LA SAGA RACHID TAHA Épisode 4 : Steve Hillage

Steve Hillage

Steve Hillage
1993
credit: Dister/DALLE

Six ans déjà que Rachid Taha nous a quittés et qu’il nous manque toujours autant. Pourtant, son chaabi-electro-punk-groove-rock-fusion résonne toujours aussi puissant à nos oreilles, comme son propos aussi cool qu’humaniste, sa tolérance et son amour des gens. Aussi, pour tenter de combler ce vide abyssal et lui rendre l’hommage qu’il mérite, j’ai souhaité interroger ceux qui l’ont non seulement accompagné, fidèles entre les fidèles, mais également contribué à édifier sa légende. C’est ainsi que j’ai successivement tendu mon micro à Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay, à Alain Lahana, qui produisait ses concerts planétaires, à Yves Aouizerate, son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans, avant de tendre mon micro à Hakim Hamadouche, qui l’a accompagné de son mandoluth magique sur scène, comme sur de nombreuses chansons et enfin à Gaëtan Roussel, qui a produit son lumineux « Bonjour ».

Épisode 4 : son producteur historique, le légendaire et ex-Gong Steve Hillage, qui a produit durant plus de quinze ans la musique de Rachid, inventant avec lui une fusion inédite electro-blues-chaabi-rock….

Steve Hillage Rachid Taha

Steve Hillage Rachid Taha

L’an passé, j’avais voulu vous raconter la magnifique épopée rock de Carte de Séjour en vous retraçant en trois épisodes la saga de la formation de Rachid Taha, Jérome Savy, Mohamed Amini, Mokhtar Amini et de Djamel Dif ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA CARTE DE SÉJOUR: Épisode 1 de Rillieux à Polac ,   LA SAGA CARTE DE SÉJOUR Épisode 2  et aussi  LA SAGA CARTE DE SÉJOUR : Épisode 3  ). Depuis notre rencontre à Lyon, juste avant la sortie de son premier maxi 45 tours, Rachid était mon ami et il le sera resté jusqu’à la fin. Que cela soit à BEST ou à la télé, j’ai bien souvent documenté la carrière du natif de Saint-Denis-du-Sig, en Algérie ( Voir sur Gonzomusic ROCK À LYON ANNÉES 80  , TRANSMUSICALES DE 1981RACHID TAHA présente MA DISCOTHÈQUE DE MÉTÈQUESSO LONG RACHID TAHA MON FRÈREHommage de son armée mexicaine à Rachid Taha   et aussi RACHID TAHA « Je suis Africain » ). Avec la publication du premier coffret intégral, qui regroupe non seulement les deux premiers LP de CDS, comme les 10 albums solos de Rachid mais aussi un live autour de deux concerts, l’un à Bercy en 1998 durant l’enregistrement du fameux « 1,2,3 Soleils » et l’autre à Bruxelles trois ans plus tard et enfin un album de remixs intitulé « RMX ». En attendant les prochains épisodes avec Hakim Hamadouche et enfin Gaëtan Roussel, voici l’épisode 4 de la Saga Taha !

« Cool de te revoir Steve… tu n’as pas changé !

( rires )

Première question facile : te souviens-tu de la toute première fois où tu as rencontré Rachid ?

