TRANSMUSICALES DE 1981

Carte de Séjour by Pierre René-Worms

Carte de Séjour by Pierre René-Worms

Voici 41 ans dans BEST GBD assistait façon « marathon man » aux Trans de 81, soit la 3ème édition des Transmusicales de Rennes enchainant plus de 30 groupes en 72 heures des plus prometteurs aux plus pourraves, des plus obscurs aux plus lumineux avec en Acte I : Tweed, CKC, France-Angleterre, Œnix, Dogs, Fred Fatigueros, les Donalds, Pin-Ups et Les Flics. Acte II avec radio Romance, Frakture, Ticket, l’Ombre Jaune (futur Niagara), les Civils, les Nus, Carte de Séjour, Blessed Virgins. Et enfin Acte III avec P 38, Complot Bronswick, Inc, Berlin, The Opposition, Ubik, Orchestre Rouge, Corazon Rebelde… Flashback

Orchestre Rouge by Pierre René-Worms

Orchestre Rouge by Pierre René-Worms

Après mes premières Trans de 80 (Voir sur Gonzomusic TRANSMUSICALES 1980  ) j’étais à nouveau missionné par Christian Lebrun pour assurer le « rock report » des Transmusicales de Rennes…

Publié dans le numéro 163 de BEST sous le titre :

TRANS DE 81

En descendant du train à Rennes, cet après-midi de décembre, j’avais encore dans la tête des réminiscences des Trans-Musicales de l’an passé : Marquis de Sade, première association quasi automatique avec la ville et des surprises de taille comme le Daho Junior, l’Affection Place ou l’Orchestre Rouge. Calé dans le velours beige du taxi CX, je glisse vers la salle de la Cité où siègent les Trans’ modèle 81. Trois jours de musique, de moods communiquants et quelques surprises (j’espère !) dans un bouillon de culture rock flashy et virulent, concocté par Hervé Bordier et l’équipe de choc de Terrapin.

Trans 81Dans dix ans, on ira peut-être aux Trans’ en smoking et tennis, dans le style Festival de Cannes, la coupe de champagne au poing, mais pour l’instant, on marche encore à la bière. Les cans roulent sur les planches de la salle, dès 17 h. Terrapin assure l’intendance et l’accueil des groupes et des guests. Béa distribue les backstages comme des bons points, tandis qu’Hervé me tend le menu… enfin, le programme. La Salle de la Cité ressemble à s’y méprendre à un grand ciné-club de lycée : les spectateurs sont parqués en trois paquets plus un balcon, on peut recevoir, mais ça reste un minimum familial. Les journalistes commencent à débarquer, c’est bon signe. Les radios pir… heu… libres… enfin, locales, ont déjà le micro baladeur. Dans le backstages, on joue rock around the bunker, tandis que Fifi, Master of the Stage, vérifie pour la quinzième fois le branchement d’un câble. Dans la salle, quelques têtes connues évoluent comme les pièces d’un kaléidoscope : un Taxi Girl, Marquis et Sade, Etienne Daho, Pabœuf et Herpin, la liste est assez élastique. Si je regarde ma montre à quartz et qu’elle indique 7 h 10 mn, n’en déduisez pas aussitôt qu’elle a fait « tilt ». 7 h 10, c’est en pm parce qu’elle a été passée en fraude des U.S.A. 7 h 11 et les Tweed, premier groupe de ce mercredi spécial rouennais, se glissent sur la scène de la Cité. Le must, c’est lorsque les Dogs sortiront de fourrière un peu plus tard dans la soirée… La Tweed (rivière qui sépare l’Angleterre de l’Écosse) est encore fraîche pour la saison. Le chanteur, en chemise Lacoste, a les doigts pleins de confiture, le style Jam leur colle un peu à la peau on va dire. Propres et un peu naïfs, les Tweed lancent des « Ooo la la » en pâture à un couple de fans accroché au rebord de la scène. Trois transports ont fait la route de Rouen à Rennes : un bus musicos, un camion matos et un car fans gonflé à bloc. Zut, j’ai marché sur un chewing-gum… 7 h 30 mn, C. K. C. succède aux petits mods avec son clavier qui s’est fait une tronche à la Bashung. Il se planque derrière des lunettes noires, tandis qu’une chanteuse attaque un morceau en anglais où l’accent est plus mis sur le synthétique que sur les intonations d’Oxford. C.K.C. manque un peu d’énergie dans un style assez cold funk. La chanteuse à l’air d’un corbeau malade à la voix aigre-douce : le rock s’enfante ici dans la souffrance. A la fin du gig, les machines jouent seules, et dans le fond c’est bien plus drôle ainsi. France-Angleterre, dans la foulée, sonne un rien variétoche. Le chanteur, entre chaque titre, place une petite histoire de son cru : c’est surréaliste mais ado, en tout cas pas trop excitant. A la mi-temps, je file vers le bar où Bordier finit sa bière. C’est là qu’il a avoué : « …la soirée ? Ben, j’ai fait ça pour les Dogs, à l’origine », Rouen in Rennes, si je comprends bien, c’est avant tout une démonstration Dogs (Voir sur Gonzomusic DOGS « 4 Of A Kind » ). D’ailleurs, une partie du staff CBS a fait le voyage des Trans pour ce groupe qu’il vient juste de signer. Pour le groupe, ça doit être à la fois rassurant et un peu craignos, à cause du côté examen. Frédéric Renaud a toujours la même petite amie, Philippe Pascal aussi.

