait un copain à Moscou et son pote était un grand monsieur. C’était Vladimir Vysotsky, qui était le mari de Marina Vlady qui était un peu le Brassens local. Tout le monde écoutait ses chansons là-bas à l’époque soviétique. Et il chantait comme ça (imitant sa voix rauque et grave un peu à la Tom Waits). Mon frangin rentre à Paris et là il était avec lui dans un restau russe sur les Champs-Élysées.
Raspoutine, je crois. C’est là où allait Serge !
Oui. Et c’est là que mon frangin se dit : merde… j’ai oublié la mallette de mon petit frère ! Qu’est ce qu’il fait Vladimir, il apostrophe un des musiciens qui jouait dans le cabaret et lui dit : donne ta guitare à mon frère. Et il me donne cette guitare en arrivant à la maison au lieu de la mallette de peintre. J’en étais malade
Tu aurais même pu casser de rage la guitare.
Oui. Je l’ai laissée pendant deux jours sans la toucher.
Et donc tu es désespéré et pendant deux ans tu laisses la guitare au fond du placard.
Voilà.
Et que s’est-il passé pour que tu la retrouves ?
Moi j’aimais écouter le chaâbi, dès mes 14 ans. Et c’est là que je me dis : je vais me tâter, je vais essayer de jouer du chaâbi. Lorsque j’ai commencé, il n’y avait qu’une corde sur cette guitare.
Ah il ne t’avait même pas donné une guitare avec des cordes !
Non, non, elle avait ses cordes mais pendant ces deux ans tous mes cousins sont passés jouer avec et par conséquent il n’y en avait plus qu’une seule. Et c’est comme ça que j’ai commencé, avec ma guitare à une corde. Après j’ai mis une deuxième, puis une troisième…
Quel âge avais-tu ?
Entre 15 et 16 ans, c’est parti très vite.
Tu as appris seul ?
Oui mais après tu regardes les autres faire et tu apprends.
Mais tu n’as pas pris de cours, tu n’es pas allé au Conservatoire…
Je voulais y aller, j’y suis presque parvenu mais cela ne s’est pas fait. C’est parti comme ça et le mode européen avec les accords est venu avec un ami qui aimait bien Brassens, les Beatles… il m’a appris à jouer les accords…
… à placer les doigts…
Moi je ne connaissais pas du tout car je ne jouais que du chaabi, le blues de chez nous que j’ai appris tout seul.
À ce moment-là tu es toujours en Algérie. À quel âge es-tu arrivé en France ?
Je suis venu en France pour continuer mes études des Beaux-Arts. J’avais alors 23 ans. Je n’ai jamais cessé de dessiner en parallèle à la musique. À ce moment-là, je jouais déjà dans les mariages. J’accompagnais les chanteurs, je jouais du banjo.
Et tu te faisais un peu d’argent de poche?
Exactement. D’autant que cela ne génais pas mes études puisque généralement les mariages se passent en été. Donc je débarque à Marseille pour aller aux Beaux-Arts. On est en 1982. Et un an plus tard j’ai rejoint le groupe Leila Percussions. Mais avant je jouais seul pour vivre car je n’avais pas de sous ni de bourse. Il ne faut pas trop le dire mais j’étais un peu faussaire, je travaillais pour un peintre méridional dont nous tairons le nom et à sa demande je reproduisais ses propres aquarelles.
Tu étais comme un nègre en littérature.
Oui car le pauvre était malade et ne pouvait plus peindre. Son fils signait à sa place et moi je reproduisais à l’identique. Et cela se vendait comme des petits pains. J’ai fait ça pendant un peu plus d’un an.
Pour financer tes études.
Mais j’ai fini par avoir une crise d’éthique, je ne trouvais pas cela moral. Et je n’avais pas traversé la Méditerranée pour ça. Mais c’est précisément à ce moment-là que j’ai décidé de faire de la musique pour vivre.
Comment as-tu choisi entre les deux arts, entre peinture et musique ?
Tout simplement parce qu’il fallait que je mange. J’ai commencé à gagner 100 F par-là 100 F par ci, puis 200… avant de rejoindre Leila Percussions. Après cela j’ai monté mon groupe Hakim Seïmar, soit Marseille à l’envers, qui était plus jazz-rock. Mais en conservant le coté chaâbi…
… avec ce côté méridional…
Et aussi un côté un peu free-jazz. Tout cela formait un mélange incroyable. Je jouais Corse, je jouais Portugais, je jouais Espagnol… le mandole c’est incroyable, car il appartient à tout le bassin de la Méditerranée.
