LA SAGA RACHID TAHA Épisode 2 : Alain Lahana
Six ans déjà que Rachid Taha nous a quittés et qu’il nous manque toujours autant. Pourtant, son chaabi-electro-punk-groove-rock-fusion résonne toujours aussi puissant à nos oreilles, comme son propos aussi cool qu’humaniste, sa tolérance et son amour des gens. Aussi, pour tenter de combler ce vide abyssal et lui rendre l’hommage qu’il mérite, j’ai souhaité interroger ceux qui l’ont non seulement accompagné, fidèles entre les fidèles, mais également contribué à édifier sa légende. C’est ainsi que j’ai successivement tendu mon micro à Jérôme Marroc-Latour , son chef de projet chez Barclay, à Alain Lahana, qui produisait ses concerts planétaires, à Yves Aouizerate, son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans, à Hakim Hamadouche qui l’a accompagné de son mandoluth magique sur scène, comme sur de nombreuses chansons …. Et enfin à son producteur historique, le légendaire Steve « Gong » Hillage, responsable avec Rachid de la fusion intense de ce rock si singulier. Épisode 2 : Alain Lahana, qui a produit ses concerts aux quatre coins de la planète durant deux décennies.
L’an passé, j’avais voulu vous raconter la magnifique épopée rock de Carte de Séjour en vous retraçant en trois épisodes la saga de la formation de Rachid Taha, Jérome Savy, Mohamed Amini, Mokhtar Amini et de Djamel Dif ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA CARTE DE SÉJOUR: Épisode 1 de Rillieux à Polac , LA SAGA CARTE DE SÉJOUR Épisode 2 et aussi LA SAGA CARTE DE SÉJOUR : Épisode 3 ). Depuis notre rencontre à Lyon, juste avant la sortie de son premier maxi 45 tours, Rachid était mon ami et il le sera resté jusqu’à la fin. Que cela soit à BEST ou à la télé, j’ai bien souvent documenté la carrière du natif de Saint-Denis-du-Sig, en Algérie ( Voir sur Gonzomusic ROCK À LYON ANNÉES 80 , TRANSMUSICALES DE 1981 , RACHID TAHA présente MA DISCOTHÈQUE DE MÉTÈQUES , SO LONG RACHID TAHA MON FRÈRE , Hommage de son armée mexicaine à Rachid Taha et aussi RACHID TAHA « Je suis Africain » ). Avec la publication du premier coffret intégral, qui regroupe non seulement les deux premiers LP de CDS, comme les 10 albums solos de Rachid mais aussi un live autour de deux concerts, l’un à Bercy en 1998 durant l’enregistrement du fameux « 1,2,3 Soleils » et l’autre à Bruxelles trois ans plus tard et enfin un album de remixs intitulé « RMX ». En attendant les prochains épisodes avec Yves Aouizerate, Hakim Hamadouche et enfin Steve Hillage, voici l’épisode 2 : Alain Lahana, qui a produit ses concerts aux quatre coins de la planète durent deux décennies. Et pour lequel « Rachid n’était pas l’arabe de service mais un artiste énorme, un philosophe, et pour moi c’est l’une des intelligences supérieures que j’ai pu côtoyer dans mon existence. Et de ce côté-là je le mets au même niveau que Bowie, Patti ou Iggy, que j’ai légèrement côtoyé, comme tu le sais. C’est la même famille. C’est le même niveau. » Carrément !
« Je sais que tu gères Patti Smith et Iggy Pop, mais il y en a eu tant d’autres… comme Bowie…
Alors, dans les dossiers en cours en ce moment il y a Éric Cantona, puisque je m’occupe de lui sur le monde en tant que chanteur. Là j’ai des trucs qui arrivent avec Nick Mason du Floyd. J’ai des dates avec Carla Bruni, que je manage. Il y a toujours des tas d’activités différentes, sans compter les soirées « tribute » que je monte avec l’INA. J’ai notamment fait une soirée Barbara, une soirée Bashung, là je prépare une soirée Nougaro, une soirée Gainsbourg.
