CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS… Part One
Voici 41 ans dans BEST, GBD quittait momentanément sa chère Los Angeles pour faire un tour à New York et interviewer au Power Station studio pour la première fois un authentique héros alors méconnu du rock : Nile Rodgers. Avec son complice Bernard Edwards, ils avaient créé la Chic Organization et inventé un puissant beat hybride entre rock, funk et disco… simultanément à un certain Prince Rogers Nelson. Chic après avoir réalisé l’excellent « Spacer » de Sheila et le « Diana » de Diana Ross, venait tout juste de produire le premier LP solo de Debbie Harry… avant de s’attaquer au fabuleux « Let’s Dance » de Bowie. Flashback… Episode One : Power Station studio et Genèse de Chic.
Je sais… ce que vous allez dire : ah… again… il va encore se raconter et de surcroit à la 3ème personne du singulier, à l’instar de Jules César dans sa « Guerre des Gaules » et ainsi faire en sorte d’encore énerver Alain Gardinier 🤪 Mais c’est peut-être que le jeune et impétueux GBD d’alors tout juste âgé de 25 ans était drastiquement différent de celui d’aujourd’hui quatre décennies plus tard. Et si à 25 piges, on osait tout… à 22 on en osait encore plus. C’est pourquoi je dois vous faire une confession mais je compte sur vous pour que cela reste confidentiel. Entre nous. Avant de devenir officiellement journaliste, lorsque je n’étais qu’un petit étudiant en droit, j’avoue avoir enfumé quelques fameuses maisons de disques à LA. Mais ce ne fut qu’une toute petite minuscule escroquerie du rock and roll !
Cette année 76 me confortait dans ma découverte faite lors de mon tout premier trip californien, deux ans auparavant : il existait chez les disquaires une étrange variété de LPs. Leur pochette pouvait être différente ou simplement porter une marque distinctive comme un trou circulaire en haut à droite, une inscription en lettres dorées du genre « Promotional Copy Not for Sale ». ou encore « DJ Copy Not For Sale » Le label du vinyle pouvait aussi être blanc. Leur particularité ? Ces albums tout juste sortis étaient vendus entre un quart et un dixième de leur valeur au rayon « occasion » des disquaires. Et c’est comme si la pomme d’Isaac Newton m’était tombée sur la tête. Après tout, à Paris, je faisais déjà le DJ dans les boums des copains, et j’avais déjà mixé à Londres dans le club de Soho qui accueillait tous les petits frenchies dans mon genre, le Kilt. Ainsi qu’à Paris en matinées à la Bulle, tout en haut de la rue de la Montagne Sainte Geneviève. Bref… après tout, j’étais DJ et par conséquent, en tant que tel, je devais bien avoir le droit d’obtenir ces fameux DJ copies… diantre ! En ce temps-là, on trouvait un peu partout, dans les cabines téléphoniques, dans les restaus et même dans les chambres d’hôtels les Yellow Page, l’annuaire pro de Los Angeles. Et à la lettre « R » comme Records companies, j’ai découvert une véritable mine d’or. De A&M à Warner en passant par Motown, MCA ou encore Island, tous les labels étaient listés avec adresse et téléphone du standard. Il suffisait de demander : « Bonjour. Pouvez-vous me passer l’International Department, please? ». Et là, forcément, tu tombais sur quelqu’un qui succombait immédiatement au charme exotique de ton accent frenchie. Alors tu proposais de passer récupérer « quelques échantillons gratuits ». Pour la petite histoire et je ne m’en suis jamais vanté mais durant quelques années, Motown m’envoyait un mini service de presse de maxis 45 tours tous les mois… chez moi à Paris, ou plus exactement dans la boutique de shmatès mes parents… au nom prédestiné de « La Parisienne » que j’avais « vendu » comme le club le plus branché de la capitale ! En général, on t’accueillait à bras ouverts et on te couvrait de 33 tours. Parmi ceux-ci, chez MCA qui distribuait alors Bearsville Records, le label de mon héros Todd Rundgren, j’ai récupéré l’album éponyme de Norma Jean, porté par le plus irrésistible des titres funky « Saturday ».