Justement… comment es-tu passé de la guitare au mandole ?
En fait, je n’ai pas trouvé de chanteur de chaâbi à Marseille.
Et le mandole se rapproche le plus de la voix humaine ?
C’est l’instrument qui accompagne le chanteur, c’est comme le blues avec la guitare, c’est pareil.
Quelle est la différence entre mandole et oud ?
Oud c’est plus noble mais c’est oriental, tu peux faire des quarts de temps. C’est le même accordage
La même forme un peu non ?
Oui il y a la forme comme ça, mais il n’y a pas le ventre. C’est un instrument qui est plus proche de la guitare que du oud. Mais tu as raison, ça a tout de même des sonorités du oud dans les graves. C’est un instrument hybride. Il peut être mandoline car quand tu joues dans les aigus ça a le son du luth, ça a le son de la guitare. Mais pour moi il y a plus de couleurs.
Et c’est là où tu nous racontes ta rencontre avec Rachid…
Donc Dajmel Tatah n’arrêtait pas de parler à l’un de l’autre et vice-versa. Un jour je suis monté de Marseille à Paris pour enregistrer un disque avec des amis parisiens. On était e pleine éclosion de la « world music » zarmah ??? à la Peter Gabriel avec des sons nouveaux du début des années 90. J’avais fini la session, j’étais avec mon luth au début de la rue de Charonne et je bifurque sur la fameuse rue de Lappe. Moi je ne connaissais rien, je me baladais. Rue de Lappe, sur la gauche, il y a un petit bar qui me plaisait avec des vinyles dans la vitrine. Je rentre et je commande une bière. J’avais le mandole posé à côté de moi et le barman me dit : vous jouez quoi vous ? Je lui dis du chaâbi. Il me dévisage avec le look que j’avais et j’avais pas du tout le style avec la gomina, le costume impeccable, alors que moi j’avais des cheveux noirs et hirsutes. Je portais un blouson de cuir. Il me dit : tu peux me montrer ? alors je sors l’instrument et je me mets à jouer. Au bout de quinze secondes il m’interrompt et me dit : c’est bon ! Puis il dit : tiens, rebois un truc à ma santé. Le type était roux aux yeux verts. Pour moi il était Irlandais ou Écossais. En fait c’était un Kabyle.
Ah j’allais te dire justement un Kabyle.
Et il me ressert un coup ; j’adorais ça à l’époque. Je n’avais rien de mieux à faire. Lui pendant ce temps-là, il téléphonait au bar de l’Industrie. En fait, il cherchait Rachid. Mais il n’était pas encore là.
Il t’a encore offert un verre…
Cinq en tout… tu imagines ? Je me suis fait cinq bières avant qu’il ne le trouve enfin. Tu es où ? Lui demande Rachid. Je suis au bar de la rue de Lappe. Et c’est comme ça que je vois enfin débarquer Rachid. Il me lance : c’est toi Hakim ? Je lui réponds : c’est toi Rachid ? Il me dit : qu’est-ce que tu fais demain ? Ça te dit de venir jouer sur un titre avec nous ? C’était à la Chapelle des Lombards. C’était juste en face du bar dans la même rue de Lappe. C’était prévu que je reparte sur Marseille. Il me dit : ben non, t’inquiètes on te paye le billet. C’est comme ça que j’ai joué en 93 pour la première fois avec Rachid. Et le titre, tu ne vas pas le croire c’était « Ya rayah » !
Hé oui puisqu’il était sur l’album bleu.
Juste après le concert, il m’a dit : si tu veux, toi tu restes avec moi. Et c’est ainsi que commença notre belle amitié. J’ai tout lâché, tous mes projets… c’est comme ça que j’ai commencé à le suivre.
Dans la démarche artistique vous étiez extrêmement proches ? avec cette vision punk de mélange…
Voilà c’était exactement cela, sauf que lui il avait quand même un vécu que moi je n’avais pas. Moi je ne connaissais pas autant que lui tous les problèmes des émigrés, les ratonnades, le racisme, tout cela… je ne savais pas, je n’avais pas vécu tout cela contrairement à Rachid.
Oui car il est arrivé beaucoup plus jeune, il avait dix ans lorsqu’il a débarqué en France.
Je n’avais pas cette histoire, j’étais tranquille. J’avais juste une histoire avec moi-même, avec les injustices que j’avais personnellement vécues, mais je n’étais pas comme Rachid qui avait vraiment comme un cri sourd qui était tout le temps en permanence chez lui. C’est comme si chaque jour il devait briser des chaînes qui l’empêchaient de vivre.