Carte de Séjour

Carte de Séjour

( rire ) … bien entendu, je me souviens clairement de ma première rencontre avec Rachid et je vais te raconter toute l’histoire. En 1982, je produisais un groupe Français pour Virgin France, c’était Marc Seberg et j’étais dans leurs fameux bureaux de la rue de Belleville où j’avais rendez-vous avec eux. Et c’est là que j’ai entendu une musique particulièrement surprenante qui s’échappait d’un bureau à proximité de celui où j’avais mon rendez-vous. Je me suis immédiatement levé et je suis allé frapper à la porte du bureau d’à côté d’où pulsait la musique. C’était un truc dingue, que je n’avais jamais entendu auparavant, porté par un beat un peu disco. Un truc chanté de manière presque gûturale, avec un chant qui me semblait être de l’arabe. J’ai donc frappé à la porte et c’est le légendaire éditeur Philippe Constantin qui m’a ouvert. À l’intérieur, il y avait Bernard Meyet, le premier manager de Rachid. Et ils passaient le tout premier maxi 45 tours de Carte de Séjour – publié sur le label Mosquito de Bernard Meyet-. Ils m’ont dit : c’est un groupe franco-algérien de la banlieue de Lyon. Cette musique était tout simplement fantastique car elle m’emportait comme jamais. Je leur ai dit à tout deux : s’il y a moyen de travailler avec un tel groupe, j’en serais particulièrement heureux. Philippe et Bernard m’ont dit : « ah mais, c’est super intéressant Steve, merci pour tout l’intérêt que tu leur porte. S’il y a la moindre opportunité, tu en seras le premier informé ». Et effectivement, six mois plus tard, j’ai reçu un coup de fil me disant : « okay Steve, tu vas rencontrer les Carte de Séjour, car cela les branche bien de bosser avec toi ». J’étais sur un petit nuage. La rencontre a eu lieu dans un petit bled de la banlieue de Lyon où CDS devait donner un concert. Le groupe était déjà là, on me conduit à leur loge. Et dans ces backstages, je découvre Rachid, qui écoutait de la musique algérienne rétro sur son ghetto blaster. Et tout de suite il me lance « hé Steve, heureux de te rencontrer ! ». Et il poursuit en français : « tu dois absolument écouter ce truc… c’est du blues, du blues ! » C’était en fait un enregistrement de Cheikh Mohamed El Anka, qui était un des plus célèbres musiciens pratiquant le chaabi et qui a particulièrement influencé Dahmane El Harachi. C’était mon tout premier rendez-vous avec Rachid et ce fut une complicité instantanée. C’est comme si, dès cette première rencontre nous étions comme frères.

ISteve Hillagel avait écouté Gong à l’époque ?

Oui, il en avait entendu parler. J’ai d’ailleurs découvert bien plus tard qu’il avait ce vieux copain de ses années d’école Jamel qui était un fan total de prog-rock. Or avec le Steve Hillage Band j’étais déjà particulièrement branché par la musique arabe. C’est d’ailleurs ma compagne Miquette, que tu connais, qui m’avait initié. Elle avait souvent voyagé au Maroc et elle m’avait rapporté des cassettes. C’était la première à m’avoir fait découvrir Oum Kalthoum, à l’aube des 70’s. d’ailleurs en 1979 avec le Steve Hillage Band nous avions fait une cover d’une chanson d’Oum Kalthoum mixée avec une de nos compositions. C’est « Earth Rise » sorti sur l’album « Open » et ce pote de Rachid, Djamel avait justement ce disque et il en avait parlé à Rachid lui disant : écoute, il y a ce guitariste anglais qui reprend Oum Kalthoum. Et Rachid lui avait dit ; ce type doit être super intéressant pour faire un truc pareil. Donc, pour répondre à ta question : oui il savait très bien qui j’étais, lorsque nous nous sommes rencontrés.  Et moi, de mon côté, je savais tout ce que je devais savoir sur Carte de Séjour lorsque je les ai rencontrés. On est instantanément devenus des frangins.

Lorsque vous vous êtes rencontrés, dans cette banlieue de Lyon, c’était à l’occasion d’un concert de CDS… qu’avais tu alors pensé de la performance de Rachid en live ?

Carte de Séjour

Carte de Séjour

Oui, j’ai bien entendu adoré le concert. Bien sûr, le groupe était impeccable, mais c’est surtout son chanteur qui m’a scotché : il irradiait littéralement lorsqu’il était sur scène. C’était vraiment quelque chose d’extraordinaire à observer. Je me suis dit immédiatement : ce type est un vrai phénomène. Quel bonheur de pouvoir le rencontrer et de travailler avec lui. Je me sentais particulièrement privilégié de me retrouver en ce lieu et à ce moment-là.

J’ai eu exactement le même sentiment, lorsque je l’ai vu pour la première fois lorsqu’il répétait dans son local sous les toits d’un vieil immeuble de la Croix Rousse à Lyon ! je n’avais a jamais rien vu de pareil. C’était comme si je rencontrais Elvis Presley avant qu’il ne grave son premier acétate.

