LA MESHUGA DE KEVIN GODLEY ET LOL CREME
Voici 41 ans dans BEST, GBD rencontrait enfin Kevin Godley et Lol Creme. Avec Graham Gouldman et Eric Stewart, le seul goy de la bande, ils allaient créer avec 10cc l’un des plus redoutables « slow braguette » du rock des 70’s avec le fameux et si généreux en harmonies sucrées « I’m Not In Love »… puis d’oser désintégrer leur puissante hit-machine pour l’amour d’un synthétiseur de guitares, leur mythique Gizmo… avant de trouver leur rédemption derrière la caméra de vidéo-clips emblématiques pour Police et autres rock stars. Flashback…
« Je ne suis pas amoureux/ Alors ne l’oublie pas/ C’est juste une phase idiote que je traverse. / Et juste parce que/ Je t’appelle/ Ne te méprends pas,/ Ne crois pas que tu m’as eu. / Je ne suis pas amoureux, non non,/ C’est parce que. » « I’m Not in Love » 10cc
On a déjà évoqué le cas Graham Gouldman dans Gonzomusic ( Voir dans Gonzomusic GRAHAM NASH: LES INCROYABLES CONFESSIONS DE WILLY ÉPISODE 2 ) après sa rencontre, lorsqu’il était âgé d’ à peine 16 ans, avec Graham Nash et Allan Clarke en offrant ses compositions tubesques telles que « Look Through Any Window » et « Bus Stop » aux Hollies. Après avoir offert « No Milk Today » à Peter Noon, le chanteur d’Herman Hermit il rencontre successivement Godley et Creme, qui sont feujs comme lui et originaire de la même communauté ashkénaze de Manchester, puis Eric Stewart. Sous le pseudo de Hotlegs, ils pulvérisent les charts British en de leur joyaux, percutant et néanmoins entêtant « Neanderthal Man » et se muent bientôt e 10cc en 72. De nombreux hits plus tard dont l’irrésistible « I’m Not in Love »… mais pas que, il ;faut aussi compter avec la néo 50’s « Donna », la speedée « Rubber Bullets », la succulente déjantée « Life Is a Minestrone » sans oublier la planante « I’m Mandy, Fly Me ». Hélas après « How dare You » en 76, Godley et Creme tirent leur révérence, tandis que Gouldman et Stewart conservent la marque 10cc, chartant avec succés les poperies telles que « The Things We Do For Love » et le premier reggae pop avec « Dreadlock Holidays ».
Libérés des entraves du showbiz, pendant ce temps, Godley et Creme jouent les professeurs Frankeinstein dans leur laboratoire secret, expérimentant avec leur création ( créature ?)le Gizmo ou Gizmotron, un synthé piloté par guitare pour lesquels ils enregistrent l’un des disques les plus fous de l’histoire du rock, après l’assourdissant « Music Metal Machine » de Lou Reed, le coffret en 3 LP « Consequences » sorte de pièce sonique et mystérieuse pour les oreilles. Je possède toujours bien entendu dans ma discothèque cet OMNI ( Objet Musical Non Identifié) o peut toujours y entendre les voix de Peter Ustinov et Peter Cook, ainsi que des vocaux de Sarah Vaughan. Le disque sort en 77 en pleine vague punk, ce sera un four monumental, mais quel album ! la paire se ressaisit alors et sort coup sur coup « Freeze Frame » et « Ismism » que j’avais chroniqué dans BEST et republié récemment ( Voir sur Gonzomusic GODLEY & CREME « Ismism » ) ; c’est dire si ce jour-là à Paris j’étais anxieux de tendre mon micro à ces « mishiguene » héros de mon adolescence…
Publié dans le numéro 162 de BEST sous le titre :
5cc
Imaginez un instant que vous ayez découvert la machine à rêver. Avec trois copains, vous avez tracé des schémas pour finir par assembler la machine à hits idéale. Ils n’ont guère tardé à se bousculer : devises à la pelle et disques d’or pêle-mêle, vous connaissez l’histoire. La machine en question s’appelait 10cc. En 76, alors qu’elle était au sommet, auriez-vous trouvé le courage de sauter en marche ? Kevin Godley et Lol Creme n’avaient pas envie de s’engluer dans la routine pop sucrée d’un certain savoir-faire. Après « How Dare You ? », le 4ème album, Kevin et Lol se lancent dans un gigantesque et ambitieux projet: «Conséquences» et larguent définitivement 10cc. « Conséquences », à l’origine, est un LP démonstration pour un instrument de leur invention, le «Gizmo», un synthétiseur guitare aux sons assez surprenants. Le projet débouche sur 40 mois de studio et un triple album concept: «Conséquences » est un véritable film sonore de S.F. avec des décors, des personnages, des situations qui se tiennent. Mais nous sommes en 77, en plein épicentre de l’explosion punk. Le triple LP est un magnifique collector’s, mais il tombe complètement à plat : trop cher, et surtout trop tôt. Il ne sortira jamais en France autrement que sous forme d’import rare et aléatoire. Tant pis, « Conséquences » ne restera qu’une aubaine pour animateurs radio, un océan à jingles où des gens comme Arshu (Bernard Shu) n’hésiteront pas à pêcher, pour illustrer leur radio-show sur WRTL. Pendant ce temps, le duo ne se laisse pas abattre : « L » et « Freeze Frame » sont encore de nouvelles approches de la musique. 1981, c’est l’année d’« Ismism », le quatrième projet de Kevin et Lol, et leur retour surprenant dans les charts anglaises. Je retrouve le duo déchaîné, un soir de novembre, au 32e étage de l’hôtel Concorde-La- Fayette.
