MEAT LOAF ENTRETIEN AVEC LE VIANDARD

Meat LoafVoici 41 ans dans BEST GBD rencontrait enfin le monumental Meat Loaf. Après m’avoir posé un lapin à New York six mois auparavant durant lequel j’en avais profité pour interviewer son colistier Jim Steinman, j’ai tout de même fini par croiser à Paris la route de l’imposant vocaliste de « Bat Out of Hell » qui publiait alors « Deadringer » le second volet de ses aventures en heroic fantasy sonic.  9 mois après sa triste disparition pour cause de COVID flashback…

Meat Loaf by Jean Yves Legras

Meat Loaf by Jean Yves Legras

Quelques mois auparavant, cet hiver 1981, j’avais attendu en vain Meat Loaf durant plus d’une semaine au Hilton Manhattan, juste en face du CBS building, son label discographique.  Certes, j’avais pu alors ronger mon frein avec son buddy Jim Steinman qui avait composé tous les titres de son « Bat Out of Hell » ( Voir sur Gonzomusic SO LONG JIM STEINMAN ) et j’avais également meublé mon temps en tendant mon micro à tant de héros du rock de mon adolescence ( Voir sur Gonzomusic)  David Johansen, le chanteur des NY Dolls, Todd Rundgren, Elliott Murphy et quelques autres ( Voir sur Gonzomusic ALL MY NEW YORK 1981 HEROES), mais à ce jour d’automne 1981, je n’avais pas encore tendu mon micro à Meat Loaf. La publication de son « Deadringer » allait m’en donner l’occasion, d’abord au téléphone puis en meat et en os dans les salons chics d’un palace parisien. Pour une rencontre forcément au sommet.

Publié dans le numéro 160 de BEST sous le titre :

HAUSSE SUR LA VIANDEMeat Loaf

J’avais vraiment  tout  essayé,  tout tenté  pour  mettre  la  main  sur  Meat Loaf .  II  y  avait  eu  cette  interview manquée  à  New-York,  en  mai  dernier. Dans ce papier, je posais l’ultime  question  :  avait-on  refroidi le Meat ?   Depuis  que  Steinman  avait enregistré « Bad For Good » (qui de­vait  être en fait  le  second LP de Meat  Loaf),  de bien  étranges  rumeurs  couraient sur  Meat  et  sur  sa  voix.  Steinman m’avait  même  livré  d’affreux  détails  sur  un  prétendu  traitement  subi par le chanteur de « Bat out of Hell »: « Le problème de Meat était  en  tait  une  allergie.  Dans  la suite  du  traitement.  Meat  s’est  lui-même  auto-flagellé  trois  heures  par  jour durant  deux  mois.  Chaque  séance était  une  véritable  torture.  À  force de  hurler  sous  la  douleur,  Meat a fini par retrouver sa voix ». Depuis  plus  d’un  an,  CBS  assurait quotidiennement  l’imminence  de  la sortie  de  l’album  ;  à  force,  c’était même devenu  un  sujet  de  plaisanterie. Depuis des mois, on savait de source sûre que toute la partie musique était  mise  en  boîte;  ne  manquait plus que la voix de Meat. Comme il ne voulait parler à aucun journaliste, pas  moyen  de  savoir  s’il  avait  pu récupérer  son  précieux  organe  ou non. Black out jusqu’en août, à Los Angeles,  où  j’avais  déjà  rangé  ce cher tas de viande dans le compartiment  congélateur de  ma  mémoire. Ce soir-là, je regardais un film d’épouvante  sur  KTLA  en  me  gavant  de Smarties  de  toutes  les  couleurs, des  M&M  Candies comme on dit ici.  À 23  heures, lorsque  le  téléphone  a  résonné,  je me suis auto-éjecté  de mon  fauteuil pour aller décrocher. Quelques bip-bip,  indice  d’un  appel  longue  distance  et  un  « hello»  quelque  peu éraillé.  C’était  Julian  Schapiro  de CBS  International  à  NY.  Avec  le décalage,  pour  lui,  il  était  déjà  2  h du  matin;  un horaire assez  surprenant  de  la part  d’un  garçon  bien  élevé  comme Julian.  À 4  000  bornes  de  là,  je pouvais  tout  de  même  percevoir son speed. « Tu veux toujours interviewer Meat Loaf ? ». Comme je ne pouvais  pas  sauter  illico  dans  le premier  avion  pour  l’Est.  l’homme de  la  company  m’a  suggéré  d’opérer  par  téléphone,  début  septembre,  dès  mon  retour  à  Paris.  Après tous  ces  mois  et  ces  paquets  de feuilles  de  calendrier  balancées  au vide-ordures,  j’avoue  avoir  été  assez séduit parla perspective. Le jour convenu,  à  la  minute,  Mister  Meat  était dans  ma  chambrette,  sous  les  toits du  XX »  grâce  à  la  magie  téléphonique.  Son  album  fantôme,  “  Deadringer»,  s’était  seulement  matérialisé trois jours auparavant. Je m’attendais à une voix étrange et basse, voire caverneuse, mais dans le combiné, Meat sonnait loud and clear, presque comme un  DJ  américain  d’une  station  AM lointaine :Meat Loaf

