BEYONCÉ « Cowboy Carter »
Il fallait bien se laisser du temps au temps pour explorer les VINGT SEPT compositions de cet explosif 8ème album de Beyoncé Knowles-Carter, sans aucun doute le chef-d’œuvre de la chanteuse de 42 ans. Et comment en serait-il autrement quand tous les fachos trumpistes bavent de haine lorsqu’une fille du Texas ose revendiquer fièrement ses racines country ? Ah oui j’oubliais…. Notre Queen Bee est un peu black et cela suffit manifestement à leur filer des hémoroïdes. Tant mieux. D’autant que du vétéran Willie Nelson à l’immense Dolly Parton en passant par la propre fille de Johnny Cash, les vrais cowboys sont de son côté. Au moins désormais on sait reconnaitre les cons du premier coup d’oreille. Go Bee… go… jusqu’aux sommets.
C’était l’automne 1989, lorsque l’album « Southside », le tout premier Texas est paru, j’avais fait le pari avec notre Rédacteur en Chef Christian Lebrun que lorsqu’il cartonnerait… je partirai « couvrir » la première tournée US du groupe Écossais et que par conséquent je ferai Texas… au Texas. Pari gagné, en novembre je suivais Sharleen, Ally et Johnny entre Dallas, Fort Worth et Houston (Voir sur GonzomusicTEXAS AU TEXAS: LA GENESE DU GROUPE DE GLASGOW ). Mais quel rapport avec notre « Cowboy Carter » ?
Comme le reportage Texas était aussi réalisé pour la télé, par conséquent j’avais une équipe de tournage sous la main et dans un mag US j’avais lu un article, qui avait gravement attiré mon attention, consacré au Circle L, une assoce de cowboys et de cowgirls de Fort Worth qui avaient la particularité d’être tous noirs. Je suis parti à leur rencontre et j’ai passé une incroyable journée avec ces amoureux de western. J’ai partagé leur BBQ, fasciné par leur expertise à cheval et leurs fringues country and western. Bien sûr je connaissais la chanson de Marley « Buffalo Soldiers » dédiée aux soldats noirs de l’armée nordiste du 10ème de cavalerie qui combattaient les esclavagistes du Sud durant la Guerre de Sécession. De même j’avais vu le « Blazing Saddles » de Mel Brooks (Voir sur Gonzomusic MEL BROOKS KING OF RAP) où le héros principal était un cowboy noir. Mais Tarentino n’avais pas encore réalisé son « Django Unchained » et les blacks à cheval ne couraient pas les rues. Le plan de fin de mon reportage était mon cowboy du Circle L qui chevauchait au soleil couchant sur le terre-plein du freeway, galopant au milieu des automobiles de part et d‘autre.
Lorsque j’ai écouté pour la première fois le « Texas Hold’ Em » de Bee, j’ai immédiatement songé à ma visite au Circle L, fier que Beyoncé revendique cet héritage country, preuve que le Far-West n’avait jamais été l’apanage des blancs, mais une culture très largement partagée par les communautés aux USA. Ceux qui voudraient interdire Queen Bee de country au seul motif de sa couleur de peau, sont les mêmes qui ici voudraient empêcher Aya Nakamura (Voir sur Gonzomusic AYA NAKAMURA « Nakamura ») de chanter du Piaf pour le même sordide et raciste agenda. Pour toutes ces raisons et toutes les autres, c’est dire si cet album se révèle crucial : lutte contre le racisme, le machisme, le sexisme, la réécriture de l’histoire, mais surtout une sacrée collection de super chansons qui font non seulement bouger le corps mais aussi la tête.
Et tout démarre avec cet « American Requiem », sur un casting de crédits époustouflant où l’on retrouve Jon Batiste, Shawn Carter ( Jay Z, son mari donc !) Stephen Stills, Raphael Saadiq parmi 12 intervenants pour un krypto country gospel sublime qui fusionne si admirablement les deux cultures noire et blanche en un hymne émotionnel où la voix démultipliée de la chanteuse se mue en chorale, une technique que l’on retrouve sur le second titre, la très surprenante et glorieuse reprise du sublime « Black Bird » de l’album… Blanc des Beatles. Et on peut à nouveau parler de transgression, les racistes cherchant à s’approprier les Beatles blancs, au même titre de cette country qu’ils considèrent comme leur dernier bastion… les cons ! Mais rien n’arrive par hasard sur cet album, car il faut se souvenir que les Beatles ont sorti cette chanson dans l’écho du combat pour les droits civiques. Car McCartney avait particulièrement à l’esprit la lutte des femmes noires lorsqu’il l’a composée, d’ailleurs il raconte que « À l’époque où j’ai écrit « Blackbird », en 1968, j’étais très conscient des terribles tensions raciales qui régnaient aux États-Unis… Cette image des ailes brisées, des yeux enfoncés et de l’aspiration générale à la liberté demeure tout à fait d’actualité ». Musicalement, le cover est juste somptueux, la voix de Beyoncé se révèle à la fois simple et magnifique, portée par des harmonies angéliques façon Beach Boys et l’on peut dire que jamais ce « Blackbird » n’aura volé aussi haut dans le ciel depuis les Fab Four !