Quand tu dis sur l’INA, c’est-à-dire des docs ?
Non, pas du tout, je monte une soirée-hommage, comme j’ai fait avec toute l’équipe originale de Bashung avec vingt invités, comme on a fait Barbara… en mariant images d’archives et des artistes liés à l’artiste concerné.
Comme ce qui s’est passé pour Jane ( Birkin) à l’Olympia…
J’avais effectivement préparé une soirée hommage à Gainsbourg avec l’équipe complète de Jane…mais celle-ci était censée se dérouler 3 semaines après son départ…et vu l’émotion générale, nous ne l’avions évidemment pas maintenue, parce que c’était trop proche. Mais ils ont fait la soirée la plus magnifique de l’année pour Jane à l’Olympia.
La première fois que tu as entendu parler de Rachid Taha c’était quand ?
Rachid… la première fois ? Je ne saurais pas te dire si c’était par Philippe Constantin ou par Alain Maneval ( Voir sur Gonzomusic Adieu Alain Maneval). Je pense que cela devait être Maneval et je pense que quand j’en ai entendu parler, je devais être en train d’accompagner Téléphone à Lyon, pour cette nuit de Fourvières en 78 où il y avait Carte, sauf erreur de ma part.
Oui car je ne crois pas qu’il y avait encore Carte en 1978.
Peut-être que c’est un peu après car c’est marrant, je revois Rachid dans cette salle…
Sans doute, car il faisait déjà partie de la scène rock de Lyon, qu’il trainait dans toutes les soirées.
Rachid, je l’ai pas mal croisé avec Maneval, le stéphanois, puisqu’à l’époque je manageais Lavilliers. Mon fils est né en 86, donc j’ai dû arrêter avec Bernard en 85. Quant à Bernard Meyet (le patron du label Mosquito qui a sorti le premier maxi de CDS et aussi le premier LP : NDR), à l’époque où je travaillais chez Rosebud, je l’avais pris comme promoteur local pour les concerts lyonnais de, entre autres, des Talking Heads et tout ça.
En fait, les concerts que vous faisiez à l’époque au Palace, vous ajoutiez une seconde date à Lyon !
Ouais, c’est exactement ça.
Comme les B52’s, Mink DeVille etc…
Oui je bossais sur les concerts Rosebud et en même temps je manageais Lavilliers et Bracos Band ( le premier groupe de Paul Personne : NDR)
Avec Assaad Debs ?
Oui, c’est d’ailleurs lui qui m’a recruté avec Fred Serfati. Avec Assaad ( Voir sur Gonzomusic RIP CLAUDE AURENSAN ), ils m’ont demandé de les rejoindre pour piloter les tournées à l’époque de Steel Pulse, Ramones, Stranglers, Police, Damned etc… J’étais le p’tit jeune qui venait de province, parce qu’alors, les tournées n’étaient pas monnaie courante. A l’époque, on faisait Paris et éventuellement Lyon … éventuellement Marseille si on allait à la guerre… éventuellement Strasbourg si on allait à la guerre… mais les tournées ce n’était vraiment pas ça pour les artistes internationaux.
Il n’y avait même pas de salles dignes de ce nom… c’était avant l’ère des Zéniths !