En fait et sans le savoir, je succombais déjà à l’œuvre de Nile Rodgers et de Bernard Edwards, les hommes qui tiraient déjà les ficelles derrière la sexy Norma. Quelques mois plus tard « Le Freak » balaye tout sur son passage et c’est là que je fais le lien avec le son de Norma Jean. Le reste appartient à l’histoire, Chic est samplé à la fois par le Sugarhill Gang, Grandmaster Flash ET Blondie, excusez du peu ! Pas mal pour des petits blacks que le showbiz interdisait de rock pour cause de compartimentage raciste. Ma (toute) petite escroquerie du rock and roll m’aura au moins appris à dealer avec les maisons de disques. Un an plus tard, en 79 je laisse tomber le droit et je deviens journaliste, plus besoin de jouer les Dj de pacotille. Exit GBD escroc du rock. Toujours accro au son de Chic, en 80 je parviens à « vendre » ma première chronique à Rock & Folk… ce sera l’album « Spacer » de S.B Devotion… soit Sheila… produite par Niles et Bernard, marquant mon arrivée de manière plutôt punk dans le canard de la rue Chaptal ! (Voir sur Gonzomusic BEST VS ROCK & FOLK OU LA RUE D’ANTIN VS LA RUE CHAPTAL ). En même temps Parringaux et sa clique étaient vénaux et le futé Claude Carrère m’avait facilité la tâche en achetant le quatrième de couverture du magazine, LA page de pub LA plus chère du journal ! En décembre 80, je quitte Rock & Shnock pour BEST et cet été 1981 WEA m’invite une semaine à LA pour… un concert de Joe Walsh et une interview avec David Lindley, qui publie son fameux premier LP « El Rayo X ». Je me retrouve dans l’avion littéralement cerné par un véritable banc de requins du showbiz hexagonal. Et si Max Guazzini n’avait pas encore été inventé, il avait déjà un fameux prédécesseur en la personne d’Albert Emsalem, personnage haut en couleurs, qui faisait alors la pluie et le beau temps à Europe. Son alter-ego de RTL Monique Lemarcy était de la partie , ainsi que leur collègue d’Inter Yvonne Lebrun. Ajoutez Marie France Brière pour Antenne 2 et la programmatrice de Guy Lux pour FR3, on va dire que le jeune pigiste rock que j’étais se sentait un peu seul. Chacun de nos déplacements en groupe nécessitait plusieurs streched-limousines et on ne fréquentait matin, midi et soir que des restaus de luxe. Après avoir fait ma super interview avec David Lindley, au bout de deux jours je me faisais chier. Je déprimais et je suis parti manger un hamburger tout seul sur la plage de Venice.
Heureusement, Marc Exiga le boss de l’international de chez WEA Paris était de la partie, aussi dès mon retour au Hilton On Sunset où nous étions tous logés, je lui ai dit : « Marc je me fais chier et de surcroit je veux faire mon boulot de journaliste ! ». Il a été juste génial. En quelques coups de fils aux labels, à ma demande, bien sûr il m’a décroché une interview avec Chic en studio à NY et un concert anti-nucléaire contre la centrale de Diablo canyon avec Jackson Browne, mon nouveau copain David Lindley et quelques autres stars du rock … j’étais au 7ème ciel ( Voir sur Gonzomusic JACKSON BROWNE & DAVID LINDLEY: Retour à Diablo Canyon… ). Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à New York pour rencontrer Nile Rodgers au légendaire Power Station studio. Cependant l’histoire ne s’arrête pas là. Au contraire, elle ne finit pas de ricocher. En attendant, Nile je rencontre le jeune Raymond Jones claviers de Chic ( hélas décédé bien trop tôt d’une pneumonie en 2011: NDR). Quelques mois plus tard à Washington, je le retrouve accompagnant la funkeuse choc Nona Hendryx avec un fulgurant bassiste du nom de Carmine Rojas. Quelques temps après, je revois Nile Rodgers producteur de David Bowie, mais ce sont mes potes Raymond et Carmine qui me convient au SIR studio à Manhattan aux répètes de la légendaire tournée Serious Moonlight de Bowie dans la foulée de « Let’s Dance »… (Voir sur Gonzomusic 1983…LE JEUNE YOURI LENQUETTE ASSISTE AU LANCEMENT DU SERIOUS MOONLIGHT TOUR DE BOWIE ) et où j’ai rencontré le fabuleux Stevie Ray Vaughan… mais c’est encore une autre histoire du rock, que je vous raconterai bientôt … en attendant, voici le premier épisode de cette toute première interview de Nile Rodgers.
Part One : Power Station studio durant l’enregistrement de « Taking Off », le 5éme 33 tours et Genèse de Chic…
Publié dans le numéro 159 de BEST sous le titre :
LE VRAI CHIC
« He asshole, tu peux pas faire gaffe ! », le mec dans la Chevrolet est passé à moins de deux pouces. En plus, il se paie ma tête. Si vous cherchez un endroit cool où finir l’été, ne choisissez surtout pas Times Square. Pour me tirer de là, encore fallait- il trouver un taxi ange-gardien qui daigne me conduire vite fait au 441 W 43ème rue. Au passage, la vitrine d’un sex shop me renvoie mon image. Check up visuel: la cravate… ouais, le plis du futal O.K., l‘orchidée à la boutonnière, on s’en passera, mais question étiquette… on plaisante pas avec Chic ! Là, au coin de la 40ème, un taxi american graffité. Bob Petrocowitch (sa licence était accrochée sur la boite à gants) était assez smart, il a pigé d’un coup: «Au Power Station, sur la 43eme» et moi d’ajouter « c’est pour une urgence ! ». On ne plaisantait pas avec l’Organisation. Il était 4:58 pm très précisément lorsque Bob m’a giclé devant une bâtisse en plâtre blanc.
