MARC ZERMATI MORT DU DERNIER DANDY DU ROCK
Putain de Face de Bouc… c’est lui qui m’apprend que Marc Zermati a cassé sa pipe cette nuit, emporté par une fucking crise cardiaque. Personnage central du rock, il était le créateur de l’Open Market, l’inventeur du Festival punk de Mont-de-Marsan et le fondateur du label Skydog. Cet incontestable « illuminati » rock, a non seulement produit le mythique « Metallic K.O » des Stooges et programmé les Clash, mais aussi et surtout il les a côtoyé avant même qu’ils ne soient les Clash, comme tant et tant d’autres rockers. Mais Marc était avant tout mon pote feuj, mon ainé, une grande gueule, si souvent tête à claques, que j’adorais et dont je ne me suis jamais privé pour recueillir le si précieux témoignage. Dire que demain il faudra lire le Kaddish à sa mémoire me fend le cœur 😭
Comme dans la mythologie british où Saint George terrasse inlassablement son dragon, Zermati a toujours frappé de taille et d’estoc pour défendre cette liberté rock aussi précieuse que les couilles d’Elvis. Et on sait combien il y tenait ! Car on peut bien reprocher tout un tas de choses à Marc Zermati, mais côté cojones, on doit convenir qu’il n’en a jamais manqué. De l’Open Market à son fameux label Skydog, en passant par le Festival de Mont-de-Marsan, des punks aux groupes japs qu’il a su populariser, Marc était à lui seul une bibliothèque du rock et le voir partir ainsi aujourd’hui, c’est comme si elle était en flammes, alors avant qu’elle ne se consume totalement, je suis fier d’en partager quelques extraits rescapés avec vous… Fin 2008, Marc organisait son expo « Rock Is My Life », avec sa fidèle complice Dinah Douïeb, à la Galerie Chappe à Montmartre, qui célébrait les trois décennies de son fameux Open Market, qui avait servi en France de révélateur photographique à tout le mouvement punk, à cette occasion, je lui avais tendu mon micro… pour l’entendre râler et pester à nouveau, comme savait si bien le faire notre éternel dandy d’Alger. So long my rock brother … tu as rejoins ta fille adorée et nos pensées vont à tes deux petites filles Alice et Paula ainsi qu’à ton frangin Fabien.
« Dans l’expo, il y a un truc important à noter, c’est que tu as carrément recréé l’Open Market !
On essayer de recréer l’Open Market, c’est-à-dire qu’il y aura deux salles dans l’expo : une salle où l’on va exposer le plus de choses possibles, mais l’espace n’étant pas assez vaste je ne garantis pas la totalité des choses. Pour l’instant, on en est à une centaine de pièces dans cette salle. Et dans la deuxième salle, c’est effectivement une reconstitution plus ou moins de l’Open Market. Disons qu’il y aura l’atmosphère de l’Open Market et des choses à vendre, du merchandising. On a fabriqué beaucoup d’objets : des badges, des T shirts, des lithographies, des choses comme ça. Et évidemment quelques disques Skydog etc …mais ce n’’est pas basé sur les disques, mais plutôt sur l’iconographie, les tracts, les affiches, les backstages, les tickets de concerts…
Ça fait trente ans l’Open Market !
C’est surtout qu’on est au 21éme siècle aujourd’hui et qu’on est rentré dans un nouveau contexte culturel où la contre-culture ne peut passer que par internet. Or, le rock faisait partie d’une forme de contre-culture pour le 20éme siècle. Aujourd’hui, je veux simplement prouver que le rock est devenu par la force des choses une culture vraiment de notre génération. Évidemment, la France est peu marquée par ça, car on n’est pas un pays très rock. En France, malgré tous les efforts d’une minorité dont on fait partie, le rock n’a jamais fonctionné. Ce n’est pas un pays rock, ce n’est pas un pays culturellement musical. On le voit aujourd’hui, le résultat c’est que la plupart des gosses français achètent des trucs français qui n’ont aucun intérêt. Je remercie les Jack Lang et compagnie qui ont créé ces lois absurdes de quotas imposant 40% de Français aux radios. Ils n’ont créé justement rien, la négation d’une culture internationale et internationaliste qui était le rock et qui était parvenue à réduire le monde à la dimension d’un village global. Ce sont les vieilles théories qu’on avait dans les années 60 avec Marshall McLuhan, qui décrivait déjà le monde comme il allait être.
Le village global existe, c’était internet avant l’heure !