Oui, c’étaient des salles municipales, des salles des fêtes quoi ! Donc c’était lié à ce clan-là. Après, j’ai des souvenirs de rencontrer souvent Rachid puisque moi quand j’ai arrêté de manager Bernard ( Lavilliers) … parce qu’en fait j’avais épousé sa femme, j’ai pris un associé à Lyon , Jean Pierre Pommier ( Voir sur Gonzomusic ROCK À LYON ANNÉES 80 ) qui était le mec qui faisait tous les trucs à Lyon à l’époque. Il avait fait « La nuit de Fourvière » etc… et nous sommes restés associés pendant une douzaine d’années. Ça formait un noyau, comme avec Kent et les Starshoot’, c’était à l’époque une scène Lyonnaise où tu les voyais tous quand tu y allais…
…. Oui avec l’Affaire Louis Trio ( Voir sur Gonzomusic UNBURYING THE GEMS : L’AFFAIRE LOUIS TRIO ) …
Qui était géré par Scorpio, c’est-à-dire JP Pommier, comme Starshoot’ ( Voir sur Gonzomusic EXCLUSIF !!! STARSHOOTER REFUSE DE SE RE-FORMER… ) etc… bref tout cela était très lié. Voilà, Rachid ça a été des rencontres comme ça, un peu à distance, jusqu’à un moment où, dans la foulée du Tour du Monde que j’ai fait avec Stephan Eicher, qui était aussi proche de Rachid, puisque issu de la même famille musicale de Constantin etc… Maneval, ce sont les mêmes tribus.
Et même label Barclay…
….oui. Et Bernard (Lavilliers) aussi ! À un moment-donné, Rachid voyait bien tout ce que je faisais avec Stephan, il voyait bien ce que je faisais à coté, et il m’a pris bille en tête en me disant : « Moi, j’en ai marre, je ne joue que dans des centres culturels à la con en France, je suis un chanteur de rock et j’ai envie de tourner partout. Et je vois ce que tu fais, est ce que tu voudrais travailler avec moi ? ».
Là, on est après Carte de Séjour, on est au début de la carrière solo entre « Barbès » et « Rachid Taha » ?
… et il veut conquérir le monde.
Tu étais pote avec Steve Hillage, aussi.
Mais ce n’est pas moi qui ai fait la connexion Steve Hillage, même si j’ai travaillé avec Gong. En 76 en même temps quand je suis monté à Paris pour m’occuper de Magma avec Georges Leton et Giorgio Gomelsky à l’époque et aussi Jean Marc Patras d’ailleurs ,..
Tout s’imbrique !
On se connaissait tous, mais on était tous très occupés, on avait tous des vies très actives, et à un moment-donné on s’est dit : on va regarder du même côté et c’est parti comme ça. Et avec Rachid, j’ai attaqué tout de suite, en lui faisant faire beaucoup de concerts à l’étranger. J’ai dû collaborer 17 ou 18 ans avec Rachid, parce qu’il y a eu une interruption ; le gros des concerts que j’ai fait avec Rachid s’est toujours passé hors France, car j’ai essayé aussi de casser, à sa demande, toute l’image générée par « 1,2,3 Soleil ! », celle d’un Rachid identifié comme chanteur de raï. Ce qui était pour lui la pire insulte. Donc Rachid, les premiers trucs de production, c’était après « 1,2,3 Soleil ! ». Il n’en pouvait plus, on l’appelait « chanteur de raï » et Rachid disait : « ben non, je ne suis pas un chanteur de raï, moi j’suis un chanteur de rock. Et si tu rajoutes « arabe », c’est bon, je suis né là-bas… point final, mais je suis un chanteur de rock, bordel. »
Ce qu’il a toujours revendiqué, depuis le tout début, je peux en attester !
Et moi j’étais là pour remettre ce côté « rock », qui avait été dilué avec « 1,2,3 Soleil ! » !
« 1,2,3 Soleil ! » c’est Pascal Nègre, qui est parti sur son fantasme « les 3 ténors du raï » avec Faudel et Khaled … genre idée marketing. L’idée était géniale.
Oui, ça a fonctionné, mais après cela a créé un déséquilibre tellement énorme, même si Faudel et Khaled s’en sont bien contentés, ça les a même bien aidés.
En même temps, Faudel cela ne l’a mené nulle part avec une carrière-météore de faire-valoir de Sarko. Et Khaled, un peu même combat, je n’ai pas l’impression que cela leur ait servi tant que cela sur la distance.
La période juste après leur a été très bénéfique. Pour moi, ils ont eu deux ou trois années, un truc assez costaud, il me semble. Moi j’ai surtout un souvenir de Rachid qui me dit : « je veux sortir de ça ! ». Et on a commencé à travailler partout.
