RIP CLAUDE AURENSAN
Prince trop méconnu des nuits parisiennes, Claude Aurensan s’est éteint à seulement 76 ans. Personnage aussi jovial qu’attachant, éternel dandy, il avait fondé le SEPT puis le Palace aux côtés du regretté Fabrice Emaer et réinventé des nuits parisiennes qui ne ressemblaient à nulles autres. Je l’avais interviewé en 2008 pour Rolling Stone avec ceux qui avaient partagé cette aventure Charlie Baum, Assaad Debs et Alexis Quinlin. Aujourd’hui Claude Aurensan a rejoint Fabrice mais ses mots projettent à nouveau l’incroyable utopie que pouvait incarner le Palace.
« Il y avait à la base une vraie volonté de mixité, de mélange de la part de Fabrice !
Claude Aurensan : La mixité, elle était surtout dans le public que l’on voulait recevoir. On a pris les Musulmans Fumants, tout ce qui émergeait au niveau mode, au niveau peinture, art, avait rendez-vous au Palace. Et que ce soit le Cours Bersault des petites de la mode qui sont aujourd’hui chez Dior ou ailleurs, tout cela venait au Palace. Nous étions aussi assez forts en relation presse. J’ai connu Sylvie Grumbach au Sept, elle venait de chez Valentino. Moi j’ai insisté, Fabrice voulait prendre l’attachée de Presse de Régine que je trouvais ringarde, c’est comme ça que Sylvie a été au départ la première attachée de presse du Palace.
Vous dépensiez sans compter et souvent à tort et à travers !
C.A : Ce n’était pas à tort et à travers : on dépensait de l’argent parce que c’était une fête et que Fabrice n’a jamais été un spéculateur. Tout ce qu’il voulait c’était une fête qui brille…
Fabrice vous laissait une liberté artistique totale ?
C.A : Fabrice, rien à foutre du choix de la musique ; il fallait lui faire écouter et tout, mais de toute manière il écoutait très distraitement et il disait : « Mes chéris, vous avez raison, faisons donc ça. Allons-y ! » Jamais Fabrice n’est arrivé pour me dire : Non, pas ça. Jamais ! C’était une programmation faite par Asaad en confrontation avec Sylvie Grumbach, avec Gilles Roignant, avec moi et voilà.
La scène du Palace était en fait minuscule.
C.A : Début 81, deux ans avant la mort de Fabrice, sur les 365 jours de l’année, on a fait 481 concerts, presque deux concerts par jour ! Asaad s’en souvient, on pouvait avoir un groupe reggae à 7 heures du soir. On re-déménageait tout entre 9 heures et demie et 10 H 30, on rouvrait le boite de nuit et à minuit tu avais sur scène Gloria Gaynor ou Nathalie Cole.
Assaad Debs : Et ce jour où on avait booké à la fois Tom Waits ET le J Geils Band et les DEUX à la même heure ! Là ça a été terrible. On a fait Tom Waits à 8 heures. On a réussi à persuader J Geils Band de jouer à 1 heure du matin.
C.A : Tom Waits s’était enfilé une bouteille de gin dans la gueule juste avant. Pour descendre sur scène, il s ‘appuyait sur les murs. On se disait qu’il n’allait pas tenir une demi-heure sur scène. Et lui il était dans une folie totale, paniqué. Finalement, il arrive. Le seul décor, c’était une vieille pompe à essence ; il s’est appuyé là-dessus, comme ça. Il y avait de la fumée, il y avait des trucs. En une demi-heure, la salle était enfumée comme un club de jazz. L’autre, il est ressorti droit, il est remonté. Tous les gens étaient comme ivres par Tom Waits et sa musique. Et lui il était mieux que quand il est rentré sur scène. C’était un concert magnifique. Deux concerts le même soir c’était osé. C’était de la faute d’Assaad !
A.D : C’était en partie de ma faute, mais nous étions deux à l’époque à programmer, avec Gilles… C’est à la suite de ça que Fabrice m’a proposé de monter la société « Concert Palace ».
C.A : Et ça a été un succès génial car on a vraiment fait de tout. Du reggae jusqu’au disco en passant par Kraftwerk, par…
A.D : Yellow Magic Orchestra, Iggy Pop …
C.A : …les Talking Heads au Palais des Sports, lorsque tu flippais comme un malade car tu croyais qu’on n’allait pas faire assez d’entrées pour couvrir. Pourtant, le Palais des Sports était sold-out …
A.D :…avec Tom Tom Club en première partie. On avait trois concerts d’affilés au Palais des Sports. Il y avait aussi Iggy Pop et J Geils Band puis les Clash.
C.A : Les Clash, ça a été génial au Palace et à Mogador surtout, souviens toi. Avec les graffeurs qui étaient derrière. Un fabuleux concert. On avait fait venir Futura 2000, le premier à avoir transformé le graff en art. Et avec ses collègues de NY, il était derrière les Clash durant tout le show en train de barbouiller des toiles insensées. On n’en a pas gardé une seule, c’est bien dommage car aujourd’hui au prix où se vendent les oeuvres de Futura 2000 ! On a été les premiers à faire ce mélange entre rock et art. Fabuleux !
A ton arrivée au Palace, les concerts ont dû se multiplier ?
A.D : On a fait énormément de choses : Elliott Murphy, Spandau Ballet , Bow Wow Wow, les Plasmatics, Wendy Williams et ses pinces à linges sur ses bouts de nichons, c’était dingue ! Mais aussi Siouxsie and the Banshees, Devo, même en reggae on a presque tout fait, Third World, Steel Pulse, Aswad, Peter Tosh, Burning Spear ; un dimanche, il y a même eu une émeute, tu te souviens ? Linton Kwesi Johnson, son premier concert en France s’est passé au Palace. Kid Creole & the Coconuts. Gary Numan…
C.A : Et ce mec qui est mort du Sida…
A.D : Klaus Nomi.
