ROCK À LYON ANNÉES 80
Voici 42 dans BEST, GBD épaulé par le fidèle Jean-Yves Legras, missi dominici du fameux mag de la rue d’Antin , ils empruntaient le premier TGV pour Lyon en mode explorateurs, histoire d’étudier de près les très nombreux spécimens de groupes de rock nés sous l’égide des grands frères de Starshooter. Et des balbutiements de Carte de Séjour aux obscurs Fuel en passant par Killdozer, Fragile, Affection Place ou encore Marie (ex-les Garçons), ils servaient de révélateur photographique à cette puissante nébuleuse qui agitait les fameuses traboules de leurs décibels enfiévrés. Flashback…
Après le Rock à Rennes (Voir sur Gonzomusic RENNES CAPITALE DU ROCK FRANÇAIS et aussi RENNES CAPITALE DU ROCK FRANÇAIS Épisode 2), j’attaquai le Rock à Lyon et surtout je succombai à l’énergie indomptable d’un jeune Elvis Presley de deux ans mon cadet né à Sig en Algérie et hélas parti bien trop tôt ( Voir sur Gonzomusic SO LONG RACHID TAHA MON FRÈRE ), mon frangin Rachid Taha, dont le tout premier Maxi avec Carte de Séjour venait à peine d’être publié sur le petit label indé Mosquito de Bernard Meyet. De même l’ami Phil Pressing, batteur star et stylé de Starshooter, le groupe phare de la métropole lyonnaise, nous éclairait sur le pouvoir punk qui avait su faire le grand ménage renvoyant aux poubelles de l’histoire tous les vieux groupes babas qui tenaient alors le haut du pavé. Et aussi rencontre avec un ingénieur étudiant hallucinant, un très jeune Emmanuel de Buretel loin très loin d’imaginer qu’il serait un jour un nabab de la musique à la tète de labels aussi prestigieux que Delabel, Virgin ou encore Because. Souvenirs souvenirs…
Publié dans le numéro 161 de BEST sous le titre :
LYON BRÛLE T’ IL ?
« Tandis qu’entre les remparts de béton de la grande cité lyonnaise s’embrasent certaines nuits les feux de la colère (propagés avec empressement par ceux de l’actualité), qu’en est-il de ce rock qui, naguère, y crépitait ? Pour certains, Lyon’s burning with boredom now; pour d’autres, cela couve sérieusement sous la cendre. Afin de débusquer les authentiques pyromanes, Gérard Bar-David et Jean-Yves Legras ont sauté (en marche) dans le premier T.G.V. » Christian LEBRUN
Le rock à Lyon, c’est un peu comme le serpent de la mythologie, je ne sais pas vraiment de quel côté l’aborder. Avant mon départ, quelques mauvaises langues m’ont prédit de l’ennui à revendre et un manque certain du côté de la communication entre les différentes cellules. Où en est la seconde ville de France ? De la rock explosion de 77, il ne reste que Starshooter qui continue encore sur sa lancée ; les autres se sont atomisés. Lyon 81 : verra-t-on se lever des sons nouveaux entre Rhône et Saône? Dimanche après-midi pluvieux à Paris. Octobre et la pluie glacée gicle sur mes vitres. J’attends Phil de Starshoot’ et sa cassette du nouvel LP du groupe. L’interphone lance soudain son bip et l’ascenseur ne tarde pas à recracher un Phil un peu humide. J’ai renversé sur la moquette le sac Fnac rempli de cassettes lyonnaises pour en faire profiter ses oreilles expertes. En tout, plus de vingt petites boîtes où les groupes locaux ont injecté leur vie, leur feeling, leur son, mais aussi quelque part leur espoir, l’échappatoire vers l’expression. L’évolution musicale de la région ressemble à ces pubs pour une lotion capillaire miracle: il y a avant et après. Avant, c’était à la frontière de 77, le domaine réservé des techniciens babas aujourd’hui disparus ou fossilisés: les Spheroe, les Pulsar, les Terpandre et autres Grand Rouge. En 77, parallèlement au mouvement punk parisien qui drainait les Asphalt Jungle et les Toys, Lyon se tirait de sa torpeur sous les provocations des Starshooters, de Marie et de ses Garçons, sans oublier la mèche allumée par Electric Callas. Après avoir fini par bouffer avant, les deux concepts rock et énergie étaient à nouveau unis. Phil se souvient:
« Tous ces gens traînaient depuis trop longtemps : ils jouaient depuis quinze ans et leur technique a fini par leur boucher les oreilles. Avant les punks, il n’y avait pas de rock à Lyon. Comme il fallait que les choses se mettent enfin à bouger, nous avons tiré la carte de la provoc : une remise en question, mais aussi la seule manière d’éviter l’asphyxie de la routine. C’était nécessaire, mais certains n’ont pas compris. On a mis plus d’un an et demi pour s’en sortir. Lyon nous a véritablement handicapé, c’est une ville qui ne connaît pas la fantaisie. La bourgeoisie y est coincée et extrêmement sectaire. A Paris, on voit souvent l’argent se mêler à l’artistique : il existe des lieux de rencontre, des endroits où les idées peu vent se confronter. Il n’y a rien de tel à Lyon. Les fêtes ? C’est une légende pour bourgeois coincés. C’est comme pour le racisme ; aujourd’hui, la bourgeoisie ne craint pas de l’afficher ouvertement. C’est la « dure nécessité » du bouc émissaire et les Arabes en sont victimes. Le pire, c’est que je ne vois pas trop comment nous parviendrons à briser ce cercle vicieux. Jusqu’en 73, 74, il existait une sorte de solidarité pacifiste parce que nous étions hors de la crise: on partageait parce qu’il y avait à partager. Lorsque surviennent les problèmes de blé, il ne reste plus rien à partager. Au niveau des groupes, c’est aussi le jeu de l’affrontement : il n’y a jamais de bœuf à Lyon, chacun répète chez soi, dans son cercle. Quant à la décentralisation, quelle bonne blague : tous les gens qui font quelque chose d’intéressant vont à Paris pour le faire. Lyon est une ville idéale pour bosser et répéter, c’est comme si nous étions à la campagne, au moins, nous ne risquons pas d’être tentés de sortir, car il n’y a pas un seul endroit où zoner ».
