LA SAGA RACHID TAHA Épisode 3 : Yves Aouizerate
Six ans déjà que Rachid Taha nous a quittés et qu’il nous manque toujours autant. Pourtant, son chaabi-electro-punk-groove-rock-fusion résonne toujours aussi puissant à nos oreilles, comme son propos aussi cool qu’humaniste, sa tolérance et son amour des gens. Aussi, pour tenter de combler ce vide abyssal et lui rendre l’hommage qu’il mérite, j’ai souhaité interroger ceux qui l’ont non seulement accompagné, fidèles entre les fidèles, mais également contribué à édifier sa légende. C’est ainsi que j’ai successivement tendu mon micro à Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay, à Alain Lahana, qui produisait ses concerts planétaires, à Yves Aouizerate, son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans, à Hakim Hamadouche qui l’a accompagné de son mandoluth magique sur scène, comme sur de nombreuses chansons, à Gaëtan Roussel qui a réalisé l’album « Bonjour » …. Et enfin, à son producteur historique, le légendaire Steve « Gong » Hillage, responsable avec Rachid de la fusion intense de ce rock si singulier.
Épisode 3 : Yves Aouizerate, son manager et synthés, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans.
L’an passé, j’avais voulu vous raconter la magnifique épopée rock de Carte de Séjour en vous retraçant en trois épisodes la saga de la formation de Rachid Taha, Jérome Savy, Mohamed Amini, Mokhtar Amini et de Djamel Dif ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA CARTE DE SÉJOUR: Épisode 1 de Rillieux à Polac , LA SAGA CARTE DE SÉJOUR Épisode 2 et aussi LA SAGA CARTE DE SÉJOUR : Épisode 3 ). Depuis notre rencontre à Lyon, juste avant la sortie de son premier maxi 45 tours, Rachid était mon ami et il le sera resté jusqu’à la fin. Que cela soit à BEST ou à la télé, j’ai bien souvent documenté la carrière du natif de Saint-Denis-du-Sig, en Algérie ( Voir sur Gonzomusic ROCK À LYON ANNÉES 80 , TRANSMUSICALES DE 1981 , RACHID TAHA présente MA DISCOTHÈQUE DE MÉTÈQUES , SO LONG RACHID TAHA MON FRÈRE , Hommage de son armée mexicaine à Rachid Taha et aussi RACHID TAHA « Je suis Africain » ). Avec la publication du premier coffret intégral, qui regroupe non seulement les deux premiers LP de CDS, comme les 10 albums solos de Rachid mais aussi un live autour de deux concerts, l’un à Bercy en 1998 durant l’enregistrement du fameux « 1,2,3 Soleils » et l’autre à Bruxelles trois ans plus tard et enfin un album de remixs intitulé « RMX ». En attendant les prochains épisodes avec Hakim Hamadouche, Gaëtan Roussel et enfin Steve Hillage, voici l’épisode 3 : Yves Aouizerate, son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans.
« Alors mister Oh yes Zerate ( humour), te souviens-tu de la toute première fois où tu as entendu prononcer le nom de Rachid Taha ?
Cela date de l’époque où je bossais à la radio, après avoir quitté Europe 1. Je travaillais au départ pour les radios libres mais j’avais été débauché par une radio, ne rigole pas, qui s’appelait alors Radio chanson française qui était rue de Flandre dans le 19ème. Et la toute première fois où j’ai entendu parler de Rachid, c’était avec Carte de Séjour. Je l’avais reçu en service de presse de la part de Barclay…
C’était donc « 2 et ½ », le second album, alors ?
Oui et c’était une tuerie. D’ailleurs, je me suis carrément fait virer, pour avoir programmé Rachid, parce que le taulier était un sale con, un putain de raciste; il m’a dégagé après m’avoir balancé dixit : on ne passe pas ce genre de musique. Je lui avais pourtant assuré qu’il s’agissait bien d’un groupe de rock français. « Certainement pas! », m’avait-il alors aboyé !
Donc, tu t’es fait virer pour avoir programmé Rachid avant même de le connaitre… c’est trop mignon ! Et votre première rencontre physique ?
