LAST NIGHT, I WAS SOULSAVED BY DAVE GAHAN
Hier soir à la Cigale, épaulé par le gang de Rich Machin, l’âme de Soulsavers, j’ai retrouvé sur scène un Dave Gahan gonflé à bloc, incroyable performer dans une petite salle à l’image du Palace où Depeche Mode s’était produit en 1982…au siècle dernier.
Décembre 1981, première rencontre avec Depeche Mode au mythique Columbia hôtel de Londres où étaient systématiquement logés les participants au show Top of The Pops. Près de 34 années plus tard et un nombre certain d’interviews, de moments privilégiés, de fous rires et de musique, Dave, Martin et Fletch sont toujours fidèles au poste. Cependant, tandis que Depeche s’offre une année sabbatique, Dave accompagné par ses nouveaux potes de Soulsavers, sous la direction du (trop) discret Rich Machin, met le feu à une petite salle parisienne. D’abord, il y a le choc de cette voix si familière, pour une fois portée par des instruments tangibles et non pas virtuels, un vrai groupe de rock avec ses trois guitares, basse, batterie, claviers et même trois choristes. Car l’énorme surprise de ce projet Soulsavers, c’est l’absence totale de musique électronique qui transcende les émotions portées par les mots de Dave. Et sur cette scène, si l’on pouvait encore en douter, Gahan danse et se déhanche avec une incroyable aisance et une sensualité totale qui fait hurler les fans au premier rang, qui ne l’ont jamais vu d’aussi près. Les chansons de « Angels & Ghosts », 5éme CD de Soulsavers, mais le second avec Dave Gahan en vocaliste, ne sont peut-être pas aussi éblouissantes que celles de son prédécesseur « The Light The Dead See », mais les sombres émotions portées à leurs paroxysmes, cette sorte de fragilité entre prière laïque et confession de foi, ne peuvent laisser quiconque indifférent. « Have you ever followed Jesus ? He lives downtown LA. (Avez vous jamais adopté Jesus ? Il vit au centre de LA.) interroge Dave sur « The Last Time ». Et bien entendu, on ne peut s’empêcher de songer à « Personnal Jesus ». De même, « Tempted » joue sur la corde raide émotionnelle entre croyance et dévotion, une ambivalence dont se joue si souvent Dave Gahan dans ses chansons. Dans la troublante « My Sun », il s’interroge : « I’m a sinner, I’m a saint, I’m nothing without you (Je suis un pêcheur, je suis un saint, mais je ne suis rien sans toi) ». Comme Marvin Gaye savait jouer de cette dualité entre Dieu et Diable, Dave simple mortel fragile joue de ses faiblesses pour que la lumière triomphe de l’ombre.
En 2009 Soulsavers « ouvrait » pour Depeche Mode
En 2009, c’est lui qui avait sélectionné les inconnus Soulsavers pour « ouvrir » les dates de la tournée Sound of the Universe de Depeche Mode. Trois ans plus tard, Dave rejoignait pour la première fois la formation de Rich Machin. Et ce soir sur scène, on peut être certain que la greffe a parfaitement fonctionné. Pourtant Rich n’avait que 14 ans, en 90, à l’époque de « Violator ». « J’ai adoré travailler avec Dave et notre relation nous a paru très simple et naturelle. » m’avait expliqué Rich Machin en 2012, « Pour moi ce disque n’est que le début d’une aventure, même si Dave sera sans doute bien occupé avec Depeche Mode. ». Rich ne croyait pas si bien dire, puisqu’ aujourd’hui, Gahan remet le couvert avec ce groupe. Voici trois ans, lors de son premier Soulsavers, j’interrogeais Dave sur ce contraste entre les instruments électroniques de l’univers de DM et ce son très organique concocté par Rich Machin : « Pour être honnête, Gérard, j’ai écrit toutes ces chansons, en termes de mélodies vocales et de textes et elles me sont venues de manière très naturelle, comme si j’avais dirigé mon antenne intérieure pour les capter en moi tandis que je réagissais à une ligne de guitare ou d’orgue ou un son que Rich m’avait envoyé. C’était ma réponse à moi, ma réaction à ce que j’entendais. Mais ces chansons, c’est comme si elles s’étaient écrites toutes seules et je ne dis pas cela de manière arrogante. Je sens que j’y suis en partie pour quelque chose, mais quelque part c’était aussi une puissance qui me dépassait, un don qui m’avait été transmis. »
Plus fort que la mort
Dave avait survécu à son cancer et il avait vu la mort de près, c’est sans doute ce qui explique encore aujourd’hui l’aspect mystique de ses chansons : « Et bien je pense que sans doute cette expérience a certainement influencé mes sentiments à ce sujet. Mais depuis que je suis tout gosse, j’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose, une force, un pouvoir au-dessus de nous que je voulais essayer d’analyser, même très jeune. Et, à un moment, durant mes années d’adolescence jusqu’au début de mes vingt ans, j’avais choisi d’ignorer cette dimension en moi, même si j’ai toujours ressenti une présence au-dessus qui prenait soin de moi. Je n’en sais trop rien, on utilise le mot « Dieu », mais pour moi des tas d’autres choses le représentent. Donc cet album reflète à nouveau mon combat pour cette idée : je dois reconnaître le pouvoir d’une force qui me dépasse de très loin. C’est assez facile pour moi : il me suffit de contempler l’océan dans les Hamptons et je réalise vraiment que tout cela est tellement plus puissant que moi. Comme la vue de mon appart sur la rivière Hudson en contemplant ces tankers géants qui remontent le courant me montrent que tant et tant de choses dans cet univers sont bien plus puissantes que nous.Toi aussi tu as séjourné à l’hôpital et tu as vécu cette terrible expérience que je connais si bien pour l’avoir aussi traversée ; tu réalises soudain que tu vis un de ces instants où tu ne peux t’empêcher de dire : mon Dieu ! Et c’est toujours la formule que nous utilisons : mon Dieu ! Je me suis pourtant battu contre cette idée, car la plupart du temps j’aime savoir que je suis au contrôle de ma vie et tout spécialement lorsque je fais de la musique et tout ça. C’est plus difficile lorsque je travaille avec mon groupe, car c’est comme si nous étions tout un tas de gens entassés dans la cuisine à faire le même gâteau. Parfois, tu dois sortir de la cuisine pour que quelqu’un se charge de finir la pâte et de mettre le gâteau au four. »
« Walking In My Shoes »
Ce soir, sur la scène de la Cigale, les bras en croix, comme un crucifié, Dave Gahan se penche vers son public, visiblement ému de l’accueil ici reçu. Le show, aussi majestueux soit-il, paraît décidément trop court. Et si l’album n’est sorti que depuis quelques jours, les fans connaissent déjà par cœur le refrain de « Tempted » et le chantent à tue-tête : « I can’t see whant you want from me/ I can’t be, no, what you want me to be…angel ». Mais c’est au rappel que le chanteur nous réserve la plus grosse surprise avec une incroyable reprise de…Depeche Mode avec l’imparable « Walking In My Shoes » extraite de l’album « Songs of Faith and Devotion » de 1993. Et c’est sans doute la toute première fois que je l’entends ainsi interprétée par de vrais instruments, loin des fantastiques machines de DM. Alors, comment ne pas ressentir un petit pincement au cœur, comme lorsque l’on retrouve un très vieil ami et que l’on mesure ainsi de tout le chemin parcouru cote à cote? Lorsque la salle se rallume, je dois admettre que ce soir j’ai été littéralement « soulsaved » par Dave Gahan.