Phil n’a pas vraiment tort, à Lyon, c’est chacun sa planète. D’ailleurs, Starshooter ne passe plus que trois mois par an dans sa ville d’attache. L’explosion de 77 avait un cadre, une scène au sens propre du terme : le « Rock and Roll Mops ». Tous les soirs, ce club pouvait accueillir deux groupes, trois groupes. Nous aurons l’occasion d’en reparler. En 81, ce ne sont pas eux qui font défaut, ce qui manque cruellement, c’est une scène pour les héberger. Et celle-ci n’existe plus… ou pas encore. Pour débuter, il n’y a donc qu’une seule recette : les premières parties de concerts. C’est une école implacable pour les nouveaux groupes, car chacun sait combien elles peuvent être riches en cannettes et en déceptions. Ceux qui parviennent à s’accrocher doivent être parfaits. En 77, les rockers en bandes pouvaient se contenter de faire du bruit parce que c’était la seule manière de contester, de se démarquer par rapport à un son dépassé. Ceux qui arrivent maintenant sont trop proches des Téléphone et des Starshooter pour qu’on se contente de bruit.
En 81, on produit de la musique sans jamais perdre de vue le facteur travail. Il n’y a plus de place pour les Charlots font du rock. Si un groupe, aujourd’hui, sort de sa cave, c’est qu’il est prêt. La preuve, la grande majorité des cassettes de ma moisson lyonnaise dénote un boulot sérieux. Mon cassette-deck les avale allègrement. Pour lui, c’est facile, il n’a qu’à choisir entre chrome, fer ou normal. Pour moi. c’est déjà plus délicat, les critères du choix sont tout à fait subjectifs, donc de toute façon injustes. Ce qui m’accroche ou, au contraire, ce qui me laisse indifférent, procède de l’arbitraire. A quoi va ressembler mon instantané du rock lyonnais? J’ai reçu en tout vingt-cinq cassettes, mais la liste n’est certainement pas limitative. Celles qui me branchent le plus forment un petit tas. Je les réécoute avec Phil et sa sélection recoupe à peu près la mienne. Si vous voulez en savoir plus, rien de plus facile : sautez dans la voiture numéro 6 du TGV 613 en partance pour Perrache. Posez vos fesses sur le fauteuil 67 et programmez l’alarme électronique de votre montre-bracelet sur trois heures. « Nous atteignons la vitesse maximale de 260 km/h » : le conducteur du train à grande vitesse joue les hôtesses de l’air, dommage qu’il ait une voix de camionneur. En dehors de ses performances vitesse, le TGV est extrêmement décevant. Dans vingt ans, le design des voitures sera peut-être rétro, en attendant, il a un lamentable côté cheap. Mon wagon est une voiture corail à peine améliorée. Elle est à l’avion ce que l’intérieur d’une R 5 est à l’habitacle d’une Cadillac Eldorado. Le restau a fait ses classes chez Borel et le bar est encore moins sérieux que celui de la cafétéria de mon ex-fac. Le néo-café et le croque-monsieur surgelé font des trous d’obus dans votre estomac, alors que leurs tarifs sont alignés sur ceux de chez Maxim’s : pour le confort culinaire. TGV se traduit alors par Train de Grands Voleurs. En fait, je m’y attendais, car j’avais surpris une conversation au buffet de la gare de Lyon. Lorsqu’un couple d’hôtesses du TGV rencontre un couple de stewards du TGV ,ils se draguent et se racontent des histoires de TGV:
« La brune : Ah la la. si tu savais, mon dernier bar. c’était l’enfer. Il n’y avait pas assez de café et le thermostat du four ne marchait pas.
La blonde (arborant un joli pansement adhésif sur la main) : Moi, je n’arrête pas de me couper avec leurs tiroirs métalliques. Tiens, la dernière fois, les tasses n’étaient pas prêtes et la grille du four avait disparu… etc. » Cher monsieur S.N.C.F., sachez que mon cœur de consommateur saigne lorsque j’entends pareilles horreurs: où est passée la magie des trains d’antan , les wagons-lits de mon enfance ? Les technocrates nous l’ont bouffée.
Gare de Perrache, trois heures plus tard. Je n’ai jamais mis les pieds à Lyon avant ce jour, et pourtant, je ne suis pas trop dépaysé : la gare ressemble à un petit Beaubourg. Un boyau mécanique en plexi me conduit jusqu’à la file de taxis. Mon premier contact-rock à Lyon, c’est Jean-Pierre Pommier, le big boss de Scorpio productions. Jean-Pierre est l’organisateur des concerts les plus importants de la région. Il a tous les plans de groupes, parce qu’il les utilise comme première partie de ses gigs. Pommier me remet une pile de cassettes et on discute un peu. Dans son bureau tout blanc, le promoteur a l’air d’un petit garçon qui a trop vite grandi. Mais le téléphone n’arrête pas de sonner : cet ancien fondé de pouvoir de la banque Rothschild est un vrai pro. Scorpio est un enchevêtrement de sociétés diverses: production de concerts, services, location de scène et projets dont J.P aura l’occasion de me parler. En ce qui concerne les groupes, j’en ai déjà un certain nombre dans le collimateur. Murielle, l’assistante de mister Scorpio me donne leurs contacts : Robert de Killdozer, Fragile, Peter d’Affection Place, Callas, Marie (ex-les Garçons) et Rachid de Carte de Séjour. Pour les autres, j’ai mon sac de maquettes…
Dans ma chambre rococo de l’hôtel Phénix, il n’y a pas de ligne téléphonique directe. Pour passer mes coups de fil, je dois déclamer mon numéro à une standardiste âgée et un peu dure d’oreille. «Je vous rappelle », me dit-elle. Deux ou trois minutes plus tard, j’ai Robert Lapassade au fond de la bakélite du combiné. Le leader de Killdo a une voix particulièrement radiophonique : normal, il est aussi l’un des animateurs vedettes de Radio Bellevue 95.8 FM libre et stéréo. Killdozer a sorti son premier album l’an passé, sur CBS. Comme son affreuse pochette ne l’indique pas, c’était une tentative aboutie d’osmose entre le rock et la soûl music, une des premières peut-être à la surface de l’hexagone. Killdo n’a pas remporté le succès qu’il méritait; on lui a surtout reproché ses textes en anglais sans trop tenir compte de l’énergie funk qu’il parvenait à dégager. Chez CBS, l’enthousiasme du début a tourné en eau de boudin et, de ce côté-là aussi, Robert a pu voir ses textes anglais contestés. Je le retrouve autour d’un café serré, à deux pas de mon hôtel. Robert est souriant, ça lui permet de supporter les galères. On discute un peu musique : Kurtis Blow, Rick James, Was (Not Was), sont les LP du moment qui le branchent le plus. Puis on aborde les vrais problèmes : le préjugé anti-disco et les textes en anglais.