OenixIl est Œnix moins cinq. Dans le petit almanach du rock, l’alinéa qui les concerne précise qu’ils se sont distingués voilà deux ans avec un single gag, intitulé « Ils veulent coucher avec Sheila •, dont on avait commercialisé une version castrée après les référés Carrére et des menaces de saisie. Œnix live, c’est comme le hamburger : si on a très faim, c’est divin, sinon… Dans les projos, la chanteuse fait trop de cinéma avec ses ongles fluos et son côté sexy Fellini. Mon voisin devrait mettre sa main devant sa bouche quand il baille. En plus, c’est contagieux. Après une bagarre à la mousse à raser, le groupe disparaît. La chanteuse revient pour annoncer que cette prestation était la dernière du groupe. Je regarde ma montre : il était exactement 9 h 42 lorsqu’ Œnix s’est brisé. Deux suicides (le couple de fans) et, un quart d’heure plus tard, on lâchait enfin le rock rageur et souple des Dogs.

Les Dogs

Les Dogs

Dominique paraît ému : « Avant qu’on trouve une maison de disques, il y avait ce morceau qu’on aimait bien jouer. Maintenant, on a trouvé un nouveau contrat, alors tout ça, c’est fini… ». Les Dogs ont du chien, le mordant des Ramones et quelques tours à la Stones des premiers temps. Antoine, le nouveau guitariste, se défend bien ; son jeu de scène est assez vif. Les Dogs chantent exclusivement en anglais et ne dédaignent pas les covers, « Paint It Black » et « The Last Time » des Stones, « Hey Gyp » de Donovan, sans oublier un titre des Isley Brothers. Ils ont une super pêche, même si tout cela n’est pas très nouveau. Après « Rock and Roll » de Gary Glitter en rappel, Dominique et ses copains regagnent leur loge où sont embusqués les micros des interviewers. Le mien attendra jusqu’à demain matin. Backstage, le guitariste d’Œnix se balade le pantalon carrément sur les chevilles et propose son pénis aux jeunes filles qui passent. Son cerveau embué par l’alcool n’a pas tenu le choc. Pendant ce temps, Fred Fatigueros crache son surplus d’énergie à une salle qui en manque vraiment. Heureusement, avec les Donalds, les passions vont enfin se réveiller. Ce premier groupe-surprise est en fait un groupe bidon et, comme tel, bio-dé-gradable avant la fin de l’année. Mon confrère-et-néanmoins-old-buddy Jean-Eric Perrin, qui y officie comme guitariste, m’a d’ailleurs gentiment fourni un inventaire complet du groupe qui comprend : 1 Fabrice Nataf-ex-Little-Buddy- Manager des Comateens chant, 1 Frédérique – chant et fleurette, 1 chanteur de Bill Baxter, 1 batteur ex-Garçons, 2 saxes, 1 Dynamo-batteur d’Artefact. L’arrivée des Donalds est saluée d’une franche salve de cannettes. Le son part un peu de tous les côtés, Fabrice gueule comme un Noir du Bronx et zigzague entre les jets de salive, signe d’un anti-parisianisme un peu primaire. « It’s rock and roll, you don’t spit, you just dance ! ». Il y a des gens qui n’ont vraisemblablement pas le sens de l’humour. Les deux derniers groupes, Pin-Ups et Les Flics, sont si insupportables que j’en regrette presque les Donalds. Je finis la soirée avec les membres de Carte de Séjour; leurs histoires de chameaux sont bien plus drôles que les décibels rouennais, à cette heure avancée de la nuit.

