TAXI GIRL « Seppuku »
Voici 41 ans dans BEST Christian Lebrun signait cette époustouflante chronique de “Seppuku”, THE album iconique du non moins iconique Taxi Girl. Et relire ces lignes si admirablement écrites après toutes ces années est une grande leçon d’humilité face à tous ces talents disparus : au premier chef Christian à l’aube des 90’s, mais avant lui hélas beaucoup trop vite et beaucoup trop tôt le petit Pierre Wolfsohn puis ensuite Daniel Darc voici déjà 10 ans et enfin Laurent Sinclair il y a trois ans. Triste et à la fois joyeux flash-back…
En général, dans cette rubrique « Flash-back » je ne re-publie que mes articles persos historiques dans BEST, avec parfois l’apport d’ex collègues du mag de la rue d’Antin tels que Youri Lenquette ou Bruno Blum lorsque ce dernier ne s’était pas éclipsé derrière la face cachée de la Lune à la manière d’un Syd Barrett camembert… anyway ! Mais, en dehors de ses « châpos » que je re publie en le citant à chaque fois bien sur, je n’avais jamais re-posté d’article signé Christian Lebrun et pour cause : lorsque je suis rentré à BEST en décembre 80, puis avec les arrivées successives de Youri ( Lenquette) et de Jean Eric ( Perrin) le rédacteur en Chef de BEST a de moins en moins écrit dans son propre mag, ne conservant quelques temps que sa rubrique 45 tours avant de l’interrompre pour se consacrer uniquement à la direction éditoriale et à l’organisation du journal. Or après toutes ces années écoulées on oublie l’immense talent de Christian, sa belle et élégante écriture d’érudit rock, sa sensibilité excerbée, son feeling comme on disait alors et surtout… surtout son inépuisable soif de découvertes soniques, cette insatiable curiosité artistique qui le poussait toujours en avant, une leçon que je n’ai jamais oublié. Mais de temps à autres, Christian retrouvait le clavier de sa machine à écrire lorsqu’un disque rare apparaissait, un disque qu’il jugeait exceptionnel voire indispensable pour le chroniquer. C’est ainsi qu’en février 1982, dans ce BEST 163, Christian signait cette chronique particulièrement laudative du premier et donc ultime album de Taxi Girl- puisque le colossal « Cherchez le garçon » n’était sorti que sous la forme d’un 4 titres – (Voir sur Gonzomusic DERNIER TAXI (GIRL) A PARIS ) qui incarnait alors la tête pensante de cette New Wave hexagonale bouillonnante et émergente.
Car il y a un avant et un après « Seppuku ». ¨Pour l‘avant, il y a la bouleversante disparition par OD du batteur, Pierre Wolfsohn, mec cool de chez cool et si attachant, avant même la sortie de l’album. Quant à l’après… quelques mois plus tard, avant même d’avoir tourné pour défendre le 33 tours, le groupe explose en vol, Laurent Sinclair ( Voir sur Gonzomusic ADIEU À LAURENT SINCLAIR PAR PIERRE MIKAÏLOFF et aussiL’adieu à Laurent Sinclair ) claque la porte et Taxi Girl devient l’espace de quelques précieux maxis un binôme Daniel Darc ( Voir sur Gonzomusic DANIEL DARC L’ETOILE SOMBRE et aussi DANIEL DARC: L’ange déchu )/ Mirwais (Ahmadzaï), puis chacun finit par tracer sa route distincte… jusqu’à ce virage mortel du destin qui emporte ce frère feuj et de rock, Daniel Rozoum puis Laurent Sinclair. C’est vrai, la légende de Taxi Girl brille à jamais dans notre galaxie rock, mais à quel prix ? Elle s’est forgée dans le sang et la tragédie. Pour nous qui restons désormais condamnés à la contempler, figés par une telle frustration en imaginant tous les albums qu’ils auraient pu, qu’il auraient du nous balancer à l’in(rock and roll)star de tous les sommaires de music culture que Christian Lebrun aurait pu… aurait du nous concevoir…
Publié dans le BEST 163 sous le titre :
SANS FAUTE
par Christian LEBRUN