La première fois qu’on s’est vus avec Rachid, c’était parce que je souhaitais le rencontrer et j’avais par conséquent négocié une interview avec Barclay. On s’est retrouvé dans un hotel à la République. Un truc un peu miteux qu’on avait dû mettre à leur disposition. C’est comme ça que j’ai fait ma première interview de Rachid. Puis on ne s’est plus revu jusqu’au concert de la Place de la Concorde de « Touche Pas A Mon Pote ». Moi, j’étais avec un autre groupe, Rap Two qui avait samplé la voix du général de Gaulle au milieu du single. C’était De Buretel qui s’occupait de nous. Je suis même allé voir son grand père qui était responsable de l’Institut Charles de Gaulle aux Invalides et il nous avait donné l’autorisation à titre gracieux. Moi je me suis alors retrouvé entre les mains expertes de Francis Kertekian qui aimait bien ce qu’on avait fait. Il m’avait donné des remixes à faire pour Ray Lema, pour So Kalmeri, pour Clément Masdongar. Et c’est aussi comme ça que j’ai rencontré Philippe Constantin, qui avait monté le label Sankara. En écoutant ce qu’on faisait avec Bab, mon partenaire de l’époque, Francis m’a dit : mais il fait absolument que tu rencontres Rachid et que vous bossiez ensemble. C’était le début de tout ce qui était machines, MIDI etc.. Et, du coup, il a organisé cette rencontre avec Rachid et moi et on ne s’est plus jamais quitté.
En fait, c’est un peu Francis qui vous a marié ?
Oui.
Comme il lui a présenté Bruno Maman… je me souviens de sa péniche.
Tout le monde débarquait là-bas, même Fela. Tous les artistes africains de la planète ont déboulé sur la péniche de Francis.
Comment se passe cette rencontre ? C’est comme si tu avais retrouvé un frère perdu ?
On s’est retrouvé au bar de l’Industrie à Bastille. On discute ensemble de nos origines. Ah oui, toi tu es de Constantine, moi je suis de Sig. Ah bon, ton père s’appelle Al Fallah, ce n’est pas possible. Je lui réponds : tu sais, les feujs d’Algérie et du Maroc portaient tous des noms comme ça. De fil en aiguille, on s’est revus et on a décidé de rentrer en studio ensemble avec Bab, mon acolyte de Rap Two ; et c’est Ray Lema qui me donne les clefs de son studio, car lui partait en Afrique avec Philippe Jupin, qui deviendra le patron de la Bellevilloise, plus tard. Donc Ray nous file les clefs du studio à Saint Maur, chez lui, et le premier truc qu’on compose avec Rachid c’est « Voilà voilà qu’ça r’commence » !
Quand tu dis chez Ray Lema à Saint-Maur, tu veux dire chez Jean François Bizot ?
Oui, je crois effectivement qu’il s’agissait de l’ancienne maison de Bizot que Ray Lema avait récupérée. Et c’est donc avec « Voilà voilà… » que tout est parti. Après, moi j’habitais vers Levallois, donc Rachid revenait tous les jours à la maison avec des tonnes de CD, qu’il récupérait entre chez Barclay et à la FNAC. Et de là on a aussi composé « Indie » , « Dinaha » et tout ce que tu entends dans l’album « bleu ». Et ensuite, sur cet album, une fois qu’on avait fait toutes les demos entre chez moi, chez Ray et un peu partout, et c’est là que Steve (Hillage) est intervenu. Il a pris les choses en main, au niveau de la direction artistique. Il n’avait pas revu Rachid depuis Carte.
Mais c’est toi qui les a réuni à nouveau ?
C’est surtout Francis qui a tout fait pour que cela soit Steve, qu’il soit le réalisateur de l’album.