Et comment fait-on pour vendre un mec inconnu qui fait un rock zarbi ?
Déjà ce n’est pas un mec inconnu. Certes ce n’est pas un gros noyau de public partout à ce moment-là, mais il y a des noyaux de public un peu partout. Rachid était loin d’être anonyme et tout le travail accompli avec lui s’appuyait à la fois sur un réseau indé et sur les Instituts Français, qui étaient le meilleur vecteur à ce moment-là pour faire briller Rachid partout dans le monde où la perception de l’artiste était très différente…On a écumé les Womad, Sziget, Glastonburry et autres… Rachid bénéficiait de surcroit d’une très forte cote d’amour auprès de grosses stars internationales emblématiques, comme Robert Plant, Patti Smith, Brian Eno, Damon Albarn, Santana et autres… Nous avons favorisé ces échanges, qui se sont souvent transformés en réelles collaborations artistiques à plusieurs occasions. Il nous arrivait avec Rachid de produire ses concerts dans une cinquantaine de pays par an. À une période, je me suis un peu spécialisé dans les tournées d’Instituts notamment, avec Stephan Eicher avec lequel j’avais pu mélanger les Instituts Français et Suisse et même Allemand, avec le Goethe Institute. Et Swissair qui payait les vols. On avait fait un vrai montage. On a tourné un an et demi comme ça ! Mais ça nous a aussi couté une fortune, plus d’un million, on est parti avec Manu Katché, Pino Palladino etc… on s’est fait un kiff. Mais c’est une expérience qui a aussi bénéficié à Rachid. J’ai monté ses tournées en misant sur le fait qu’il n’y avait pas de barrage de langue ; car l’avantage de Rachid, qui chante en arabe, c’est que tu n’as plus de problème de mauvais accent français. On est international tout de suite. Et c’est ce que j’ai toujours défendu par rapport à lui. Rachid, ce n’est pas que cela a matché entre nous, mais on est devenus instantanément frangins. Confiance totale mutuelle et on parlait de la même chose, tout le temps. Donc on a pu vraiment faire une construction. Moi c’était plus qu’un proche, quoi ! Quand on s’est séparés, à un moment et ça a duré quelques années, on s’est éloignés pour son bien. C’est moi qui ai arrêté, car je considérais que ses excès de défonce menaçaient trop directement sa santé. Je suis allé voir Rachid et je lui ai annoncé qu’à partir de dorénavant je ne bookais plus une seule date pour lui. Je lui ai dit qu’il ne se respectait plus et que par conséquent il ne respectait plus son public. Je lui ai demandé de se cleaner et qu’on se reparlerait ensuite. Le problème qu’il y a eu à ce moment-là c’est que juste après que j’ai dit : stop à Rachid, Olivier Caillard et pascal Nègre lui ont rendu son contrat. Et dans la même période la nana qui était avec Rachid à l’époque, Barbara, s’est barrée aussi. Donc, il s’est retrouvé d’un coup sans référence. Plus d’appuis. Il est même parti dans un délire où il croyait que je cherchais à le démonter, alors que bien entendu ce n’était pas moi qui avais appelé Barclay pour dire : rendez-lui son contrat.
Tu sais bien que la coke ça rend à la fois mégalo et aussi parano !