« Tu comprends, s’il s’est écoulé autant de temps, c’est que la maison de disques nous a dit: « Revenez nous voir avec des choses en français ». C’est pas de ma faute, mais il y a des mots que je trouve couillons en français. Pourtant, je m’y suis mis pour le prochain album. Petit à petit, je me suis convaincu d’écrire en français; aujourd’hui, je me sens même à l’aise pour le chanter. Il y a deux pôles dans Killdo : le côté plus hard avec Edouard, le guitariste, et le côté funk que je défends avec Phil, le bassiste.
Il n’y a pas de leadership dans Killdozer?
Heureusement, parce que ça se traduit souvent par un blocage. En France, il est très mal vu de jouer les stars, surtout quand tu ne l’es pas ».
Robert est quelque peu désabusé. Normal, il a signé en Mai 80 chez CBS. Le LP enregistré à Londres est sorti en septembre avec un logo très hard sur la pochette, une manière d’accrocher les fans du genre. Comme le cap fatidique des 20 000 albums n’a pas été atteint, Killdozer n’a jamais pu entamer sa grande tournée pourtant prévue. Robert porte un petit micro d’or autour du cou et dégage un magnétisme animal. Je monte avec lui dans sa vieille 403 noire pour aller écouter les maquettes du prochain 33 tours. Chez lui, c’est dans un vieil immeuble de la Croix Rousse, le Montmartre de Lyon, un studio sous les toits, aux vieilles poutres apparentes, qu’il partage avec Kinou, sa petite amie made in Toulouse.
Robert assure quotidiennement quatre heures d’antenne sur Radio Bellevue, un sacré boulot, surtout lorsqu’il est bénévole. Comme toutes les radios libres de France et de Navarre, Bellevue attend que les socialistes lèvent leur interdiction de faire de la pub, pour pouvoir enfin vivre décemment. Sur un mini K 7, je découvre les maquettes du prochain Killdo en français, mais aussi les expérimentations funk électroniques de Robert en solo. C’est un style narratif et sensuel, un trip Afrique blanche à la Talking Heads qui nous raconte un New-York de série noire sur fond de batterie synthétique. Décidément, monsieur Lapassade est un personnage surprenant. Durant mon séjour à Lyon, Robert me servira souvent de guide, de clef pour les différentes cellules musicales qui s’observent tout en feignant de s’ignorer.
Si j’accroche bien avec le feeling soul de Robert, je crois bien avoir quelques problèmes, par contre, à appréhender Jangil Callas. Callas, c’est la figure de légende punk historique, à l’ouest du Rhône, un frêle jeune homme aux traits presque féminins, dont la célèbre mèche mange les yeux. Personnage complètement imbuvable ou génial, Callas me demande : « De combien de temps veux-tu disposer pour l’interview ? », on se la joue jusqu’au bout! A Point Show, un studio de maquette, juste derrière le Phénix, il me fait écouter deux titres de la nouvelle formation d’Electric Callas : « Sad Eyes » et « Another Junkie » audimat bien étrange, une musique qui flirte avec les squelettes de Bowie et de Lou. Jangil s’est installé avec son groupe dans un local de répèt à la Croix-Rousse, dans la bien nommée rue des Pierres Plantées. Il semble s’être décidé à bosser puisque la formation actuelle de Callas s’exerce depuis plus de quatre mois. Aujourd’hui, Jangil est libre de tout contrat, le jeune homme de légende est à vendre s’il sait saisir sa chance. Dommage que Callas joue autant les divas et sorte aussi peu de son personnage. «Je suis juste un autre junkie », sa seule phrase en français, résonne étrangement dans ma tête, décidément, ce garçon est bien torturé !
L’autre figure légendaire de l’explosion de 77, c’est Marie. Ses cheveux sont si courts que je ne la reconnais carrément pas. Marie est assez discrète. Au début, elle me raconte qu’elle ne fait pas grand-chose. Au bout d’un moment, elle finit par m’avouer qu’elle travaille depuis peu avec un guitariste sur TEAC « Porta-Studio » 4 pistes à cassettes : « Ça ne sert à rien d’en parler pour l’instant », me dit-elle. Je n’aurai même pas l’occasion d’écouter une maquette.