J

Les Dogs by Richard Dumas

Les Dogs by Richard Dumas

eudi matin, 11 h, Hôtel de la Gare ; je tire Antoine des Dogs des bras de Morphée. Dominique nous rejoint. On discute autour d’un café au bar en bas. « On n’a pas des exigences énormes ; tout ce qu’il nous faut, c’est quatre semaines de studio, et je crois que CBS nous les accordera. Dominique, assez détaché, évoque « la chance des groupes parisiens ». Après deux albums, Phonogram les a laissés mariner six mois avant de refuser les maquettes du 3e. CBS les a signés et a contacté Glyn Johns (Stones, Easybeats, 9 Below Zero) pour les produire. Deuxième tour de mon rocking marathon, Radio Romance présente un programme assez terne. J’ai raté le come-back de Frakture. Shit. Agréables moments avec Ticket, un groupe nantais bien mignon. Le son est bien léché, c’est pop et c’est frais. Les textes sont rigolos, parfois un rien naïf. Les Ticket manient la dérision avec « Walt Disney » ; j’ajoute qu’ils se tiennent bien sur scène. 9 h 39, un autre groupe, une autre planète avec l’Ombre Jaune, très influencé par les Talking Heads. L’OJ, c’est Daniel ex-Espions où sévissait Anne-Caro, la Lolita du rock rennais. Claude, la jolie clavier, se cache derrière une rose, c’est funk’n cold, mais la musique passe bien. Fred, le chanteur d’origine vietnamienne est assez torturé, il reflète assez la chaleur et la nostalgie que l’Ombre Jaune tente de taire partager au public des Trans’.

Les Civils by Jean yves Legras

Les Civils by Jean Yves Legras

Avec « La Crise », leur premier 45 tours produit par Alexis/Laurent – Taxi Girl, Les Civils sont fin prêts pour le hit. Le chanteur joue du saxo et ressemble au bibendum Michelin. En tout cas, il ne manque pas de présence. Musicalement, c’est un peu du clonage de Taxi Girl et je ne dis pas cela uniquement parce que Laurent a mis la main aux claviers, le temps d’un rappel. L’an passé, j’avais égratigné Les Nus, des deux ex-Sade, Rocky et Frédéric Renaud. Cette fois, leur show laisse éclore un rock dur et agressif assez personnel. Rocky gueule moins et bouge dix fois mieux, il joue l’amour tragique avec son micro et laisse sa hargne exploser. Comme Les Nus, Carte de Séjour, ce groupe d’Arab’s rock, mérite de signer sur un label. Avec Rachid et ses copains, c’est la fête et elle ne manque pas de chaleur. Carte de Séjour mélange les styles pour en extraire son identité propre. Le reggae et le funk, l’Afrique et l’Occident se mêlent subtilement. C’est vraiment irrésistible ; CdS ressemble à ces sucreries arabes qu’on avale avec du thé à la menthe. Rachid est un petit monstre de la scène et rien ne lui résiste. Dans son pantalon blanc pouffant, il ressemble à un prince charmant échappé d’un des contes de Shéhérazade. Il ne lui manque qu’un micro baladeur… et un tapis volant.

