SO LONG RACHID TAHA MON FRÈRE
« Rachid Taha décédé cette nuit d’une crise cardiaque durant son sommeil »…Putain…il est 8 heures du mat, je me réveille à LA avec 9 heures de décalage horaire pour trouver des messages de ma femme et de me proches m’annonçant que mon frangin était parti. Il devait fêter ses 60 ans sur la scène de l’Opéra de Lyon. J’ai du mal à écrire tant mes yeux sont brouillés par les larmes.
En juillet dernier, j’étais encore chez lui aux Lilas. Rachid achevait son album avec son fidèle complice Yves Fredj Aouizerate, mais il tenait absolument à ce que nous fassions une interview pour parler de ses groupes de rock favoris tout autour de la méditerranée en Égypte, en Algérie, au Liban, en Iran même. ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/rachid-taha-presente-ma-discotheque-de-meteques.html ). J’entends encore le rire de Rachid résonner à mes oreilles face à mes réactions. Rachid et moi c’est une très vieille histoire. Au tournant des années 80 j’étais à la fois journaliste à BEST et à Actuel. Élisabeth D, la soeur de Phil Pressing, le batteur de Starshooter, avait écrit un tout petit papier dans le mag de Jean François Bizot sur ce nouveau groupe lyonnais qui mêlait ses racines nord-africaines, le rock et le reggae. Une ou deux semaines plus tard, Christian Lebrun, le rédacteur en chef de BEST, me dépêchait à Lyon pour enquêter sur le rock local. Et, bien entendu, en plus des Starshooter, Electric Callas et autres Marie et les Garçons, j’avais tendu mon micro à Carte de Séjour, qui n’avait même pas encore publié son tout premier maxi, l’imparable « Zoubida » sur le petit label indépendant Mosquito fondé par Bernard Meyet. Jamais je n’ai oublié cette première rencontre. C’était la première fois de ma vie que j’assistais à une répétition d’un groupe de rock…au dernier étage, sous les combles d’un immeuble en lieu et place de la cave habituelle. Mais il n’y avait rien d’habituel chez Rachid Taha. Première tournée de Carte à travers l’hexagone, je nous revois encore Rachid et moi sur le bord de la route en train de gerber nos tripes à cause des virages des départementales de campagne qu’empruntait le mini bus du groupe. Plus tard, lorsque Carte a publié son « Douce France », j’avais joué les lobbyistes pour que le jury du Bus d’Acier, le Prix du Rock français, auquel j’appartenais, décerne sa récompense à Carte de Séjour comme une baffe balancée aux fachos émergents du Front National. Au fil des albums et des concerts, j’ai toujours suivi Rachid. Et lui de son côté à toujours fait preuve d’une indéfectible amitié à mon égard. En 97, pour la compilation CDS-Rachid Taha « Carte Blanche », Rachid m’avaitdemandé de rédiger la bio qui accompagnait le double album et comme les bandes master du premier 45 t ours « Rhorhomanie/ Zoubida » avaient été égarées, c’est mon maxi qui a servi de bande master pour sortir le CD. Rachid était sans doute le seul à rire de mes blagues à deux balles comme « Allah Akbar…David » 😉 Juste avant de partir pour LA, Rachid m’avait téléphoné pour que je vienne écouter son nouvel album et assister au concert de Lyon. Hélas, j’avais dû décliner regagnant Paris le jour même du show. Je lui avais dit : t’inquiètes, je passerai chez toi aux Lilas à côté de chez moi pour l’écouter ». Aujourd’hui, Rachid est parti au ciel et mes yeux sont voilés de chagrin. So long my brother, tu seras toujours dans mon coeur. J’étais si fier de toi et de ton incroyable parcours aux côtés des plus grands comme Steve Hillage, Mick Jones du Clash ou encore Carlos Santana. Infinie tristesse…
Flash back…voici la bio de 97 qui accompagnait « Carte Blanche »….