C’est la même génération. Internet a été inventé par les gens qui prenaient du LSD. C’étaient les hippies et les proto-hippies de l’époque qui ont inventé internet avec les capitaux de l’armée américaine. Car c’est l’US Army qui a permis de réaliser les recherches qui ont généré internet. Et l’armée US au bout de trois ans a laissé tomber internet dans le domaine public parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils ne pourraient jamais contrôler cet espace. C’est un peu ce qui se passe aujourd’hui où je vois qu’on essaie de faire des lois et des lignes Maginot imaginaires pour empêcher les gens d’être libre de downloader. Moi je n’y crois pas du tout, je trouve ça ridicule. Si on comprend le concept d’internet, on ne peut pas du tout être dans ces histoires-là. Mais c’est encore une spécificité de notre pays.
Solution : on peut mettre un flic derrière chaque ordi ça créera un max d’emplois !
Ils ont bien fait la ligne Maginot, ils sont donc capables de tout.
Revenons 30 ans en arrière…
En 72 /73 j’ai démarré l’Open Market qui était rue du Roule et pas rue des Lombards. Rue des Lombards c’est le 2éme Open Market dans la réalité historique.
Comment tu t’es lancé dans une telle entreprise ?
J’étais seul et je me suis lancé là-dedans en me disant que je devais à tout prix arriver à faire quelque chose, j’étais très concerné par le rock. Avant ça j’étais plus concentré sur l’art en général, j’avais travaillé dans une galerie à Saint Germain des Prés qui s’appelait Le Point Cardinal et j’ai eu la chance de rencontrer Henri Michaux, Max Ernst etc…et d’autres Miro, des gens qui ont été très importants pour moi et qui m’ont dirigé. D’ailleurs, j’étais assez copain avec Max Ernst, il m’avait même invité chez lui dans le sud, à Fayence dans sa maison. Et mon père était jaloux, mais moi j’étais jeune, je ne comprenais pas l’importance réelle de max Ernst, même si j’admirais le mec et que j’avais beaucoup de respect. C’est mon père qui était halluciné que moi je sois invité et que lui ne l’était pas. Max Ernst en 65 c’est lui qui un des premiers m’a montré les canards underground américains. C’était la naissance du mouvement hippie aux États-Unis, la naissance du LSD. Il m’a dit : « je ne vois pas très bien pourquoi tu restes dans ce milieu, toi ta passion c’est tout de même la musique, tu as l’air de connaître très bien ça et tu devrais aller voir là-bas ce qui s’y passe, car c’est intéressant ».
Et personne n’allait là-bas à l’époque !
Non, personne n’allait là-bas à l’époque et c’est là que j’ai réalisé que je ne pouvais pas rester juste un minet comme ça, qu’il fallait que je devienne quelque chose d’autre. Alors, je suis parti à Ibiza et j’ai pris du LSD en 66. Et c’est mon premier trip et à partir de ce moment-là, le changement était radical dans ma tête et dans ma façon de penser les choses.
Le LSD t’a réellement ouvert les « portes »…
Les portes de la perception comme on dit. Oui, il est évident que le LSD est une psycho-vitamine de l’esprit et permet de sur activer ton cerveau de façon à savoir te connaître toi-même. C’est la première leçon du LSD : savoir se connaître soi-même. Et voir quelles sont tes capacités par rapport au fait que tu te connais toi-même et ce que tu as envie de faire. Ça a été un truc très important le LSD, d’ailleurs je fais toujours une différence bizarrement quand je rencontre des gens, je sais ceux qui ont pris du LSD et ceux qui n’en ont pas pris, même s’ils essaient d’être cool et tout. C’est assez fascinant. Quand tu vois qu’il y a des types comme Deleuze et compagnie qui en prenaient tous les mois, je trouve ça totalement normal. Mais il y a beaucoup de gens qui se sont servis du LSD comme d’une psycho-vitamine, comme la vitamine de l’esprit. Ça n’était pas qu’un truc pour voir des éléphants roses comme les Français l’ont caricaturé. Comme ils ont toujours caricaturé tout puisque pour eux le mouvement hippie c’étaient de pauvres babas assis sur leurs culs. Or les premiers radicaux de l’Histoire de notre génération c’était les hippies, beaucoup plus que les autres. C’est un mouvement en tout cas qui a touché toute la planète.
Tu rentres d’Ibiza tu reviens à Paris…
Je vais à Ibiza deux fois ; je reviens, je reste un an à Ibiza et je reviens en plein mai 68. J’arrive à Paris cette année 68. Je me fais arrêter à la frontière parce que j’ai les cheveux longs ; on m’emmerde. La France était un pays tellement rétrograde déjà à l’époque tellement envahie par un univers de vieux. Comme disait mon ami Alain Dister, qui n’est plus là aujourd’hui, notre seul espace de liberté en Europe c’était l’Angleterre. Donc on allait à Londres et là on était libre, on se sentait un peu plus compris qu’en France. En France aujourd’hui on est encore sous une lourdeur intellectuellement indéfendable.