Carte de Séjour by Pierre René-Worms

Carte de Séjour by Pierre René-Worms

Invités surprise de la soirée, les Sax Pustuls de Pabin et Herbœuf font une incursion remarquée de trois morceaux. Ces mecs sont de superbes musiciens, mais dommage qu’ils aient perdu leur côté humoristique de l’an passé. A 3 h 10 déboule la locomotive des Blessed Virgins et son chanteur qui tutoie son public : « C’est pas parce qu’il est tard… tu vas sortir de ta coque, hé j’savais pas qu’t’étais mou ». Quelle énergie ! Les Vierges Bénies pratiquent un boogie fou dans le style tornade blanche. Le chanteur blond-rasé harangue son public : « Tu sais, j’me fatigue pour toi ! ». Retour des deux saxes avec les Blessed pour le final et bonsoir m’sieurs dames. Vendredi Midi, je suis passé dans une librairie acheter le roman d’Horace Mc Coy, « On achève bien les chevaux », et je ne le quitte plus.

Les Trans ouvrent leur troisième jour de rock marathon sur P 38, au rythme terroriste et fort compact. Complot Bronswick enchaîne sur une note un peu sinistre de rock douloureux et constipé. Jusqu’au bout du set, j’ignorerai dans quel idiome le chanteur a choisi d’exprimer sa douleur, Inc, un groupe de Nice, pratique une violence synthétique un peu pesante, assez early Stranglers. Avec Berlin, la sinistrose fait une très forte percée sur la scène des Trans. Heureusement, à 11 h 20, surgissent The Opposition, ces Anglais sur lesquels j’avais déjà craqué au Gibus. Leur son éclate, décompose l’espace musical en myriades de sensations qui oscillent entre Cure et Police et un je ne sais quoi qui entraîne vers le rêve. Live, The Opposition gagne en punch par rapport à son premier album, « Breaking the Silence ». Marcus, le bassiste, pilote de son pied droit un Moog Taurus synthetiser, un clavier à pied aux sonorités très aériennes. Au milieu du show, un type éméché monte sur scène pour exiger une minute pour la Pologne. The Opposition a beau tourner en France depuis six mois, ils ne pigent pas le français. Le type est éjecté. Moi, je suis accro. Je dévore « Message », une ballade rock et sensuelle qui sera leur 45 tours à venir, tandis que la voix de Mark déchire l’espace. Pour Bordier, c’est Pink Floyd revisité, pour moi, c’est juste une histoire de feeling, Opposition est un groupe de pros, pourtant, ils conservent intacte toute leur spontanéité. Ces trois Anglais-là sont de taille à se gagner le public français et ils le méritent.

The Opposition

The Opposition

Le chanteur d‘Ubik a l’habitude de traîner dans les rues de Rennes dans les tenues les plus extravagantes. Ce soir, Philippe ressemble à un rétiaire des jeux du cirque avec son collant vert et son épaule renforcée sur torse nu. S’il ne manque pas de magnétisme, voire de charme, je ne suis pas vraiment certain d’apprécier les velléités rockantes d’Ubik. L’an passé, ils avaient véritablement triomphé ; cette année, c’est la confirmation pour les partisans d’Orchestre Rouge. Manifestement, Théo et son groupe ont beaucoup bossé ; leur musique a gagné en précision et en maturité. Ce groupe, qui vient juste de signer chez RCA, apparaît comme l’un des plus prometteurs pour 82, à condition qu’ils ne se fassent pas sauter avec un cocktail Molotov. Sur scène, Théo, plus maigre que jamais, a l’air d’un long, d’un très long chat de gouttières. Orchestre Rouge, c’est sauvage, un peu théâtral et ça vous pète aux oreilles sans prévenir. Corazon Rebelde est un groupe chilien qui excitait assez la curiosité. Look très étudié à la Valentino, le trio déboule comme un bataillon de Sandinistas à la charge ; los Clashos n’ont pas prêché dans le désert, Corazon les a écoutés et adaptés.

Jam finale aux Trans by Pierre René-Worms

Jam finale aux Trans by Pierre René-Worms

C’est sûrement super, mais à cette heure de la nuit, « on achève bien les journaleux ». J’ai consommé à moi tout seul plus de trente groupes en 72 heures ; j’ai dépassé l’overdose. Les Trans 81 s’achèvent sans moi sur un final Orchestre Rouge/Corazon Rebelde qui devait être à tout casser. Le moins que je puisse faire, c’est de demander au « Cœur Rebelle » de m’inviter à son prochain concert et, cette fois, je ne déserterai pas, promis. Hasta Luego, Rennes.

Publié dans le numéro 163 de BEST daté de février 1982BEST 163

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