ELECTRIC HENDRYXLAND
Voici 42 ans dans BEST GBD mesurait à l’échelle de Richter la sismique Nona Hendryx, au 9:30 Club de Washington DC, qui publiait alors son tout premier LP solo, après avoir vocalisé des années durant avec Patti Labelle, sur son mythique « Lady Marmelade », avant de mettre son puissant organe au service des Talking Heads sur, entre autres, « Remain in Light », puis de Defunkt et de Material pour leur fracassant « Bustin’ Out ». Funky electric diva, Nona nous invite dans son Hendryxland pour nous livrer sa réponse à la question forcément existentielle : are you experienced ?
Au pays magique du rock, en ce temps lointains romantiques et dingues, chevaleresques et improbables, où Joey Ramone pouvait tendre son joint à un frenchie inconnu au bord de la piscine du Tropicana Motel, au croisement de Santa Monica et de La Cienega, tout se résumait le plus souvent à une histoire de rencontres hasardeuses… et magiques. Zermati appelait cela « la mafia rock » , comme une confrérie internationale, lien invisible au nom du grand manitou rock, qui liait tous ces gens : artistes, musicos, techniciens, maisons de disques et journalistes, partageant la même liturgie impie de sex drugs and rock and roll. Une messe forcément réglée comme du papier à musique, qui commence à la descente du bus, suivie de l’arrivée à l’hotel, avant de repartir à la salle et retour à l’hotel après le show, quelle que soit la ville, quel que soit le continent. Bref, pour vous la faire courte, l’année précédente au Power Station Studio de NY, j’avais interviewé Nile Rodgers et Bernard Edwards( Voir sur Gonzomusic CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS… Part One et aussi CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS Part Two )… et c’est ainsi que j’avais rencontré le cool Raymond Jones, qui était alors le claviers de Chic. Le même Raymond Jones qui me branche aujourd’hui sur Nona Hendryx, qu’il accompagne sur scène… avant de me présenter le fulgurant bassiste Carmine Rojas. Or c’est Raymond et Carmine qui m’introduiront, en petite souris privilégiée, dans les coulisses du show Bowie du « Serious Moon Light Tour » ( Voir sur Gonzomusic DANS LA GENESE DU SERIOUS MOONLIGHT TOUR DE BOWIE et aussi 1983…LE JEUNE YOURI LENQUETTE ASSISTE AU LANCEMENT DU SERIOUS MOONLIGHT TOUR DE BOWIE ) … quelle incroyable époque tout de même. En cerise sur le gâteau, ce soir-là, au 9:30 Club, juste avant le show de Nona Hendryx, on me présente une toute jeune fille black, inexorablement ravissante avec sa coupe afro et son regard noir dans lequel on se laisse inexorablement submerger. Moi je suis quasi hypnotisé, elle me raconte qu’elle est la nièce de Dionne Warwick – elle est en fait sa cousine-, que sa mère chante le gospel et qu’elle aimerait tant suivre ses traces. Trois ans plus tard, le monde découvrira Whitney Houston… mais c’est encore une autre histoire du rock… retour au 9:30 Club de Washington DC !
Publié dans le numéro 180 de BEST sous le titre :
HEY NONA !
« On joue demain à Washington, tu peux nous accompagner si ça t’amuse. »: l’invitation de Raymond Jones, le claviers de Nona Hendryx, n’a pas dérapé sur le tympan d’un sonotoné. « Comme je dois passer la nuit à DC, je pars avec ma caisse, mais tu pourras rentrer à New York dans la nuit avec le car des musicos. » A dix heures du mat, le soleil est déjà haut et chaud : New York ne connaît plus de printemps, la côte Est passe directement de l’hiver à l’été, too bad pour le romantisme La Rabbit beige de Raymond file sur le freeway : à travers le New Jersey, on fait la course avec le Greyhound du groupe. Sur son lecteur de cassettes, Raymond me laisse découvrir ses maquettes « Personne n’en veut, les cadres blancs des boîtes de disques n’ont pas beaucoup de sympathie à l’égard des blacks qui font du rock. Avec tous mes branchements, je n’arrive même pas à décrocher un deal ! ». Pourtant, les compositions de Raymond sont bien accrocheuses, sa voix coule sensuellement sur du pop funk bien pulsé. Elle me rappelle un peu celle de Prince ou Junior, elle conserve toute son innocence. Dommage. Le 9:30 club (930 F Street) de DC est, paraît-il, le rendez-vous des allumés de tous poils. « Tu verras, au concert de Nona, ce soir; tu ne seras pas déçu », m’annonce Raymond Jones en mâchant son chewing-gum sugar-free. Effectivement, dès mon arrivée, j’ai le coup de foudre pour le 9:30, un bar-vidéo-disco-salle de concert. A six heures du soir, quelques couples se matraquent déjà au bloody mary et à la tequila sunrise. Noirs, blancs, sur les écrans. Noirs, blancs, dans la salle, te 9:30 ne connaît pas la ségrégation, Il est vrai que Washington est en majorité black, exactement comme dans « Chocolate City », la chanson de Funkadelic. Pendant le sound-check, je joue avec le pistolet du barman, une poire sophistiquée qui distribue les boissons grâce à un micro-processeur. 9 h 30 au 9:30 et le DJ annonce « And now ladies and gentlemen, welcome RCA recording artist Nona Hendryx and her band Propaganda. » Spotlights : Nona Hendryx est assez flash. Moulée de cuir, ses cheveux laqués lui font un tricorne sur la tête.
