RIP JOHNNY CLEGG
GBD pour une fois reste sans voix. Johnny Clegg vient de nous quitter à 66 ans chez lui à Joburg et une tristesse infinie m’emporte. Héros des sons de la libération de l’Afrique du Sud, je lui avais consacré nombre d’interviews, de portraits et de reportages au pays de l’apartheid, j’avais suivi sa route jusqu’à ce jour d’avril 1994 lorsque Nelson Mandela avait remporté les premières élections démocratiques. Trop de souvenirs se bousculent dans ma tête, trop de chansons de Juluka puis de Savuka et de Johnny en solo ..trop de larmes aussi !
Si je ne suis pas religieux, c’est pourtant paradoxalement le kaddisch qui sonne à cet instant dans ma tête. J’ai les yeux embués de larmes, mon cœur saigne pour un camarade disparu. Un frère feuj, un mensch. Johnny Clegg est parti après s’être battu comme un Lion King, quatre longues années, après avoir eu le courage d’offrir à ses fans une ultime tournée…qui n’est hélas pas passée par la France, nul promoteur n’ayant accepté de produire le show. Peu importe, l’heure n’est pas à la rancune, mais au souvenir. Je veux garder à jamais le rire franc de Johnny, son drôle d’accent mi-anglais mi-sud af. Je veux garder son talent, ses chansons qui résonneront pour toujours dans ma tête. Je veux garder l’image de ses danses hallucinantes de zoulou blanc. Depuis deux ans déjà, on ne pouvait ignorer l’issue fatale du combat que Johnny menait contre le fucking crabe (Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/mort-de-ray-phiri-et-tournee-dadieu-de-clegg-lhecatombe-du-rock-sud-af.html ) mais j’ai encore du mal à y croire, groggy par le choc de cette triste nouvelle. Au fil des années j’ai re-publié sur Gonzo mes entretiens et reportages avec lui
( https://gonzomusic.fr/johnny-clegg-le-lendemain-de-lafrique-du-sud.html ,
https://gonzomusic.fr/so-long-my-african-shadow-men.html,
https://gonzomusic.fr/johnny-clegg-zulu-4-ever.html ), comme ma chronique de son ultime album ( https://gonzomusic.fr/johnny-clegg-king-of-time.html ).
Voici le communiqué officiel que vient de publier Roddy Quin son manager sud-africain :
« C’est avec une immense tristesse que nous confirmons que Jonathan (Johnny) Clegg, OBE( Order of the British empire), a succombé à un cancer du pancréas à l’âge de 66 ans dans l’après-midi du 16 juillet 2019 à son domicile familial à Johannesburg, en Afrique du Sud « , a déclaré Roddy Quin, au nom de la famille, qui ajoute: « Johnny laisse des traces profondes dans le cœur de chaque personne qui se considère comme un Africain. Il nous a montré ce que c’était que d’assimiler et d’embrasser d’autres cultures sans perdre son identité. Un anthropologue qui utilisait sa musique pour parler à tout le monde. Avec son style de musique unique, il a traversé les barrières culturelles comme peu d’autres. En beaucoup d’entre nous, il a éveillé la conscience…Son décès nous a choqués et nous demandons que l’intimité de la famille soit respectée durant cette période difficile. La famille organisera un service funèbre privé et nous vous demandons de respecter ses souhaits. Il y aura un service pour que le public puisse présenter ses hommages et les détails seront annoncés en temps voulu « , a déclaré Quin.
En 2010, pour la sortie de son magnifique « Human », je retrouvais l’ami Johnny dans un salon d’hôtel parisien pour notre dernière interview. Émotion. À cette heure, hélas mes pensées vont à sa femme Jenny, à son fils Jesse et à Claude Six qui s’est tant battu pour lui en Europe. Adieu mon ami tu seras toujours dans nos têtes et dans nos cœurs.
JOHNNNY CLEGG COMBAT-ROCK
On dit que, souvent, lorsque le combattant dépose ses armes, son objectif atteint, il n’a plus le gout de la vie. Mais pour Johnny Clegg, comme pour tous ces hommes qui ont lutté contre l’apartheid, il reste bien d’autres combats à mener.
« La plupart des grands rêves se sont accomplis, », affirme le chanteur qui publie son 16éme album studio, « le rêve que partageait une majorité des gens de ce pays, noirs et blancs, ce rêve-là s’est réalisé. Mais, en ce qui concerne tous les petits rêves que nous avions à côté, franchement, je ne sais pas. Ce que je sais, par contre, c’est que nous avons a pu construire un nouveau pays, que nous avons réussi à changer notre monde.. ».
Son disque est dédié à la nouvelle génération de tous ceux qui n‘ont pas vécu l’obscurité du racisme légiféré jadis aux commandes de l’Afrique du Sud
« On les appelle les born-frees , car ils n’ont jamais connu que la liberté. », explique le fameux « zoulou blanc ». Mais le chanteur est aussi conscient qu’une autre révolution , économique celle-ci, peut encore déchirer l’Afrique du Sud. « Cette fois, ce ne sera pas noirs contre blancs mais pauvres noirs et blancs contre riches noirs et blancs ! »
Dans cet album intitulé « Human » le rock, le folk et le blues vont à la rencontre de cette « âme » africaine que Johnny embrasse depuis déjà quatre décennies en intense choc culturel. Le pari de Clegg, c’est que ces chansons ont une âme. Et parfois aussi un message…Ainsi, « Asilazi » résume le nouveau challenge de son pays : la liberté d’occuper un emploi décent. Enregistrée avec the Soweto Gospel Choir, c’est peut être sa plus puissante mélodie depuis la fameuse « Asimbonanga». Le rock U2esque de « Hidden Away Down » est inspiré par la mort du Sénateur Ted Kennedy. « Love In The Time Of Gaza » est une histoire d’amour dans ce territoire en souffrance inspirée du roman de Gabriel Garcia Marques « L’amour au temps du choléra ». Neil Young disait désabusé voici deux ans qu’ « une chanson n’a plus le pouvoir de changer le monde », c’est sans doute vrai aujourd’hui, mais Johnny Clegg veut toujours y croire.
Oui.
Merci à ce génial être humain, musicien, créateur et passeur de messages, sans frontière.
Sans le voir, nous l’entendrons souvent nous parler.
toutes mes condoléances à ses proches