« Salut Meat (faut s’y faire !), on m’a  raconté  que  tu  tournais  un  film sur  toi-même,  ça  se  passe  bien ?

C’est  vrai  jusqu’à  un certain  point  car  Meat  Loaf  pour  moi, est un personnage  que j’incarne. Le sujet  du  film,  c’est effectivement  Meat  Loaf,  pas moi.

Qui es-tu alors ?

Je ne sais pas vraiment. D ‘ailleurs,  je  joue  aussi  un  second  rôle dans ce film. Marvin, un mec passe-partout qui veut rencontrer Meat ( en fait le véritable nom de Meat Loaf est Marvin Lee Aday: NDR). Le titre  que  nous  avons  choisi,  pour l’instant, c’est « Deadringer ».

C’est  Docteur  Jekil/Mister  Hyde ton histoire?

En  tait,  c’est  plutôt  Superman  II  y  aura  divers  membres  du groupe  et  quelques  acteurs  sous  la direction  d’Allan  Nichols,  un  type qui a bossé avec Altman sur ses 10 derniers tilms.

Quand  as-tu  véritablement  fini d’enregistrer ton disque ?

Il  faut  d’abord  que  je  t’explique  un  truc  : je  n’ai pas l’habitude  de placer  mes  vocaux  comme  les  autres parce que mes chansons ne s’y prêtent  pas.  Je  te  donne  un  exemple,  regarde  un  disque  normal,  le chanteur doit  mettre  sa  voix  sur  des séquences  de  quatre  minutes  au maximum.  N’importe  qui  est  capable de chanter trois minutes et vingt cinq  secondes  à  la  file.  Quand  tu dois  assurer  pendant  plus  de  sept minutes  trente,  il  faut  que  tu  sois sacrément  balaise pour  accrocher tout  ce  temps  ton  auditeur.  C’est comme un long monologue de théâtre, seuls les meilleurs acteurs tiennent  la  distance.  Chacune  de  mes chansons est un acte complet, tu ne peux  pas  placer  ta  voix  n’importe où,  n’importe  comment.  J’ai  travaillé plus de cinq mois sur ces vocaux, à les écouter, les réécouter, les peaufiner. Au bout de trois heures d’écoute  de  différentes  reprises  du  même morceau,  tu  découvres  enfin  la  faiblesse  qui  te  fait  buter.  Après,  il suffira  de  quinze  secondes  pour tout arranger, mais imagine le temps perdu  à  chaque  fois.  Il  faut  à  tout prix  que  l’émotion  dégagée  reste vraie, même si en fait, elle est extrêmement élaborée.

Qu’est-il arrivé à ta voix ? Com­bien de temps l’as-tu perdue?

J’ai  eu  les  cordes  vocales complètement  bloquées  au  point de  ne  plus  pouvoir  chanter.  J’avais l’impression  de  vivre  un  vrai  cauchemar. J’ai vu des dizaines de spécialistes  divers  et  pas  un  ne  s’est montré  assez efficace  pour  me guérir. On m’a conseillé un mec à Los Angeles, je suis donc allé consulter Warren Buriguian.

Steinman m’a parlé d’un traite­ment de choc.Jim Steinman and Meatl Loaf

Heu…  ses  méthodes  diffèrent un  peu  de  celles  de  ses  confrères.