Et en Angleterre tu vas vivre la naissance du punk…
Les théoriciens du mouvement punk justement beaucoup étaient issus du mouvement hippie. Car ce mouvement était radical et pas du tout des babas qui fumaient des joints, comme ils disent. L’Angleterre…j’y allais tout le temps. Disons que, toute ma vie, j’étais en Angleterre à partir du moment où je suis rentré d’Afrique du Nord en 62.
C’est à ce moment-là que tu as rencontré tes premiers potes musiciens ?
Je connaissais déjà la scène musicale, car depuis les années 60 j’allais à Londres. J’étais très ami avec Eric Burdon, avec toute cette scène-là Manfred Mann, des mecs comme ça. Je faisais partie des premiers Mods dans l’environnement anglais. Les premiers Mods étrangers si on veut. C’est un peu un raccourci, car évidemment il y a aussi l’époque du Drugstore qui est significative dans la progression de ma vie.
Et là du coup la « Bande du drugstore », c’est le début des années 60 ?
Je reviens en arrière pour te dire pourquoi j’étais Mod parce que j’étais au Drugstore. Donc le Drugstore a été très important, même pour les Anglais. Nick Lowe me racontait, il me disait toujours : « On vous a vu arriver en Angleterre, vous étiez super sapés. Vous tombiez toutes les gonzesses anglaises. Et nous on était super jaloux. On s’est dit qu’est ce qu’on fait ? Et du coup, d’une année à l’autre, on a commencé à se saper, on est devenu Mods en adaptant cette mode que vous aviez propulsée dans l’espace anglais. ». Une chose à noter, c’est que la plupart des tailleurs en Angleterre à cette époque-là sont d’origine pied-noir. Des juifs pieds-noirs d’Afrique du Nord. Je peux te montrer des photos de moi en Algérie, j’étais habillé comme un Mod déjà. J’avais les pantalons taille basse , les choses qu’on remet aujourd’hui, les petites vestes et tout.
Passage des Mods aux hippies puis des hippies aux punks ?
Il y avait un mouvement de révolte à travers le mouvement hippie. En France, on m’avait déjà emmerdé, j’avais été déjà incarcéré pour rien, donc j’étais déjà assez révolté contre l’establishment. À Londres, on avait démarré Skydog dès 74 et aussi monté Bizzare Records distribution, qui était la première distribution indé internationale. On a aidé Stiff à se créer ainsi que Chiswick Records. J’étais pote avec Jack Riviera. On a dit que Stiff a été démarré avec l’argent de Nick Lowe qui avait effectivement mis 500£, mais le jour où ça s’est passé j’étais là et j’ai dit que Skydog allait les soutenir et je l’ai fait, j’ai mis la main à la poche.
Le premier disque Skydog 001 c’était quoi ?
Le premier disque c’était « Sky High » avec Jimi Hendrix et Jim Morrison. Une session qui avait été faite à New York au club The Scene .
. Pourquoi, parce que j’étais un fan absolu de Jimi, j’ai totalement halluciné avec Jimi Hendrix, que j’ai eu la chance de rencontrer et de connaître. Ça m’avait frappé. Et quand il est mort, je m’étais toujours dit : si je montais un label, le premier disque que je ferai ce sera Jimi Hendrix, je me démerderai d’une manière ou d’une autre. Puis après, on a continué, on a fait les Flamin’ Groovies, tous les trucs de pub rock, Tyla Gang, Ducks Deluxe, Eddie & the Hot Rods, on a participé à toute l’élaboration du concept, Doctor Feelgood aussi. Si tu veux à l’époque, tous ces groupes, je les ai amenés en France et d’ailleurs ils ont eu du succès. De 75 à fin 78 on a tenu tout le public français qui s’est mis à aimer le rock. Par exemple le premier album des Clash a plus vendu en France qu’en Angleterre, les Stray Cats aussi bien plus tard.
Tu as été à la base du Festival de Mont-de-Marsan, déclencheur du mouvement punk ?
Pour la plupart des journalistes anglais, absolument ça a été le déclencheur d’un mouvement punk. Mais la réalité des faits, c’est qu’au premier Mont-de-Marsan en 76 on était plus dans le pub rock, même si c’était déjà des pré-punks comme Eddie & the Hot Rods . Il y avait les Damned aussi qui étaient le premier groupe punk en Angleterre, le premier groupe réellement qui est arrivé dés 76. Et c’est avec eux qu’on a fait un single avec Jack Riviera et Stiff en association sur les Damned, leur premier single « New Rose » qui est sorti sur Skydog. Et c’est au cours justement si tu veux dans le bus qui allait à Mont-de-Marsan tu avais les Damned, Nick Lowe et les mecs de Rockpile, et il y avait Jack Riviera. Eux ils ne comprenaient pas du tout les Damned, ils me disaient : « qu’est-ce que c’est que ce groupe de merde qui ne sait pas jouer ? ». Mais après le Festival, ils ont compris et m’ont dit : « on voudrait faire avec toi le single des Damned ». Et c’est d’ailleurs Nick Lowe qui l’a produit. Ça nous a coûté 80 £ à l’époque.