Donc, cela a fait plusieurs années où on ne s’est pas vu. Jusqu’au moment où il est revenu me voir. C’était sur la toute fin. Il m’a appelé, car il avait pris Momo Mestar, qui s’occupait de Faudel en tant que manager, tour manager, assistant… il avait commencé à travailler sur un album qui devait sortir chez Naïve, mais qui est parti en liquidation et qui a été racheté par Believe et, par conséquent, le contrat de Rachid a été vendu avec les meubles. Donc, je me suis retrouvé à aller négocier avec Believe une augmentation de budget. Momo a aussi fait ce qu’il pouvait pour tenir Rachid à flot, même si parfois, il n’a sans doute pas fait preuve d’assez de recul ou d’autorité vis-à-vis d’un Rachid qui n’était pas toujours facile à gérer durant toute cette période, que je n’ai pas vécue à ses côtés. Une fois que j’ai ré-enclenché tous les trucs label, budget etc… je l’ai embarqué au Mali. Et c’est là qu’on a démarré l’album « Je suis Africain ». Et en rentrant, les sessions se sont calées. Le Mali a permis de réamorcer son process d’écritures déjà bien enclenché avec Toma Fetterman qui a fait un boulot dingue pour faire aboutir ce dernier album. Le jour de sa mort, Rachid devait venir ici même, au bureau, pour faire les essayages des costumes pour le clip. Il voulait absolument que cela soit mon fils qui réalise le clip. Et j’ai dû annoncer à mon fils le même jour que Rachid était décédé et qu’on tournait la vidéo dans les mêmes dates mais sans lui.
C’est de Jules ( Lahana) dont tu parles ? Comment a-t-il fait ?
On a fait le clip avec les amis de Rachid. Bref, le plus important surtout dans ma relation avec Rachid c’était de mettre en avant qu’il n’était pas l’arabe de service, qu’il était un artiste énorme, un philosophe, et pour moi c’est l’une des intelligences supérieures que j’ai pu côtoyer dans mon existence. Et de ce côté-là je le mets au même niveau que Bowie, Patti ou Iggy, que j’ai légèrement côtoyé, comme tu le sais. C’est la même famille. C’est le même niveau.
Rachid il avait cette ouverture, cette incroyable vision de la vie et des hommes… avec une telle insolence…
Oui. Et avec un truc en plus assez étonnant, parce qu’autodidacte complet. Et une approche ultra naïve d’enfant avec un étayage ultra costaud d’adulte très évolué. C’est cela qui a fait beaucoup de choses dans notre relation. J’avais essayé plusieurs trucs à des périodes parce que je voulais qu’on invite Rachid sur des plateaux télé. Parce qu’on ne l’invitait pas suffisamment sur les plateaux télé. Donc j’ai eu l’idée de faire une biographie de Rachid par le biographe de Léo Ferré et de Jean Edern Hallier, pour qu’il y ait un vrai échange. On a fait sept ou huit entretiens dans le bureau à côté. C’était deux bouteilles de champagne à chaque fois. J’ai organisé plusieurs fins de journées/débuts de soirées à mon bureau pour caler ces discussions qui étaient assez arrosés et qui nous ont à un moment éloigné du cadre initial …au point que j’ai dû « censurer » plus de 250 feuillets (avec l’accord de Rachid, bien sûr) pour éviter tout risque de procès. J’ai toujours essayé de le valoriser. Quand il y a eu le problème pour l’album de 2004 « Tékitoi », je me rappelle encore de l’appel de Francis Kertekian ( il imite l’accent chantant méridional de Francis) qui me dit : « oh putaing Alaing Barclay ils nous cassent les couilles, ils ne veulent pas sortir le disque parce qu’ils disent il nous faut un single. Il nous faut une reprise. T’as une idée de reprise ? ». Ben oui, je lui dis, il y a une reprise évidente c’est « Rock the Casbah » qui mieux que Rachid peut s’approprier « Rock the Casbah » ?
Ah c’est toi qui a eu l’idée de « Rock the Casbah » ?
C’est évident comme idée ! Ce n’est pas un truc de génie, c’est une connerie. Qui ne peut pas penser à ça ? En plus, moi j’avais bossé avec les Clash et j’ai fait venir Mick Jones quand on a fait Taratata.
Et ils sont devenus copains.
Et l’histoire a continué
C’est comme ça que Rachid pouvait me téléphoner : allo… papa, faut que tu viennes dans tel bar, y’a Mick Jones qui est là… rapplique ! Rachid, c’est le seul mec à qui je pouvais faire mes blagues à deux balles qui blasphémaient du genre…Allah Ouakbar… David ! Il était plié en deux, il ne respectait rien et c’est pour ça qu’on l’aimait !