C’était une super idée…
C’était une tuerie, tu veux dire ! En fait, Steve a écouté tout ce qu’on avait fait, toutes les maquettes, et il a demandé : qui a fait toutes ces maquettes ? Francis lui a dis que c’était moi et par conséquent, Steve a souhaité me rencontrer. Je suis parti à Londres. Steve a tout de suite vu que j’étais méticuleux, comme lui, sur l’histoire des machines. Et c’est lui qui m’a donné le rôle, à un moment-donné, en me disant: c’est toi qui va t’occuper de tous les synthés sur scène. Il n’y a que toi qui peut le faire. On est donc parti en tournée avec Rachid avec un premier sequencer MIDI où il y avait Toko ??? Zacharia ? Christian Brun et moi. Sans oublier deux filles, qui venaient de Bondy, deux sœurs qui faisaient les chœurs. On a ainsi tourné de 93 à 95 et ensuite il y a eu l’album « Olé olé » où Steve est encore intervenu et où j’ai aussi collaboré. Après, il y a eu d’autres disques comme « Medina » auxquels je n’ai pas participé, car je produisais d’autres artistes, comme les Saï Saï. Mais pour revenir à Steve, c’est lui l’architecte principal de toute la sonorité de Rachid. À la fois nos capacités à tout le groupe et la réflexion qu’avait Steve c’était énorme. Il avait un tel sens de l’analyse. À un moment-donné, Rachid ça lui cassait les couilles d’aller toute le temps à Londres pour regarder œuvrer Steve, donc il m’envoyait à sa place. Comme je m’entendais hyper bien avec Steve, je n’avais pas de souci. Et après, il y a eu l’histoire de « 1, 2, 3 Soleil ! » où Rachid est resté très lucide par rapport aux deux autres, je trouve.
C’est le seul. Les deux autres on va dire qu’ils sont partis en sucette. Faudel n’a plus jamais rien fait et Khaled…
J’ai fait deux albums de Faudel, j’ai vu comment ça s’est passé malheureusement. Il avait du talent, mais… bon…
Il était « jeune et con », comme disait Saez !
Malheureusement ! Et de surcroit il n’avait aucun recul. Je l’ai vu des propres yeux : quand tu viens de Mantes la Jolie et que tu vis avec une famille de dix personnes, et que d’un coup il y a plein de thunes qui te tombent sur la gueule, mais ça pète les plombs grave. !
Comme Khaled qui est bien parti en sucette… mais revenons plutôt à notre Rachid…
Je n’ai jamais quitté Rachid, on est parti en tournées pendant plus de vingt-cinq ans. Je suis aussi intervenu par moments sur certains albums comme « Tékitoi ». Rachid voulait aussi se confronter à une nouvelle équipe, faire d’autres choses, donc il était normal que chacun fasse son bout de chemin. On en avait fait tellement déjà et on était ensemble sur scène durant toutes ces années. On a même habité ensemble avec Rachid, lorsque je me suis séparé de ma deuxième femme, je suis allé habiter chez Rachid de 2002 à 2005, dans ce qui s’appelle maintenant la Bellevilloise ; on avait chacun à l‘étage 1, chacun côte à côte, ma chambre et celle de Rachid. Et on a vécu une vie de célibataire, comme ça pendant près de quatre ans. C’était super cool. (rire) Tu sais comment Rachid aimait présenter les gens entre eux. Il y a une anecdote. On est à Toronto et chacun est dans sa chambre d’hotel. Il m’appelle et me fait : « Rejoins moi avec tous les autres, je suis dans une super soirée là , c’est à trois blocs de notre hôtel. Je préviens tout le monde et je prends ma camera pour tout filmer à partir du départ de l’hôtel. On arrive devant un building et on monte au 40ème étage et lorsque la porte s’ouvre, je ne vois que des nanas habillées en playmates de Playboy. Je laisse la caméra tourner, comme ça et soudain j’aperçois Rachid. Et je vois un mec à coté de lui. Je me dis bien que je le connais. Et je m’approche, j’arrive à deux mères de Rachid et je lui dis : le mec à coté de toi je le connais, pas vrai ? Rachid se marre et me dit : tu ne l’as pas reconnu ? C’est John Malkovich. Et donc on s’est retrouvé là-bas, à boire des coups avec ce type incroyable à faire la teuf. Et avec Rachid on vivait tout le temps des moments comme celui-là. Un jour celui qui chantait « Freedom » à Woodstock, Richie Havens, se retrouve sur scène avec nous parce qu’il jouait avant nous, c’était sur un campus de fac et Rachid a réussi à l’embarquer sur scène avec nous. Le mec a vu que Rachid était tellement ouf qu’il essayait de se barrer car il n’avait plus qu’un tambourin mais Rachid faisait tout pour qu’il reste à tout prix sur scène, quel phénomène il était !
Moi j’ai eu la chance de voir très tôt Rachid en live puisque j’avais assisté aux répètes de Carte de Séjour dans leur chambre mansardée sous les toits de Fourvière ( Voir sur Gonzomusic ROCK À LYON ANNÉES 80 ) et ensuite je les ai suivis pour quelques dates de leur toute première tournée ( Voir sur Gonzomusic TRANSMUSICALES DE 1981 ) où on arrêtait le minibus car Rachid et moi on allait gerber à cause des virages. Et je me souviens que sur scène c’était un jeune Elvis Presley, un vrai phénomène avec un charisme et un magnétisme total d’animal scénique.