Pour l’instant, tous les musiciens que j’ai vus ont déjà croqué à la galette de polyvinyle. Certains s’y sont cassés les dents, mais c’est bien trop tentant. Si les règles du jeu rock and roll sont assez implacables, d’autres, comme Fragile, pensent qu’il faut foncer et ils n’ont pas tort. « Pile ou Face », c’est le titre de leur premier 45 tours (Pathé-Marconi), le résultat d’un an et demi de répétitions pour Lydia, la chanteuse, Bernard, le guitariste. Philippe, le bassiste, et Olivier, le batteur. Ils ont couvert la ville de Leur sticker en noir et blanc. Le 29 octobre, ils devraient investir la salle Molière pour un concert. En attendant, ils répètent tous les jours dans un local grand comme votre salle à manger. C’est d’ailleurs la première fois que je vois un groupe de rock travailler ailleurs que dans un sous-sol. Il fait froid et Lydia paraît presqu’intimidée lorsqu’elle commence à placer son timbre de voix juste un peu acide. Dans mon coin, avec J.C., leur manager, je me fais le plus petit possible. Peu à peu, Fragile trouve son rythme de croisière ; un rock bien léché, qui me rappelle irrésistiblement celui des Pretenders, ne tarde pas à réchauffer la pièce. Lydia. plus détendue, enlève son blouson entre deux chansons et sourit enfin. Elle ne manque pas vraiment de charme, Lydia, tandis qu’elle se laisse porter par la musique. J’observe le mouvement de ses lèvres qui chantent :
« Personne ne me changera/Je suis une bohémienne, je suis pleine de chimères/ Un peu magicienne, un peu sorcière/Et tu le sais bien, je ne changerai pas ». (« Magie Noire »)
Lydia est une sorte de rock and sex symbole, un subtil mélange d’énergie et de sensualité. La musique de Fragile est un peu à l’image du groupe, elle paraît assez cohérente, sans jamais sacrifier sa fraicheur et sa spontanéité. Sur « Cinéma », la face B du 45 tours, Lydia déménage à la Chrissie ou à la Deborah au choix. Pour Fragile, tout a démarré en Avril 80; le groupe s’est réuni sur une base de sensibilités musicales communes. Pour leurs premières prestations de scène, comme les autres groupes de Lyon, la seule solution, c’est le pile ou face (justement) des premières parties de concerts des Inmates, des Heads et des B 52’s. Toutes les compositions sont co-signées par l’ensemble du groupe: chacun s’y retrouve et apporte son truc dans la musique. Les galères ? Fragile ne semble pas avoir trop souffert, l’évolution du groupe a suivi une progression logique qui l’a conduit droit au 45 tours. Après la répète, on descend au troquet du coin pour faire un brin de causette : Lydia (en trempant ses lèvres dans sa tasse d’expresso) : « Il faut revendiquer la notion de rock à la française, même si le terme est un peu galvaudé et presque péjoratif pour certains. Il n’y a aucune honte à faire son propre rock. Lorsque tu chantes en français, c’est pour exprimer de manière intelligible ce que tu désires faire passer. Si vraiment tu veux que les choses changent, ça n’est pas seulement en grattant une guitare que tu y parviendras. Il n’y a pas de baguette magique qui sache tout arranger, mais lorsque tu chantes, au moins, tu parviens à poser les problèmes ; c’est un début ».
Fragile refuse obstinément le jeu de la distanciation et recherche plutôt les contacts émotionnels: ils rêvent d’un public idéal qui applaudirait sans cesse, c’est peut-être une utopie, mais elle vaut le coup d’être tentée. Pile… ou face, c’est aussi les flashes qui se projettent, les idées qui s’associent dans la toile de fond du quotidien. Malgré son nom, le groupe n’a pas peur des chocs; si leur premier 45 tours ne leur permet pas de décrocher le gros lot, c’est que nous n’aurons rien compris à la définition moderne d’un rock qui roule bien au-dessus de la vitesse légale.
Rue Mercière, au contraire, on ne roule pas trop bien : cette petite rue étroite est le centre névralgique des oreilles et des estomacs lyonnais. On y trouve quelques restaus sympathiques comme le Bistro de Lyon, Magali ou la Timbale, le QG gastronomique des Starshooter. Pour les oreilles, c’est Music Land, ses imports et son scooter mod en vitrine. Philippe et son frère font tous les mois le voyage de Londres pour s’adonner à la chasse aux imports. Music Land fait aussi ses deals directement avec Rough Trade, Virgin ou Factory et des labels microscopiques comme Associates records. La boutique est aussi à la croisée des chemins de tous les styles : le hard s’y vend bien et les jeunes mods de Lyon y viennent chaque semaine pour une écoute quasi religieuse de Secret Affair. À force d’un boulot acharné, les deux frangins ont édifié une véritable chaine Music Land dans la région. Leur projet à long terme, c’est de monter un petit label à Londres pour récupérer quelques groupes locaux et pour donner une chance aux groupes français qui s’évertuent à chanter en anglais et que les labels traditionnels refusent de signer. En face, il y a Grange Musique où s’entrepose le matos, à mon avis, le moins ringard sur l’espace lyonnais. Un peu plus bas, la rue Mercière, c’est le domaine réservé du Music Wear, ses fringues, badges et ceintures de cuir cloutées. Le magasin est aussi le rendez-vous des lycéens mods et des flippés du rockabilly. Fringues toujours, à deux cents mètres de là, rue Constantine, chez Shone et Bacardi ou au Bronx d’Alain qui me parle de ses boots de cow boy avec une passion proche de la poésie :
« Tu comprends, les bottes espagnoles n’atteindront jamais la perfection des mexicaines, leur principale faiblesse c’est le talon. C’est pourtant celles-ci qui se vendent le mieux, parce qu’au cours des deux derniers mois et demi, tout a augmenté d’au moins 25 %. J’attends un tas de boots du Mexique : des iguanes, des poulains, des requins ; je ne sais pas si j’oserai regarder la facture ». En fond sonore, planqué parmi les tas de jeans et treillis, un tuner stéréo susurre Radio Bellevue. Le magasin diffuse les cartes d’adhérent de la station et, à ce titre, verse une sorte de caution. En retour, Bellevue donne à l’antenne les noms et adresses de ses dépositaires. Pub détournée? Peut-être, mais puisque l’Etat socialiste s’accroche au monopole comme un gros parasite, tous les moyens sont bons.