(Alain me montre un texto de Rachid ou il est écrit « Ca va habi…bite » ( rires) Il faut aussi évoquer cet Élysée-Montmartre qu’on a fait avec Rachid, un 1er Avril avec Brian Eno aux claviers et aux chœurs. J’avais demandé à Rachid de ne pas l’annoncer pour éviter qu’on prenne çà pour un poisson d’avril. Rachid a carrément poussé le truc jusqu’au bout : il ne l’a même pas annoncé pendant le concert ! Je me souviens également de Robert Plant programmé dans une émission de Guillaume Durand, que j’entends appeler son fils, en lui disant qu’il pouvait être fier de son père : I’m with Rachid Taha right now… Ou encore de cette image incroyable de Rachid traduisant les paroles de « Voilà Voilà » à Mexico juste avant son concert Place de la Libertad pour le faire scander à 30000 mexicains … voilà ce dont j’ai envie de me souvenir.
Tu n’as pas souhaité assister à son enterrement ?
Si je ne suis pas allé aux obsèques de Rachid, ni à Paris, ni en Algérie, c’est parce qu’elles lui ont été imposées en raison de sa situation financière précaire et que je trouvais qu’elles étaient cheap et éloignés du Coran alternatif sur lequel il avait toujours été branché, comme il le disait si bien ! Une jolie fête aurait été plus proche de ce qu’il aurait imaginé à son départ… car je ne pense pas qu’il aurait vraiment souhaité être enterré en Algérie, mais plutôt à Paris au milieu de poètes plus proches de lui que de l’Algérie où j’ai eu l’occasion de le produire aussi. Une tournée algérienne, que j’ai eu un mal fou à monter, parce que toutes les tournées de Rachid en Algérie avaient toujours été systématiquement annulées. Ils attendaient qu’il arrive dans la ville pour annuler le concert du soir même. J’ai dû passer par le biais de la Communauté Européenne pour qu’il puisse s’y produire, alors qu’il avait toujours son passeport algérien et qu’il était censuré depuis toujours là-bas. Durant cette tournée, on était accompagné par l’équipe de Julian Temple qui filmait les Clash pour un documentaire, sachant que le « Rock the Casbah » de leur générique… c’est celui de Rachid !
Trop cool !
Et c’est bien cette version qui est la meilleure. Quand on a fait le truc de « Rock the Casbah » on a eu tout un bordel administratif à régler, parce que les Clash ont plus qu’adoré. Que tout de suite on s’est retrouvé devoir l’enregistrer différemment, et c’est pour cela qu’on l’a renommé « Rock El Casbah », pour que les droits d’auteurs respectifs ne soient pas mélangés, ceux qui allaient aux Clash et ceux qui allaient à Rachid ( rires) En 2001, quand on a eu le 11 septembre, on était à Kuala Lumpur. Lorsque je suis allé le rejoindre le 13 septembre 2001 à Bangkok, on avait laissé Hakim derrière nous, parce qu’Hakim avec les attentats a eu une crise cardiaque et on avait dû l’hospitaliser, car il n’était pas transportable. Rachid me dit : tiens, on va marcher tous les deux. Ok, à Bangkok… et là il me balance : si on te demande d’où je viens, tu dis que je suis italien ! (rires) Et Rachid jamais au grand jamais n’aurait voulu être récupéré par le gouvernement Algérien
Entre Rachid et toi on peut parler d’une relation fusionnelle ?
` Rachid moi ça a été vraiment un truc. Je ne veux pas dire que cela était une quête commune mais on regardait toujours du même côté. Et c’est un truc important dans une relation artistique. Rachid on n’avait pas besoin de se parler deux plombes pour savoir de quoi on voulait parler.
Alain c’est bien plus fort qu’une « relation artistique », c’est une relation tout court !
Oui c’était un truc que je n’aurais jamais cru au départ mais on était comme ça (montrant deux doigts de sa main). Juste avant de mourir, il voulait que je prenne son management. Car Francis était décédé. A part que Yves Aouizerate a recueilli Rachid, qu’il l’a soigné et hébergé. Il l’a vraiment rabiboché et moi j’ai toujours dit à Yves : t’inquiète, je ne prends pas la place. Je suis derrière en embuscade pour pousser les trucs, mais c’est toi qui est au centre.