Et, l’année suivante, Mont-de-Marsan Mark II en 77 avait carrément une couleur punk.
Oui, là c’est le vrai premier Festival punk . Là il y avait tout le monde des Damned aux Clash, c’était facile c’étaient tous mes copains. Il y en a même qui se sont pointés sans être vraiment sur l’affiche. Moi le mouvement punk j’étais en plein dedans, dés 73, 74 tout le monde pourra te le confirmer McLaren venait à Paris et je l’ai connu à travers Castelbajac et l’on est devenus copains. Donc les bases mêmes du mouvement punk ont été initiées à Paris. Même Lester Bangs, quand il vient en 75 à Paris écrit : j’ai vu des « punques » français en allant à l’Open Market. Il raconte dans ses articles qu’il avait complètement halluciné parce qu’il adorait cette punkitude-là. Avec Yves Adrien, qui écrivait pour Rock & Folk et aussi pour sa revue qui s’appelait Trash où il racontait tout ce qui se passait à l’Open Market le mois précédent. Donc on a réussi à créer un centre d’attraction sur lequel tout le monde s’est regroupé ; tous les groupes anglais ou américains de l’époque venaient à l’Open Market dès qu’ils arrivaient à Paris. Donc on avait créé cet environnement rock en France . En fait c’est pas les Anglais, mais plutôt les Américains qui ont inventé le punk à travers les Ramones, Television, Patti Smith, les Heartbreakers de Johnny Thunders, Blondie évidemment. Et tous ces groupes-là, tu remarqueras, ne sont pas du tout pareils, ils ont chacun leur propre son. Des Ramones aux Talking Heads il y a un monde et pourtant c’est bien le même mouvement.
Et les Anglais ont vu tout ça venir et ils se sont dit on va faire la même chose en mieux, comme les Beatles et les Stones ont adapté le blues US pour fonder leur rock…
Ils ont pas fait mieux, ils ont fait autrement, les Anglais si tu veux ça a été plus important parce qu’on a eu beaucoup d’action et si tu veux en Angleterre il y avait un problème social à l’époque, donc il fallait trouver quelque chose qui soit différent et le mouvement punk est arrivé . Pour moi le punk a démarré début 76 réellement en Angleterre. Les Américains étaient déjà dans l’histoire puisque les Ramones existaient déjà. Ça a été une bonne leçon pour les Anglais, ils ont vu qu’avec deux riffs, on pouvait faire un morceau. Tous les premiers groupes punks anglais sont sur le même schéma, il n’y en a pas un qui sache vraiment jouer, mais ils font un groupe quand même.
Certains jouent mieux que d’autres tout de même, les Clash savaient beaucoup mieux jouer que les Damned !
On me l’a souvent reproché, car j’étais souvent très critique sur le fait de ne pas savoir jouer pour les groupes. On m’a souvent reproché de soutenir les groupes qui savaient jouer. Les 101ners c’étaient des copains à moi avant, Joe était mon pote depuis toujours, donc après Mick Jones aussi. C’était une bande de gamins que je voyais, car c’étaient des fans des Flamin’ Groovies et moi j’étais connu en Angleterre pour avoir poussé les Flamin’ Groovies. Glen Matlock étant mon pote depuis cette époque, Mick Jones aussi, Joe Strummer qui voulait absolument être sur Skydog avec 101ners, mais j’avais passé la main, parce que j’aimais beaucoup Joe, mais c’était un groupe de squat, je trouvais qu’ils n’étaient pas encore au point musicalement. Je m’étais sans doute trompé…
Non non, tu avais raison quand on compare le premier LP du Clash à « London Calling » ils ont déjà fait un putain de progrès.
Ils avaient une réelle culture musicale.
Et les Stooges ?
Ils faisaient partie de notre concept global. Les Stooges, avec Yves Adrien, on écrivait dans une revue qui s’appelait Le Parapluie qui était le seul canard underground français à l’époque. Le MC5 était des punks et en même temps des hippies, translove energy c’était un mouvement hippie, mais en même temps des punks. Nous on était comme ça, moi je n’ai jamais fait d’opposition entre les punks et les hippies. Il y avait que Mac Laren qui se servait des medias en disant qu’ils ne pouvaient pas se voir, ça n’avait rien à voir. Mac Laren il venait de la mode.
