DERNIER TANGO A PARIS AVEC BASHUNG
Voici 42 ans dans BEST GBD dansait son ultime tango à Paris avec Alain Bashung. En effet, après cette dernière interview l’artiste qu’il avait sérieusement épaulé, de son premier papier dans la presse rock, en passant par l’agit-prop en sa faveur pour décrocher le Bus d’Acier, le Prix du Rock Français, jusqu’à sa première couve de BEST, allait désormais le ghoster, lui refusant toute nouvelle demande d’entretien, ce qui bien sûr ne retire rien à l’immense talent de l’artiste. Pas rancunier, il continuera d’ailleurs à assidument documenter les sorties d’albums. Quant à ce que cela révèle sur l’homme… c’est encore une autre histoire du rock. Flashback…. avec une top photo de Jean Yves Legras !
Juin 1981, bluffé par le personnage et son univers, je publie ma toute première interview d’Alain Bashung (Voir sur Gonzomusic MA PREMIERE INTERVIEW AVEC BASHUNG ). Quelques mois auparavant j’avais déjà chroniqué le « Pizza » de Bashung (Voir sur Gonzomusic ALAIN BASHUNG “Pizza” ). Lorsque sort le 45 tours prodigieux « Gaby », Alain après toutes ces années de purgatoire coincé entre les deux eaux de la variété et du rock décroche enfin le Saint Graal : la couverture d’un mensuel rock de référence avec le numéro 165 de BEST (Voir sur Gonzomusic BASHUNG PIZZA AMÈRE Épisode 1et aussi ALAIN BASHUNG PIZZA AMÈRE Épisode 2 ). Après cette interview Bashung me fera la gueule et refusera de me parler jusqu’à la fin de sa vie. Sans rancune je continuerai néanmoins de documenter la carrière de l’artiste (Voir sur Gonzomusic ALAIN BASHUNG : « Live Tour 85 » et aussi BASHUNG « Novice » ) déplorant néanmoins la fin d’une bien belle amitié. Retour vers le futur avec cette interview historique, juste avant la publication de son sombre « Play Blessures », écrit avec l’ami Serge Gainsbourg (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=serge+gainsbourg ), notre dernier tango à Paris… en quelque sorte !
Publié dans le numéro 173 de BEST sous le titre :
GABY NOVO
La dernière rencontre avec Bashung, c’était en avril dernier, pour la couve de BEST. Alain venait de tourner coup sur coup cieux longs métrages : « Nestor Burma, détective de choc » et « Le Cimetière des Voitures » d’Arrabal. Dans le même temps, il s’était séparé de son alter-ego parolier, Boris Bergman, et de la majeure partie de son équipe. A la veille d’enregistrer un nouvel LP Alain avait besoin d’air. A l’époque, il envisageait de bosser avec Henri Steimen, un vieux pote qui signait à Moto Plus sous le pseudo de Chopper Max. SI Nestor Burma est sorti sur les écrans, par contre le cimetière est resté dans les choux Les bandes originales des deux films, fruits de l’ultime collaboration Bashung/ Bergman, n’ont jamais vu l’usine de pressage. Pourtant, les nouvelles chansons marquaient une évolution très nette par rapport à « Pizza » : le rocker urbain était plus torturé, moins sûr de lui. J’ai eu la chance de les écouter, ces fichues bandes, et elles contenaient trois ou quatre tubes potentiels dont « Le Beaujolais Novo » récupéré piratement par Radio 7 et diffusé jusqu’aux vacances. Dès lors, toutes les hypothèses sont possibles mauvaise volonté des distributeurs, ras-le-bol Bashunguien ou flip de Phonogram qui ne voulait pas compromettre les chances de succès du futur album. Octobre 82, « Play Blessures », le Bashung nouveau et officiel sort sur le marché, le premier depuis « Pizza », c’est-à-dire depuis deux ans. Chopper Max a regagné ses motos et ses scénarios, Alain a choisi le choc Gainsbourg pour la musique de ses mots. D’ailleurs, pour la première fois, Alain Bashung co-signe les textes. Éparpillées dans les mélodies, on retrouve les chansons du Cimetière des Voitures : in extenso le «Junge Männer », la sirène de SAMU de «Strip » devient «C’est comment qu’on freine », et un Instrumental, « Prise femelle », tandis que quelques accords de « Scalpel et bistouri » servent d’intro au «Junge Männer ». Cette fois, tous les play-backs du 33 tours ont été enregistrés avant même que les textes ne soient rédigés. Alain a choisi un petit studio de campagne, le Vénus de Longueville, où Il a retrouvé une ambiance similaire à celle d’Hérouville à la grande époque. Aujourd’hui, Bashung s’expose un max dans les médias: quelques heures avant notre entretien, il était encore à Radio 7 pour une interview.
