MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC GEORGE CLINTON
Voici 41 ans dans BEST, GBD rencontrait pour la toute première fois à Los Angeles le mythique George Clinton alias Dr Funk. Avec ses diverses émanations Funkadelic et Parliament, le fameux natif de Caroline du Nord opérait la fusion la plus intense entre Sly and the Family Stone, Jimi Hendrix, Frank Zappa et les Temptations, ouvrant la voie à tous ses « enfants » à venir tels que Prince ou encore le Red Hot Chili Peppers. Flashback…
Après Chic le mois dernier ( Voir sur Gonzomusic CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS… Part One et aussi CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS Part Two) , je poursuivais ma série de black à parts 😜 avec un autre de mes héros éternels de la funkitude exacerbée : j’ai nommé George Clinton. Depuis l’aube des 70’s, avec son complice de toujours Bootsy Collins, George Clinton inventait un funk inédit à des années-lumière de ses collègues Earth, Wind & Fire ou encore Kool and the Gang. La seule exception black and crazy étant sans doute son ex-collègue des années Motown; Rick James ( Voir sur Gonzomusic RICK JAMES « Street Songs » ). Sur scène, le grand show Clinton est un joyeux bordel de musicos aussi exercés que fantasques, vêtus de couches culottes ou travestis en Sheikhs arabes à paillettes. Un véritable délire. Cependant, au tournant de ces années 80, notre lider maximo de Funkadelic/Parliament se débattait dans d’intenses problèmes juridiques de copyright pour avoir signé simultanément sur plusieurs labels à la fois. Cette fois, promis juré avec Capitol ce serait la bonne. Le label hollywoodien venait tout juste de publier le dernier Funkadelic « The Elecric Spanking of War Babies » et s’apprêtait à sortir le tout premier 33 tours solo de Clinton. Comment oublier cette rencontre improbable dans un palace de LA où il trônait, au sens propre, dans sa suite tel un monarque entouré de factotums chargés de lui simplifier la vie en le servant fidèlement, lui épargnant le moindre effort, au point de rouler ses joints pour lui. Lors de ma seconde rencontre avec Clinton, cette fois dans les locaux du mange-disque géant de Capitol records, nous serons tellement défoncés à la weed lui et moi qu’à la fin de l’entretien nous avons confraternellement échangé nos lunettes de soleil. George a ainsi récupéré mes fausses Ray Bans en faux bois tandis qu’il m’offrait ses lunettes roses à verres-miroir rafistolées par un trombone, qui sont toujours en ma possession quatre décennies plus tard… mais c’est encore une autre histoire du rock !
Publié dans le numéro 160 de BEST sous le titre :
FUN QUI ?
Autour de la piscine ovale du Beverly Wilshire Hôtel, les cuisses huilées et bronzées luisent sous le soleil. Des serveurs tout en blanc trimbalent des plateaux d’argent. 2 pm… je fais encore quelques bulles avec la paille de mon soda-pop avant d’affronter l’abominable Docteur Funk dans sa suite du premier étage… George Clinton et ses émanations diverses Funkadelic-Parliament savent depuis toujours repousser les frontières connues du délire. Funkadelic s’exhibe dans des tenues folles et sauvages pour dessiner sa propre vision funky de la fête. Funk, c’est avant tout F.u.n., les pirates et les néo romantiques peuvent se bousculer au vestiaire pour aller se rhabiller. Yeah, man ! Dans la chambre 124, tous les rideaux sont tirés. Comme le comte Dracula, notre docteur Funk déteste la lumière du jour. Torse nu et en pantalon bouffant, George trône sur un énorme fauteuil. Même dans cet hôtel où il campe à LA, il ne fait aucun geste usuel : Arch, le secrétaire particulier, est là pour décrocher le téléphone, introduire les visiteurs et retourner les cassettes, tandis que Jane, une blanche un peu maigre, d’une trentaine d’années, joue les geishas et jongle avec la bouffe et les joints du maître. George est un Bokassa sympathique, un bon gros nounours au regard doux mais particulièrement allumé. D’un geste, il me désigne le canapé à côté : l’entretien peut commencer. Je plante sous son nez mon micro stéréo à électret, je manque de l’accrocher à la barbe de mon interlocuteur.
« Lorsque tu es arrivé, j’étais en train d’écouter une cassette de mon prochain album solo, est-ce que ça te branche ? », demande-t’il. Et comment !
Le nouvel LP n’a pas encore de titre et ne sortira pas avant le début de 82 ( Il sera en fait baptisé « Computer Games »: NDR). En attendant, il y a le nouveau Funkadelic, « The Electric Spanking of War Babies », que George a co-produit avec Sly Stone, son vieux complice en funkitude. Sur le porte-cassette, « Hydraulic Pump » caresse d’un funk rauque les têtes de lecture de la machine. À mi- chemin entre rap et reggae. Clinton s’amuse à l’électronique funk…
« Yeah… c’est un mélange de funk nouveau, d’ancien funk et de new-wave funk. Certains vont peut-être trouver cela facile ou commercial. Peu importe, ce qui compte avant tout, c’est le punch. (Il frappe sa jambe et en tire un claquement sec).
Je t’avoue que je suis assez surpris de retrouver un reggae dans « Electric Spanking… » !
Yeah… les influences finissent par se chevaucher au fil des années. Heureusement, le reggae, depuis « Master Blaster », influence enfin les groupes américains.
Crois-tu que l’Amérique va se laisser emporter par la vague reggae?
Yeah… et ce sera aussi fort qu’en Europe. Nous essayons de l’imposer ici pour réussir ce que certains groupes anglais ont fait chez eux pour cette musique. Il faut que les gens s’habituent à ce son, parce que tous les bruits, toutes les sonorités sont une musique potentielle, si on sait l’utiliser.
Cette fois, l’universalisme de Funkadelic s’est manifestement même glissé jusqu’aux Beatles…
Si nous avons repris « She Loves You », c’est à cause du feeling nostalgique qu’a déclenché la mort de John. Sly était avec moi au studio avec les musiciens et ces 16 secondes sont juste un hello du fond de notre cœur.
Funkadelic nous a toujours habitué aux titres bizarres, mais pourquoi celui-ci ?
Parce qu’on nous donne aujourd’hui le même genre de fessées que quand nous étions mômes, la seule différence, c’ est que la tête a remplacé les fesses. Le réveil est un peu brutal. « 1984 », tel que l’a décrit Orwell, arrive à grand pas avec son univers policier et la prise de contrôle de nos esprits. En plus, il souffle un vent semblable à celui des années 68, 69, des débuts de l’ère de Nixon. Reagan est un acteur de série Z qui rêve au rôle de Big Brother. Mais nous, justement, nous n’en voulons pas. « Electric Spanking », c’est aussi la baffe qui nous réveille avant qu’il ne soit trop tard ».
Clinton, pour être bien sûr de ne jamais vivre l’épilogue du bouquin d’Orwell, a effacé de ses cellules mémoires la victoire de Big Brother. Big Brother, par contre, ne l’a pas oublié. Dix jours après cet entretien. George et son copain Sly se sont fait épingler par le sheriff de Beverly Hills. Dans la boîte à gants de sa grosse limousine, la main gantée du policier a découvert un petit tube de verre rempli de poudre blanche. Big Brother n’aime pas la coke. Docteur Funk et Stone se sont retrouvés bouclés sous les verrous. Deux cautions et quelques heures plus tard, Clinton jurait qu’on ne l’y reprendrait plus, mais Big Brother n’est pas tout à fait dupe… he’s still watching us.
Publié dans le numéro 160 de BEST daté de novembre 1981