Je regagne la rue Mercière, dans un bar à côté de Music Land. Bidon 5, j’ai rendez- vous avec Affection Place et Bernard, leur manager. Lors des Transmusicales de Rennes, j’avais été assez séduit par ces quatre jeunes gens très perfectionnistes. Juste avant de monter sur scène, ils avaient disposé tout autour de leurs amplis des toiles contrastées et des plantes vertes. Plus tard, j’apprends que c’est Peter, le chanteur, qui les a peintes. Affection Place, c’est un style propre et froid à la Magazine, mais pour la France, c’est avant tout un style extrêmement personnel. Je défie bien qui que ce soit à la surface de l’Hexagone de sonner comme la guitare et la voix de Peter, la guitare de Jean-Louis, les drums de Christian et la basse de Pierre. Plus j’écoute les titres qu’ils ont enregistrés au studio DB en juillet dernier, plus je trouve qu’il est injuste qu’AP ne soit pas déjà sous contrat avec une maison de disques. A nouveau, on déballe le problème des groupes français qui ont choisi de s’exprimer en anglais. Quelque part, Affection Place et les autres sont victimes d’une ségrégation de marketing (au fait, comment dit-on marketing en français ?) (Fourgue. N.D.L.R.) et, à qualité égale ou supérieure une compagnie phonographique misera toujours sur les francophones. AP a bien du courage de s’accrocher, c’est le seul moyen d’y arriver. A un moment ou à un autre, son rock pur et cristallin comme des flocons sur les Alpes finira bien par balayer ce genre de préjugés.
Peter, s’il paraît éternellement préoccupé, ne manque pas de personnalité. Le mélange artistique peinture/musique lui paraît indispensable parce que la création doit former un ensemble complet. Pourtant A.P. est assez amer, il vient de perdre son local de répétition. En attendant, il faut manger. Peter vend des jouets. Pierre « intérime » pour une agence et les autres pointent deux fois par mois à l’agence locale de l’A.N.P.E. Le manque de moyens pousse les groupes lyonnais à s’isoler les uns des autres, c’est chacun pour soi. Pour les gars qui rejettent le système du hit, la route est plus longue que pour les autres. En attendant, Peter s’amuse de son côté. Il a formé avec Anne-Lise, sa petite amie, un groupe fiction pastel et très naïf : Peter et les Emotifs. Dans le style et en français, c’est très proche d’une sensibilité à la Jonathan Richman. Ça n’est pas un hasard si Affection Place tire son nom de « Back in Your Life », un LP des Modem Lovers qui contient un titre Simplement baptisé «Affection». Peter a même fait très fort en adaptant avec des textes le petit train d’« Interlude » de son enfance. C’est très nostalgique et adolescent, une pureté retrouvée à l’antithèse des Ello et Jacni, rythmée par une boîte électronique. Peter fait sans cesse travailler son imagination ; ses derniers décors étaient splendides, mais il en cherche déjà d’autres. Il tient à conserver le côté aquarium qui éclaire généralement le groupe, mais les toiles vertes et les plantes ne sont pas assez vivantes à son gout: Peter veut que la scène s’anime sur la projection d’un film de fonds sous marins avec poissons, bulles et végétation. Peter a vraiment un rapport affectif avec ses créations, sa sensibilité lui brûle un peu les ailes: il a du mal à s’envoler. AP est un groupe d’idéalistes, des poètes modernes dans un monde sans poésie rock.
Pourtant, c’est vrai, Lyon n’est pas vraiment une ville qui pousse au rêve; la réalité s’accroche à chaque pas. En ce moment, elle fait même la une des journaux. « Rodéos fous ». « Bagnoles incendiées dans la banlieue lyonnaise », on voit même des photographes de Paris Match acheter des mômes pour qu’ils incendient (sic !) en direct et pour la postérité. Phil de Starshoot parlait de la montée du racisme; c’est un parallèle trop souvent tracé en cas de crise économique. Le racisme à Lyon paraît s’inscrire dans le quotidien. Pas vraiment violent, pas toujours méchant, soit, mais il ne disparaît pas. Comme toutes les grandes villes, Lyon laisse son centre s’embourgeoiser, peu à peu, les plus défavorisés se retrouvent exilés au loin, dans les banlieues. Ici, les plus défavorisés, ce sont les travailleurs immigrés de Vaulx-en-Velin ou de la Grapinière. Ils vivent l’angoisse et l’ennui profond des cités de béton, mais surtout, le racisme silencieux et méprisant dès qu’ils s’aventurent en dehors du ghetto. C’est le « On est complet » à l’entrée des boîtes, des bars et des restaus : à Lyon, si l’on est un peu trop basané, les lieux de plaisirs et de loisirs vous claquent la porte au nez.
Pour lutter contre ce racisme-là, il y a deux attitudes: le pavé dans la gueule ou la force de la dérision. C’est cette seconde solution qu’ont choisie Rachid et ses copains de Carte de Séjour, le premier groupe d’arab’s rock, un subtil mélange de reggae, de funk, de rock et de feeling traditionnel. Carte de Séjour doit son nom à la petite fiche cartonnée bleu ou verte, délivrée pour 5 ans par la préfecture aux Nord-Africains. Cette carte qui leur rappelle que, même s’ils vivent en France depuis plus de dix ans, ils restent toujours des étrangers. Si le concept du groupe est vraiment super, par contre, il n’est pas évident qu’il séduise les jeunes immigrés qui se reconnaissent bien plus dans la disco parce qu’elle leur permet de rejeter leur identité. C’est dans leur local mansardé que j’ai découvert la musique de CDS. : Mohamed à la guitare, Mokhtar à la basse, le grand Djamel à la batterie, Eric, le deuxième guitareux, et Rachid, le chanteur, la star de l’arab’s rock, un Simbad le marin moderne qui vous tient en haleine avec ses histoires sans queue ni tête. Lorsque je l’observe chanter « Zoubida », même si je ne comprends pas les textes, puisqu’ils sont en arabe, le courant passe très fort. Techniquement, je ne vous mènerai pas en bateau en vous racontant que CDS est une collection de petits dieux de la technique ; de ce côté-là, ils ont encore un certain nombre de choses à apprendre, mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est qu’ils revendiquent une identité rock dont ils posent eux-mêmes la définition.