De ses obscures “traboules” lyonnaises aux clubs techno-swinguants de Londres, de son Orient si orienté à Paris ville lumière, il nous fait voyager de tous ses métissages nomades.
D’abord avec son groupe emblématique Carte de Séjour puis en solo, Rachid Taha, a toujours dopé aux BPMs le moteur explosif de ses fusions successives:
du reggae/rock/raï des débuts pionniers de Carte en passant par le funk arabo/gaulois, puis les séquences ethniques épurées, l’acid-jazz épicé, jusqu’aux arabesques technoïdes de “Olé Olé”, son tout dernier CD.
Contre vents racistes et marées médiatiques, le jeune beur n’a jamais renié ses convictions, jouant l’intégrité et le respect de ses cultures, la provoc et la controverse là où tant d’autres sacrifient leurs idéaux.
Mais depuis ses débuts en 82 Rachid, Aladin caméléon du groove hexagonal ne nous en a t’il pas toujours fait voir de toutes les couleurs?
Pour la première fois, le bon génie de la lampe digitale les a réunies sur ce “Carte Blanche”, en complète vision panoramique de l’excellent groove de Taha à travers le temps.
Au tournant des années 80, dans sa quête inlassable de modernité, le défunt mag Actuel “découvre” Rachid et sa bande de copains. Sous les toits de Lyon où ils répètent, les CdS inventent sans le savoir un des futurs de la world-music. “Zoubida”, l’histoire de cette beurette déjà en quête d’égalité sexuelle et sociale, dans son cocktail reggae/rock after-punk directement inspiré de Police, injecte l’élément oriental qui fera toute son originalité.
Lorsque le maxi est publié sur le label indépendant Mosquito de Bernard Meyet , la presse musicale peut très justement se demander si, en fin de compte, les beurs ne seraient pas nos rastas à nous?
Deux ans plus tard, en 84 le premier album “Rhorhomanie” marque la rencontre avec le producteur Steve Hillage. L’ex Gong, après avoir surfé avec succès sur la vague New wave des Simple Minds et autres Gang Of Four, entraînera CdS puis Rachid au coeur même de la sono mondiale. Pour l’heure “Rhorhomanie” célèbre le “rhor, cette langue neuve de la seconde génération immigrée, née de l’arabe classique et du français. Avec ses guitares à la INXS, “Rhorhomanie” invente l’arabic funky.
“Bleu de Marseille”, plus de dix ans avant la “planète Mars” d’IAM célèbre le beat bigarré de la cité phocéenne. Sur le thème “l’herbe est toujours plus verte de l’autre côté”, Carte balance son irrésistible ska pop et guilleret. Premier succès, ce “Bleu” sera aussi celui de l’espérance face aux premières “réticences” des FM à programmer un groupe aussi peu “formaté”.
En 86, lorsque Carte de Séjour à la veille de la sortie de son second album, baptisé “2 1/2”- le premier Maxi comptant pour “1/2”- l’extrême droite distille hélas déjà largement ses thèmes ouvertement haineux. Rachid réagit en revendiquant son héritage français, né de son sang “colonisé”
et de ce sol qui est sien depuis l’enfance. Il reprend comme un dù le “Douce France” de Trénet et en chantant “Il revient à ma mémoire des souvenirs familiers…” ce texte terroir prend soudain une dimension toute autre. Subjugué, Jack Lang Ministre de la Culture distribuera le single symbole à tous les membres de l’Assemblée Nationale.
Cette même année, Carte de Séjour s’imposera au Bus d’Acier 86 raflant le prix du rock français .
Mais à la fin des 80’s, le rock français est en crise. Les groupes s’atomisent et CdS n’y survivra pas.
Rachid chanteur solo émerge en 1990 avec son premier album à l’ intitulé clin d’oeil: “Barbés”. La chanson qui offre son titre au CD projette son symbole sur le speed bigarré de son riff aéro…bic .