En fait, il a projeté le même antagonisme qui existait jadis entre les Mods et les Rockers.
C’est classique en Angleterre, il y a eu aussi les Stones contre les Beatles, ils ont toujours fait ça les Anglais. Mais Malcolm venait de la mode, ce n’est pas un mec de la musique. Et, avant le punk, il n’aimait que le Rockabilly. C’est là où on s’est rencontré d’ailleurs ; il était fasciné parce qu’à l’Open Market il y avait des rayons entiers de rockabilly aussi.
Pourquoi ça s’est arrêté l’Open Market ?
Parce que j’en ai eu marre. Il y avait deux trois mecs qui travaillaient avec moi et il y avait vingt personnes tous les soirs qui venaient bouffer et se défoncer. L’Open Market n’a jamais été un truc de pognon. D’ailleurs, tous les soirs, on dépensait régulièrement tout ce qu’on avait fait dans la journée. Il n’y a jamais vraiment eu de fric. Si on avait eu du fric, on aurait pu continuer pendant plus de temps. Mais aussi ça m’emmerdait, car je considérais que je n’étais pas là pour faire du commerce réellement. Donc, au bout d’un moment, vendre des disques, brancher les mecs …j’ai pensé qu’on en avait fait assez si les mecs voulaient savoir…
Tu as arrêté quand l’Open Market ?
Juste après Mont-de-Marsan 2, en septembre 1977. Et après, je me suis concentré sur le label Skydog et puis les concerts.
Skydog c’est l’Odyssée d’Ulysse du rock tellement tu as changé de distribes…
Premier label indé européen. C’était un label de fans pour les fans, un label de rock. À l’époque ça n’existait pas en Europe. On a été les premiers et, sur ce terrain, on a même dépassé les Anglais, on a dépassé tout le monde.
Vous étiez les premiers Français à être implantés en Angleterre, à une époque où ça paraissait impossible !
C’est un peu le problème en France où ils ont toujours pensé que les Anglais étaient des hypocrites, moi je n’ai pas cette attitude-là par rapport aux Anglais. Moi je sais que les copains anglais que j’ai connus dans les années 60 restent mes copains aujourd’hui. Je me suis vite intégré à l’espace anglo-saxon ; et je me sentais mieux pour beaucoup de raisons là-bas. Je crois ne pas être le seul à aimer l’Angleterre. Et j’aime toujours l’Angleterre.
Durant toutes ces années, tu as eu what mille distributeurs, des sous-labels comme Underdog…
C’est pour ça qu’au début, on avait monté une distribution. Qui fonctionnait très bien, mais c’était nous-mêmes qui le gérions. Donc on gérait à travers Bizarre records distribution la distribe en Angleterre et en France. À l’époque dans chaque ville, on avait un disquaire indépendant qui vendait nos produits. Ils vendaient tous nos imports, les singles de Patti Smith, de Television puisqu’on était les premiers à les avoir. On les importait par Londres et Amsterdam.
Underdog ?
Là, c’est après, en 80. La seconde fois que j’ai eu des problèmes judiciaires, je me suis encore retrouvé en prison pour pas grand-chose. Et quand je suis sorti, mon copain Koski ne m’a pas laissé tomber. Il m’a dit : « on va faire un label. Et à ce moment-là il avait un autre pote qui avait été viré de chez Warner, c’était Dominique Lamblin. On a fait un truc à trois. Après Albert Koski s’est barré, mais il m’avait dit d’arrêter. Mais j’ai continué avec Lamblin avec plus ou moins de bonheur.
Pourtant vous avez sorti des trucs bien comme les Sparks…
C’est plus Lamblin que moi les Sparks il faut le reconnaître. Moi j’ai sorti surtout mes copains comme Wilco Johnson. Je préparais un disque avec Johnny Thunders, qu’on n’a jamais pu sortir. J’ai aussi publié des choses qui ont marché comme London Cow-Boys qui a cartonné. La plupart des groupes qu’on a produits ont marché. Pourtant, on était distribués par Carrère qui n’avait pas du tout la couleur rock. Mais c’était un des rares dans le showbiz en France un peu moins con, qui avait compris que ça pouvait avoir un intérêt. Et on vendait très très bien…avec des représentants Carrère ! Comme quoi…quand on veut on peut !
Tu es toujours resté libre…
Ça se paye très cher d’ailleurs !
Et surtout tu as conservé ton catalogue !