Complètement d’accord avec toi. Ce que moi je voyais puisque j’étais souvent sur un praticable avec mes claviers, mes machines et mes micros pour les chœurs. J’étais donc un peu plus haut sur scène, comme le batteur et donc je voyais tout ce qui se passait quand Rachid se déhanchait. Et en fait il lui fallait moins de trois minutes pour convaincre toutes les nanas qui étaient devant. Et dès qu’il avait convaincu une douzaine de filles, c’était parti en live total mon gars. Car tu as tous les mecs qui se réveillent et qui se disent : mais attends c’est la teuf là ! J’ai assisté à ça pendant plus de vingt ans, il avait le truc du sex symbol, du mec qui déborde de sex-appeal.
À ton avis, pourquoi je te parle d’Elvis Presley pour le décrire ?
Oui, et il n’oubliait jamais non plus de revenir sur le truc de James aussi. Il adorait James Brown. Et en fait il voulait faire comme James puisqu’à chaque fois sur scène, tu sais normalement tu as des micros avec un trépied et lui demandait tout le temps des micros à ambase ronde, pour pouvoir faire les gestes à la James, tu vois.
Ah oui, bien sûr !
S’il n’y avait pas de micro avec ambase, il faisait un scandale ! Mais il avait aussi un problème Rachid avec sa main à cause de l’opération qu’il avait subi pendant la Guerre du Golfe. C’est ça aussi qui lui a fait arrêter l’album « Barbès » au milieu de l’enregistrement, c’est qu’il s’est retrouvé à l’hosto pour subir une opération assez lourde. Donc, il avait ce problème avec cette main et donc si tu veux avec le pied rond et l’ambase, le truc restait tout le temps sur place même s’il bougeait et qu’il lui donnait des coups, le truc revenait en place.
Et comme il ne jouait de rien cela lui faisait comme un instrument !
C’est ça !
C’est son instrument à lui !
C’est exactement ça ! Si tu regardes les photos il tient son micro comme Jamel.
Oui, par en dessous, c’est ça. Donc bête de scène, magnétisme… Il y a un coté de Rachid dont il faut aussi absolument parler c’est de son sens de l’improvisation…
C’est un stand-upper né…
Comment faisiez-vous pour suivre, justement ?
Au début c’était une galère car avec les machines c’était compliqué. C’est là qu’on a mis en place avec Steve Hillage l’histoire du touch track où j’avais sur un clavier suivant les chansons tout était découplé et je pouvais lancer à n’importe quel moment n’importe quelle séquence avec le batteur en se faisant signe de manière à ce qu’on puisse justement improviser à n’importe quel moment avec les machines.
Car il fallait s’adapter à l’animal !
Voilà. On a mis un petit peu de temps mais c’est venu. Guillaume qui a suivi après Abdel Abrisse, le premier batteur de Rachid, c’était un mec qui était DJ, qui venait des machines comme moi ; donc on s’y est mis très vite et on a trouvé notre complicité de manière à servir Rachid et à faire ce qu’il demandait. Par exemple, un morceau comme « Voilà, voilà… » il n’avait pas envie de faire couplet/refrain couplet/refrain couplet/refrain … il voulait faire durer, parler ; déconner avec les gens, donc on a appris ça sur le tas et c’était vraiment efficace.
Bien sur, cela donnait une toute autre dimension aux lives de Rachid !
Si tu veux, il y a eu des expériences où par la fatigue… une fis on s’ets retrouvés à Lyon, à Fourvière et à un moment donné je ne sais plus qui dit : on ne va pas jouer avec les machines, on en a marre de jouer avec les machines en plus il y a un violoniste et tout ! ». Moi je les regarde tous et je me marre en leur disant : allez-y ! Je suis derrière mes machines et j’attends. Puis, Rachid se pointe et il dit : mais vous faites quoi là ? Hakim ( Hamadouche) lui fait : on ne va pas faire « Ya rayah » comme on fait d’habitude ! Rachid lui fait : ah bon ! Puis : vas-y alors ! Et ça fait un truc de chelouerie intense. Forcément, Rachid reviens vers moi et me dit : allez, remets les machines ! En fait tout le show de Rachid reposait sur cette pression physiologique où tu avais très peu de choses qui étaient essentielles au squelette des chansons. C’est encore une réussite à mettre au crédit de Steve (Hillage)
Il y a aussi cet aspect de Rachid et de sa musique : il était unique, personne d’autre n’a jamais repris le flambeau après lui !
