TALKING HEADS: DES TÊTES ME PARLENT

Voici 42 ans dans BEST, GBD avait le privilège de dialoguer avec deux têtes majeuresde la rock culture et, pour une fois, fort bavardes. En effet, les Talking Heads David Byrne et Jerry Harrisson étaient de passage à Paris pour défendre sur scène leur double LP live « The Name Of This Band is Talking Heads », premiere galette du groupe New Yorkais si novateur depuis l’étourdissante fusion afro-cold-funk de leur « Remain In Light » sorti deux ans auparavant, l’occasion de leur tendre un micro inquisiteur pour évoquer à la fois leurs différent projets solos et le futur des « tête parlantes »… flashback !

Talking Heads Nina Hagen, Joe Jackson, Marquis de Sade et bien entendu les Talking Heads, à l’aube des années 80 dès qu’un artiste se retrouvait en couve d’Actuel, la France entière se mettait à l’écouter massivement.  À chacun de ces paris musicaux, Jean François Bizot faisait mouche, mais son plus grand succés était incontestablement les Talking Heads dans la foulée de leur éblouissant « Remain In Light ». Il faut dire que Bizot féru de musique africaine et instigateur incontestable de la « sono mondiale » avait massivement succombé à la fusion afro-cold funk de la formation de David Byrne. Ecrivant alors à la fois pour Actuel et pour BEST, j’étais bien entendu aussi fan des Heads dont j’avais déjà largement documenté dans le mag rock de la rue d’Antin, les aventures en solo de ses membres à l’instar du Tom Tom Club de Tina Weymouth et de Chris Frantz  ( Voir sur Gonzomusic TOM TOM CLUB « Tom Tom Club »   )…

Publié dans le numéro 170 de BEST sous le titre :

LE NOM DE CET ORCHESTRE SERA TALKING HEADS

Talking Heads Sur le bureau de la réceptionniste de l’hôtel Scribe, mon regard s’accroche du premier coup au P.L.V. (Publicité sur Lieu de Vente) de « The Name Of This Band is Talking Heads ». Pas d’erreur possible : je ne me suis pas trompé d’auberge. Je parie que c’est encore un coup de, leur manager. Le diabolique lGary Kurfirst a encore frappé. Il sème promo comme le petit Poucet. Gary est une terreur pour certains confrères, le roi de la galère. Avec moi, il s’est toujours montré drôle et un rien paternalo. En tout cas, il ne manque pas de talent pour vendre ses groupes. Gary deale avec les Talking Head, ms potes les Ramones et les B.52’s. De son bureau de Broadway, if transmet de cinglants télex et joue au dictateur fou avec son combiné téléphonique. Mais l’homme est avant tout un pro. Je le retrouve au restaurant de l’hôtel où déjeunent David Byrne et Jerry Harrison. La conversation s’engage. Byrne est très peu loquace. Heureusement, Harrison semble plus communicatif. David paraît plus préoccupé par sa cassolette d’escargots que par l’entretien. Il mange lentement et sans aucune conviction. J’attaque avec une question bateau-qui-fait-eau-de-toutes-parts :

« C’est une tournée importante pour Talking Heads ou juste un galop d’essai avant le prochain album ?

David Byrne : On fait un mois en Europe, puis deux aux U.S.A B.

Vous avez commencé à enregistrer?

DB: Nous avons plus que commencé puisqu’il est achevé aux trois quarts

Vous travaillez encore avec Eno ?

Jerry Harrison : Pas cette fois, nous produisons l’album nous-mêmes. Et, jusqu’à présent, cela semble marcher plutôt bien.

La dernière fois, tu nous as emporté en Afrique, quelle sera notre prochaine destination ?

JH : Je crois que nous revenons à New-York.

Ce sera donc très urbain ?

Talking HeadsDB : Je ne crois pas. II y a surtout quelques chansons d’amour. J’ai bien peur qu’on trouve cet album un peu mystique. C’est difficile d’en parler tant qu’il n’est pas achevé.

Qu’est-ce que tu entends par un peu mystique ?

DB : Oh, c’est juste l’atmosphère dégagée par les textes. Tu comprends, si nous réussissons à atteindre la fin de ce siècle sans une guerre majeure, il parait que nous serons définitivement tirés d’affaire. C’est plein d’espoir, tu ne trouves pas ?

JH : Toutes les chansons de !’album sont exclusivement Talking Heads. Nous avons travaillé toute la musique ensemble. Ensuite, David a couché ses textes et nous avons tait quelques arrangements par fa suite. A mon sens, l’album sera beaucoup moins frénétique que « Remain in Light ». Il y a moins d’instruments, car nous avons essayé d’en faire plus par nous-mêmes. Mais il y a aussi d’autres gens… De Steve (Scales, congas), Bernie (Worrel, synthés), Alex le guitariste qui tourne avec nous, en revanche Adrian Belew et Buster Jones ne sont pas, cette fois de la fête, mais, par contre, nous avons Raymond Jones de Chic.

Donc, ce soir sur scène, Talking Heads sera partiellement funky?

DB : (rire) C’est une bonne définition.

JH : Alex Weir qui nous accompagne jouait avec les Brothers Johnson.

Et vos albums solos ?

JH : C’était le moment où nous pouvions nous y consacrer, voilà  pourquoi ils ont tous été enregistrés en même temps.

DB : Twyla Tharp m’a téléphoné pour me parler de Catherine Wheel et de son projet de ballet qui était à moitié conçu à l’époque. Comme je connaissais son travail et que je l’appréciais, j’ai accepté. Et puis, c’était différent de tout ce que j’avais fait précédemment. II fallait que je compose dans certaines limites précises : tous les morceaux devaient coller aux styles des ballets.