On stage, c’est une tigresse sauvage, un fauve qui griffe et qui mord. Ses yeux brûlants dévorent le public. Nona maîtrise parfaitement son aisance de la scène. Quant à la musique, c’est un funk électrique sur lequel se greffe un rock incisif ; c’est bien plus entraînant qu’un escalier roulant. Au fur et à mesure de ta performance, Nona apparaît comme ces maîtresses-femmes que l’on imagine ayant toujours le fouet à la main : ce qui explique peut-être qu’elle sache fasciner les gay boys and girls qui danse au premier rangt à ses pieds. L’espace d’une heure, Propaganda me speede avec aisance par le pouvoir de ses good vibes energiques..
Lorsque le groupe quitte la scène, après le dernier rappel, je leur emboîte le pas vers les loges, pour échanger un mot ou deux avec Miss Hendryx. Spectacle rare : Nona en peignoir se fait sécher les pieds au sèche-cheveux par un secrétaire servile.
« Alors Nona, ça va mieux ?
Beaucoup mieux. Ce soir, c’était vraiment la course, j’ai trop bossé. Je me suis fait deux shows TV à Atlanta et j’ai bien failli louper celui-ci.
Parlons un peu de toi ; tu as travaillé avec Patti Labelle.
En effet, j’ai commencé à bosser avec Patti en 71. J’ai fait un certain nombre de disques avec elle et, notamment, le fameux Lady Marmelade »… « Vouiez-vous coucher avec moi, ce soir ». Grâce à Patti, je me suis mise à composer, mais nous nous sommes séparées en 77 pour des histoires… heu… personnelles, c’est à ce moment que je me suis lancée.
Comment t’es-tu branchée sur Material ?
Après Labelle, j’ai monté Zero Cool, mon propre groupe. On se produisait au CBGB’s, au Mud Club, au Danceteria. Notre musique était une sorte de punk funk très corrosif. Material et l’éternel Roger T sont venus à plusieurs shows. Un soir, ils m’ont apporté une cassette « Qu’est-ce que tu penses de ça, Nona ? » C’était « Bustin’Out ». Material (Voir sur Gonzomusic MATERIAL BOY et aussi LIVING IN THE MATERIAL WORLD ) voulait une voix féminine. Dès que j’ai écouté la cassette, je leur ai dit oui sans condition. Plus tard, j’ai collaboré à leur « Christmas Album » puis à « One Down », leur dernier album. Ils m’ont ensuite offert de produire « Nona », mon tout premier LP chez RCA et je n’ai pas dit non.
Comment as-tu recruté ton Propaganda?
Je connais Carmine Rojas, le bassiste: depuis Labelle, puisqu’on jouait ensemble, à l’époque. Puis II est parti en Allemagne avec Nektar. A son retour, nous nous sommes retrouvés. Mais Carmine tourne aussi avec Bowie. Je lui ai donc trouvé un remplaçant: John Salormon, un ancien de Grace Jones.
Et Raymond ?
C’est Ronnie, mon guitariste, qui me I’a présenté, lorsqu’il jouait avec Chic. Quant à Bernie Worrell, l’autre clavier, il jouait avec Parliament/Funkadelic ( Voir sur Gonzomusic MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC GEORGE CLINTON et aussi GEORGE CLINTON « Computer Games » ) , mais je I’ai rencontré par la Talking Heads connection ( Voir sur Gonzomusic TALKING HEADS: DES TÊTES ME PARLENT ), puisque j’ai travaillé sur « Remain in Light » puis sur leur album Iive.
Ton public est particulièrement mélangé, comment l’expliques-tu ?
Parce que je suis moi-même très mélangée ; je suis à la fois blanche, noire et indienne Cherokee.
D’où viens-tu, Nona?
Du New Jersey : je suis née dans la crasse industrielle.
« Nona » est ton premier album, qu’as-tu fait de 77 à 83 ?
Entre-temps, j’ai enregistré chez Arista, mais pour une série de raisons, je les ai quittés juste avant la sortie : le disque en question n’a donc jamais vu le jour. Ensuite, j’ai chanté avec Defunkt, puis les Heads et Material.
Comment expliques-tu la relation entre tous ces gens ?
C’est si dur de réussir à New York, qu’il faut bien s’épauler. Si l’on te reconnaît un certain talent, on n’hésitera jamais à jouer avec toi. C’est un échange constant d’énergie et d’inspiration, ça ressemble à un problème de vases communicant.
Nona, es-tu une diva ?
(rire) Non, Tu dis cela à cause de mon secrétaire. ? II est là pour s’occuper de moi. Je transpire beaucoup sur scène, alors il me prépare des fringues, il me fait du thé pour soigner mes cordes vocales. Si je ne prends pas soin de moi, je finis par tomber malade, et là, pas question de bosser pendant trois sernaines. Mais sinon, crois-moi, je ne me prends pas au sérieux ».
Retour sur New York. Le Greyhound des musiciens est un palace roulant avec ses chambres à coucher, son bar, son salon, ses vidéos. Le bus appartient, en fait, au chanteur country Bobby Bare, qui a délégué sort chauffeur personnel, un gros Texan qui s’exprime par onomatopées. « Yep… Yep », c’est tout ce qu’il crache en se marrant. La nuit avance sur les plaines de l’Est je m’endors doucement sur une vieille comédie musicale avec Fred Astaire. Je ne me réveillerai que le lendemain matin sur les cris fauves des chauffeurs de taxis de Manhattan et de leurs fichus yellow cabs.
Publié dans le numéro 180 de BEST daté de juin 1983