C.A : Et on a aussi fait toutes les blackos : Etha James, Esther Philips, Millie Jackson, Sylvester, Gap Band, Pointer Sisters, Richie Family par Morali le producteur de Village People.
A.D : J’en oublie, mais il y a eu aussi Culture Club, Depeche Mode, U2, ils ont fait deux fois le Palace. La première fois, ils ouvraient pour Talking Heads. Et aussi B 52’s, Thin Lizzy, Orchestral Manœuvres In The Dark, Original Mirrors, Human League, Tina Turner..
C.A : Tina, le premier show qu’elle a fait au Palace, elle n’avait plus donné de concerts depuis plus de huit ans ; elle est revenue, mais il a vraiment fallu qu’on téléphone pendant deux jours pour arriver à faire 800 entrées à Tina Turner ! Après, c’est Assaad qui s’en est occupé et là on a fait tous les grands concerts. Et je me rappelle, Tina remercier publiquement à Bercy le Palace de lui avoir redonné une scène ! Nous l’avions remis en selle.
Alain Pacadis, le guest N°1 du Palace ?
C.A : Il était touchant, pudique mais en même temps parfois assez méchant. Un peu bourgeoise. Très raciste quelques fois, la Pacadis ! Mais avec sa chemise blanche élimée, grise a force d’être portée, pleine de taches et avec les pellicules sur les épaules, c’était LE personnage de la nuit. Il avait sa rubrique quotidienne dans Libération,« Night Clubbing », avec un rapport qui frisait parfois l’outrance. Quand il racontait qu’il avait touché untel dans les toilettes, je suis pas sûr que cela faisait plaisir à l’intéressé. Alain était un mondain intime. Il relatait souvent des situations provocantes, voire choquantes. Mais c’était un type fidèle, il était là tous les jours, Alain a du vivre sur le dos du Palace pendant trois ans. Il n’avait jamais de fric, alors on lui donnait un billet de 500 balles dans la poche. Trois jours après, ça recommençait. C’était quelqu’un qu’on aimait particulièrement et qui était pourtant quelque part à l’opposé de Fabrice. Parfois, t’avais envie de lui dire : vas te laver, là parce que ça pue !
Chaque soir après les concerts il y avait un dîner avec le groupe et sa maison de disques, Alain débarquait et s’installait simplement. Et nul ne lui a jamais rien dit. Et pourtant il n’a jamais rien payé ! »
Mon Palace à moi.
Au tournant des années 80, en devenant journaliste pour Rock & Folk puis BEST, je choisissais aussi de faire du Palace ma résidence secondaire. Car chaque soir, un concert exceptionnel attirait la faune des critiques rock dans l’antre joyeux de Fabrice Emaer. Chacun sait que les journalistes sont systématiquement en retard. Aussi, lorsque j’arrivais au Palace, généralement tous les spectateurs étaient placés devant moi. Mais j’avais alors une technique imparable : les cendriers sur pied étaient assez larges, en forme de cubes. J’en réunissais deux et je montais dessus gagnant ainsi facilement 80 cm et une vision panoramique de la scène du Palace.
À l’époque, les radios pirates étaient encore illégales et j’animais chaque mercredi une émission sur Radio Ivre. Pour échapper aux saisies et aux arrestations des flics, chaque soir, on changeait de lieu. Loft de luxe dans la 16e ou chambre de bonne dans le 18e, la radio se déplaçait chaque soir. C’était quelque peu galère de monter et de démonter le matos tous les jours. C’est à ce moment que Fabrice nous a proposé de nous héberger dans son Palace. Durant près de deux mois, Radio Ivre émettait chaque soir des backstages du club. C’était toute la générosité de Fabrice. Et si tu avais soif, le bar n’était pas loin…et gratuit ; n’étais-tu pas son invité ? Mon souvenir le plus vibrant du Palace c’est ce fameux concert de Prince en 82 où il s’est produit en slibard clouté et bas à résilles devant seulement 200 personnes. Comme j’étais à l’époque le seul media à m’intéresser à lui et qu’il causait encore aux journalistes, j’ai retrouvé le Kid de Minneapolis après le show au Privilège. Le club-restaurant au sous-sol était déserté, absolument vide de tout convive. Une table pour deux avait été dressée avec élégance. Prince a débarqué et s’est installé face à moi. Il avait déjà ses petites manies puisqu’il m’avait interdit d’enregistrer notre conversation. Quelques questions qui apportent de brèves réponses. Prince très timide me confie alors « qu’il est ce qu’il est car il n’a pas eu d’enfance ». Et en plein milieu du repas, soudain il se lève brusquement et disparaît me laissant seul face à mon plat de résistance. La mort de Fabrice, un an plus tard sera un véritable électrochoc, son enterrement à l’église Saint-Roch déchirant. On ignorait encore que l’âme du Palace venait d’être terrassé par un terrible virus immunitaire dont on entendrait hélas beaucoup trop parler au fil des ans.
Toutes les photos illustrant cet article sont extraites des Agenda 1981 et 1982 du Palace
que de bons moments au PALACE & au PRIVILEGE
https://youtu.be/IlUOmAuvGOw
Claude was friend to us all
I love his take on pacadis
I was the physionomiste at the Rex, Bains, Balajo in the 80s and the Privilege was my home before I had to go home. Claude always treated me like a prince. I love him always and a day. Toujours