SCOTLAND USA 1990

Simple Minds

Simple Minds

Voici 31 ans pour BEST, à la demande de Christian Lebrun, GBD partait explorer le 51ème État Américain, enfin détaché du Royaume-Uni, pour rejoindre les États-Unis… l’Écosse ! Car, musicalement, cette année 1990, les Écossais étaient résolument tournés avers les USA, la preuve par Kevin Mc Dermott, le Neil Young de la Clyde, Del Amitri  les Buffalo Springfield de Glasgow , Blue Nile les Steely Dan scotish,  tous interviewés,  sans oublier les Shamen, Slide, Gun, Goodbye Mister McKenzie, River Detectives ou encore les bien nommés the Indian Givers. Flashback…

Scotland USADepuis mon arrivée à BEST en décembre 80, j’avais toujours eu un faible pour les groupes écossais. Simple Minds, que j’ai souvent interviewé en studio et en tournées  (Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/?s=Simple+Minds  ).  Texas ( et son ancêtre Hipsway … Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/?s=hipsway  )  dont j’ai suivi l’envol… au Texas, que j’ai interviewé jusqu’aux années 2010 (  Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/?s=Texas  ). Sans oublier les Silencers ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/the-silencers-a-letter-from-st-paul.html ), les Deacon Blue ( Voir sur Gonzomusic      https://gonzomusic.fr/?s=Deacon+Blue ), les Cocteau Twins  ( Voir sur Gonzomusic   https://gonzomusic.fr/jai-assiste-a-leclosion-des-cocteau-twins.html  ), Annie Lennox d’Eurythmics  ( Voir sur Gonzomusic   https://gonzomusic.fr/?s=Annie+Lennox ) et Big Country ( Voir sur Gonzomusic   https://gonzomusic.fr/gbd-chez-les-soviets.html et aussi https://gonzomusic.fr/big-country-peace-in-our-time.html  ). Et j’en oublie, bien entendu. Cependant,  en ce début d’année 90, Christian Lebrun m’avait confié une nouvelle mission secrète : faire le point des nouveaux Écossais qui lorgnaient musicalement bien plus de l’autre côté l’Atlantique, que vers le sud et Londres. Rencontres entre London et Paris, avec Kevin Mc Dermott, Del Amitri et les mystérieux Blue Nile, si avares de leur temps, de leurs concerts, de leurs albums et qui fuyaient les journalistes, comme la peste. Rencontre rare avec tous ces Écossais d’exception.

 

Publié dans le numéro 258 de BEST sous le titre :

 

ÉCOSSE, LE 51ème ÉTAT

 

« Tandis que les Londoniens s’essoufflent à inventer une nouvelle mode chaque semaine, à Glasgow on s’occupe simplement a faire de la musique. Et de la bonne. Largement inspirée par le rêve américain, et parfaitement ancrée dans la réalité sociale. Gérard BAR-DAVID, citoyen d’honneur de la république écossaise, joue le guide dans le dédale de la nouvelle scène des highlands. » Christian LEBRUN

Orange Juice

Orange Juice

D’ Aberdeen a Glasgow, des iles Orcades aux Hébrides, de Dundee à Édimbourg l’Écosse vibre de toutes les musiques qui secouent le fessier d’Oncle Sam et foi d’anthropo-rock-critic, cela n’est pas le fruit du hasard. Lecteurs de Best, autodafez donc de suite vos livres d’histoire, car celle de l’Écosse n’est plus du tout ce que vous croyez. Souvenez-vous de Mary Stuart; balancée au cachot, par sa cousine Elizabeth, elle parvient en fait à s’évader en 1568, échappant de peu à la décapitation et soulevant son royaume pour qu’il demeure indépendant. Et, tandis qu’au fil des siècles, les cactus et les champs de coton croissent tout autour de Glasgow, l’Écosse se rapproche peu à peu de son cousin américain. Puis au siècle dernier, l’Écosse, prenant exemple sur Porto-Rico, choisit par référendum son rattachement aux USA. Ainsi, puisque l’Écosse est donc, après Hawaï, le 51ème État théorique des US, dès lors on comprend mieux ce qui pousse tous ces rockers écossais à s’alimenter dans la fusion du melting-pot yankee.