Évidemment. Une engueulade avec Rachid ?
Celle où je lui dis justement : j’arrête aujourd’hui. Ça n’a pas été une engueulade car il est resté bouche bée. Mais je suis pour les arrêts net. Comme avec Paul Personne où on a mis plusieurs mois pour se reparler. Et Rachid je lui ai dit : regarde-moi bien, je ne bookerai plus un concert pour toi, c’est terminé.
C’était pour son bien.
Après quand on s’est retrouvé au Mali, il m’a dit : heureusement que tu étais là parce que tu m’as sauvé la vie
Tu lui as filé le coup de pied au cul dont il avait besoin.
J’aurais tant aimé l’avoir sauvé en vrai et qu’il passe les soixante ans ! Quand je l’ai rejoint au Mali, il n’était pas en bonne santé. Il a fait une pneumonie et j’ai flippé quand j’ai vu dans quel état physique il se trouvait. J’avais passé la journée avec lui à l’hosto et je voyais qu’il ne tenait plus sur ses cannes, tant il était essoufflé.
Oui, il ne se soignait pas. Tu as conservé ses messages sur ton téléphone ?
Oui les audios et les textos, c’était toujours des conneries sur le thème « Ca va habi…bite ». De toute façon, avec Rachid tu ne pouvais pas attaquer une conversation sur un axe sérieux. Tu allais sur une connerie et là ensuite tu allais en profondeur. Mais tu ne rentrais pas dans le sujet sans les préliminaires. Si tu n’as pas le langage, cela n’ira pas plus loin. Et moi je n’ai pas fait beaucoup de fins de nuit avec Rachid. Parce que cela ne m’intéressait pas ? Je ne m’en mettais pas plein dans la gueule toute la nuit donc je n’étais pas intéressé. Et je préférais toujours le début avec Rachid que la fin. Mais on a vécu des trucs plus qu’incroyables, il aimait tellement voyager notre Rachid. C’était un kiff total pour lui de pouvoir aller n’importe où. Car il portait le drapeau…
…. avec son art, sa musique et sa fantaisie.
Il pouvait prouver que Zoom Zoom, son surnom, quand il vivait encore en Algérie… avait gagné…
… comme le titre de son album, aussi… parce qu’il était tout le temps speed.
… oui et toutes les histoires qu’il raconte de l’époque et Zoom Zoom est devenu grand, parce qu’il s’est retrouvé avec une belle étoile au dessus de sa tête, quand il a débarqué à Sainte Marie-les-mines…
… à l’age de dix ans…
… et qu’il s’est construit son truc et tout. Et quand on est arrivé à Sig et qu’il voit les nids de cigognes, en arrivant, il a halluciné. La boucle était bouclée. Il y a tant de souvenirs différents qui se bousculent, quand je l’ai pris comme Président du Prix Constantin, par exemple, cela avait un sens, je n’avais jamais oublié quand Rachid vivait dans la chambre de bonne au-dessus de chez Philippe. J’ai passé plus de temps avec lui qu’avec beaucoup de membres de ma famille. »
À SUIVRE….
Voir sur Gonzomusic: Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour
Voir sur Gonzomusic Épisode 3 : Yves Aouizerate, son manager et synthés, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 3 : Yves Aouizerate
Voir sur Gonzomusic Épisode 4 : son producteur historique, le légendaire et ex-Gong Steve Hillage, qui a produit durant plus de quinze ans la musique de Rachid, inventant avec lui une fusion inédite electro-blues-chaabi-rock….
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 4 : Steve Hillage
Voir sur Gonzomusic Épisode 5 : Hakim Hamadouche, sans doute son compagnon musicien le plus proche qui l’a accompagné depuis l’album « bleu »…LA SAGA RACHID TAHA Épisode 5 : Hakim Hamadouche