Était-ce  aussi  violent  que  le raconte  Jim  Steinman  ?

Steinman  n’a  jamais  rencontré  Warren.  Il  ne  connaît  pas  ses méthodes de soin, tout ce qu’il a pu raconter  n’a  aucune  base  sérieuse. Ce  Warren  est  complètement  fabuleux,  ce  qu’il  a  réussi  avec  moi  est vraiment incroyable. Si ce type mourait, il n’y aurait personne pour prendre sa relève et ce serait une vraie catastrophe.

Bon…  mais  qu’est-ce  qu’il  t’a vraiment fait?

Un traitement à la fois mental et  physique…  heu,  ça  ressemble un peu au yoga, sans en être tout à fait.- Toujours  est-il  qu’à  cause  de  ces problèmes  de  voix,  je  n’ai  pas  pu enregistrer « Bad for Good • qui devait  être  mon  second  album  sur Cleveland records. Comme Steinman a toujours désiré  enregistrer un album, je lui ai dit : « Pourquoi ne fais-tu pas celui-ci  et  nous  enregistrerons  le prochain  ensemble,  lorsque  je  serai guéri ? ». Lorsque • Bad tor Good » est sorti. « Deadringer » était presque achevé. Mais ça ne me dérangeait pas.

Qui est Stephan Galfas. ton co­ producteur?

Un  vieux  copain  d’enfance  II avait  déjà  produit  quelques  albums de  Southside  Johnny.  C’est  un mec bien. Clearmountain s’est occupé d’une  partie  des  mixes  Avec  Stephan  et  lui,  nous  ferons  les  deux prochains  disques  :  un  live  et  un album studio. »Meat Loaf

Trois semaines après cette conversation, Meat était à  Paris,  en  Meat  et  en  os,  et  je pouvais  enfin  conclure  cette  interview à  épisodes.  Depuis  son  arrivée le matin même, Meat n’a pas décollé de sa suite dans un palace de la rue  du  Faubourg  Saint-Honoré  :  il pratique  le  jeu  des  entretiens  à répétition. Drôle de bonhomme avec ses deux gros yeux bovins qui m’observent.  Meat  me  tend  une  grosse patte. Sur le col de sa chemise, il y a du  rouge  à  lèvres.  Je  le  lui  fais remarquer…

« Ah oui… j’ai croisé une petite Française,  elle  était  très  mignonne hé hé…

Elle a rencontré Marvin ou Meat?

Elle  n’a  pas  pu  rencontrer Marvin, car il est encore sur le plateau de  tournage  de  son  film.  Je  peux même  te  dire  que  le  10  octobre Marvin  montera  sur  scène  avec  les musiciens.  Ça  risque  d’être  quelque chose. Nous essayons de finir le film « Deadringer » pour  pouvoir  le  présenter au festival de Cannes où nous espérons en plus donner un concert live Je ne sais pas si nous serons autorisés à le faire, mais en tout cas, ce sera du jamais vu. Si nous ne trouvons pas à Cannes de scène assez vaste pour nous accueillir, nous louerons  sur  un  bateau  ancré  au  milieu de la baie de Cannes. Je crois que je suis  avant  tout  un  pertormer,  un animal  sauvage  lâché  sur  scène. Sur  mes  disques,  je  fais  de  mon mieux, mais avant tout, je suis live.

Justement,  prépares-tu enfin  une tournée européenne ?

Et comment il y a déjà quatre dates de prévues en France : Nice, Lille,  Lyon  et  Paris.  En  tout,  Meat Loaf  se  baladera  pendant  plus  de dix semaines en Europe pour y don­ner plus de quarante gigs. Si tout se passe  bien,  nous  commençons  par la  France  en  février-mars  pour  finir la  tournée  en Angleterre.  Mon show est  extrêmement  visuel;  il  va  du « Citizen  Kane «  d’Orson  Welles  à Paul  Muni  en  passant  par  Laurel  et Hardy.  C’est  normal  parce  que  je pense  cinématographiquement  chaque image que je chante, parce que je  veux  que  les  gens  imaginent  ces images-là, il faut qu’ils les voient défiler  à  travers  leurs  HP.  Peu  importe l’espace  temporel  qu’ils  choisissent, pour moi. ça n’est pas le plus important,  au  contraire,  mes  disques  sont  intemporels.  Ils  peuvent se  situer  voilà  4  000  ans  ou  dans 4 000 ans. Vois-tu, un cheval ou une moto, en tait, c’est du pareil au même.Meat Loaf

Je sais que tu aimes fortement faire  des  duos  sur  scène  avec  une nana.  Il  y  a  trois  ans.  Karla  Devito t’accompagnait.  Depuis  lors,  comme  Ellen  Foley,  elle  t’a  abandonné pour  une  carrière  solo  ;  alors,  qui sera la prochaine?