En face, une centrale électrique; devant moi, une porte de bois verni et à I’intérieur Nile Rodgers, parrain incontesté avec son complice Bernard Edwards de la Chic Organization. Des sérieux, des mecs qui vous prennent une bonne femme pour en jouer à leur aise. Des ensorceleurs à ce qu’on raconte. Leurs victimes, ces perfides les appellent pudiquement «clientes », forment déjà une très longue liste : Sister Sledge, Sheila (eh oui), Diana Ross et maintenant Deborah Harry. J’ai craché mon blaze dans l’interphone et la porte s’est ouverte d’un coup sec. J’étais dans la place. Je pousse une seconde porte pour me retrouver face à un mec en chemise texane, une sorte de standardiste, à qui je demande : «Salut, Nile est arrivé?». On aurait dit qu’on lui avait coupé la langue, il n’émettait qu’un pauvre, un très pauvre borborygme. À ce moment, un rire sonore éclate derrière moi. Un jeune Noir, presqu’adolescent me désigne un fauteuil de cuir qui parait plus qu’accueillant. Pour l’identifier, il me faut pour le moins ôter mes lunettes à verre photo-chromatique.
« Hi man, je suis Raymond ». Raymond Jones, 21 ans tout juste, claviers et membre fondateur de la C.H.I.C, Ray est un mec intéressant, très vif. Rapidement, il me trace un organigramme complet de l’Organisation. Au sommet, les deux « bosses », Bernard et Nile, qui cumulent toutes les fonctions: compositions, arrangements, production, interprétation et surtout, la plupart des bénéfices de la société. À l’arrière-plan, Luci et Alfa, les chanteuses et Tony ( Thompson), le batteur; un peu plus loin derrière, on trouve les deux keyboards, Andy et Raymond ( Jones), et les cordes de Chic. Enfin, tout en bas de l‘échelle sociale, les techniciens et les roadies attachés à la multinationale Chic. Raymond et les autres sont presque des salariés, alors que les deux parrains s’en mettent objectivement plein les poches. Ils fonctionnent comme une société unipersonnelle : ainsi, Nile et Edwards, producteurs, rétribuent Nile et Edwards, interprètes, tout comme Nile et Edwards, arrangeurs. Ces mecs-là sont décidément très très forts. En attendant Nile, je sirote un Coke salvateur en discutant avec Ray, personnage déroutant tellement avide de connaissance, de nouveauté. II me mitraille de questions sur la musique en France, la New-Wave et le New Deal de Mitterrand. Je finis par le brancher sur mon Walkman. II découvre médusé les Sax Pustuls, Bashung, Casino Music… Comme le patron tarde à se pointer, Ray me propose d’aller écouter des cassettes de sa composition. Dans sa WW beige garée en bas du Power Station, les cassettes trainent comme de précieux jetons sur un tapis vert. Devo, Police, Wonder, Clash, Marley, se baladent sur TDK SA C 90. Sa musique est aussi éclectique que sa « cassetothèque ». II distille alors un mystérieux funk cold et synthétique sur fond de batterie électronique qui oscille dans le périmètre Numan, Was (Not Was), OMD et … Chic. Dans ce coin de Ia 43ème, on peut littéralement découper le paysage pour en faire des cartes postales en couleurs de NY City. Borne d’incendie, immeuble borgne et escaliers-passerelles de secours et la silhouette heavy metalienne de la centrale électrique désaffectée . En fait, la musique de Raymond est fidèle à son décor, à son background forgée dans le melting-pot. Il est temps de remonter au studio pour affronter le boss… Raymond rentre à la maison ; pour lui, la journée de boulot est finie, moi, j’entame mon second Coca calé dans mon fauteuil face à la porte close du studio B où Nile mixe son nouvel LP forcément très Chic.
BAS LES MASQUES
Au bout d’un moment, elle finit par s’ouvrir Pour laisser passer un grand mec noir en T-shirt et pantalon de survêtement. Nile a le pied dans le plâtre et se déplace à I’aide de béquilles. Selon toutes probabilités, il a dù avoir un accident. Alors Boss, on a voulu pousser grand-mère showbiz dans les escaliers et on a glissé !