Carte de Séjour est tout ce qu’on veut, mais pas un groupe gadget, pour rock-critique travesti en sociologue frustré. Leur musique pète le feeling, elle me donne irrésistiblement envie de bouger, de faire des bonds dans la mansarde. Rachid en chantant se penche sur son micro, on dirait qu’il embrasse une fille avec passion, c’est son jeu, c’est sa vie, c’est aussi torride qu’un vent du désert, en tout cas, ça frappe très fort. En redescendant, on discute un peu : oui, leurs parents sont assez religieux, ils écoutent de la musique traditionnelle et ne mangent pas de porc, mais il existe une sorte de respect mutuel qui s’instaure entre les deux générations. Les parents parlent souvent de rentrer au pays, mais ils ne rentrent jamais, c’est l’éternelle histoire des immigrés. Pourtant, les musiciens de Carte de Séjour sont conscients de leur importance : ils ne disent jamais le public ou notre public, mais «ceux qu’on représente ».
Ainsi, dans « La Moda », une composition en toile de fond reggae, le groupe dénonce un état de fait, le sempiternel « On est complet » à l’entrée des discothèques, les immigrés qui se déguisent en costume cravate pour avoir l’air plus « européen », pour se renier aussi. Rachid a même écrit une chanson sur Mohamed Diab, assassiné par un flic que nos tribunaux se sont empressés de relaxer. Il dénonce aussi ces flics cow-boys qui confondent un peu trop la Saône avec le Rio Grande. À Venissieux, une des « banlieues chaudes », on s’ennuie à crever. L’unique MJC a fermé depuis longtemps, il n’y a pas un ciné et les cafés ferment à 19 h. Le seul endroit où les Zupards peuvent se retrouver, c’est la rue. Et dans la rue, il y a des voitures qui ne demandent qu’à jouer au rodéo ou au stock-car. Et plus la droite fait de tabac autour de ce genre d’histoires, plus les Zupards y prennent goût : la publicité leur donne de l’importance et les BMW continuent de flamber, c’est un cercle vicieux.
Certains en profitent même pour escroquer leur compagnie d’assurances; de toute façon, ce sera la faute des Arabes! Rachid est un conteur né, il connaît par cœur cent histoires sur la maffia lyonnaise, il sait tout sur cette tenancière de bar dont on a retrouvé la tête de son premier époux coulée dans un fût de béton. C’est comme quand on a volé le matos du groupe et qu’il a fallu faire appel à un certain Nénesse pour menacer les petits braqueurs et retrouver les amplis volés. Avec Rachid, c’est encore mieux qu’au cinéma : « Je lui ai dit : tu connais Omar ? Un ampli, il te le porte comme une valise. Il va venir pour te décarcasser, pour t’écraser la tête. C’est comme ça qu’on l’a récupéré notre matos… ». Rachid pourrait faire de la concurrence à Pierre Bellemare. Il poursuit, très sûr de lui : « Tu comprends, moi. je n’ai pas d’idole. Faut surtout pas en avoir. Je me dis : le meilleur chanteur, c’est moi. Ce métier est un métier de mégalos, la seule manière d’y arriver, c’est de croire en soi comme du béton et de bosser tous les jours. On a vraiment envie de s’en sortir».
Si Carte de Séjour continue sur sa lancée, non seulement le groupe s’en sortira, mais surtout, il risque fort de créer un précédent et ça, c’est vraiment important. Pour l’instant, le groupe s’est assez peu produit sur scène : quelques passages dans la région, un autre dans l’« Usine » de Pierre Vassiliu à Montagnac et une brève apparition au Rose Bonbon. Carte de Séjour porte en lui un potentiel énorme et il ne tient qu’à lui de l’exploiter. Le même soir, j’étais au Palais d’Hiver de Lyon pour un concert des Undertones organisé par Scorpio. Le Palais d’Hiver ressemble un peu au Bataclan avec son bar dans le fond et ses odeurs de bière. That’s rock and roll. La veille, j’avais baillé sur Genesis avec les néo babas lyonnais dans la bulle bétonnée du Palais des Sports: une expérience rare, heureusement.
Dans les coulisses du Palais d’Hiver, après le concert, mes confrères rock de la presse quotidienne lyonnaise interviewent Feargal Sharkey. Moi, je traîne, mon carnet à la main. J.-P. Pommier est venu vers moi : « Faut absolument que tu discutes avec Emmanuel ( De Buretel: NDREC) et Nicolas des TPE ». TPE?… Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat, bien sûr. Quel rapport avec le rock à Lyon ? Mais enfin, il faut vraiment tout vous expliquer. À Lyon (ça doit faire au moins la quinzième fois que j’entends la rengaine), le club, façon Rose Bonbon ou Bains Douches, n’a pas d’équivalent. Essayez donc de caser un petit concert du genre Soft Cell ou Cure d’il y a deux ans dans les salles traditionnelles de la ville. Au Palais des Sports, par exemple, qui contient 10 000 places, ou au Palais d’Hiver qui en contient plus de 3 000 ? Impossible. De même pour La Bourse du Travail (2 200 places), la salle Rameau (1 200 places) ou la salle Molière (700 places). À l’ENTPE., par contre, il y a un superbe petit auditorium d’environ 400 places qui convient parfaitement à ce genre de spectacle, à condition de trouver un couple d’élèves dynamiques et branchés qui accepte de tenir en main une association de concerts. Voici pour la Génèse de Tipie productions. Emmanuel et Nicolas ressemblent fort à des étudiants très sages, des premiers en tout, comme on dit. Ils auraient pu être passionnés par le classique ou le néo-folklorique et ne programmer que ce genre de show dans leur petite salle. Heureusement pour le rock lyonnais, il n’en est rien. L’administration leur laisse des montagnes de latitude pour tout ce qui touche à la programmation des gigs. Ce qui leur a permis d’organiser quelques concerts intelligents, comme Orchestral Manœuvres, Tuxedo Moon, Indoor Life, DAF, etc.