Dès le tout début, dès ce concert j’ai pu percevoir toutes les qualités quasi shamaniques de Rachid à travers toute l’énergie qu’il était capable de drainer. Et tout le groupe était aussi super, je les aimais tous. Ils paraissaient si unis lorsqu’ils jouaient ensemble.

Les deux frangins Amini étaient fantastiques comme Jérôme le guitariste…

…. Vraiment super aussi. Super mec et super personnalité.

Et Jeff le batteur aussi était aussi cool qu’il savait assurer. Chacun avait vraiment sa personnalité.

Sans oublier le percu qui était aussi super lorsqu’il faisait résonner son bendir. Et Jalal Jallane, le joueur de oud, qui complétait cet impeccable casting.

Donc, tu as produit le tout premier album de Carte. Vous aviez enregistré en France ?Carte de Séjour

On n’avait vraiment pas un gros budget, donc on a tourné sur différents petits studios en France, ce qui n’a pas vraiment été facile, d’un aspect pratique. Mais on s’est bien marrés. Je crois qu’on a fini par faire le mixage dans un petit studio d’Annecy dans les Alpes, le Studio Dagobert. Je me souviens du nom car nous avions baptisé ainsi un de nos chiens en Angleterre.

Le premier album je m‘en souviens particulièrement, car j’avais accompagné Rachid et le groupe pour leur première tournée juste après la sortie de « Rhorhomanie » ; et j’avais été choqué dans certaines villes de voir le disquaire local refuser de vendre l’album de CDs car dixit : ils ne voulaient pas attirer une clientèle maghrébine dans leur établissement…. C’était à gerber. Lorsque tu as bossé avec eux, as-tu assisté à de tels comportements ?

Non, je ne l’ai pas vraiment vu de mes yeux mais Rachid m’a raconté tant et tant d’histoires de clubs qui leur refusaient l’entrée ou de « Zoubida » sur le premier maxi 45 tours qui dénonçait justement ce genre de dérives. « désolé tu dois être Français… » chantait il alors… c’est un sujet que nous avons très souvent abordé. Et il y avait tout le contexte avec l’ascension de le pen-pas de majuscules par principe pour ce nom commun donc pas propre- et le FN en toile de fond lorsque nous avons enregistré cet album. Mais, à mon sens, Rachid et CDs n’étaient pas un « protest-band », c’était bien plus énorme que cela, même si cela en était un des aspects majeurs, car ils incarnaient un véritable symbole pour le tissus social et la culture française à travers ses liens avec ses anciennes colonies d’Algérie et du Maroc. Le contexte historique était également crucial. Mais Rachid était bien plus que tout cela. Il avait surtout un son qui ne ressemblait à nul autre, il avait une véritable vision de ce que devait être son son.

Rachid TahaRachid était avant tout un rocker revendiqué et assumé. C’était une rock and roll star.

Ah, mais il était massivement bien plus que cela. Il ne voulait pas juste monter sur scène et performer des rock songs, il voulait inventer une vraie fusion entre les sons de l’Afrique du Nord et les musiques américaines et européennes. À cause des liens avec l’Espagne et la musique arabo-andalouse, la naissance de la guitare qui venait de là, il a toujours voulu considérer que le rock avait des racines nord africaines. Et c’est une des forces qui le poussait en avant.

Ne brûlons pas les étapes, car ce que tu racontes c’est surtout Rachid en solo et le travail que vous avez pu accomplir ensemble, mais revenons à CDS tu as produit le premier album, mais pas le second c’est cela ?

Tout à fait.

Et donc tu as retrouvé Rachid en solo lorsque Carte a splitté… non pas sur le premier LP « Barbès », mais sur le second l’éponyme « Rachid Taha » ?

Exactement.

Comment vous êtes vous retrouvés ?