Rock and rollement parlant, l’ombre du grand frère a pesé dès la fin des fifties, sur des glaswegiens pur souche, comme Alex Harvey, qui s’adonnait au rock blues, avec la ferveur d’un Bo Didley. Une décade plus tard, les visages pales en kilt de l’Average White Band réussissaient sans peine à fondre le miel de la soul dans le lait du Blues; en challengeant carrément Earth Wind And Fire, AWB invente sans le savoir la « blue eyed soul» des 80’s. On peut ainsi multiplier les exemples, lorsqu’ à l’aube des 80’s, Orange Juice se concocte un cocktail hybride de funk façon Johnny Guitar Watson rafraîchi au spleen du Velvet Underground ou lorsque Roddy Frame, le frontman d’Aztec Camera, plonge dans le binaire romantique et fragile des Modern Lovers.

Aztec_Camera

Aztec Camera

À la base, les Écossais sont bien plus proches du naturel US, que de la sophistication amidonnée des Anglais. Quelle étrange similitude pousse les guitares cornemuses de Big Country sur la piste du rock sudiste des Allman Brothers ou de Lynyrd Skynyrd ? Faites le test, écoutez successivement les Proclaimers puis les Everly Brothers, vous finirez pas en perdre votre scottish. Comme les Silencers de Jimmy O’Neill penchent vers le country-rock de Loggins and Messina, Poco ou des Eagles, Mike Scott des Waterboys fait un Dylan, période « Jesus Freak » tout à fait acceptable. Scotland-USA, il y en a pour tous les goûts : du Jackson Browne avec Deacon Blue et son juvénile vocaliste Ricky Ross, du néo Ry Cooder avec Texas ou du Marvin Gaye lyophilisé avec Marti Pellow, le Wet Wet Wet souleur pop et voltigeur des charts. Parallèle de crise, les rues du chômage de Glasgow vivent au même beat guerre des gangs que New York City. Après son premier concert au Palace, Skin le chanteur de Hipsway ne m’avait-il pas assuré, en guise de parabole : « Lorsque le ciel est assez dégagé, en grimpant au sommet des highlands on peut littéralement voir le Bronx. » Nôtre Bobby Brown en tartan use, bien entendu, d’une métaphore, mais Glasgow, comme Liverpool et tous les ports du Nord, ont toujours été en prise directe sur les nouveaux rythmes du Nouveau Monde, sinon où les Lennon/McCartney et Jagger:Richards auraient-ils puisé leur inspiration ?

Au Rex-Club,à Paris, j’ai rencontré Kevin Mc Dermott, le Neil Young de la Clyde. Son tout premier souvenir rock, c’est le single « Twist And Shout » et sa face B «I Feel Fine » qu’il avait lui-même enregistré a l’âge de sept ans… dans une de ces cabines Photomaton, en version vinyle directement pressé des 60’S ( tout comme Elvis Presley) . Le 45 tours était un cadeau d’adieu pour son cousin, puisque Kevin s’embarquait pour le Canada, avec papa contremaitre des Chemins de Fer d’Écosse, qui s’en allait construire une ligne en Ontario. Cinq années de forêts et de grands lacs ont sans doute griffé l’inconscient de Mc Dermott.