C’est clair, c’est bien pour ça qu’il a été autant encensé et que des mecs comme Brian Eno l’ont suivi, que Robert Plant déboule dans les loges durant la tournée African Soul Rebel. Tu as surtout la collaboration avec Mick Jones qui est énorme. Quand il écoute pour la première fois la version de « Rock the Casbah » de Rachid il lance : espèce d’enfoiré, elle est mieux que la nôtre ! Elle est foutrement mieux que la nôtre… je me souviens que cela a été difficile pour lui d’accoucher du texte de « Rock El Casbah ». Il n’arrêtait pas de dire qu’il y avait plein des sous-entendus dans ce qu’il chantait. Car il ne voulait pas coller à la version du Clash. Son idée de « Rock el Casbah » c’est: tu pousses la casbah à fond, comme dans une bande dessinée où tout le monde danse, et du coup ça explose.
Moi, je me souviens du concert au Trianon avec Mick Jones. J’étais super ému de voir mon copain avec lui, quoi ! C’était juste magique.
Tout ça, c’est Francis qui l’avait organisé. En fait, on avait un tourneur anglo-saxon qui s’appelait Ricky Stein quia été un des premiers manager de plein d’artistes à l‘époque de Woodstock. Il avait rencontré une foule d’artistes. Et avec Francis ils étaient tous deux managers de Fela. Et Francis lui avait demandé de contacter Mick Jones pour qu’il vienne jouer avec nous sur scène la version de Rachid.
Vous aviez des désaccords ? Sur quels sujets vous pouviez-vous vous disputer ?
Tu sais, la vie de couple de groupe… mais on ne disputait pas plus que ça car nous étions très liés par le fait que nous étions nés sur les mêmes terres mais sous deux horizons spirituels différents, c’est vraiment ce qui nous a vraiment rapproché Rachid et moi. C’était un combat qu’on menait tout les deux. Il n’arretait pas de le répéter : mon groupe, c’est le monde entier. I n’y a pas d’histoire t’es feuj ou t’es marocain ou t’es algérien…
Avec Rachid il ne pouvait pas y avoir d’histoires sur les origines. C’est quand même un des seuls mecs à qui je pouvais faire Allah Ak… Bar… David et il était plié de rire.
Je dis souvent qu’il était open mind, qu’il incarnait cet esprit ouvert qui manque parfois si cruellement.
Open mind et, comme le disait si justement Alain Lahana , extrêmement cultivé.
Énormément cultivé ! Il lisait en permanence. J’ai plein de photos de lui avec des sacs plastique. Quand on voyageait il n’avait pas de mallette ou de sac à dos, il avait toujours son sac plastique des boutiques Relay dans les aéroports. Il achetait sans arrêt toute la presse et des bouquins. Il lisaint sans arrêt. Il me sortait parfois des trucs et je lui disais : comment peux-tu être au courant de ça ? Il me balançait : tu n’as qu’à lire comme moi !
Curieux et cultivé, l’un allait avec l’autre.
Il avait une vraie profondeur dans la géopolitique. Il arrivait à comprendre plein de trucs qui t’échappent. Il t’expliquait que tout le problème venait du fait que il s’était passé tel truc au 14ème siècle. Il était vraiment bluffant. C’est d’ailleurs cette érudition qui faisait craquer les femmes. Rachid a su séduire de très jolies femmes qui étaient émues par toute sa culture. Et aussi de ce qu’il était, de ce qu’il revendiquait aussi. Les six dernières années de sa vie il portait son chapeau haut de forme. Le violet et le noir. Il s’est d’ailleurs fait piquer le noir. C’était un vrai dandy. Et il mettait beaucoup de soin à s’habiller lorsqu’il sortait.
Et il sortait régulièrement !