Mais ces restrictions n’étaient pas le côté excitant qui justement, t’a décidé ?

DB: Ouais, on va dire que c’était OK.

Quelle est ta prochaine étape théâtre, cinéma, vidéo ?Talking Heads

DB : C’est très possible. J’ai des projets de musiques de films, mais ça ne sera pas avant l’automne, car toutes /es priorités vont au nouveau Talking Heads.

Et ton propre album solo, Jerry?

JH : Pour moi, c’était avant tout un pari que d’écrire des chansons sans l’influence des autres. Je voulais toucher à un maximum de styles, ce qui explique le côté un peu confus du disque. C’est juste une collection de différents feelings ; je crols d’ailIeurs qu’il vaut mieux écouter les chansons séparément. Si je l’écoute d’un bout à l’autre, ça me fatigue et mes copains ont la même réaction. Une face, ça va encore, mais ils n’arrivent pas à le finir.

C’est vrai que « The Red And the Black » est … comment dire… un peu compact !

JH : Peut-être ai-je eu l’impression que je n’aurais plus la chance d’en faire un autre ?

Talking HeadsDB : Ce qui est important dans ce que nous faisons à coté ou avec TH c’est que l’effet de surprise continue à jouer. Pour les textes, c’est pareil. Parfois j’écris des mots ou des phrases sans savoir vraiment ce qu’ils signifient ou pourquoi ils sont là. Ça me surprend, parce que je suis souvent Incapable de savoir d’où ils viennent : ils traversent ma tête.

Qu’est-ce qui vous a conduit à « Remain In Light »?

DB : On a trouvé une source d’inspiration, d’enseignement. C’est le genre de musique qu’il nous fallait à l’époque : à la fois physique et encore spirituelle. Il n’était pas question d’ego, mais de collaboration.

Pourquoi ne pas être parti en Afrique au lieu d’importer les indigènes à NY?

DB : Simple question de temps et d’argent aussi. De toute façon, il Importait peu que ça soit authentique ou pas. Nous n’avons même pas essayé ; cela valait mieux. Nos barbarismes et nos erreurs étaient aussi enrichissants que ce que nous avons le mieux réussi. Au moins, nous étions originaux car notre démarche n’était pas de jouer à la copie conforme.

Mais à New-York, il y a tant de cultures différentes ; pour les prochains albums, vous pouvez faire le tour du monde sans jamais quitter la Grosse Pomme.

JH : J’ai l’impression que c’est ce qu’on attend de nous. Voilà pourquoi, cette fois, nous nous concentrons plus sur les chansons que sur les rythmes, bien que nous utilisions un percu de latin music et un violoniste indien. Les classifications musicales ne sont que des hérésies. Entre les musiques africaines, noires américaines, brésiliennes, cubaines, il existe un tas de similitudes. Je pense que, si nous avons été branchés par la musique africaine, c’est que nous avons toujours été sensibles aux rythmes. Bouger vers une autre culture, ça n’était qu’une extension de ce que nous avons toujours pratiqué. »Talking Heads

Les deux Heads ont des activités diverses avec rang de producteur. David a produit le dernier B 52’s. Le même manager pour les deux groupes, ça facilite les rencontres. Quant à Jerry, il aurait refusé de produire le « Non Sex Monk Rock » de Nina Hagen ( Voir sur Gonzomusic 36 POSITIONS AVEC NINA HAGEN  )  à cause de l’album live des T.H. Les mauvaises langues prétendent, qu’en fait, il ne supporte pas les borborygmes de notre cinglée canonisable. Jerry préfère de loin Nona Hendryx à Nina… Du côté de la consommation de vinyle, David n’écoute pas grand-chose en dehors des disques du label ON U Sound » d’Adrian Sherwood, mélange éclaté de pulsions reggae et africaines. Quant à Jerry, il dévore Bad Brains, un groupe « hard core punk reggae black » de New-York, des mecs qui jouent (pa-rait-i I) encore plus vite que leur ombre ( Voir sur Gonzomusic  ). La route est longue pour les Heads, elle est surtout bordée d’incertitudes : oû vont-ils ? Pour réussir à secouer le marasme qui paralyse la création musicale, il faudrait une bombe. David Byrne et ses copains ont-ils le bon détonateur ? Honnêtement, je n’en sais rien. Au concert, le Tom Tom Club ouvrait joyeusement avec Tina, ses adorables petites sœurs et leurs petites culottes noires sous les mini-robes. Le nouveau single, « Under the Board-walk » (avec une version re-mixée de « On, on, on, on » en face B), devrait sortir courant août. Dommage qu’il n’ait pas l’étincelle de leur « Wordy Rappinghood »… Sur scène, Talking Heads utilise un éclairage minimaliste qui refroidit assez le groupe. Heureusement, pour la seconde partie du set, les têtes s’échauffent et se démènent. Je n’ai pas assisté au second concert, mais il paraît que le public était en proie au délire. Raymond Jones ( Voir sur Gonzomusic CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS… Part One et aussi  CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS Part Two ), rencontré à la fin du gig, me raconte ses projets de production en gesticulant comme s’il allait s’envoler dans son jogging. L’éternel Gary Kurfirst me jette un sourire complice et me donne rendez-vous à New-York : « Les B.52’s sont en studio, mais ils prennent leur temps, passe donc nous voir ». That’s bizness !

Publié dans le numéro 170 de BEST daté de septembre 1982

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