« Je suis totalement passé à côté de Neil Young et de Dylan. En fait, je les ai découverts, parce que je jouais de la guitare acoustique et que les gens qui m’écoutaient me comparaient sans cesse à eux. »

The Kevin McDermott Orchestra

The Kevin McDermott Orchestra

Pour voyager, Kevin jouait les baladins des rues. « Tu m’as peut-être déjà croisé à Beaubourg et tu m’as peut-être jeté une pièce ou deux. C’était parfois dur, mais pour quiconque a grandi comme moi dans un ciel industriel, voir la Concorde ou la tour Eiffel c’est magique. Je suis aussi retourné en Amérique avec ma guitare et j’ai traversé les States sur ma musique. Et crois-moi, pour un fils d’ouvrier, se baigner dans le Pacifique c’est aussi fou qu’un rêve les yeux ouverts. Toutes les bonnes chansons que j’ai pu écrire sont nées sur les cordes de ma guitare sèche ; j’ai toujours trouvé cela plus direct, plus authentique peut-être. »

Au bout de la route 66, Kevin retrouve le chemin de Glasgow et ses racines punks. Jim, son frangin, et Stef un copain bassiste forment avec Kevin le noyau dûr du KMD Orchestra. Ami de la famille, le Pretender scottish, Robbie McIntosh, viendra jouer les fines lames avec sa guitare pour une maquette qui fera bondir les A and R d’lsland. Subjugués  par une cassette quatre titres, le label au palmier offre un deal instantané a Mc Dermott et l’album est enregistré en cinq semaines, sans même rencontrer le groupe.

« Ce que nous faisons est très organique, très naturel, ce qui compte le plus c’est la minorité et je reconnais que c’est la qualité primordiale du rock américain. »

Del Amitri

Del Amitri

Rêve Yankee sur fond de crise post-industrielle, les Del Amitri prouvent par leur pugnacité que Tom Sawyer aurait pu tout aussi bien vivre ses aventures sur le bord de la rivière Clyde. En 83, lorsqu’ils sortent leur premier album chez Chrysalis, Justin Currie et ses amis(tri) ( humour GBDesque  🤪 ) ont tout juste dépassé l’âge légal de la consommation du scotch. Ces kids avaient du cran, en pleine glaciation cold wave, ils osaient, et sans le savoir, balancer des harmonies sur guitares sèches au furieux « déjà vu » du Buffalo Springfield. Del Amitri avait aussi la nonchalance des Byrds, lorsqu’ils chantaient «Turn ! Turn! Turn !» Délavés par cinq années de galères intenses, les yeux bleus de Justin n’ont rien perdu de leur étincelle rebelle, dans le tumulte match de foot et choc des pintes, de ce pub adossé au Town and Country Club, où les Écossais ouvraient pour leurs US compatriotes de cœur, les Neville Brothers. Et, si aujourd’hui, le rock de Del Amitri continue à pencher vers les cousins yankees, ses guitares sèches se sont bien électrisées.

« L’évolution, elle est en fait dans tous ces albums que nous n’avons pas pu enregistrer ces cinq années, faute de maison de disques », explique Justin.

Et la connexion US, alors ?

« Pour nous, l’expérience américaine a failli tourner au cauchemar. Nous avions claqué nos dernières £ivres en billets d’avion pour New York et comme nous n’avions plus le soutien d’un label, nous avons carrément téléphoné aux fans qui ont acheté le premier LP et les college radios, pour leur dire: « Hello, c’est Del Amitri. On est dans la dèche, voulez-vous que l’on vienne  jouer pour vous ? » et ils versaient 100 $, qui payait tout juste l’essence. On n’a pas vu un seul motel durant la tournée ; on dormait dans le minibus, sur la route ou chez les fans. Tout cela pour te dire que nous n’avons pas une vision particulièrement romantique de l’Amérique. En fait, cette expérience nous aura surtout servi à nous laver du cynisme British où, si tu n’as pas un single classé, ça signifie clairement que que tu n’as pas de boulot. À Glasgow, la moitié de nos potes doit bosser dans des restaus comme serveurs, tandis que l’autre moitié cherche encore un job en vivant du chômedu. »

The Blue Nile by Jean Yves Legras

The Blue Nile by Jean Yves Legras

Glasgow, cité européenne de la culture, juste après Paris, pour Justin cela relève de l’ironie furieuse, une manière de planquer sous le tapis l’enfer social qui secoue la ville depuis que l’industrie lourde et la construction navale se sont effondrées, sous l’ère Thatcher. Sur ses guitares à la Eagles, Del Amitri chante pour que l’Écosse ne reste pas uniquement un paradis yuppie. Et si leurs mélodies sont si paradoxalement ensoleillées c’est qu’aujourd’hui les working class heroes ont eux aussi gagné le droit de porter des lunettes de soleil, pour voir la vie en Ray-Ban.