Le plus grand succès Skydog, c’est « Metallic K.O » ou surtout le dernier concert des Stooges. S’il n’y avait pas eu cet album, peut être que Skydog se serait arrêté parce qu’on n’avait pas les moyens de continuer. Mais cet album finit tours par rapporter un peu de fric. « Metallic K.O », sur trente ans, a dû dépasser les 300.000 albums. Après, c’était la période Gilbert Castro et Mélodie distribution que j’aimais beaucoup, mais qui n’a jamais rien compris au rock et qui ne comprendra jamais. Il ne vendait rien du tout d’ailleurs alors que je pensais qu’on pouvait vendre, mais il n’a jamais rien vendu, car il était trop impliqué dans ses histoires de world music. J’ai fait l’erreur de bosser avec des gens obtus, donc Skydog ne vendait rien sur le territoire français. Par contre, on vendait partout ailleurs heureusement, aussi bien en Allemagne qu’en Angleterre. Et après sont arrivés les Japonais qui m’ont beaucoup aidé.
Ça a aussi marché dans les deux sens, car tu les as aussi pas mal aidés :sans toi on n’aurait peut-être jamais entendu parler du rock jap ?
Je pense que sur place, le rock japonais nous doit beaucoup. Sur la scène rock jap, Johnny Thunders est une star qui compte énormément pour les gamins là-bas. Je l’ai amené souvent au Japon. Premier temps, ils ont voulu signer le label pour rééditer le fond de catalogue Skydog. Puis,dans un deuxième temps, on a fait venir Johnny Thunders, Anne Pigalle, au cours des ans c’est allé jusqu’à Daft Punk, pratiquement tous les ans, j’amenais des trucs, la Mano Negra, beaucoup d’artistes. Et, inversement, j’ai trouvé des groupes là-bas extraordinairement excellents et les Français peuvent prendre des leçons !
Michelle Gun Elephant, qui s’appelle Birthday maintenant, c’est le plus gros truc au Japon puisqu’ils vendent un million d’albums; avant il y a eu Sheena and the Rockets, les précurseurs du mouvement punk qui étaient là depuis le début. Ensuite est arrivée toute une vague de groupes. Ce que j’aime chez eux c’est qu’ils vont jusqu’au bout de leur truc. Contrairement en France, avec cette scène baby rock actuelle ( des BB Brunes et autres Plastiscines oubliés depuis longtemps : NDR). Il n’y a pas de futur du rock en France. Tous ces groupes de gamins qui étaient des petits groupes de lycées, il y a eu des mecs qui le sont entourés, des vieux schnocks qu’on connaît par cœur qui sont des types qui ont voulu faire du franco-franglaoui c’est-à-dire qu’ils ont voulu imposer à ces gamins qui chantaient à peu près correctement en anglais, ils les ont fait chanter en français. Et c’est devenu des groupes de twist sans intérêt. Depuis quatre ans que ce mouvement a existé, en quatre ans, il est fini déjà, car on joue dans l’éphémère. Y’a pas d’engagement de leur part c’est des fils de bourges, ils savent qu’il y aura toujours la boîte à papa pour les récupérer si ça se case la gueule : ils n’ont pas faim. Ils sont gentils adorables, mais ce n’est rien. Donc le rock ne peut pas exister en France, c’est presque antinomique. Il y a quelques cas, on peut les citer, qui ont maintenu le rock à bouts de bras. Je comprends même quand Philippe Manœuvre fait sa Star Ac parce qu’il n’y a pas d’autre solution en France si tu veux faire de l’argent, t’es obligé de faire de la merde et d’être dans la varietoche. Y’a aucune autre solution. Cite- moi donc un groupe intéressant.
Les Dogs !
Tu parles, les Dogs ont été écrasés parce qu’ils chantaient en anglais justement ! C’était culte, on n’a jamais vendu plus de 30.000 albums.
On ne peut pas aimer à la fois le Clash et Johnny ?
Oh, Johnny ce n’est pas le pire ! J’ai plus de respect pour les vioques de ma génération que tous les jeunes d’aujourd’hui qui ne méritent rien, Johnny malgré tout il est rock ! »
En 2012, j’avais de nouveau interviewé l’ami Zermati, sur le thème central du Clash, un sujet qu’il maitrisait à la perfection :
« Entre les Pistols et le Clash ton cœur balançait vers le Clash, car au moins ils savaient jouer !
Les deux groupes étaient mes potes. Le seul qui ne soit pas mon ami, c’est cet abruti de Johnny Rotten. Au contraire, les Clash incarnaient le rock, c’est un vrai groupe qui savait jouer. Chez les Pistols, le seul qui assurait, c’était Glen Matlock, qui a été viré très vite, car il ne correspondait pas à l’éthique de contrôle de McLaren. D’ailleurs, je voudrais couper court à la légende qui dit que j’aurais refusé les Pistols à Mont-de-Marsan. Ça vient de McLaren qui avait fait passer dans le NME un entrefilet disant que j’avais refusé le groupe. Tout ça juste pour se faire de la pub ! Mais il a toujours fait ça Malcolm ! Après avoir fait casser la gueule de Nick Kent par Sid Vicious! C’était son truc. Ce type était un grand manipulateur.