« J’ai eu un petit accident, hum, j’en ai encore pour trois semaines.
(Perfidement) Ça ne doit pas être vraiment facile pour battre la mesure ?
Ouais…heureusement que I’ album est pratiquement fini.
Tu as déjà un titre ?
Le LP… « Take It Off» et ça veut vraiment dire « retirez tout », les vêtements d’abord, mais aussi tout ce qu’on a vraiment dans la tête. Jusqu’à présent, notre image a toujours parue trop superficielle. Pour nous, c’était assez marrant, c’était exactement comme un rôle au théâtre, je t’assure qu’on ne s’est jamais vraiment pris au sérieux, même si la plupart des gens l’ont fait à notre place. Après quatre années de déguisement, il est temps pour nous de révéler le véritable visage de Chic : c’est ce qui explique le titre que nous avons choisi: « Retirez tout! ». Il ne s’agit pas pour nous d’ôter nos fringues Chic, mais surtout de laisser passer nos vraies émotions. Mais par pitié, ne confondons pas strip-tease et hygiène mentale. En tout cas, bas les masques. Le nouvel LP représente le véritable Chic et il est exactement fidèle à ce que nous voulions qu’il soit.
II sort bientôt ?
Dès que possible. Pour cela, nous bossons comme des malades.
Il y a plusieurs sujets que je voudrais qu’on aborde. votre identité, par exemple. On raconte que Bernard et toi vous êtes des rockers frustres, que la couleur de votre peau vous a enfermés dans un ghetto musical. Aujourd’hui, vous êtes parmi les meilleurs dans votre genre, est-ce que cela vous donne enfin la liberté de création dont Bernard et toi rêviez ?
Lorsque Chic a commencé Bernard et moi n’étions déjà plus exactement des débutants. On avait tous les deux l‘impression de maitriser parfaitement notre liberté de choix. Or, nous avions toujours déterminés à faire du rock, à cause de son pouvoir émotionnel, de son énergie. Lorsque nous avons fondé Chic, le groupe de RandB qui dégageait le plus, à l’époque, c’était Earth, Wind and Fire. Man… ces gens-là rempochaient tous les soirs 500 000 dollars. Ça fait réfléchir. Tu te dis, si E, W and F se fait tout ce blé-là, et cet Elton John qui n’a qu’a aller faire un petit tour au Madison Square Garden pour grossir son compte en banque d’1 million de dollars. Man… à cette époque-la, Bernard et moi étions vraiment fauchés. On mangeait des pizzas, et encore… pas tous les jours.
Comment vous êtes-vous rencontrés avec Bernard ?
Ma petite amie et moi étions très liés, au point de ne jamais se quitter. On vivait ensemble. Comme elle dinait souvent chez sa maman, je l’accompagnais souvent. Or, la mère de ma petite amie et Bernard travaillaient dans le même bureau de poste. Elle savait que j’étais en train de monter un groupe jazzy classique et que je cherchais des musiciens. À l‘époque, c’était mes racines : la guitare classique et le jazz. Elle m’a donne le numéro de Bernard pour que je l‘appelle. Quand j’ai eu Bernard au bout du fil et que je lui ai donné le listing des instruments que je recherchais: clarinette basse, hautbois, et surtout contrebasse, il parait qu’il a dit a sa nana: « Ce mec est trop perché, je ne veux plus jamais lui parler». Trois semaines plus tard, on s’est rencontré à une session. Sans jamais réaliser que nous nous étions déjà paries au téléphone, et là immédiatement nous sommes devenus amis Le quiproquo a duré jusqu’au jour ou Bernard et moi avons pris le métro ensemble pour répondre à une annonce de boulot. Downtown, à une station dont j’ai hélas oublié le nom, la mère de ma petite amie est montée dans la même rame que nous. Et elle s’est précipitée vers Bernard pour le saluer au lieu d’aller droit vers moi comme je m’y attendais. Je n’y comprenais rien.
En plus, ils se marraient, comme s’ils venaient juste de découvrir un truc très drôle. C’est à ce moment qu’elle m’a dit: « Mais tu ne te souviens pas, je t’avais donne son numéro de téléphone ». Là, j’ai compris… Depuis, Bernard et moi sommes comme les deux doigts de la main et cela fait dix ans que ca dure.
(J’ai la décence de ne pas lui faire remarquer que même un seul doigt, ça arrive à casser, alors deux…).
À suivre….
Voir sur Gonzomusic… Episode Two : du vrai Chic à Blondie en passant par Claude Carrère et le LP fantôme de Johnny Mathis
CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS Part Two
Publié dans le numéro 159 de BEST daté d’octobre 1981