Country folk avec « 16 Carriages » aux accents de Carly Simon, de Melanie mais aussi de Joni Mitchell pure et puissante. C’est la toute petite voix d’enfant, la propre fille de Bee et Jay Z qui ouvre « Protector », superbe balade pure country, sur guitare acoustique, pour un thème classique du western, la promesse de toujours protéger les plus faibles… mais cette fois au féminin …je serai ta protectrice… Avec « My Rose », on plonge dans le rétro 60’s comédie musicale plus proche des « Parapluie de Cherbourg » de Jacques Demy que des films de John Wayne, mais c’est justement cet éclectisme surprenant qui fait toute la richesse de cet album. Premier intermède et premier guest de choix avec l’oncle Willie Nelson, qui joue les DJ de radio country, pour lancer le prochain titre de sa légendaire voix rocailleuse, le déjà hit colossal massif « Texas Hold’ Em », publié le 11 février dernier, un irrésistible et joyeux square dance qui me donne furieusement envie de porter Stetson et bolo tie… quel que soit ma race, ma religion, ma couleur de peau… vous l’aurez compris ce titre-là me fait penser à mes héros du Circle L évoqué plus haut et c’est bien plus grand que la musique par toute la symbolique portée par cette chanson.
« Bodyguard » plus pop et funky à la Prince, inexorablement tubesque et sexy légère, en tout cas particulièrement entêtante… un classique thème country… mais vu du point de vue d’une femme, ce qui change tout à la notion de « garde du corps ». D’ailleurs Bee s’amuse même à citer John Wayne, l’archétype du cowboy male salvateur… bref, avec un tel bodyguard et son shotgun Jay Z n’a qu’à bien se tenir. Suit un message de Dolly Parton pour présenter le titre en déclarant : « Hey miss Honey B, it’s Dolly P. You know that hussy with good hair you sing about » : « Hey miss Honey B, c’est Dolly P. Vous savez, cette fille aux beaux cheveux dont vous causez dans vos chansons ? » – un clin d’œil à la chanson « Sorry » de Beyoncé de 2016 et à sa fameuse phrase « Becky with the good hair » (Becky aux beaux cheveux). Et Honey B vocalise avec art ce classique entre les classiques de la country music « Jolene » et c’est comme un puissant règlement de compte à OK Corral que la native de Houston endosse à la perfection. Avec la romantique « Daughter » on se rapproche de la frontière mexicaine et la country se fait plus latin, ce qui participe tout autant à l’identité du Lone Star State… avant de virer sur carrément du Bel Canto, cette chanson est un voyage en sons. Sur « Spaghetti » on entend la voix de Linda Martell, la toute première femme noire à oser percer dans la country music, un sacre consacré au mythique Grand Ole Opry le temple du genre à Nashville. Puis « Alligator Dream » festive et enivrante en parfait équilibre entre beat country et harmonies soul music. Pour « Just For Fun », miss Bee s’associe au mythique chanteur country Willie Jones pour un cool duo aux sidérantes harmonies, délivrant ce qui constitue sans doute un des moments les plus forts de ce sublime album. Suit « II Most Wanted » le désormais déjà fameux duo électrique avec Miley Cyrus, autre moment choc où ces deux filles du sud (Miley vient du Tennessee) revendiquent de porter la culotte de peau sur une country gospel qui fait si bien tourner les têtes. Top et militante chanson !
Sur « Leviis Jeans » on n’est guère surpris de retrouver Post Malone ( Voir sur Gonzomusic POST MALONE « Hollywood Bleeding » ) le natif touche à tout de Syracuse, NY n’a-t-il pas déjà embrassé à la fois le rap, la pop et le metal ? Cette fois le métissage country façon Beyoncé lui va comme un gant et on peut dire que ces jeans sont sacrément bien portés … hawdy ! Puis, après le speed « Flamenco », on retrouve à nouveau l’héroïne Linda Martell pour un court extrait « The Linda Martell Show » qui introduit « Yaya » … une extrapolation du tube de Nancy Sinatra « These Boots Are Made For Walkin’ » et c’est aussi intensément volcanique que du Tina Turner. Et pour faire bonne figure, comme on dit, Dee y cite aussi le « Good Vibrations » des Beach Boys dans ce joyeux mais intense maelstrom. Retour à la pop funky insouciante avec la pulsée « Riverdance », aux forts potentiels tubesques, portée par sa guitare acoustique country style qui parfait ce patchwork sonic. Dans la foulée, le « II Hands II Heaven » est porté par le sample emblématique du thème de « Trainspotting » d’Underworld, le frénétique « Born Slippy Nux », téléporté au second millénaire dans une toute autre dimension comme une country de science-fiction fichtrement originale pour un effet waou garanti. Puis avec « Tyrant » les deux géantes du grand Ouest se retrouvent enfin pour un duo en forme de duel au soleil qui réunit Dolly Parton ( Voir sur GonzomusicLA TOTALE DOLLY PARTON et aussi DOLLY PARTON « Rockstar ») et Beyoncé dans un moment forcément d’anthologie. On découvre ensuite « Sweet Honey Bucklin’ » en compagnie de Pharrell Williams dont on reconnait la prod détourne joyeusement le hit « Fall To Pieces » de Patsy Cline pour un des titres les plus délicats de l’album qui ne sacrifie rien à l’énergie et à la folie douce de notre Texas Belle. Enfin, tout s’achève façon pur gospel épique avec « Amen » et l’on en reste encore tout étourdi, tant ce disque se révèle d’une incroyable richesse de sons et d’émotions preuve que Queen Bee n’a décidément pas fini de régner sur le far West et le reste du monde. « Ceci n’est pas un album country mais un album de Beyoncé » proclame-t-elle. Promesse largement teneue et bien au-delà. « Cowboy Carter » n’est pas « Cowgirl Carter » c’est clair et elle est loin d’avoir achevé sa chevauchée fantastique.