Beaucoup de ce que nous avons pu développer dans les années 90, au moment où Rachid et moi nous sommes reconnectés, venait de notre toute première conversation, lorsque nous nous sommes rencontrés, à ce concert de Lyon. Il allait déjà bien au-delà du simple rock and roll basique, lorsqu’on s’est rencontrés. Quand il m’avait passé sa cassette de chaabi en affirmant : ça c’est du blues ! C’est tout Rachid en une petite anecdote. Et avant d’être rocker il était déjà un DJ dans les clubs, où il programmait cet étrange mélange de rock, de disco, un peu d’Oum Khalthoun… je me souviens de quelques soirées à Lyon, lorsque nous faisions l’album de CDS, où Rachid faisait le DJ et c’était très très fun.

C’est essentiel ce que tu viens de dire, car c’est la base même de votre collaboration durant toutes ces années : modernité et tradition, roots music et synthés… c’est le son que vous avez su créer ensemble et qui était si novateur.

Tout a commencé avec CDS, dans le contexte de ce groupe génial qu’ils avaient su fonder. C’était une vraie relation de groupe, où je ne bossais pas seulement avec Rachid, mais avec l’ensemble des musiciens. Mais, lorsque nous avons recommencé cette collaboration au début des 90’s, tout ce que nous avions fait était basé sur tout ce dont nous avions déjà discuté auparavant. Après l’album de CDS, on est resté amis et nous n’avons jamais perdu le contact. À chaque fois que je passais à Paris, on essayait de se croiser. Parfois, on allait assister ensemble à un concert. Durant un certain temps, je me suis aussi éloigné de la production, pour me lancer dans un nouveau projet artistiques taillé pour la scène dance émergeante en Angleterre, que j’avais baptisé System 7 – nom du système d’exploitation Mac de l’époque-  et on a publié le premier album chez Virgin en 1991. Et j’avais injecté quelques samples arabes dans le mix. Alors un jour, je reçois cet appel de Rachid qui me balance « j’adore ton album avec System 7, c’est un son avec lequel j’aimerais vraiment travailler. Est-ce qu’on peut faire un nouvel album, mais dans l’esprit des mixes de ton System 7 ». Et il ajouté : « j’ai plein de nouvelles chansons, je t’envoie une cassette. ». Lorsque j’écoute les titres, je me dis : c’est fantastique. Il y a « Voilà voilà » et « Yamess » et toutes ces chansons que j’adorais ; donc je me suis mis à nouveau à travailler avec lui. Il avait aussi un nouveau management en la personne de Francis Kertekian. On a eu une réunion, Francis Rachid et moi, à Londres et, comme tout s’est bien passé, on a entamé le travail sur l’album bleu. Et on a continué notre long périple de quinze ans ensemble. C’était une collaboration très étroite. Je lui suis éternellement reconnaissant d’avoir eu cette chance de faire ce boulot si enrichissant.Steve Hillage

Le son que vous avez créé Rachid et toi était simplement inédit : nul n’avait inventé un son pareil avant vous !

C’était effectivement excitant, car on a eu d’emblée la sensation de créer quelque chose de complètement neuf.

De surcroit, et c’est une conversation que j’ai déjà eue avec Alain Lahana, le fait de chanter en arabe rendait Rachid instantanément international, évitant ainsi l’écueil fatal du mauvais accent Français en anglais.

J’avoue que nous n’y pensions pas du tout dans ces termes-là. Simplement, on aimait bien ce son-là car il collait parfaitement avec cette émergence de la musique electro et avec mon System 7.

Concrètement comment cela fonctionnait-il, car Rachid n’était pas ce genre de musicien qui livre sa partition ? Il était un musicien qui fonctionnait à l’instinct. Techniquement, comment faisiez-vous ?

Rachid venait toujours avec un groove initial. Ou bien il arrivait avec une demo qu’il avait faite avec d’autres musiciens tels que Yves Aouizerate qui a toujours été à ses cotés sur scène depuis cette époque. Mais Rachid avait sans cesse des idées, des rythmes et souvent des choix de samples. Ensuite, c’était à moi de développer tout ça en complétant avec certaines de mes idées.

C’était un peu comme une conversation entre vous ?

