JOHNNY CLEGG « King of Time »
C’est presque son vingtième album, mais lorsqu’on aime on ne compte pas, n’est-ce pas ? L’essentiel c’est que l’ami Johnny Clegg revienne enfin dans la lumière avec son premier disque depuis déjà huit ans. Intitulé « King of Time », comme ce « maitre des horloges » qui contrôle nos destins, cette jolie collection de dix compositions, dont sept inédites, laisse également un petit gout d’amertume. Comme un mélange de bonheur et de tristesse, il nous rappelle aussi que c’est de cette manière que Johnny Clegg a choisi de nous saluer une dernière fois avant de nous quitter, ce « King of Time » n’en est donc que plus précieux.
Cela démarre comme un coup de poing, avec cette chanson-titre qui ouvre le bal. Johnny Clegg replace l’homme face à ses choix et le temps en juge ultime, qui nous façonne pour le meilleur et pour le pire.Je me souviens d’un Johnny qui se demandait lorsque l’apartheid serait terrassé, lorsque ce combat serait gagné, que pourrait-il bien chanter ? ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/johnny-clegg-zulu-4-ever.html et également https://gonzomusic.fr/so-long-my-african-shadow-men.html ). Ces deux dernières décennies, il a eu tout à loisir répondre lui-même à cette question et la réponse est à lire entre les lignes de “King of Time”, un titre puissant, un titre porté par l’urgence, un peu à la manière de son « One Man One Vote » mais en machine virtuelle à remonter le temps sur ses chants zoulous pulsés dans le refrain entrainant. Et toujours avec cette petite guitare si irrésistiblement sud-africaine. Chantée et composée par Jesse Clegg, le fils de Johnny et de Jenny « I’ve Been Looking » porte incontestablement la filiation de Clegg, un peu comme « The Crossing ». Cette cool balade démarre acoustique avant de monter peu à peu en énergie pour finir en crescendo. Puis, ensuite avec « Colour of My Skin », il aborde un sujet que l’anthropologue de l’Université du Witswaterand, qu’il fut dans une autre vie avant d’être rock-mbqanga star, maitrise depuis toujours. Le moteur et le combat de toute une vie pour que cette idée même justement finisse par disparaitre. C’est une chanson qui déborde d’amour et d’espoir, une mélodie colorée comme la savane sud-africaine, éclairée par la présence de la cool Angélique Kidjo. Soul-mbaqanga percutant, « Witness » vibre de cette racine africaine, omniprésente avec son concertina ( petit accordéon artisanal) dans le background. Et cette superbe énergie positive me rappelle « I Can Never Be ( What You Want Me to Be)” sur “Heat Dust and Dreams”.
« Je crois bien savoir pourquoi le chien hurle à la Lune » chante Clegg.
Compo mid-tempo chaleureuse et cool, “Wishing Well” allie une super mélodie et son dialogue anglais-zoulou mélancolique, lorsque « Sail Away » parait plus positive, plus speed dans le style Johnny Clegg identifiable entre tous, comme un écho de son « In My African Dream C’est aussi une chanson sur le thème de l’évasion dans les heures sombres. Comment ne pas penser à ce temps qui s’égrène inexorablement ? Mais la force positive et solaire, le courage de Johnny illumine cette chanson. Enfin, retour du concertina avec « Oceanheart » où dés son intro les percus résonnent de leur african beat tandis que retentissent les mots « African skies »…on est transporté dans cette savane où l’immensité du ciel parait toujours bien plus grand qu’ailleurs. Compo harmonieuse, clappements de mains et cool guitare rock en font bel exemple de la fusion incandescente de la musique de Clegg. Ce « King of Time » s’achève avec trois titres bonus en live, avec tout d’abord l’émotionnelle « Woza Friday » le tout premier hit de Johnny avec Juluka et son pote Sipho Mchunu en 76 C’est un super feeling pour une intense balade africaine qui fait monter les larmes aux yeux. Juluka toujours, avec l’éclatante « Impi », perle du 33 tours « African Litany » de 82. Enfin, l’album s’achève sur une version de « Dela » extraite de « Cruel, Crazy and Beautiful World » de 1989… « Je crois bien savoir pourquoi le chien hurle à la Lune » chante Clegg et le public lui répond chantant « dela » jusqu’au final, en parfaite communion avec son public. C’est dans ces moment-là que l’on réalise combien Johnny peut être précieux, combien il peut compter aussi durablement dans nos vies.