Rachid était révolté. C’était un battant qui ne rendait jamais les armes. Mais en même temps il était super sensible. Franchement, je n’ai jamais connu un artiste qui écoute autant les histoires des autres et qui s’intéresse autant aux histoires des autres. En général c’est plutôt au contraire moi, moi et moi. Rachid lui n’était pas comme ça.
C’est ce qui rendait Rachid si différent des autres, justement !
Donc puisque tu es arrivé avec l’album bleu, ton premier album enregistré avec Rachid c’était « Olé Olé » qui sort en 95 ?
Oui j’ai participé à « Olé olé » mais c’était un album assez spécial, très electro…
Oui avec Steve Hillage …
J’étais à Londres avec Rachid pour l’enregistrer. Et après j’ai fait tous les autres albums avec lui.
Et tu l’as suivi jusqu’au dernier. Après « Olé olé » il y a eu « Diwan » où tu as dû prendre une part importante puisque c’était un album où vous repreniez des standards de la musique orientale.
L’album où j’ai sans doute fait le travail le plus fusionnel avec Rachid c’était « Bonjour ». Il y a une jolie anecdote. Rachid m’avait dit : est-ce que tu peux me trouver une musique qui fasse penser à Jimi Hendrix, aux Beatles et à l’Afrique en même temps ? Je l’ai regardé, un peu interloqué, et après je lui ai dit : pourquoi pas. Je me suis isolé deux ou trois heures et je ne sais pas comment, mais une fée a dû me faire bling dans la tête et je lui sort ça j’ai fait le refrain les couplets, tout était là il ne manquait que la voix et le texte.
C’était quelle chanson ?
« Je t’aime mon amour ».
Ah superbe composition !
Mais par contre j’avais été déçu sur la prod de cette chanson par Gaëtan Roussel et l’ex bassiste de Bowie, Mark Plati. C’est bien ce qu’ils ont fait, mais je l’imaginais plus old school, plus Jimi Hendrix. D’ailleurs sur scène on le jouait comme mi je l’avais conçu, plus électrique.
Vous avez enregistré ensemble huit albums ! Et toutes les tournées qui accompagnaient la sortie de ces albums où vous avez parcouru toute la Planète !
On en fait des kilomètres avec Rachid !
Pour revenir à la scène, moi ce qui m’a ébloui dès la première fois où j’ai vu Rachid chanter, c’est sa prestance en live. Il a une présence, il irradie vraiment, il bouge incroyablement, il se passe vraiment quelque chose.
Il avait ça dans la peau…
Pour moi c’était Elvis Presley !
Elvis complètement…
… et James Brown !
Il est du même acabit que le chanteur des Rolling Stones, que Joe Strummer… et avec un coté séducteur qui faisait craquer les filles, les garçons… tout le monde. Il avait ça en lui car il aimait ça, c’était sa raison de vivre. Mais il s’en servait pour faire passer des messages. Il n’est pas con, ce n’est pas chanter pour juste chanter. Cela formait un tout qui était du Rachid Taha et il était unique. Tu ne pourras pas trouver un autre comme lui. J’ai beau chercher, je ne trouve pas. Il y en a qui sont trop engagés mais lui n’avais jamais rejoint aucun parti politique…
… ce qui ne l’empêchait pas au contraire de toujours ouvrir sa gueule.
Oui car toujours libre de toute obédience. C’est cela qui m’a plu et c’est pour cela que je suis resté aussi longtemps avec lui. Car bien sur je partage cette même notion de liberté.
Sur quels sujets étiez-vous en désaccord ?
Comme tous les vieux couples on n’était pas tout le temps d’accord. Mais ça nous est arrivé de dormir ensemble après l’after où on restait jusqu’à midi quand on sortait de cette boite des Champs-Élysées … le Queen ??? Pendant deux ans au moins, on faisait ça. On enchainait la tournée des boites. Les Bains-Douches d’abord, puis après on va chez Castel. On va chez les filles chez Nini ???? une boite gay où il n’y avait que des filles, c’était incroyable. On comptait parmi les rares hommes qui y étaient admis. Et après on allait dormir chez lui, on s’écroulait devant Derrick, franchement c’était mieux que les cachets pour dormir… même si je n’ai jamais pris.
Et donc sur quoi vous pouviez vous disputer Rachid et toi ?