Moi je ne le suivais pas. Quand il sortait, c’était jusqu’au bout de la nuit, des cinq ou six heures du mat. Bon je l’ai suivi plusieurs fois, mais au bout d’un moment je ne pouvais pas suivre. A un moment j’avais besoin de travailler dans la journée. Donc j’arrêtais et je rentrais. Et en fait comme j’étais célibataire, il rentrait avec plein de meufs et il me les foutait dans le pieu en disant : occupez vous de mon pote, il est malheureux le pauvre !
Trop mignon !
J’ai vécu des trucs avec le Rachid, c’était hallucinant. Il me manque beaucoup mon frère. C’est un vrai frangin. Et il me manque beaucoup car on est resté sur notre faim parce qu’il y a eu l’histoire de « Je suis Africain » qu’il revendiquait à fond la caisse et où on a eu l’opportunité par le fait que Alain Lahana ( Voir sur Gonzomusic ) parte avec nous à Bamako faire le concert où on a rencontré des musiciens exceptionnels, ce qu’on appelle des « avions de chasse ». On a créé un concert en quatre jours pour jouer le cinquième jour avec quatre mecs et nous on était aussi quatre. C’est un truc de ouf ce qui s’est passé. En plus cela s’appelait « À la croisée des chemins ». On était off le samedi et j’ai dit à tout le monde : et qu’est-ce qu’on fait samedi ? Et je dis à Rachid : tu ne veux pas qu’on les fasse jouer sur les maquettes qu’on a fait à Paris ? Même si c’est de la stéréo, on essaye un truc. Et c’est comme ça qu’on a pu faire les maquettes l’après-midi dans l’Institut Français et qu’après on est reparti avec Rachid convaincre Romain Vivien, le patron de Believe, que l’album existait et Romain nous a dit : ok les mecs, vous avez le budget et il n’en revenait pas quand il a écouté. Tu sais bien que Naïve a fait faillite et le catalogue a été racheté par Believe. C’est comme ça que Rachid s’est retrouvé pendant quatre ans avec HUIT interlocuteurs ou directeurs artistiques qui voulaient lui faire faire tout et n’importe quoi.
On parle du gap entre « Zoom » et « Je suis Africain » ?
Exact.
Entre 2013 et 2019.
Tout à fait.
C’est très long !
C’est super long. Et moi je ne m’attendais pas à ce que Rachid parte comme ça aussi brusquement. On était parti pour faire l’Opéra de Lyon en live pour présenter l’album avec Steve Hillage. Tout était préparé. Tout était prêt. On devait faire le concert le 22 septembre. On part avec Rachid le 8 ou le 9 septembre on va à Vannes où je lui avais trouvé un plan pour qu’il chante « Ya rayah ». Il était payé royalement et ça épongeait son retard d’impôts. Parce que quand moi j’ai récupéré lé situation de Rachid après la mort de Francis et qu’il m’a demandé de revenir avec lui j’ai trouvé une situation… compliquée. Plus personne ne s’occupait des papiers, de rien. Je l’ai mis six mois au vert chez moi à la maison à Auray, on l’a gardé six mois. C’est de là qu’on est reparti faire de vraies tournées. C’est là où je lui ai dit : Rachid, si tu bois sur scène, je me casse. Au moment où je te vois boire, tu ne me vois plus. Je ne fais pas semblant de partir, je me casse par le premier train.
Tu me dis ça sur le même ton qu’Alain Lahana quand il lui a dit : voilà ce n’est plus possible, tu prends trop de dope, donc j’arrête de produire tes concerts parce que je refuse de financer ton addiction ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA RACHID TAHA Épisode 2 : Alain Lahana ). Sauf que le truc, c’est que Rachid a écouté ce que je lui avais dit. Alors qu’il n’avait pas écouté Alain.
C’était trop tot. Et il était en plein dans des histoires d’amour qui marchaient plus ou moins, on est en tournée… tu sais, le truc de la tournée c’est que ça rompt le lien avec la réalité. Tu n’es plus dans le monde réel dans une tournée. Tu vis en room service toute la journée. Tu ne vas pas faire tes courses à Carrefour là ! ( rire)
Qu’est-ce qui te manque le plus de Rachid ?
Qu’on soit sur scène ensemble.
Moi, c’est son humour qui me manque le plus.