Steve Hillage Rachid Taha

Steve Hillage Rachid Taha

Oui, même une partie de ping pong. Et je lui proposais aussi mes propres idées. C’était une vraie et belle collaboration entre nous. Je vais te révéler le sample le plus extrême que nous ayons jamais usé avec un truc sur l’album « Tékitoi ». J’avais été engagé pour produire quelques titres pour le chanteur tunisien Lofti (Bouchnak)qui était alors basé au Caire. Et donc, j’étais en studio au Caire avec lui et une nuit je fais ce rêve. Je me réveille immédiatement avec une chanson complète dans la tête, avec des vocaux de Rachid. À l’époque je possédais un petit dictaphone. J’ai enregistré ce que j’avais rêvé du mieux que je pouvais. Et effectivement sur « Tékitoi » il y a la chanson qui m’est apparue en rêve intitulée « Safi ». Un truc vraiment rock, mais à la fois très viscéralement arabe.

À force de bosser toutes années ensemble, vous deviez finir par avoir des relations de vieux couple, un rapport presque télépathique?

Oui la communication était fluide entre nous. Mais comme tous les couples on avait également nos différents (rire).

Le Rachid dont je me souviens aimait plus que tout le débat et le dialogue. Il était toujours curieux de tout ce qui pouvait innover et des gens qu’il pouvait rencontrer.  Tu t’en rendais compte lorsque vous étiez ensemble ?Steve Hillage Rachid Taha

Ah oui complètement. J’ai tant de souvenirs de soirées géniales à Paris, avec lui à faire des virées d’un bar à l’autre. Il était comme un poisson dans l’eau dans le flot des nuits parisiennes, il aimait tant cette ville. Mais je connaissais aussi une toute autre facette de Rachid que peu de gens connaissaient, un esprit introspectif aussi affuté que spirituel. Mais c’était un des aspects les plus intimes du personnage.

Oui il avait une personnalité particulièrement riche. Et mon expérience des rock stars c’est qu’en général elles ne parlent que d’elles-mêmes, alors que Rachid était toujours curieux des autres, de ce qu’ils pensaient sur tel ou tel sujet, sur ce qu’ils avaient vécu. Il parlait plus des autres que de lui-même. Et c’était sa force car c’est comme s’il absorbait toutes ces vibrations pour alimenter son art.

Il avait sans cesse besoin de ces apports intellectuels, de tous ces échanges. Mais ce qu’il aimait par-dessus, tout c’est de pratiquer la controverse. C’était sa manière de toujours nous surprendre, en allant sur un terrain où on ne l’attendait pas. Il avait aussi ce côté manipulateur, ce que nous trouvions assez drôle. Car, au bout du compte, il possédait toujours ce sens de l’humour juste hallucinant. S’il n’avait été ni rock star ni musicien, il aurait pu mener une incroyable carrière dans le stand-up.

D’autant qu’il aimait tant faire le show devant les gens. Aviez-vous des désaccords entre vous et s’il y en avait ils portaient sur quoi ?

Oui nous en avions, mais je préfèrerai que cela reste du domaine privé. En 2005 ou 2006 nous avons cessé de collaborer directement ensemble et c’était un peu triste. Mais nous nous sommes retrouvés plus tard. Le plus déchirant à mes yeux, c’est que l’année de sa disparition en 2018, nous avions projeté de travailler à nouveau ensemble. Et j’étais très frustré que nous n’ayons pas pu mener ce nouveau projet à terme.

Rachid Taha

Rachid Taha 1984

Juste avant son décès je partais pour Los Angeles pour voir les Stones ( Voir sur Gonzomusic LA THE CITY OF THE STONES  et aussi THE ROLLING STONES IN LA… THE NEVER ENDING TOUR  ) et il m’a téléphoné deux jours avant mon départ. Il voulait me faire écouter son nouveau disque. Je lui ai dit : Rachid je rentre dans deux semaines, tu me feras écouter ton album à mon retour. Il disparaissait quelques jours plus tard et il ne me ferait jamais écouter ses dernières chansons. Je m’en suis toujours voulu de ne pas être allé le voir ce soir-là.

Toi et moi avons vécu une expérience un peu similaire avec lui. La semaine qui a suivi sa mort, on devait donner ce concert-hommage à l’Opéra de Lyon. J’ en étais le directeur musical, en liaison avec l’Orchestre National de Lyon, car j’avais toutes les partitions. Cela aurait dû être un évènement majeur et Rachid a disparu du jour au lendemain. On oublie toujours combien nos existences peuvent parfois être éphémères.