Comme Texas, the Blue Nile a choisi un patronyme synonyme d’évasion, pour s’arracher au stress de la crise. Paul Buchanan, Robert Bell et Paul Joseph Moore ont laissé leur imagination rock dériver jusqu’a Khartoum ou le Nil Blanc rencontre justement le Nil Bleu. Au début, le trio, qui se retrouvait chez Paul, après le boulot, n’avait aucune envie de partager sa musique avec le monde extérieur. Rock aérien, sombre et introverti, Blue Nile glisse sur le mélancolique velours souterrain, de la tendance John Cale. Un jour, Linn, une petite boite de hi-fi artisanale de Glasgow, écoute une cassette du groupe et décide de jouer les mécènes. Par pudeur ou humilité, Paul et les autres refusent dans un premier temps. Un an et une nouvelle proposition plus tard, Linn assure la production du somptueux premier trente « A Walk Across The Rooftops ».

« On s’est toujours dit que ce serait notre seul album, qu’on se saborderait après, car nous ne voulions pas fonctionner de manière publique, faire carrière comme tous les groupes. »

En six années d’existence, the Blue Nile n’a jamais donné un seul concert, pour conserver le coté hobby émotionnel de sa musique. De même, le laconisme total des pochettes laisse planer le secret sur les occupations de chacun, au sein du trio. Pour Paul et les autres, la musique a sa propre vie et elle se doit de conserver son opacité pour durer. « Hats », seconde livraison en six ans, projette le cycle de la nuit dans les rues de Glasgow. Et, sous la voix désabusée de Paul Buchanan, les images sur l’écran imaginaire ont les couleurs de la nuit américaine d’Antoine Doinel. Climatiquement coup de poing, le Nil Bleu draine l’irrésistible conviction de ces hommes du Nord, entêtés de perfection, comme pouvaient l’être un groupe comme Steely Dan. Mais toute la différence entre les Becker/Fagen et nos p’tits Écossais, c’est le poids des dollars, compensé ici par le feeling et l’imaginaire.

The Shamen

The Shamen

Et si la ruée vers l’or des Highlands ne fait que commencer, le rock made in Scotland n’a pas fini de nous hanter, de son spectre sonore halluciné par le paradis américain. Du funk caramélisé Philadelphia sound des Highlanders aux harmonies krypto-californiennes à la Crosby, Stills, Nash and Young des River Detectives, l’Écosse cristallise tous les chants du Nouveau Monde en les réinventant. Car si un groupe comme les Shamen a manifestement sû prendre en marche le 13 Th Floor Elevator pour rejoindre la volière des Byrds, c’est pour mieux faire traverser le psychédélisme jusqu’a son plus proche futur techno-synthétique. De même, lorsque Aerosmith télescope les Eagles avec Slide, de jeunes loups enragés de Glasgow, on est bien forcé de reconnaitre que le rock a tout a y gagner. Rêve de cow-boy musclé et urbain, Slide signe un sidérant premier album en forme de décharge électrique. Quant aux Guns And Roses, ils ont eux aussi de petits cousins Écossais justement baptisés Gun, car lorsqu’il est question de métal yankee, il n’y a jamais de fumée sans feu. Et, pour en finir avec ces rockers tartans neufs et furieux, il faudra aussi compter avec les Goodbye Mister Mc Kenzie, originaires d’Édimbourg, dont la pop file comme les Cars de Ric Ocasek et aussi  les Indian Givers aux signaux de fumée entêtants, comme le Wall of Voodoo.

Scotts on the rocks, à consommer sans modération, et tant pis pour l’ivresse, le rêve écossais sera bien plus long que la nuit yankee.

 

Publié dans le numéro 258 de BEST daté de février 1990BEST 258

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