Aujourd’hui, Tati investit la place Vendôme, preuve que décidément Taha anticipe largement le flux de la mode.
“Bled”, sur la même galette, flirte avec l’acid-jazz tendance soul profonde des Brand New Heavies et d’Incognito.
Rachid y pratique le métissage franco-arabe en talk-over. Il amorce son évolution vers la scène des clubs.
Près de dix ans après leur précédente collaboration, Rachid et Steve Hillage se retrouvent sur la même longueur d’ondes cosmique. Steve a fondé System 7 et réalise des séquences pour the Orb. Rachid de son côté s’est totalement immergé dans cette nouvelle club culture.
Parallèlement en France, les années “Touche Pas A Mon Pote” sont révolues. Le chômage et les fausses réponses aux vrais problèmes qu’offrent la montée de l’intolérance inspirent à Rachid “Voilà voilà…”, sans doute son titre le plus engagé à ce jour. Arabo-techno-funk ultra vigoureux, au rythme militant entêtant qui fustige l’oubli, pulse sur les HP comme le plus groovy des signaux d’alarme.
“…étranger tu es la cause de nos problèmes/ moi je croyais que c’était fini/mais non, mais non,cela n’était qu’un répit…”, car sur la “douce France”, la haine raciale aveugle avance inexorablement.
De même, “Indie” composée et chantée en duo avec le funky Bruno Maman offre son mélange culturel inédit où le français, l’arabe, mais aussi l’hindou et l’anglais se fondent dans la transe, en espéranto débordant d’espoir.
Sur le même album, “Malika” entraîne Rachid sur la piste sensuelle et énergétique de l’ambient groove. Les séquences de Steve Hillage tracent leur beat lancinant…voire hallucinant.
En 82, dans la chanson de CdS “La Moda” Rachid tançait ces beurs qui se décoloraient les cheveux en se faisant appeler “Lucien”, pour échapper à la sélection anti-faciès des videurs de boites . 13 ans plus tard, un Rachid peroxydé, “aryanisé” blond comme les blés et aux yeux bleus/ lentilles de contact, s’affiche provoc sur la pochette de son 3éme album solo “Olé Olé”. Et dans la même veine que “Voilà Voilà”, il lance “Non Non Non” une “protest-techno” où, sur la cadence emballée d’un trip hop fulgurant, il mitraille son ras le bol contre le chômage et l’inégalité, contre les fausses promesses affichées au fronton de nos édifices publics:
quelle liberté? quelle égalité? quelle fraternité?
Chaloupée guitares acoustiques et boites à rythmes, “Valencia”, inspirée du roman “Le désert” de Le Clezio, a les couleurs pastels de l’après acid-jazz british façon Galliano. Trip hop jungliste et surf music des 60’s se retrouvent sur le titre clin d’oeil à Quentin Tarentino “Jungle Fiction” où une trompette mariachi percute le mur du son à plus de 150 BPM. Enfin, “Kelma” en percus syncopées fond le rock and roll façon Bo Diddley dans la “djill music” égyptienne.
Si les 20.000 premiers exemplaires de “Carte Blanche” sont dotés d’un second CD bonus de cinq remixs techno-infernaux dont l’inédit “Rhorhomanie”, il ne faut rien présager de l’évolution de Taha.
Après toutes ses explorations du son, Rachid semble revenir à ses racines arabes classiques Son futur quatrième album solo est encore en projet, mais il devrait être constitué de reprises traditionnelles de chansons orientales.
D’ailleurs “Ya Rayah”, extraite de l’album de 93, ouvre de son bendir, de ses ouds, de ses violons, de ses derbukas cette “Carte Blanche”. Premier single de la compile, tous les fastes de l’orient s’y retrouvent pour mieux nous alpaguer coté coeur comme dans ces films égyptiens où l’amour sera toujours la seule vedette.