« A la radio, ce matin, tu as laissé entendre que tu allais re-travailler avec Gainsbourg, mais ça avait l’air à moitié sérieux ?
« C’est extrêmement simple, tout se passera au niveau du calendrier. Serge actuellement a trois films en cours : « Le coup de Lune » d’après Simenon, un remake de « J’irai cracher sur vos tombes » ou « J’irai tomber sur vos crachats » et un autre truc. Serge est parti en Afrique faire des repérages et commence à tourner en décembre. Mais ce que nous avons découvert ensemble, c’est assez grisant : maintenant si nous nous imposons un disque, on sait qu’on peut le faire en un mois.
Pour cet album, tu partages les textes avec Gainsbourg, pourquoi ne les co-signais-tu pas auparavant ?
Ça ne posait pas de problème précis. On faisait les chansons ensemble, Boris et moi, comme deux mecs qui font des chansons ensemble et qui ne savent pas très bien où commence l’idée de l’un et où s’arrête la musique de l’autre.
Donc, avec Serge c’est plus des rapports de boulot ?
Pas du tout. Non, non, non, pas du tout. Évidemment si tu appelles boulot le fait de se voir régulièrement pour trouver des trucs ou de décider que, ce soir, ça doit être fini pour tel morceau. Mais tout cela passe par des histoires de fou on s’est éclaté, on s’est marré parce que c’est important aussi. Tu dois aller si loin que ça ne peut être uniquement des rapports de boulot.
Donc, tu n’as pas changé de méthode de travail ?
À chaque album, les méthodes sont différentes. Pour celui-ci tous les play-backs étaient prêts avant. Pour « Pizza »e le contraire s’était produit Chaque fois que des rapports compositeur/parolier se sont instaurés, ça n’a jamais collé. Le mec pouvait faire des trucs sans aucun rapport avec ce que j’ai envie de raconter, voilà pourquoi faut que ça passe par ma bouche. Comme je n’ai aucune mémoire, je trimbale toujours un petit carnet où je note des trucs en attendant le train ou un demi. J’ai repris le truc en allemand signé Bergman parce qu’il correspondait à l’album, ça rentrait bien dedans, y a aussi la sirène de SAMU. Moi J’al attendu que ces trucs sortent et je n’ai rien vu venir. Or, ces musiques m’appartenaient j’ai trouvé ça marrant de les recaser dans un autre contexte. Je le fais assez souvent ; prendre deux chansons différentes et copier une petite partie de l’une pour la recaser sur l’autre. A ce moment-là, tu dépasses tout ce que tu peux tenter pour que ça devienne vraiment barge. Quand tu mélanges ainsi, tu fais de l’Hellzapoppin. Si tu le fais comme ça cela parait très naturel en fait il faut tricher beaucoup pour être nature. Quand je me retrouve en studio, je m’amuse avec mes bandes, c’est comme si je me retrouvais dans un énorme magasin de jouets : je touche à tout.
Pourquoi Gainsbourg et toi n’avez-vous pas été tentés par une expérience de duos ?
On n’y a pas pensé à ça, mais si la maison de disques l’apprend, ça va lui donner des idées.
Tu as la sensation de créer des expressions populaires ?
Tu sais, quand « G aby a marché très fort, je ne m’attendais pas une seule seconde à devenir ce qu’on appelle un artiste populaire. Un mec va trouver qu’une expression l’amuse, donc il va l’utiliser parce qu’il l’aura entendue et qu’elle évoquera quelque chose pour lui. A ce moment-là, j’estime avoir gagné, parce que la chanson finit par s’intégrer à sa vie. Je ne fais pas des chansons qu’on écoute forcément entre 5 h et 5 h 15 du mat ; ça doit appartenir à tous ceux qui ont envie de l’utiliser. Faut que ça se balade, faut que ça circule. Dans une B. D, un mec sifflait « Vertige de l’amour » si tu suis l’histoire, tu piges pourquoi c’est ce titre-là et pas un autre. Ça n’est pas uniquement pour siffler un truc, ça signifie quelque chose. Mon problème, c’est d’être à chaque fois un petit peu en avance. J’essaie juste de courir un peu vite pour qu’on ne me rattrape pas : pour moi, un disque c’est autre chose qu’une pute que tu croises. »
« Play Blessures » tourne pour la nième fois sur la platine depuis le début de la rédaction de ce papier et je commence seulement à m’y faire. Pourtant, l’album fait preuve d’universalisme, une boucle qui dépasse son moment. Mais je ne sais pas si les programmateurs radio y trouveront leur chair à tubes : en tout cas, cette fois, il leur faudra chercher juste un peu plus. À force de chercher l’éclectismes Bashung ne risque-t-il pas de s’égarer dans le désert de Gaby ?
Publié dans le numéro 173 de BEST daté de décembre 1982