« Viviane Vog tranche ses veines ». L’important n’est pas d’essayer d’isoler au scalpel la part de jeu, d’auto-intoxication, de stratégie de celle de penchant, de fantasme, et d’authenticité dans ce qui conduit Taxi Girl à ne chanter que la noirceur glaciale d’un désenchantement définitif ou la rougeur sanglante d’une violence aussi extrême que gratuite quand ce n’est pas l’écarlate de la manifestation de forces paranormales. L’important n’est même pas d’adhérer ou non à cette sorte de fascination pour ce dépassement de soi surhumain — inhumain que reflète le titre de cet album, « Seppuku », nom de l’auto-sacrifice rituel japonais qui ferait trouver la dignité ultime dans le choix de sa propre mort. Non, pas plus que pour ceux qui chantent cuir et zone, ou spleen et poudre, ou bluettes et fleurettes, l’important n’est pas de décerner aux émetteurs des certificats de conformité aux normes de la bienséance rock en vigueur, l’important est d’apprécier la force réelle de l’effet de souffle qui en résulte et atteint finalement le récepteur : vous, nous. Et puis, dans cette vaste comédia del arte moderne, les masques peuvent être d’épiderme ou de carton bouilli, mais leur choix, de toute façon, ne provient jamais du hasard.
« Dernier groupe avant la troisième guerre mondiale », « groupe qui s’ouvre les veines sur scène », Taxi Girl avait surgi dans le triste cocktail de l’après-punk. Un regard moderne, cynique, désimpliqué, sur un horizon bouché ; une conscience vide des désillusions des générations précédentes. Avec cette parcimonie exemplaire qui fait que, trois ans après, le groupe aborde son premier album avec, à la fois, une aura de virginité, de potentiel non dévoilé, et des moyens adéquats comme aucun autre n’eut la patience de se ménager, Taxi Girl joua à la reconstruction sur des 45 tours dont la finition tranchait, l’originalité redécouverte accrochait, et surtout dont le courant d’air du temps passait. Comment par exemple, ne pas entendre dans la grave envolée de « V2 sur mes souvenirs » la parfaite bande sonore de cette période de l’attentat de la rue Copernic où tout semblait s’enliser sous l’effet des soubresauts d’un giscardisme décadent
Mais le sentiment tragique ne fut pas l’unique registre. « Jardin Chinois », « Cherchez le garçon » — le Hit, la voie royale — étaient d’autres faces, plus enjouées, de l’inspiration de Taxi Girl. Et dans « Seppuku » si les mots sont le plus souvent durs, sombres, impitoyables, ce qui vous touche avant tout est magie ou puissance. On parlait d’effet de souffle : il est permanent dans cet album fort
« Avenue du crime », lancinante et glauque dépression pure (lentement scandée avec ravissement par les martèlements de Jet Black, parfait session — Strangler appelé à la rescousse par Bumel), est un peu, en fin de face 1, la seule exception « noir, c’est noir ». On inaugure plutôt cette face 1 par trois morceaux rayonnants, trois hits, ni plus ni moins, comme encore entrainé par l’élan vital des 45 tours. Mais « Les armées de la nuit », « Viviane Vog » et « La Femme écarlate » sont d’un achèvement, d’un équilibre, d’une séduction jamais atteints jusqu’ici par Taxi Girl. Des morceaux qui, pourtant, ne racontent rien de franchement rigolo, mais qui portent cette aisance, cette grâce, cette évidence — c’est si simple après tout — qui fondent un grand répertoire. On ne sait que louer le plus, de l’épanouissement des compositeurs ou de la limpidité de la production de Jean- Jacques Burnel qui a parfaitement réparti dans l’espace ces chœurs caressants, ces strates de claviers enluminés, cette guitare flashante. Bumel et Taxi Girl renouent ici magnifiquement avec cette tradition du rock un peu orfèvre, qui devrait pourtant être toujours de rigueur. Cette manière de tirer parti de toutes les ressources d’un studio, de fignoler des sonorités inédites, d’accumuler les petits gimmicks fugitifs, bref, de réaliser une architecture sonore plutôt que de coucher de la décharge électrique au kilomètre.