De la punkitude ethnique de “Zoubida” jusqu’au retour à la tradition de ses racines ancestrales avec “Ya Rayah”, la boucle est bouclée comme le passé peut se fondre dans le présent pour inventer le futur.
Pour accompagner « Zoom », le dernier CD de Rachid publié en 2013, j’avais réalisé cet entretien….
RACHID TAHA : En plein dans la cible
Mi-novembre 2012, Rachid Taha accompagné de son groupe répète les chansons de son futur album « Zoom » dans un petit local de la rue Boyer, dans le XXéme arrondissement. SI le CD ne sera publié qu’en mars, le concert prévu aux Transmusicales approche à grands pas. Très vite, un rock aussi musclé qu’épicé remplit la pièce. Et si Rachid ne s’agite pas autant qu’à l’accoutumée, c’est qu’il souffre d’une hernie discale. Pourtant, depuis l’aube des 80’s et ses tout débuts avec Carte de Séjour dans la chambre mansardée sur les hauteurs de Fourvière où il a créé le son de son premier maxi quatre titres, Rachid a toujours fait autant d’étincelles qu’un briquet électronique, une sorte de Presley doppé à l’harissa, ondulant du bassin – le fameux pelvis d’Elvis- avec autant d’énergie que de sensualité. Aujourd’hui et depuis des lustres, le son de Rachid n’a sans doute jamais été aussi rock, un style rugueux sudiste forcément orienté qui nous mène des plaines du Texas aux bayous de la Louisiane. Et si à ses côtés, les musicos se déchainent avec puissance et précisions, un maillon essentiel fait pourtant défaut : Mick Jones, le légendaire guitariste et génie des Clash, qui contribue pourtant largement pour que l’aventure « Zoom » rocke allègrement le grand souk planétaire.
Car sur disque, comme sur scène, le guitar-hero londonien met sa gratte au service de Taha sur une grosse partie des titres. Comment l’auteur de « London Calling », « Revolution Rock » ou « Radio Clash » a t’il rejoint le chanteur de « Douce France » et de « Yah Rayah » ? Taha nous avait livré une reprise incendiaire de « Rock The Casbah » en 2005, rebaptisée « Rock El Casbah ». Et lorsqu’on lui décerne un Brit Award pour son album « Tekitoi », c’est justement la veuve de Joe Strummer qui lui remet le trophée. Hélas, Strummer a déjà définitivement quitté l’hôtel du rock. Mais Rachid et Mick Jones se rencontrent et la complicité est immédiate. Après Steve Hillage qui a produit la plupart de ses premiers albums solos, Rachid s’est trouvé un nouveau mentor en la personne de Mick Jones. Le musicien ultra-créatif qui avait enchainé le métissage pulsé de Big Audio Dynamite à la révolte multicolore des Clash n’a jamais cessé de faire avancer la cause du rock. N’a t’il pas encore réalisé les albums des Libertines au milieu des années 2000 ? Voici deux ans, il se produisait déjà avec Taha pour un concert exceptionnel donné à la villa Médicis à Rome. Capturé entre Les Lilas, Paris et Londres, ce nouvel album est réalisé par l’anglais Justin Adams, le guitariste-entre autres- de Robert Plant. Rachid se ménage une pause clope et lorsqu’on lui fait remarquer que ses nouvelles compositions sonnent particulièrement yankee, il rétorque : « Ce nouvel album je voulais qu’il soit la rencontre d’Oum Kalthoum et d’Elvis Presley. Un voyage américain aussi, un trip. »
Trois mois plus tard, le « trip » s’est réalisé, nous retrouvons Rachid chez lui aux Lilas, quelques jours après son opération du dos. Si le chanteur ne semble pas trop souffrir, il se soigne activement « au naturel », dégustant un verre d’un excellent Bordeaux. Lorsqu’on lui demande depuis combien de temps est il installé dans cette maison qui compte un studio d’enregistrement au sous-sol, il réfléchit et calcule dans une drôle unité de mesure : ses liaisons sentimentales !
