MEL BROOKS KING OF RAP
Voici 42 ans dans BEST, GBD rencontrait un rapper singulier et l’un des incontestables premiers héros de la culture hip hop… un certain Mel Brooks, qui pulvérisait les charts de son hallucinant maxi 45 tours « I’s Good To Be the King », extrait de la BO de son propre long métrage « La folle histoire du monde ». Visionnaire, ce dernier dénonçait déjà l’antisémitisme croissant à l’époque. Entretien avec le réalisateur le plus drôle à qui il m’ait été donné de tendre mon micro et flashback…
« Maintenant, venez voir et écoutez-moi/ Je vais vous dire comment je suis entré dans l’histoire/ Vous pouvez m’appeler Louis, je suis le roi de France/ Jetez un coup d’œil à mon histoire pendant que vous dansez/En dix-sept cent quatre-vingt-neuf/ Les paysans mouraient de faim, mais moi j’allais bien… » « It’s Good To Be the King » Mel Brooks
Si j’ai adoré interviewer certains cinéastes comme Ridley Scott par exemple, je n’ai jamais eu le privilège d’interroger Woody Allen, ce que déplore fortement bien sûr. Mais j’ai eu au moins la chance de parler avec le second réalisateur feuj le plus désopilant du monde en la personne de Mel Brooks, le jour où il s’est mis en tête de faire du rap… et de décrocher la queue du Mickey et le plus haut sommet des charts. Jovial, cool et immédiatement complice, Mel Brooks était alors âgé de 56 ans… soit de trois ans plus vieux que mon père à l’époque, ce qui ne l’empêchait pas de faire preuve d’une âme de gamin éternel. Et d’être doté d’un sens de l’humour particulièrement givré, ce qui ne l’empêchais pas d’être particulièrement lucide sur l’éternelle résurgence de l’antisémitisme, comme ce à quoi nous assistons de nos jours. Voici quatre décennies, Brooks me confiait qu’il travaillait sur la suite de sa « Folle histoire du monde », un « History Of the World 2 »… qui se concrétisera finalement et quelque peu confidentiellement en … 2023 sur la plateforme Hulu ! Pour mémoire l’immense Mel Brooks est toujours parmi nous et nous l’aimons d’amour ; il devrait d’ailleurs fêter ses 98 printemps le 28 juin prochain… et c’est tout ce qu’on peut lui souhaiter…
Publié dans le numéro 169 de BEST sous le titre :
MEL 1er
Imaginez que Groucho Marx ait enregistré un single New Wave et qu’il cartonne dans les charts club d’Europe 1, à ma place qu’auriez-vous fait? Sans doute, comme moi. Auriez-vous pris le diable par la main pour l’amener chez Rock Hair se faire faire une banane. Mel Brooks c’est un peu la même histoire. Si « La folle Histoire du monde » son dernier LM (Long Métrage) était plutôt décevant, cet allumé a déniché un autre terrain pour nous étonner. Dans la foulée de Grand Master Flash, de Blondie et de Kurtis Blow. Mel Brooks s’est adonné au rap. « It’s Good To Be the King », c’est bon d’être le roi, comme il rappe si bien en franglais, est le gimmick le plus dansant depuis « Let’s Groove » d’Earth, Wind and Fire. En prime, le réalisateur-chantant offre l’humour : son rap attaque très fort du côté de la dérision. A cinquante balais, ce petit juif yankee fait la pige aux maîtres du funk : 500 000 45 tours vendus, banco. Un peu dépassée par les événements, RCA sa maison de disques reçoit ma demande officielle d’interview. Mel est à Londres pour le tournage du deuxième volet de « La folle Histoire du monde ». Il accepte de venir à Paris pour se soumettre à la question. Le décor est planté dans un salon du George V, face à un buste de Napoléon. TF1 actualités finit de ranger son matos, l’interview commence sous un feu nourri de flash à répétition : les photographes d’agence ont la gâchette un peu trop facile à mon goût. Ça tourne? Mel Brooks donne le départ en mimant le clap.
« Alors, tu es bien assis ?
Je suis assis.
Sur un trône ?
Comme sur un trône.