La  prochaine,  comme  tu  dis, c’est  Pamela  Lurie  qui  a  suivi  le Silver  Bullet Band  de  Bob  Seger  durant quelques temps.  Si  j’ai  toujours  pratiqué  le  duo,  c’est  à  cause  de  ma conception du show, comme au cirque Barnum, il y a plusieurs centres d’attractions  à  la  fois  sur  scène,  il faut que ça bouge !

Steinman  m’avait  parlé  du  prix de revient de son LP : 500 000 dollars  (3 M de  F  ).  Combien  a coûté « Deadringer » ?

Heu., autour de 600 000 dollars (13,6 M de F ).

Aussi cher que celui de Steinman.

Non, parce que «Bad for Good » a coûté prés d’un million de dollars  Quand  tu touches  aux  grosses  têtes  comme  les  Stones,  Bob Seger ou Foreigner, tu ne peux pas dépenser moins de 250 000 dollars. Le seul moyen de faire des économies avec ces artistes, c’est de leur faire  enregistrer  des  live . Faut  pas rêver,  un  top studio,  ça  coûte  déjà plus de 200 dollars l’heure, rien que pour s’y asseoir. Là  tu rajoutes 120 dollars  par  bande  magnétique  24 pistes utilisée et, crois-moi, ça défile. Tu as envie que ton disque sonne bien, le son d’acier, pas vrai. Il n’y a pas de secret, la seule solution, c’est d’engager  les  meilleurs  et  les  meilleurs sont aussi les plus chers. Si tu prends  mon  album  «  Deadringer », les seuls  frais  de  musiciens  cartonnent déjà autour de 150 000 dollars Quand  Roy  Bittan  débarque  pour les  séances,  même  si  c’est  un  copain, ça n’est pas bonsoir la charité. Roy Bittan, ça se facture et ça coûte. Même dans les  25-30  000  dollars.  Mais  tout cela  n’est  pas  vraiment  important. Le futur du disque, il est caché derrière cette boite magique là (il désigne  la  télé  de  son  doigt  boudiné),  parce que c’est le visuel qui a toujours  déclenché  le  réel  succès  d’un disque.  Regarde  Presley,  les  Beatles ou les Stones Au début du siècle, lorsque le cinéma est passé du muet au parlant, une partie des acteurs  se  sont  retrouvés  écartés  des plateaux  parce  qu’ils  étaient  incapables  de  s’exprimer:  ils  étaient inadaptés.  La  musique,  dans  les années  qui  viennent,  va  suivre  le même schéma avec la vidéo révolution  ;  les  gens  vont  avoir  envie  de voir ce qu’ils entendent. S’il n’y a rien à voir, ils seront très déçus. »Meat Loaf

Il faut dire que chez  Meat,  il  y  aura  toujours  du spectacle.  Il  joue  au  pirate  pour mon  walkman  recorder  ou au  gangster  de  Chicago.  Il  m’enregistre  un message  pour  Radio  Ivre  «…where Rock and Roll is illegal ! » et il parvient  presque  à  m’effrayer  l’espace d’un  dixième  de  seconde.  S’il  ne renouvelle  pas  trop  son  style,  Meat est,  par  contre,  un  acteur  de  première. En  quittant  sa  suite,  je  garde  au fond  des  yeux  les  cinq  petits  diamants qui sont incrustés sur le disque d’or qu’on lui a remis et qu’il a posé sur la cheminée. Chacune des pierres  représente  100  000  albums vendus..  Quand  je  compare  tout cet amas de fric à mon propre compte en  banque,  j’ai  peut-être  un  rien  le vertige,  mais  qu’est-ce  que  ça  me fait rigoler !

Publié dans le numéro 160 de BEST daté de novembre 1981

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