« Attends…je calcule par femme », réplique Rachid Taha, « A raison de trois ans par compagne, vu que j’en ai eu deux…ça fait six ans….mais avec les périodes de séparation …on va dire bientôt neuf ans. »
On évoque le nouvel album que j’ai eu la chance de le voir répéter et ma première impression était la bonne : c’est son album le plus rock depuis …Elvis Presley !
« Ca tombe bien, c’était un peu un hommage. » souligne le chanteur
Pourquoi ce retour à cette soudaine énergie rock ? Car si elle a toujours été présente, par moments elle était plus ethno-world, d’autres plus électro …là c’est vraiment une rage rock and roll. A l’ancienne. Genre Hank Williams comme c’est écrit dans la bio non signée. Rock and roll USA, sudiste même…on s’attendait même à vous voir avec des cow-boy boots, le chapeau et même le cheval…car l’album a parfois des côtés presque country !
Le visage de Rachid s’illumine d’un large sourire : « Nul n’ignore que cela a toujours été une de mes musiques favorites depuis toujours, ces sons sont un voyage, par leur coté vacher. Pas cow-boy car c’était vulgaire : au début les cow-boys c’étaient les méchants, c’étaient des voyous. Au départ ce n’étaient pas des gens bien. Le terme est apparu à l’époque de Tombstone et de OK Corral ; les cow-boys étaient des détrousseurs, des bandits de grands chemins qui dévalisaient les diligences. Donc on va plutôt dire country & western ! »
Pourtant le producteur du CD, Justin Adams, est anglais et guitariste de Robert Plant, pas vraiment un yankee pur bourbon !
« C’est un british, c’est vrai » précise Rachid, « Mais il aime cette musique, comme beaucoup de musiciens rock, ça fait partie de nos racines. Quand tu parles à des gens comme Robert Plant ou Brian Eno ou encore David Byrne, il y a cette influence commune c’est Elvis Presley ! Elvis est aussi le point commun des Clash, il suffit d’observer la pochette de « London Calling ». Pour moi Elvis est 100% country, 100% rock and roll, 100% rythm & blues, 100% soul, il est 100% tout. Moi j’ai découvert Elvis j’étais tout gosse, dans les films en Algérie. Dans les cinémas en plein air. Il y avait trois sortes de cinémas : le cinéma Américain, le cinéma indien et le cinéma égyptien. Mais les trois avaient un point commun : il y avait toujours du chant. Et la base de toute cette inspiration c’était Hollywood, avec les comédies musicales de Vincente Minnelli et tout ça ! »
Pourquoi ne pas avoir rallié Memphis ou à Nashville, enregistrer avec des bouseux du coin un album pur country ? Pourquoi être allé chercher des Brian Eno ou des Mick Jones, est-on tenté de demander à Rachid ? Mais cohabitué au personnage, nous connaissons déjà forcément la réponse : nul besoin d’aller outre-Atlantique pour faire de la country ….surtout pour délivrer de la country « harissa » ! Car le chanteur n’oublie jamais d’où il vient. Alors, il a choisi d’enregistrer chez lui, à la maison, et aux studios Real World de Peter Gabriel à Bristol où Adams et lui ont déjà imprimés leurs marques.
Dés le premier titre « Wesh » on plonge directement dans un son acoustique à la Johnny Cash, incontestablement aussi un de des héros du fameux Lilasien ? Il avoue alors avoir écouté énormément de country avant de se lancer dans ce 9éme album solo, des artistes tels que Kenny Rogers, Willy Nelson, Kris Kristofferson et Dolly Parton !