Sur un point d’Histoire ou sur une manière de regarder la vie, sur des conneries. Ou tout simplement sur quel chemin prendre. Moi je lui disais : il faut prendre par là. Et il s’exclamait : non, il ne faut pas l’écouter lui … Dans la bande j’étais connu comme celui qui emmerdait tout le temps Rachid.
Mais tu le faisais exprès ?
Je dois avouer que parfois oui. Et donc c’est là où on échange des « toi l’Algérois » car nous on est connus pour savoir bien chambrer les gens. C’est comme à Marseille, tu t’amuses à faire tout ce qu’il faut pour les rendre fous. Et lui c’est un Oranais donc il dit le plus grand mal des Algérois. Bref, c’était des conneries pour se marrer. Mais attention, on ne s’est jamais battus.
Et qu’est-ce qui te manque le plus de lui ?
Tout ça !
Moi ce qui me manque le plus c’est son humour. Qu’est-ce qu’il me faisait marrer !
L’humour c’est indéniable. Mais nos engueulades me manquent aussi terriblement.
Tu disais un truc important, c’est que personne n’est comme lui. Pas un seul musicien au monde n’est capable de faire le même cocktail de rock de blues de funk d’orientalisme de reggae de jazz d’electro … personne ?
Non… personne. Et c’est surtout les messages que cette musique véhiculait. Tu te dis parfois, que c’était tellement simple ce mélange. Mais quand tu y réfléchis, les mots qu’il prononçait avait une force herculéenne.
C’est aussi ce que racontait Yves Aouizerate… Rachid lisait inlassablement toute la presse, il s’intéressait à plein de sujets géopolitiques, il connaissait l’Histoire, il était super cultivé.
C’est impressionnant car il est venu de rien. Il n’a pas fait d’études.
Oui même pas un BEPC, Rachid s’est construit tout seul.
Ce mec était une éponge. Il absorbait et retenait tout. Il était d’une incroyable vivacité, d’une drôlerie juste dingue. C’est rare un être comme lui. Il n’y en a que de temps en temps.
C’est tellement rare qu’il n’y en a plus !
C’est pour cela qu’il faut le célébrer nous…
… avec l’Armée Mexicaine…
On essaye de continuer à faire vivre sa musique, à la perpétuer pour que la nouvelle génération se souvienne de ses chansons. D’ailleurs vu l’actualité j’ai eu envie de poster à nouveau son prophétique « Voilà voilà » ( l’ITW a eu lieu avant les dernières élections législatives : NDREC)…
Partout sur la douce France voilà voilà qu’ça r’commence…
Exactement. C’est tout ce qui fait que Rachid est irremplaçable. C’est comme Robert Plant, beaucoup ont essayé de l’imiter mais…
Il y en a au moins qui l’imitent comme les Greta Van Fleet ( Voir sur Gonzomusic GRETA VAN FLEET “Anthem of the Peaceful Army”, Les Greta Van Fleet envoient du bois à Paris et aussi GRETA VAN FLEET “The Battle at Garden’s Gate” ), mais Rachid n’a laissé aucun héritier.
Rachid est aux côtés d’Elvis Presley, de Bob Marley, de James Brown, Rachid a su fédérer musicalement parlant …
… intellectuellement parlant…
… poétiquement parlant avec cette alchimie qu’il a fait, ce cocktail a pris seulement parce que c’était lui. C’était une intelligence de l’instant et du futur aussi. Et aussi l’intelligence de revoir le passé et de le ramener au présent comme les chansons exhumées par « Diwan » c’était une super idée.
La preuve par « Ya rayah » qui était déjà sur trois albums avant faire le tabac qu’on connait. Et quel tube !
C’est comme ça, c’est quelqu’un d’inoubliable. Son cœur débordait d’amour et même si son cœur s’est arrêté, sa vision restera à jamais ! »
Voir sur Gonzomusic Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour
Voir sur Gonzomusic Épisode 2 : Alain Lahana, qui a produit ses concerts aux quatre coins de la planète durant deux décennies.
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 2 : Alain Lahana
Voir sur Gonzomusic Épisode 3: Yves Aouizerate son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans LA SAGA RACHID TAHA Épisode 3 : Yves Aouizerate
Voir sur Gonzomusic Épisode 4 : son producteur historique, le légendaire et ex-Gong Steve Hillage, qui a produit durant plus de quinze ans la musique de Rachid, inventant avec lui une fusion inédite electro-blues-chaabi-rock…. LA SAGA RACHID TAHA Épisode 4 : Steve Hillage