(rire) Ah, mais cela faisait partie du package ! Dès que tu mets le pied à l’aéroport ou à la gare, jusqu’au moment où tu le laisses, c’est non-stop. Avec les moments de fatigue, les moments de nerfs, les moments de tout. Cela ne s’arrêtait jamais, le mec fait un stand-up permanent, un show-man permanent. Et tu te demandais : mais où va-t-il chercher tout ça ? Parce qu’il rebondissait sur des trucs dingues, des trucs politiques, historiques… et il jouait avec tout ça. Il mettait ça en scène avec les gens qu’il avait devant lui. Et c’était pareil en radio ou à la télé, il avait d’incroyables réparties. Un soir chez un ambassadeur à Kuala Lumpur, Rachid l’a carrément remis à sa place. Ce qui manque aussi c’est qu’en fait il aimait beaucoup de gens Rachid et il te faisait partager ça. Il avait raison car il n’y a que cela qui soit vrai. D’être vrai, d’aimer les gens et de ne rien attendre en retour. Comme on faisait lorsqu’on traçait de ville en ville à donner du bonheur. Tu es comme une pile alkaline. Tous les jours cela nous nourrissait car quand tu fais ça sans arrêt il y a la fatigue mais en même temps il y a un truc qui se passe dans ton mental. Je me souviens, quand on a fait le concert de fermeture à Montréal du Festival de Jazz, c’était 100.000 personnes devant nous. Moi qui ai commencé avec Rachid en 92 lorsqu’on avait un sequencer et qu’on a joué devant 14 personnes au Transbordeur à Lyon qui était sa ville… quel chemin parcouru. En même temps il disait qu’au début Police a joué devant 9 personnes. Mais la Canada cela faisait chaud au cœur sachant que le groupé devait être au service de l’artiste, l’ego … oui, tout le monde a de l’ego, mais en fait moins on en avait et qu’on performait et plus il parvenait à se dépasser, plus il était brillant.
Oui, parce qu’il savait qu’il pouvait se reposer sur vous, que la machine tournait…
Il avait pris l’habitude la laisser Hakim tout seul avec son mandoluth pour pouvoir aller fumer tranquillement sa clope, se reposer un peu et revenir balancer un truc dingue comme il savait si bien le faire. Et il faisait vachement confiance en Hakim. Hakim ? Il était le lieutenant de la bande. S’il n’y avait pas pas Hakim à gauche, il n‘y avait pas de show, c’était simple. Souviens-toi, son prédécesseur Nabil ne pouvait plus rester parce qu’il vivait une histoire d’amour compliquée. Il s’est barré au Maroc et c’est Hakim qui est arrivé. Sur le « Rachid Taha » de 93… tout ce qui était mandoluth cela a été fait au studio John Lennon à la Courneuve avec Rachid, Nabil et moi.
Hakim est donc arrivé sur « Olé olé » ?
Un petit peu avant puisque sur l’album bleu on tournait avec très peu de monde, Nabil avait assuré quelques concerts, mais il a très vite stoppé. Hakim est donc arrivé de Marseille prendre la place de Nabil.
En deux mots, comment qualifierais-tu le rock que vous pratiquiez avec Rachid ?
Il n’aimait pas qu’on dise ça mais je dirais rock oriental mais c’est un peu réducteur, mais rock c’est sûr. C’est rock and roll à fond, n’oublie pas combien il était fan de Lemmy de Motorhead mais aussi de David Bowie. Il n’aimait pas trop les Stones mais les Beatles, oui. Led Zep, évidemment. C’était sa génération lorsqu’il avait vingt piges. Sans oublier la période punk avec les Talking Heads, Pretenders, Patti Smith, les Ramones… alors, effectivement on va dire que Rachid c’est du rock and roll ! »
À SUIVRE….
Voir sur Gonzomusic Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour
Voir sur Gonzomusic Épisode 2 : Alain Lahana, qui a produit ses concerts aux quatre coins de la planète durant deux décennies.
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 2 : Alain Lahana
Voir sur Gonzomusic Épisode 4 : son producteur historique, le légendaire et ex-Gong Steve Hillage, qui a produit durant plus de quinze ans la musique de Rachid, inventant avec lui une fusion inédite electro-blues-chaabi-rock….
LA SAGA RACHID TAHA Épisode 4 : Steve Hillage
Voir sur Gonzomusic Épisode 5 : Hakim Hamadouche, sans doute son compagnon musicien le plus proche qui l’a accompagné depuis l’album « bleu »…LA SAGA RACHID TAHA Épisode 5 : Hakim Hamadouche