« J’en écoute toujours. Ca me colle à la peau. » avoue-t’il, « Dés que j’écoute de la country, je me sens devenir Américain comme si je portais le chapeau, les santiags…le bolow tie. La country a toujours été présente dans la musique en France …regarde Joe Dassin qui faisait de la country Ce type c’était la classe. Sa version de « Ode To Billie Joe » de Bobbie Gentry, « Marie Jeanne », était un pur chef d’œuvre ! J’ai failli reprendre cette chanson d’ailleurs et je pense qu’on la fera sans doute sur scène. » Encore plus proche du Rio Grande, Rachid Taha nous entraine dans la moiteur des bayous avec « Les Artistes », il nous fait déguster le gumbo pimenté de sa composition « Fakir » avant de nous projeter tumbleweeds et cactus avec la délicate « Galbi » aux guitares « western-couscous » à la Ennio Morricone, une chanson influencée par le cinéma japonais heroïque de Kirosawa…lequel à lui-même inspirée Sergio Leone : la boucle (de ceinturon) est bouclée. « Zoom » n’est décidément pas avare de références, encore faut il en détenir les clefs.
Prenez « Jamila », par exemple : portée sur un lit de guitares électriques légendaires où officient le style et la voix si caractéristiques de Mick Jones, elle incarne, dans ces temps troubles, l’inexpugnable désir d’indépendance de la jeune fille du 21éme siècle. Celle qui refuse désormais qu’on lui dicte ce qu’elle doit porter sur elle et dans sa tête. Mais si l’on connaît un tant soit peu la musique de Rachid, on sait bien qu’elle est aussi…la petite sœur de Zoubida, cette chanson sur le tout premier maxi 45 tours de Carte de Séjour au tournant des années 80 où une jeune beurette exigeait rien de moins que sa liberté. « Jamila est une Zoubida qui a grandi. C’est comme une jumelle qui revit la même chose mais trente ans plus tard. J’ai repris pratiquement les mêmes mots. Et elle revit la même chose, la même rébellion contre le machisme dans la société. »
L’autre composition « pierre angulaire » de ce nouvel album est incontestablement « Ana » qui signifie « moi ». Car si musicalement son style évoque ceux de Hank Williams ou de Buddy Holly, dans la chanson Rachid proclame que « s’il est de toutes les saisons, de toutes les couleurs…il est surtout le Printemps », en référence directe au désormais légendaire printemps arabe.
« Je commence en chantant « je suis le printemps » et après, je dis que je l’avais prévu depuis longtemps ! Au printemps ils ont semé la démocratie ….Et l’été ils ont récolté la « barbuecratie » ! », s’insurge notre rockeur, « Pour moi ce sont des lâches, ce sont des fachos, des espèces de connards de merde qui profitent de la pauvreté, du chômage mais aussi du courage des autres qui se rebellent vraiment et ils arrivent comme si c’était eux les héros alors que ce sont des ploucs, des planqués qui suçaient le régime, plutôt les régimes pour continuer à exister à tout prix. C’est vrai que « les printemps arabes » ont semé des graines qui ont généré cette forme de fascisme. Et ceux là, ils ne devraient pas être au pouvoir. Ils ont volé la Révolution. C’est la même chose en Tunisie, c’est la même chose en Egypte, ; en Libye, on les a aidé à chasser Kadhafi . Là ils se rendent compte c’est quand tu vois la guerre au Mali. Ce qui se passe en Algérie et avec Al Quaida et AQMI. C’est la merde en Syrie, c’est la merde en Irak , la merde à Bahrein, la merde au Pakistan… »
Et Rachid continue à s’insurger, il raconte que dans un reportage diffusé à la télé, on voit en Tunisie d‘anciens vendeurs de souvenirs travestis en dévots métamorphosés en revendeur de bondieuseries qui expliquent : nous, on ne veut plus des touristes occidentaux, on veut des saoudiens, des emiratis… pas des occidentaux dénudés et alcoolisés…nous, on veut du tourisme halal !