Tu as toujours gardé le contact avec le Clash ?
Ça date même d’avant, car je connaissais Strummer quand il était avec les 101ers, car il voulait absolument signer sur Skydog ; j’ai vu Joe dans son squat, j’ai vu son groupe et on a discuté. C’était l’époque où je m’occupais de ces cons de Flamin’ Groovies, donc je ne pouvais pas manager 36 groupes. Je leur ai dit que moi je ne pouvais pas les signer, mais que je me faisais fort de les faire signer ailleurs. Je les ai alors branchés chez Chiswick Records qui était en train de se monter. C’était un show case au Virgin Megastore d’Oxford Street, j’ai convié Tedd (Carroll) et Roger (Armstrong). Joe c’était la bande des alternatifs de l’époque, qui sortaient des hippies et d’une politique mal assimilée d’extrême gauche. Ils étaient d’une totale naïveté ; d’ailleurs je n’étais pas d’accord avec Joe quand il mettait des T Shirts « Brigade Rouge » et tout ça…Moi je lui disais : on ne met pas de T Shirts à l’effigie d’assassins quels qu’ils soient ! C’était juste une attitude de récupération de sa part. Les autres s’en foutaient. Ils n’ont jamais été des grands politiques. Par contre c’est vrai que dès le début ils ont embrassé la musique noire. On allait fumer des spliffs avec Joe dans les clubs blacks clandestins avec les rastas…
Sur la fameuse All Saints Road où vous alliez acheter votre beu !
Souvent ! Avec Joe on était souvent ensemble. Parce que Joe par rapport aux autres était plus accessible à partir d’un certain moment. Les autres étaient avec des gonzesses, ils restaient chez eux. Quant à Mick, je l’aime beaucoup parce qu’en fait je l’ai connu encore avant Joe. Mais Mick a une différence fondamentale avec Joe, c’est que Joe se foutait de la « peopolisation » alors que pour Mick c’était très important pour lui. Il a un vrai complexe. Il ne faut pas oublier que sa mère était une actrice américaine de seconde zone que son père était chauffeur de taxi à Londres et que lui a été élevé par sa grand-mère , que j’ai très bien connue puisqu’elle me le confiait quand il était trop jeune pour sortir. Elle me disait : « Marc j’ai confiance en vous ; vous, vous êtes le plus vieux alors …le seul qui avait une bagnole dans la bande c’était Glen Mattlock, car il était un peu plus âgé alors…on s’entassait dans sa caisse et on allait voir tous les gigs de pub-rock qui se passaient à Londres. C’étaient aussi des fans des Groovies….et de Little Bob !
La fin du groupe était inévitable à cause de l’antagonisme entre Jones et Strummer ?
La fin du groupe a commencé comme ça : Bernie ne venait plus en tournée, et à chaque fois qu’il y avait une merde, c’est moi qui gérais. À un moment donné, vu qu’il ne servait plus à rien, on a viré Bernie. Peter Jenner a repris le management, ce n’était pas une réussite non plus, un mec adorable, mais pas du tout à la hauteur. C’était l’époque où Kosmo Vinyl arrivait. Et les Clash rentraient de tournée américaine sold-out sans un sou en poche à cause d’erreurs graves de management. Comme il n’y avait plus de management réel, Joe a cru qu’il pouvait s’emparer du groupe et prendre le pouvoir. Il voulait tout savoir, tout contrôler.
Et c’est là où ça a « clashé » justement !
Oui, dans la mesure où derrière tout ça Bernie continuait malgré tout à conserver une influence sur Joe. Et comme il détestait Mick et Topper qui avait des problèmes de dope, il voulait absolument que l’autre les vire. D’ailleurs, dés qu’il les a viré…Bernie est revenu. C’est là où ils ont fait ce Clash de « Cut the Crap » et où on tombe dans le concept de boys band ! Joe a fait une erreur fondamentale, il s’en est mordu les doigts après. Lorsqu’il a jeté Topper avec ses problèmes de dope, Mick en a pleuré dans mes bras. Et après ils ont jeté Mick. C’est comme si les Stones viraient Keith Richards ! Surtout, quand c’est Mick qui fait le groupe. Car dans l’histoire des Clash, le personnage clef n’est pas Joe, mais Mick. Si tu analyses, tous les morceaux de Mick, tous ses singles ont été des hits. « Lost In The Supermarket », « Should I Stay…. » des hits ; Mick était capable d’écrire des succès populaires, c’est le créateur. Il l’a d’ailleurs prouvé après avec BAD ou ses prods comme les Libertines ! Et Topper qui signait « Rock the Casbah » et ce sont ces deux créateurs que Strummer et Rhodes ont congédié !