C’est bon ?
Oui… c’est si bon d’être le roi… tout le temps.
« It’s good to be the king » n’est pas ta première chanson ?
Non, je chante déjà dans un certain nombre de mes films, mais c’est la première fois que je fais un truc aussi dansant. Il y a des années, j’ai enregistré un disque de comédie sur lequel je jouais un pèlerin vieux de 2 000 ans. On me posait des questions et je répondais : normal, je connais tout le monde. « Tu Connais Jeanne d’Arc ? » Jeanne était ma maîtresse. En fait, pendant deux ans, j’ignorais qu’elle était une femme. Normal, Jeanne s’habillait toujours en mec. Lorsque le disque a commencé à marcher, j’ai largué Jeanne.
Il parait que tu vas faire un album ?
C’est un projet qui m’excite, mais j’ai besoin de temps. Avant tout, je suis réalisateur. En ce moment, je travaille sur deux films à la fois : « History of the world part 2 » et un remake de « To Be Rr Not To Be » (« Jeux dangereux ») avec Anne Bancroft ( son épouse légitime à l’époque:NDR).
Tu est satisfait de « La folle Histoire du monde ? »
Oui, mais je suis très stupide : j’aime tout ce que je fais. J’aime bien être drôle et fou, mais j’aime aussi passer mon message. La scène de l’inquisition, par exemple, c’est une manière de montrer qu’au moins tous les 500 ans il y a des flambées d’antisémitisme.
Tu te sens concerné ?
Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? Tous mes copains, ma famille ils sont tous juifs. Moi par contre je ne le suis pas, tu comprends je ne veux pas d’ennuis. Mais mon frère est juif, ma mère est juive, sauf moi : je ne veux pas avoir de problème. Non… je blague, il n’y a pas pire juif que moi et tu veux savoir pourquoi ? Sérieusement au début je n’étais pas juif, mais j’ai changé de religion pour avoir une chance de devenir une star du showbiz comme Robert Zimmerman.
Cet album que tu prépares, tu comptes en composer tous les titres ? .
Oui et il y aura du rap, des love-songs, des hommages à des films. J’ai plus de six mois de boulot sur ce disque.
Mais pour toi c’est le cinéma avant tout.
Non, avant j’étais batteur. J’ai débuté dans la musique, je m’y sens donc très à l’aise. D’ailleurs je passe mon temps à en écouter.
Des noms?
Blondie parce que Debbie Harry me rend maboul, Madness, Clash. Oui… tu as deux autres questions?
Deux autres questions ?
Bon, alors trois autres questions.
Tu n’as pas été surpris par le succès du disque?
C’était une promo, une blague pour le film. C’est bon d’être le roi. Et soudain boum, les charts, le poids des chiffres, le choc des ventes. Okay, le beat est bon, il y a quelques idées et la musique n’est pas trop dégueulasse, mais je suis aussi surpris que toi. Ça prouve qu’il faut savoir bosser pour s’amuser. Dernière question.
Quelle est ta position sur les femmes?
Mel Brooks & Anne Bancroft
En dessous. J’aime bien être en dessous, je n’ai pas envie de me fatiguer. Non, j’adore les femmes. Elles sont ce qu’il y a de mieux au monde et surtout une petite Sheila qui vit à Cincinnati. Et si jamais ma femme tombe sur ton magazine, je suis foutu. Mais j’aime Sheila, elle s’est tant dépensée pour moi. Surtout aux alentours de quatre heures du matin. Je ne dirai pas quoi, mais ça me faisait crier « Ouuuu… ouuuuuu. Ouuuuu » assez souvent.«
Hum… C’est bon d’être le roi, à condition de ne pas perdre la tête. Avec la sienne, Mel ne risque rien : elle est si gonflée qu’il peut s’en servir comme montgolfière pour voler au-dessus de Paris. Certes Mel Brooks est mégalo, mais il est si drôle que c’en est un plaisir : j’espère qu’il reviendra bientôt se payer ma tête. Pour lui, et seulement pour lui j’accorde des facilités de paiement !
Publié dans le numéro 169 de BEST daté d’aout 1982