Le bar en question s’appelle le Panoramique et l’on devine aisément de quoi il s’agit en jetant un coup d’œil sur les lueurs de la ville qui tremblent tout en bas. Premier contact et un Bloody Mary on the Rocks; le duo Godley/Creme est un mélange hilarant de Woody Allen et de Marty Feldman. Le bouquin de caricatures qu’ils viennent de publier est une satire lapidaire de la faune du showbiz. Les record-managers, c’est bien connu, ont des dents qui accrochent le parquet, tout ce petit monde consomme les chèques comme un Tamanoir son nid de fourmis. L’image qu’ils donnent de ce métier est assez implacable, elle est hélas assez juste, ce qui fait tout le comique de la situation. Godley et Creme ont le sens de l’image, ces dessins ne sont qu’une des facettes de leur personnalité à tiroirs.
« Que devient le « Gizmo »?
Kevin Godley: Un fabriquant devait le sortir, mais nous lui avons retiré sa licence car nous n’étions pas satisfaits du résultat. Le « Gizmo » est un instrument mécanique mu par un moteur électrique. Grâce à un système de roues dentelées, les cordes de guitares sont touchées rapidement, ce qui donne l’illusion de créer une longue note. En fait, sa conception est à l’opposé de la conception électronique du synthé, c’est le synthétiseur que Léonard de Vinci aurait pu inventer, il y a des siècles.
De quelle manière l’as-tu conçu ?
K.G. : L’idée m’est venue bien avant la création de 10 CC, à l’époque où nous faisions des arrangements pour violons. Nous manquions d’argent et, à cette époque, pour obtenir un son de cordes, il fallait un orchestre ou un Melotron. Nous nous sommes demandés s’il n’était pas possible de créer un effet similaire sur une guitare. Ainsi, lorsque nous avons formé 10cc, nous avions déjà notre idée concernant le Gizmo.
« Consequences » à l’origine devait servir de terrain d’expérimentation pour le Gizmo?
K.G. : Exactement. A l’origine, nous ne pensions pas quitter le groupe. Mais 10cc exigeait une présence exclusive, c’était love it or leave it. nous avons préféré partir. De toute façon, le Gizmo était l’excuse qui nous manquait et « Conséquences » a consommé notre rupture avec le groupe.
Lol Creme: Je crois qu’ils sont trop dans leur trip pour pouvoir comprendre.
Tu ne crois pas que, parfois, il faut savoir s’arrêter?
Je crois bien que oui, la preuve, c’est ce que nous avons fait. Je trouve que les Beatles ont eu raison de se séparer. C’est nécessaire pour que ton esprit continue à fonctionner de manière créative. C’est juste un problème d’auto-complaisance. La plupart des gens qui plongent dans le rock prend très vite goût à un certain train de vie. Dès lors, pour pouvoir continuer d’en jouir, ils se contentent de mener leur carrière de la manière la plus sûre.
K.G. : L’histoire de la pop music est un schéma assez simple : tu fais un disque et, si par chance, tu décroches un hit, ton prochain disque s’en rapprochera le plus possible.
Depuis votre départ du groupe, vous vous êtes toujours placés en dehors de tout critère commercial. En fait, votre musique est si imagée qu’elle donne l’impression que vous êtes des cinéastes frustrés?
K.G: Ça c’est vraiment une grosse part de notre problème. Les films nous ont toujours branchés, mais nous nous sommes retrouvés dans la musique, alors, nous avons fait des films avec le matériel que nous avions sous la main : le studio, le son, et quelques idées. • Conséquences » a été conçu comme un film pour non-voyants.
L.C.: D’ailleurs, pour bosser, nous utilisons la méthode Disney, des dizaines de croquis pour mieux visualiser.
Comment expliquez-vous la réaction positive suscitée par « Ismism », votre nouvel LP, par rapport aux précédents ?
K.G. : « Ismism » est le plus Improvisé de tous nos albums, il nous a permis de retrouver une certaine spontanéité. Parallèlement, nous faisons des vidéos de groupes comme celles de Toyah, Visage, Duran Duran, Joan Armatrading. Ainsi, nous avons pu comprendre qu’un disque n’est pas meilleur s’il t’absorbe totalement.
LC : Il ne faut pas que tu oublies que nous sommes issus des 60’s et que nous avons traversé les 70’s où l’atmosphère était au perfectionnement à outrance. A un certain stade, le souci de la perfection équivaut à une stérilisation. En fait, les systèmes d’enregistrement hyper-perfectionnés comme le Westlake ne font que déposséder le musicien de sa musique.
K.G. : C’est la grande claque que nous a donnée la New-Wave. On avait un prof aux Beaux-Arts qui avait l’habitude de nous dire : « La chose la plus fantastique dans ce monde, c’est qu’on peut désapprendre ».
Kevin Godley et Lol Creme vont continuer leur tournée promo européenne baptisée «Snack Attack Tour» qui se déroulera exclusivement dans des salles de restaus. Ensuite, l’attaque se poursuivra sur un autre terrain : la vidéo. Nos deux ex-10cc ont compris tout l’intérêt de ce nouveau média, le seul peut-être qui reflète fidèlement l’esprit énergisant du rock. Kevin et LoL vont à LA tourner la vidéo de the Knack. Peut-être un jour tourneront-ils vraiment un film pour les yeux, en attendant, on peut toujours s’occuper les oreilles avec « Ismism »et rêver. En couleurs.
Publié dans le numéro 162 de BEST