GIRLS ROCK
À l’heure où l’égalité entre hommes et femmes n‘aura jamais été autant d’actualité, à l’heure où le hashtag #metoo n’aura jamais autant défrayé les chroniques, un ouvrage tel que GIRLS ROCK de Sophie Rosemont n’aura jamais été aussi crucial pour nous rappeler que les filles du rock ont su marquer de leur précieuse empreinte cette culture sonique. Une galerie de portrait aussi exhaustive qu’instructive où les muses, les femmes fatales, les rebelles, les « cheffes de bandes » ou les cow-girls solitaires ont su décliner, chacune à leur manière, un authentique et puissant rock au féminin.
Collègue estimée- une des rares- de Rolling Stone France, j’ai toujours apprécié Sophie Rosemont , véritable music-lover et dénicheuse invétérée de talents soniques les plus éclectiques. Aussi lorsqu’elle publie son GIRLS ROCK, un tel ouvrage ne pouvait demeurer dans l’oreille d’un sourd. En effet, on ne peut qu’adhérer à sa sélection, forcément subjective, des femmes les plus précieuses de la culture rock au sens large. Et tant pis si l’on déplore quelques absentes de choc, Diana Ross, les Bangles ou Jane Birkin, LA muse par excellence. Dès l’intro, l’auteure annonce la couleur :
« Afin de rétablir l’équilibre, pourquoi ne pas consacrer un ouvrage entièrement dédié aux femmes ayant œuvré dans ce domaine (le rock) ? Tirer leur portrait le plus fidèlement possible, dégager la substantifique moelle de leur travail ? Raconter ce qu’elles sont, ce qu’elles ont été ? On aime beaucoup John Mick, Kurt ou Jimi, mais cette fois ils ne sont pas au centre de l’attention. Hormis leurs plus célèbres consœurs -Patti, Joni, Marianne, Janis – trop nombreuses sont celles que l’on ne cite pas, ou pas assez. Il fallait combler un manque. Le mot de la fin, ou plutôt du début, je le laisse à Joan Jett, gamine californienne sauvée par le rock : « les femmes ont des couilles. Elles sont juste un peu plus haut placées, voilà tout. »
Les nombreuses facettes des femmes dans le rock, et la dualité du titre GIRLS ROCK, à la fois « les filles du rock », mais aussi « les filles rockent », constituent un solide ouvrage de référence. Ce n’est pourtant pas le premier livre consacré au sujet, mais ce qui le distingue de tous les autres c’est qu’il soit justement écrit par une femme, avec son propre regard, sa propre oreille devrais-je dire, au féminin.
Ainsi, Sister Rosetta Thorpe ouvre le bal du premier chapitre consacré à « Les cavalières en solitaire », guitariste chanteuse évangéliste de l’Arkansas. Pour Sophie Rosemont, elle est la marraine du rock and roll. Et on enchaine sur Aretha Franklin, femme de tête, indépendante, surdouée. Repérée par John Hammond, qui avait déjà signé Dylan alors qu’elle a tout juste 18 ans, elle n’hésite pas à claquer la porte du fameux label CBS qui veut la cantonner au jazz. Transfuge chez Atlantic, elle impose sa soul dès son premier succès en forme de slogan « Respect », qui annonce sa carrière de femme libre. Après Aretha, c’est au tour de la reine de la country, Dolly Parton de figurer dans cette galerie de portraits. Ce n’est que justice, pour beaucoup de mecs comme moi, avant de vocaliser à la perfection, ce sont ses très gros poumons qui cristallisaient notre attention masculine. Sophie nous rappelle que son tout premier hit de 67 était intitulé « Dumb Blonde » (la blonde idiote) comme un clin d’œil à ne surtout pas prendre au premier degré. On zappe directement à Sheryl Crow, que j’ai bien connu à ses débuts et à sa country rock ravageur. On aurait pu également noter que la belle du Missouri n’a jamais craint de sortir ses griffes, y compris pour régler ses comptes avec un ex, un certain Eric Clapton dans son irrésistible balade « My favorite Mistake ». Grande prêtresse de la révolution hippie dans son fief de Laurel Canyon, ce GIRLS ROCK n’aurait aucun sens sans la présence radieuse de Joni Mitchell « croqueuse d’hommes » et pourtant si solitaire. Son empreinte dans le rock est cruciale, souvent qualifiée de Bob Dylan en jupons, elle a su transcender les frontières entre folk, rock et jazz pour imposer sa fulgurante poésie. On découvre la British PJ Harvey avant de remonter le fil de sa vie de sa prime enfance fondatrice de son rock taillé au rasoir.
Puis Kate Bush figure à juste titre dans cet ouvrage. Journaliste privilégié d’un club très fermé, pour l’avoir interrogée en 89 pour BEST ( qui sera re-publiée dans les mois à venir sur Gonzomusic promis, foi de GBD), évoquant son merveilleux « The Sensual World », je sais combien cette femme-subjuguante est précieuse pour toute la culture rock. Perfectionniste, au-delà de la musique elle règle les moindres détails de son art, jusqu’à ses incroyables routines de danse. Je conserve à jamais l’empreinte émotionnelle de cette artiste inclassable qui irradiait littéralement la petite chambre où nous nous trouvions. Cocktail hexagonal, Sophie Rosemont parie sur La Grande Sophie ou Hollysiz, Calypso Valois ou Fishbach.