« Ils n’en ont rien à branler de venir en Tunisie ! D’abord ils ont mieux chez eux et surtout, ces mecs mêmes là qui prônent l’intégrisme musulman, le salafisme et tout, ceux-là ils, ne vont pas passer leurs vacances chez les salafistes …ils vont à Monaco ou Porto Rico, ils vont à Paris, ils vont au George V, ils se tapent des gamines au Maroc. Qu’est- ce que tu veux qu’ils aillent faire en Tunisie ! Et après s’être tapé des gamins, ils retournent chez eux faire la prière etc…alors que ce sont eux comme les saoudiens qui ont inventé le salafisme ! Et ce sont toujours les saoudiens qui hébergent Ben Ali…tu te souviens d’Amin Dada, il est chez eux lui aussi et si Moubarak avait pu se tirer, il serait aussi en train de se dorer la pilule au soleil d’Arabie Saoudite ! »
La révolte de Rachid est loin d’être tombée de la dernière pluie : des années avant le « printemps arabe », en 2004 déjà sur son CD « Tékitoi »- où l’on retrouvait justement l’insurgée« Rock El Casbah »-, il interprétait des chansons comme « H‘asbu-Hum », où il évoquait déjà le sort de tous ces dictateurs en disant : « il faut les arrêter, il faut les juger …il faut renverser ces gouvernements ! » Rachid est sans doute l’un des rares artistes musulmans a avoir osé dénoncer tout ça dans ses chansons. Mais pour le moment, il ne paraît guère optimiste. Pour lui le printemps arabe est un printemps amer… qui ressemble plutôt à un hiver glacial.
Et pour mieux enfoncer le clou, le chanteur n’a-t’il pas choisi d’achever son album avec un bouquet explosif de feux d’artifices : une cinglante et rock reprise de sa propre composition « Voilà voilà » publiée sur son second album solo millésimé 93. A l’époque, si la chanson dénonçait de nombreuses formes de racismes et de fascismes, elle arrivait en réaction à l’irrésistible ascension du Front National et de son leader cyclopéen…et, hélas, comme un clairvoyant présage d’un certain et honteux 21 avril 2002.
« Voilà, voilà, que ça recommence
Partout, partout et sur la douce France
Voilà, voilà, que ça recommence
Partout, partout, ils avancent
La leçon n’a pas suffit
Faut dire qu’à la mémoire on a choisi l’oubli
Partout, partout, les discours sont les mêmes
Etranger, tu es la cause de nos problèmes
Moi je croyais qu’c’était fini
Mais non, mais non, ce n’était qu’un répit »
Plus de dix ans après, et dans un contexte tristement élargi des fascistes à la menace intégriste, « Voilà Voilà » n’a fait hélas que gagner en puissance. D’où l’urgence de cet auto-cover à la rage rock décuplée par la présence des stars Brian Eno et Mick Jones, où la poudre rencontre les allumettes. Le guitariste de Clash s’est énormément investi sur cet album, n’hésitant pas à jouer les fines lames sur près de la moitié des titres – y compris le joyeux « Algerian Tango » hommage au « Libertango » de Grace Jones où il assure également les chœurs-. Pourtant, Mick traverse une période délicate de sa vie perso, se débattant dans les sables mouvants d’un divorce compliqué. Mais les rock stars britishs ne nous ont elles pas souvent habitués à de tels clashs matrimoniaux ? Cependant, « Voilà voilà » est une chanson vraiment à part…
« Mick était fou de joie, car c’est un sujet qui le touche particulièrement. Il a toujours lutté contre toute forme de discrimination » insiste Rachid, « Quant à Brian (Eno), même si on n’a pas toujours conscience qu’il soit très politisé, en fait il est extrêmement militant. Les anglais ont cet avantage sur les artistes français : ils sont vraiment autant à fond dans le rock que dans la politique. Et avec eux, les deux se confondent souvent. »
Dans la foulée de « Zoom », Rachid Taha épaulé par le pistolero Mick Jones ne manquera pas de toucher sa cible et il le prouvera dans le feu d’un live donné le 16 mai prochain au Trianon en attendant sa tournée interplanétaire.