Ces gerbes de piano romantique qui servent d’épilogue aux « Armées de la nuit » sont un bel exemple de superbe touche de classe qui enrichit incomparablement un thème. ( Burnel aurait d’ailleurs sérieusement malmené le piano du studio de l’Aquarium à cet effet, cloutant les marteaux et perçant un orifice pour introduire un micro à l’intérieur…). En outre, Burnel a exactement mis en valeur deux traits majeurs de Taxi Girl, cette quête un peu baroque des instruments et ce bombardement d’images des textes. Le charme de Taxi Girl tient pour beaucoup dans cette façon d’exploiter le moment où, la furie électrique passée, on se reprend à goûter à la résurrection de la sensualité des couleurs, des chamarrures, des arabesques, d’une surcharge un peu folle mais surtout innocente. Ce moment eut déjà un nom : le psychédélisme. Taxi Girl est cependant aussi néo-psychédélique que les Doors pouvaient être psychédéliques. Mu par une rythmique toujours fière et véhémente (toujours… rock), Taxi Girl traite ces frivolités sous leur aspect fonctionnel minimal, gardant toujours tête froide et rictus impassible. Les claviers de Laurent Sinclair sont ainsi partout : en prélude aguichant ou énigmatique à la course échevelée de « N’importe quel soir » ou aux exotiques et branchantes aventures dans le « Musée Tong », en coups de projecteurs majestueux pour les changements de couleur des « Armées de la nuit », ou encore en leitmotiv — coups de tonnerre d’une ampleur étonnante derrière les terribles images de « John Doe 85 », parvenant à communiquer un effroi au moins aussi sûr que les pourtant terribles flashes sur le massacre de la villa Polanski. Helter Skelter.
Les mots. On peut ne pas être sensible à l’univers âcre circonscrit par les textes de Taxi Girl, ni à leur qualité intrinsèque, mais on succombera facilement à leur sens de la mise en scène. Et ce script brillant, vif, constamment changeant, a été très habilement traduit par Burnel, filtrant au bon moment, avec une magie toute « pop », la voix de Daniel Darc amenant les chœurs à point nommé pour souligner les changements de tableau. Et les tics vocaux, le phrasé un peu désincarné de Darc, à la limite du crispant parfois, s’imposent ici finalement comme une composante indispensable de la couleur Taxi Girl.
« Treizième section », longue apocalypse ultime, vient conclure un album riche, plein, complet, en concentrant un peu tous les ingrédients précédemment découverts. La scène finale du film. Terreur, action et grandiose emballement.
Avec un tel album, le plus excitant et signifiant du moment (et l’adjectif «français» n’a pas été prononcé), Taxi Girl poursuit son parcours sans faute. Puisse être le plus largement entendu ce refrain vital qui résume et optimise, en fait, sa démarche : « Oh je veux la nuit/Pour tenir ta main//Pour tenir ta main/Oh je veux la nuit/Pour y croire encore ».
Salut. Mon nom est Eric Vennettilli, alias Riton_V, fondateur du groupe Etat d’Urgence et ARTEFACT, avec Maurice Dantec. Je suis le dernier membre vivant du groupe.
Apres maintes soirees au Roses Bonbon passees ensemble, nous etions devenus amis, et helas aussi concurrents les plus dangereux de Taxi Girl. J’ai eu la chance de revoir Daniel Darc en concert a Montreal, en compagnie de BAHUNG et de Christophe (fantastique) il y a quelques annees. Daniel m’a dedie ‘Chercher Le Garcon’ et fait monter sur scene pour chanter en choeur.
Si vous etes interresses a une entrevue, contactez-moi.