Des regrets ?
Oui, qu’on n’ait pas continué ! La stupidité de Joe et de Bernie a cassé le groupe ! Pour une connerie de jalousie qui a permis à des formations minables comme U2 d’émerger et d’être encore le groupe numéro un jusqu’à aujourd’hui, alors que les Clash auraient dû occuper cette place. »
Merci pour ce bel hommage et cet article bine documenté.
MERCI Richard….amicalement gbd
Très intéressant et surtout un grand respect à Marc pour ce qu’il a fait, on lui doit bcp.
J’auraIs du le rencontrer mais malheureusement il était déjà gravement malade. Une pensée à sa famille et ses proches.
super hommage … lui qui était triste DE CES ORDURE DE Détracteurs
pour ou contre Marc Zermati Svengali…entourloupeur comme tous dans les maisons de disques ou bien…le mec en or, decouvreur de talents, architecte de la Punque musique en France, visionnaire et integre…personnage interlope du Monde de la Nuit (quand on etait petit)
Un des rares français à avoir eu un rôle dans la musique, bien plus que tout les Rock’n Folk et Best réunis. En plus fallait oser parler de formations minables comme U2, ça aucun « journaliste » français n’aurait jamais osé. Je l’ai eu ay téléphone il y a environ deux ans, il s’inquiétait du crabe dont est décédé Riton Angel Face et fini par le palpitant, bah comme quoi… Rip
fascinant – j’ai vécu rue Mondetour mais je n’ai aucun souvenir d’avoir mis mes pieds dans Open Market, curieux omis
marc fut un vrai guerrier du rock , avec rien il a tout fait !!! et oserais je paraphraser bernie bonvoisin » je crois en la ténacité , qui fait tout arriver «
Je suis sur la liste pour quitter la piste,en raison de mon âge. Et la plupart des noms d’artistes évoqués par Monsieur Zermati, l’usage du Monsieur est laudatif, pas ironique, ont egayés ma jeunesse. Mais pas que. Mes meilleures années d’adulte aussi et ça continue. J’ai été 2 fois à l’Open Market ou j’ai acheté le 45 tours des Pistols, Anarchy, sur le label EMI, avec une pochette rouge anonyme.J’ai aussi acheté Slow Death des Groovies et un single de Motorhead, qui a été un des premiers skeuds de Skydog. J’ai toujours été attentif à ce que pouvait dire Marc Zermati car son bon goût en matière de r’n’r était imparable. La dernière fois où j’ai vu sa silhouette, c’était à un concert des Only Ones au Trabendo. R. I. P. Que vive le r’n’r !
Meilleur souvenir de jeunesse, le festival de Mont de Marsan 77, merci Monsieur Zermati !
Hello Concernant Marc ZERMATI j’ai 2 bons souvenirs
Chrissie Hyndr qui dansait le Rock à l’open Market
Le concert des Flamin Groovies qu’il avait organisé à l’Olympia en 75 en les présentant comme le plus grand groupe de Rock’n’Roll
Sacré Marc ! Quelle gouaille ! Merci Gérard. Malheureusement il n’est plus là pour qu’on reparte sur des discussions enflammées. Je fais juste une correction sur Hendrix car je sais que je ne recevrai pas de coup de fil pour qu’il « m’engueule » à sa façon !!! Concernant la première sortie de son label Skydog, la très fameuse jam avec Jim Morrison (au bord du comas éthylique) ne provient pas du tout des studios Electric Lady (qui n’ouvriront qu’en 1970) mais du club The Scene en mars 1969 (NYC). RIP Marc.
Excellent article… MERCI Gerard .
Un super pote partis tonitruant (je croyais pas qu’il était malade à ce point, et prenais ces grincement de dents pour les manifestation de caractère d’un hypocondriaque insomniaque). Il m’a bien aidé et devait encore le faire quand il m’invitait en Normandie pour écrire à propos d’un épisode de notre aventure, et puis plouf, juste avant Walter Lure, Christophe, P-Orridge, Alan Vega, année funeste, comme on revival d’autres pelletés dans une époque transitoire.
La toute première production de Marc fut un song book d’Hendrix Anglais/Français, avant Sky High que nous avons écouté à fond la caisse fin Décembre 1972 à l’Open – un grand souvenir! Marc cheveux très longs et kaftan d’époque complètement défoncé à l’acide. Ce song book que je me suis fait voler par la suite en 1976 était très luxueux, très professionnel. Quant à Sky High – grand disque dont j’ai fait réaliser une version à l’identique mais améliorée en studio à partir des bandes plus complètes publiées par la suite – un grand flash.