Tu as travaillé toutes ces années, tous ces albums, toutes ces chansons avec Rachid, tu n’as jamais songé à sortir un CD de remixes ?

Rachid TahaOn avait fait souvent des remixs, mais ils sortaient en face B à l’époque. Cependant la balle est un peu dans le camp de la maison de disques, c’est un peu elle qui décide. S’ils veulent faire quelque chose, ils savent où me trouver. Je suis dispo. Je ferai tout pour continuer à faire vivre la musique de mon ami. L’an passé, Rodolphe Burger a organisé cet hommage à Rachid dans la ville où son père est arrivé en France, Sainte-Marie-Aux-Mines, en Alsace. Et où Rachid a découvert la France, à son arrivée d’Algérie ; et c’était aussi la ville d’origine de Rodolphe. Depuis les 60’s, il y avait là-bas une très large communauté Algérienne. On a donc monté un concert-hommage, durant un festival baptisé « C’est dans la vallée ». C’était super. La plupart des musiciens du groupe de Rachid étaient là, ainsi que le guitariste Justin Adams, qui appartient comme moi, à ce tout petit club de producteurs qui ont eu la chance de travailler avec Rachid Taha.

Alors, il y a un autre guitariste producteur de Rachid à qui je vais bientôt parler, c’est Gaëtan Roussel. Tu as dit un truc essentiel c’est qu’il faut continuer à tout faire vivre sa musique.

Il faut perpétuer l’esprit de Rachid, c’est sûr. Sa vision de la musique mais aussi et surtout sa vision qui lui permettait de renverser toutes les barrières. Il manque si cruellement dans le monde d’aujourd’hui.

Rachid Taha Alain Lahana

Rachid Taha Alain Lahana

Alain Lahana qui a travaillé de manière intensive avec Rachid m’a dit quelque chose dans le genre : « pour moi Rachid joue dans la même ligue que David Bowie, Pati Smith ou Iggy Pop. », tu confirmes cette analyse ?

Franchement, oui car d’un point de vue rock je n’imagine personne issu de France qui posséderait une voix rock plus affirmée que celle de Rachid. Il n’y a personne. Il y a vraiment quelque chose de très particulier concernant la voix de Rachid.  Comme celle de Dahmane El Harachi, le chanteur de chaabi, qui aura été une influence majeure pour la musique et l’univers de Rachid, puisqu’il est le compositeur de « Ya rayah », une des chansons les plus populaires que nous ayons enregistré. Mais nous avons aussi fait d’autres reprises des chansons de Dahmane El Harachi au fil des années et j’en ai beaucoup écouté, il existe une réelle similitude entre leurs deux voix. Car la voix de Dahmane El Harachi ne correspond pas au registre habituel des chanteurs arabes, qui ont souvent tendance à se lamenter dans leurs chansons. Sa voix est plus douce, plus fluide, plus groove. Rachid avait une voix parfaite pour chanter du chaabi, tout en étant un magnifique chanteur rock.

C’est le côté blues de la voix de Rachid !

Absolument. Et tout me ramène à cette toute première conversation.Rachid Taha

Oui, il nous manque énormément, Steve !

Incontestablement. »

Voir sur Gonzomusic  Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour, son chef de projet chez Barclay

LA SAGA RACHID TAHA Épisode 1 : Jérôme Marroc-Latour

Voir sur Gonzomusic Épisode 2 :  Alain Lahana, qui a produit ses concerts aux quatre coins de la planète durant deux décennies.

 LA SAGA RACHID TAHA Épisode 2 : Alain Lahana

Voir sur Gonzomusic Épisode 3: Yves Aouizerate son manager après le départ de Francis Kerterkian, à ses cotés sur scène et en studio pendant 25 ans LA SAGA RACHID TAHA Épisode 3 : Yves Aouizerate

Voir sur Gonzomusic Épisode 5 : Hakim Hamadouche, sans doute son compagnon musicien le plus proche qui l’a accompagné depuis l’album « bleu »…LA SAGA RACHID TAHA Épisode 5 : Hakim Hamadouche

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