L’ENTPE a son campus situé à Vaulx-en-Velin, ce qui pose un léger problème de transports. On se débrouille : nos deux Tipistes ne manquent pas d’imagination. Ils veulent organiser une Transmusicale lyonnaise baptisée «Scène Lyonnaise: Quelques cartes postales ». Pour sélectionner leurs groupes, ils ont placé une grosse boîte transparente chez Music Land où les groupes peuvent glisser leur cassette. Il ne restera plus qu’à trier. De toute façon, un certain nombre de groupes de Lyon a déjà eu l’occasion de se produire sur cette scène en première partie des concerts de Fad Gadget, Snakefinger ou A Certain Ratio. En contactant directement les agences anglaises, Emmanuel est parvenu à court-circuiter Paris. Emmanuel est un rock and roll esthète, il a aussi l’incroyable chance d’échapper à la pression des critères commerciaux. L’ENTPE est une splendide école, mais elle est paumée dans un incroyable cimetière de béton. Les élèves n’ont guère le choix, après Math Sup/Math Spé, ils viennent ici passer trois ans de leur vie pour obtenir leur diplôme d’ingénieur: au moins, les concerts leur permettent de s’échapper un moment. Un autre couple d’organisateurs, Feeling, s’est lancé depuis peu dans la production de concerts. Chantal et Arlette sont des dissidentes de Scorpio, elles ont bossé durant quatre ans avec J.-P. Pommier et ont participé à l’expérience du « Rock and Roll Mops ». Je ne pense pas qu’elles désirent concurrencer l’organisation de Scorpio sur les gros concerts à la Police ou Springsteen, mais dans un créneau plus réduit, ces deux nanas speedées et sympathiques peuvent déclencher une saine concurrence (scène concurrence?). La dernière connexion concert à Lyon, c’est une microscopique association: Ecully Music, qui ne bosse que sur les petits groupes français et inconnus. Située à Ecully, l’assoce est complètement supportée et financée par la mairie de droite. La mairie de Lyon devrait suivre son exemple au lieu de tirer dans les pattes des organisateurs de concerts rock: sur ce plan-là, il y a beaucoup à dire. Notamment sur la manière dont elle dispose de ses salles., il paraît qu’il faut quatre jours (sic I) pour nettoyer la salle du Palais des Sports, ce qui espace sacrément les concerts possibles. Un exemple concret: Julio Iglesias a décroché l’autorisation de s’y produire, Lavilliers débarque le lendemain, ceinture! Bien entendu, ça n’est qu’une simple coïncidence si ce chanteur de gauche se voit refuser une salle par une mairie complètement à droite. L’argent n’y fait rien, c’est bien connu. Justement, tiens, parlons un peu des prix de location pratiqués par ces mécènes municipaux, protecteurs des arts. Pour un match quel conque, le Palais des Sports coûte 3 000 F de location. Par contre, pour un concert de rock, c’est l’inflation à la vitesse du mur du son, puisque les concerts sont taxés directement de 12% sur la recette. Faites le calcul vous-même, ça caresse les 6 ou 7 millions d’anciens francs et ça flirte sec avec ce qu’on peut bien qualifier de racket. Pour une municipalité de droite, on dirait que le rock, c’est l’anté-christ de la culture. Regardez ce bel auditorium de 2 000 places à la Part-Dieu. On l’a surnommé le « crapaud » à cause de sa forme très particulière. Le crapaud a coûté plus d’1 milliard de F à la municipalité, donc aux contribuables. S’il n’y a aucun ballet, récital ou concert classique pour élite ménopausée, on peut toujours rêver d’y donner un concert rock? Impossible, vous répondra la municipalité, la salle, dans ce cas, est réservée aux répétitions de l’orchestre de Lyon. Une injustice vaut mieux qu’un possible désordre, mais il y a vraiment quelque chose de pourri dans ce royaume- là!
De retour dans ma chambre d’hôtel, les yeux dans le ciel en trompe l’œil au-dessus du lit, j’écoute la maquette de Mégahertz, le groupe d’un des musiciens de Callas. Mégahertz, c’est Patrick 1 aux voix, Patrick 2 à la boîte à rythmes et Wert à la guitare et aux claviers. Leur musique très électronique est aussi extrêmement radiophonique. Parmi les nouveaux groupes de Lyon, le trio se place dans le peloton de tête avec leur tentative de faire passer les sentiments et une certaine image d’une naïveté retrouvée. Mégahertz, c’est la salade de mon menu musical lyonnais. Je les retrouve au petit troquet formica face au pont de la Feuillée. Face à moi, Patrick 1 et 2, et sur la table, l’inévitable carnet de notes. « Ce qu’on fait n’a rien de politique. On peut rêver en 81 sans sombrer dans le mysticisme gaga; le rock doit assumer son passage à l’âge adulte. Tu comprends, si on ne raconte pas la rue ou des histoires de petites amies, on vous taxe d’avant-gardiste. On oublie trop souvent ceux qui sont passés avant nous et qui savaient créer de belles choses. On aime l’Illiade et l’Odyssée et la fascination qu’exerce l’électricité : le séquencer et la boîte à rythmes sont super, ces machines marchent seules, mais si on les double pas d’un percussionniste humain, le résultat obtenu sonne aussi creux qu’un computer vide, sans âme. (sans programme…) La vie à Lyon, c’est le fric et les coffres forts. Il n’y a aucune élévation ici, la seule échappatoire, c’est la musique ». Mégahertz répète dans une chapelle désaffectée, cela n’est pas très surprenant si on écoute sa musique :
« Je veux y croire contre le temps, contre le vent, sous la misère qui fait son lit ».
Pour trouver la porte du ghetto, Carte de Séjour a choisi l’identité. Pour Mégahertz, la clef, c’est la poésie parce qu’ils ont la chance de maîtriser une base intellectuelle.