Arès les poor (or not) lonesome cowgirls, GIRLS ROCK passe en revue ces cheffes de bandes qui tiennent fermement la barre de leur combo rock. La première est la mythique punk Poly Styrene et son X-Ray Spex suivie par Siouxsie Sioux et ses Banshees, Shirley Manson et Garbage, Sharleen Spiteri et Texas ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/texas-au-texas-la-genese-du-groupe-de-glasgow.html et aussi https://gonzomusic.fr/texas-southside.html ) et une autre vieille connaissance rock, la tenace Chrissie Hynde et ses Pretenders.. Gwen Stefani pour No Doubt et Skin de Skunk Anansie sont aussi évoquées. Sous la rubrique « Leçon d’émancipation », inspirée de « besoin de personne », le premier tube de Véronique Sanson, sont regroupées les femmes qui ont choisi de s’affranchir pour prendre leur essor : Carole King qui a su quitter Jerry Goffin, Tina Turner qui a fait de même avec Ike Turner, Annie Lennox qui a su rompre avec Dave Stewart ou encore Pat Benatar. Ou bien toujours Joan Jett qui explose solo après avoir quitté ses Runaways. Tout comme la p’tite Björk, la pétroleuse qui saura atomiser ses Sugarcubes Islandais ( Voir Sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/petit-sucre-bjork.html ) pour mieux étendre sa domination planétaire en solitaire. De même Véronique Sanson qui quitte son mentor Michel Berger pur s’émanciper en Amérique…aux côtés de Stephen Stills. Par contre hélas en ce qui concerne Catherine Ringer, la prise de solitude n’était pas volontaire puisque hélas causée par le triste décès de l’ami Fred Chichin.
Autre vivier du rock au féminin, les « girls groups » les groupes rock de filles…qui ne soient pas modelés par des mecs ! Et en premier lieu les confidentielles made in USA, Goldie & the Gingerbreads des 60’s ou les GTO’s. puis on passe aux 80’s et en Angleterre avec les punks de Slits…littéralement les « fentes », managées par Malcolm « la grande escroquerie du rock and roll » McLaren, puis the Raincoats. Back to the USA les Gogo’s ont illuminé les années 80 avec les enragées L7…qui nous mènent à Hole, le groupe de l’allumée Courtney Love. Suivent les confidentielles, mais néanmoins imaginatives, le Tigre, Sleater-Kinney, Bratmobile, Lunachicks, Savages… Un chapitre entier, excellente idée, est consacré aux fameuses instrumentistes, batteuses, guitaristes ou bassistes. Et en premier chef l’entêtée Moe Tucker du Velvet Underground. Mais aussi les oubliées de la soul, la percu Bobbye Hall derrière Bill Withers ou Carol Kaye la guitariste aux côtés de Sam Cooke. La fidéle de Bowie, Gail Ann Dorsey est également couchée entre les pages de GIRLS ROCK, à l’instar de Tina Weymouth et la bassiste Melissa Auf der Maur des Smashing Pumpkins. Côté Français, on est représentés par Corine Marienneau ( Telephone) et Edith Fambuena ( Valentins) .
Compagnes, groupies ou muses, le distinguo est parfois ténu, mais on retrouve dans cette catégorie Yoko Ono, Linda McCartney, June Carter Cash, Laurie Anderson ( madame Lou Reed), Marianne Faithful, Justine Frischmann ( madame Damon Albarn), Exene Cervenka (X) . Suivent les femmes fatales, les séductrices que Sophie Rosemont qualifie de « briseuses de cœur » comme Nico, Grace Slick, Stevie Nicks, Debbie Harry, Carly Simon. Dans les années 2000 Alison Mosshar de the Kills. À l’inverse de ces beautés flamboyantes, le livre laisse aussi place aux discrètes, et pourtant talentueuses, comme Elizabeth Fraser l’âme des Cocteau Twins, que j’ai vu éclore avec leur cinglant premier album ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/jai-assiste-a-leclosion-des-cocteau-twins.html ) tout comme Beth Gibbons l’alter ego de Geoff Barrow dans Portishead. Dans le même registre, on retrouve Lisa Gerrard de Dead Can Dance, ainsi que Suzanne Vega. Suivent les femmes engagées telles Pati Smith, Joan Baez, la pionnière Odetta Holmes, notre Catherine Ribeiro nationale, Liz Phair, Tori Amos, l’allumée Sinead O’Connor ou encore Alanis Morissette. Next stop…pour passer en revue les « tombeuses », militantes du sexe libre en forme de vecteur politique, telle la blueswoman provoc Ma Rainey, Lydia Lunch, l’androgyne Antony devenue Anohni, Beth Diddo ardente activiste LGBTQ, Wendy O Williams des Plasmatics, K D Lang. Enfin, cette quasi exhaustive galerie s’achève avec un ultime chapitre consacré aux héroïnes des tragédies du rock, auxquelles elles ont survécu…ou non, et au premier chef Janis Joplin, Mama Cass Elliott, Dolores O ‘Riordan, Amy Winehouse, mais aussi Nina Hagen, Courtney Love.
Futé, chaque chapitre s’achève sur une playlist qui permet de tester en direct les titres des rockeuses précitées. Sophie Rosemont a également demandé, en plus d’une fulgurante intro rédigée par Shirley Manson herself, à quelques jeunes pousses hexagonales d’écrire quelques lignes sur leur chanteuse rock emblématique. Le choix d’un zapping permanent, qui ne respecte pas l’ordre chronologique, forcément dicté par le parti pris du chapitrage des thèmes peut sembler déconcertant, il se révèle en fin de compte carrément rafraichissant. Par son sérieux et ses partis pris artistiques, ce GIRLS ROCK s’impose.
GIRLS ROCK
par Sophie Rosemont Aux éditions NIL