Après une babasse (traduire un flipper), je quitte Mega pour aller retrouver Tintin Reporter dans un local habituel, l’arrière boutique d’un magasin de meubles. Ils sont très mignons les Tintin Reporter avec leur look d’étudiants trop sages. Valérie, la chanteuse/claviers, et Frédéric, l’autre chanteur et bassiste, sont frère et sœur. Rémy à la guitare et Phil, le saxo, complètent la formation. Leur musique a la fraîcheur d’une cigarette mentholée et s’ils décident de se mettre à bosser, le résultat n’en sera que bien plus surprenant. Tintin s’est un peu inspiré des B 52’s et des Tokow Boys. J’ajoute que Valérie est charmante et que son frangin ressemble irrésistiblement à Buddy Holly. Ces jeunes gens ont un sens très développé de l’esthétisme, qu’il soit visuel ou musical, il ne leur manque qu’un tout petit brin de technique.
Un autre local, un autre groupe: celui-ci porte le nom d’une arme, les Berettas, et pratique une musique aux frontières de Clash et d’autres new-waveux. Leurs textes sont assez violents, plus violents encore que leur musique. Pourtant, ça balance pas mal chez les Berettas et ils ont l’immense avantage de chanter en français. Leur rock nous dessine des images de guerre et caresse l’inquiétant entre deux déchirements de guitare. Les Berettas sont bien en place, même si, chez eux, ça n’est décidément pas très gai.
Avec Floo Flash, j’entame ma série «et pour quelques groupes de plus ». Ces anciens de Dialyx font une musique très mod, aux racines 100% britanniques. Ils tournent depuis plus d’un an et se sont offerts quelques premières parties comme celle de U 2. Dommage que Floo Flash sonne un peu trop Starshoot. Cathy Menthol s’est dissout, dommage car son côté pop-Police ne manquait pas de mordant. Tales pratique une musique colorée et assez progressive, Johnny, son chanteur, me rappelle un peu Meat Loaf avec sa grosse voix. Tales, comme Callas et un certain nombre de groupes, rejette son identité lyonnaise. L’extraterritorialité fait rêver, Johnny me raconte qu’il est écossais… yeah… Inserts, le groupe de Nicolas des TPE, pratique l’électronique au forcing. Ça sonne très Human League avec synthés et une superbe boîte à rythme. Depuis le début de cette bafouille, je ne vous ai pas trop parlé de hard rock. Il existe pourtant un groupe excellent dans le genre, dans la grande foulée Iron Maiden et autres héros métalliques, voici Scum et son chanteur britannique (un vrai), Wayne. Wayne est l’ancien chanteur de Slaughter and the Dogs, un ex-punk reconverti au hard rock, qui connaît bien son affaire. Astrid pratique un hard rasoir et Fuel cultive des vocaux pop légers à la PC Beat, etc.
Les groupes lyonnais ne pêchent pas par le nombre. L’éternel problème, c’est l’absence de petits clubs. Après l’expérience du Mops, Pommier voulait reprendre le Palladium, une discothèque ringardos de la Part Dieu. Ça n’a pas marché et cette histoire a continué de galoper dans sa tête ; puisque Scorpio vient de récupérer la gérance du Palais d’Hiver, pourquoi n’ouvrirait-il pas un petit club dans les sous-sols? J.-P. rêve d’édifier un projet ambitieux, un rock center pour toute la région, son Palais d’Hiver lui en donne l’espace, et il vient juste de passer un accord avec Entée, une grosse boîte de sono anglaise qui travaille, entre autre, sur les tournées de Police, Grâce Jones et le festival de Reading. Entée aménagerait donc le West Side Club et stockerait en échange 40 KW de sono pour couvrir les besoins français. Avec « Le Château », son prototype de scène démontable, il peut couvrir n’importe quel concert. Pour finir de nous brosser le tableau de son rock center, il faut évoquer les autres projets annexes comme des locaux de répétition, un studio de maquette, un fast food, une station de radio et, à long terme, un petit label indépendant. S’il mène son projet jusqu’au bout, Pommier risque fort de révolutionner les habitudes lyonnaises. Tant mieux. Ainsi, Lyon pourra enfin échapper à sa réputation de ville endormie, de ville estomac où l’on prend le temps de digérer. Si je m’y suis peu ennuyé, c’est grâce au capital humain qui fructifie dans cette ville, pas à cause de ses infrastructures. Dans mon café du quai de Bondy, j’écoute les conversations autour de moi. Derrière, on discute musique: «…je me souviens lorsque la Callas chantait Desdémone à la Tosca ». Et on se donne du cher ami, et on se balance des hommages-madame à la cantonade. Ces gens d’un autre siècle sont, hélas, plus représentatifs de Lyon que tous les groupes que j’ai croisés. Le conservatisme bon chic engendre un gouffre d’ennui, dommage qu’il fleurisse autant des traboules aux fleuves. Lyon ressemble à ses tramways: une plastique à la Decaux 80 et déjà complètement désuets. Et ça ne changera que le jour où l’autre Callas, l’électrique, se produira à la Tosca : on peut toujours rêver.
Un grand merci à Jean Claude Chuzeville photographe et fondateur de Radio Bellevue pour nous avoir offert ses archives incroyables
Publié dans le numéro 161 de BEST date de décembre 1981
whaooooo ; tiens gerard ; Peter petersen, viens de terminer l’ enregistrement d’un album avec une legende des 80 s , dave Formula de Magazine = sur you tubes
affection place official : IL y a plusieurs clips inside …
https://www.youtube.com/watch?v=utQUzBjB2kA
https://www.youtube.com/watch?v=t60rL-TEcFU
enjoy
michel
Thanx Michel je vais checker bien sur….et n n’hésites pas à forwarder l’article à Peter
un article qui me renvoi dans les années 80 . dommage qu il y ai quelques coquille comme : le groupe de john fernie c etait les tales et non pas les taies etc ….. mais la lecture m a replongé a l entpe au west side etc …. merci