101 WITH DEPECHE MODE
Voici 30 ans dans BEST, GBD partageait avec ses potes Depeche Mode toute l’allégresse de l’ultime concert de leur tournée monumentale « 101 » dans la foulée de « Music For the Masses » au Rose Bowl de Pasadena, face à 70.000 fans chauffés comme les braises et sous l’œil exercé du légendaire réalisateur D.A Pennebaker. Sans doute un des concerts les plus marquants de sa vie de rock-critic. Flashback…
« Un signe de la future perpétuité des quatre de Basildon », écrivait le visionnaire Christian Lebrun, notre rédacteur en chef de BEST, en ouverture de mon reportage sur ce double live, doublé d’un film, qui devait clore la tournée mondiale de 101 dates de Depeche Mode. 30 ans plus tard, même si « And then they were 3 » les « Quatre de Basildon » comme je les surnommais alors en clin d’œil appuyé à un certain autre quatuor de Liverpool, sont toujours au sommet du rock ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/depeche-mode-spirit.html ). Ce n’est un secret pour personne, depuis notre rencontre en 81 dans un hôtel miteux du centre de Londres, j’ai toujours suivi de la manière la plus proche la carrière les aventures de Dave Gahan, Andy Fletcher, Martin Gore et – à l’époque- Alan Wilder. ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/depeche-mode-le-jour-ou-les-quatre-de-basildon-ont-conquis-la-france.html , https://gonzomusic.fr/depeche-mode-mode-majeur.html , https://gonzomusic.fr/depeche-mode-noir-blanc-a-la-mode.html , https://gonzomusic.fr/annees-80-depeche-mode-demploi.html et aussi https://gonzomusic.fr/tout-depeche-mode-de-81-a-88.html ). Bien entendu, lorsque j’ai partagé ces quelques jours à LA, principalement avec l’oncle Martin et Fletch, avant, pendant et après show monumental donné au Rose Bowl, j’ignorais absolument l’importance que prendrait ce live en Mode majeur. Capturé par D.A Pennebaker, le film « 101 » sera le révélateur photographique de ce fabuleux concert. 30 ans plus tard, « 101 » semble si durablement inscrit dans la mémoire collective, que ce flashback n’en devient donc que plus émotionnel.
Publié dans le numéro 242 de BEST sous le titre :
ROUTE 101, LE FILM
« D.A Pennebaker avait filmé les grands moments du rock sixties, Monterey et Dylan ; vingt ans après, il reprend sa caméra pour suivre Depeche Mode à travers les USA, un signe de la future perpétuité des quatre de Basildon ? » Christian LEBRUN
Ils avaient osé ! Sur Santa Monica Bld, le Tropicana de Tom Waits, des Ramones et de tant d’autres rockers n’était plus qu’un trou béant, fondation de bureaux, futurs clapiers de verre et de métal. À Hollywood, le Sunset Marquee Hotel & Villas demeurait donc le dernier rempart – certes cossu – du rock and roll. Buriné par la morsure conjuguée du soleil et des spotlights, tel le chasseur de primes savourant sa prime, D.A Pennebaker slrotait en paix son Perrier citron sous un parasol. Les yeux noyés dans le bleu de la piscine, il matait une naïade mini-stringée qui barbotait avec sensualité. Hollywood !
La veille, sur la méga-scène du Rose Bowl Stadium de Pasadena. D.A à travers l’œil de verre de sa caméra 35 mm aspirait les images et les clameurs de 70 000 kids dans la lumière et les larmes cascades émotionnelles de Dave Gahan. Neuf mois et cent une dates mondiales, dont trente yankee, les Mode achevaient sous le ciel californien la plus longue tournée de leur histoire. «Concert For The Masses», les 48 pistes digitales d’un studio mobile garé sous la structure bétonnée du stade avaient capturé l’événement pour les besoins d’un album Live à paraître cet hiver. Moments intenses, instants de bravoures ou intimistes, les caméras de D.A. avaient mouliné plus de 100 000 pieds (feet) (soit 30.380 mètres) de peloche (50 heures de film) en suivant Depeche Mode dans la poussière des freeways. Après « Monterey Pop “, Janis Joplin, the Mamas and the Papas, les Who, les Stones, Otis Redding, Hendrix…, et le fulgurant “Don’t Look Back » consacré au Bob Dylan de “Subterranean Homesick Blues”, D.A Pennebaker le réalisateur rock le plus pointu de tous les temps s’attaque à la légende des kids de Basildon. 7° art-reporter esthète et adepte de cinéma-vérité, D.A. tourne depuis vingt ans des documents pour les chaînes publiques US et le Channel Four British, mais le projet Depeche Mode est son premier long-métrage depuis des lustres.
«Lorsqu’ils m’ont contacté pour me proposer un projet de film, je ne savais rien sur eux », explique Pennebaker, en clignant des yeux, « Avec Chris – sa femme et son associée- nous avons appelé quelques kids, dont le mien, pour leur demander ce qu’ils pensaient de Depeche Mode et c’était justement leur groupe préféré. Mon fils a insisté pour me passer quelques titres, mais au téléphone j’avais du mal à me faire une idée. Juste avant Noël je suis allé à San Francisco pour assister à leur concert. Ces mecs étaient charmants, mais j’avais quelques réserves, car les bons concerts ne font pas toujours de bons films. Mais en observant leur public, j’ai compris que ces petits Anglais véhiculaient les notions essentielles à notre époque. Dans la plupart des cités américaines, les buildings sont démolis en moyenne tous les dix ans et les designers automobiles envoient leurs plans à la broyeuse tous les trois ans. Aujourd’hui se résume en un seul concept de mode accélérée. Ce qui motive le plus les jeunes c’est la célébrité et la vogue et Depeche Mode cristallise cet élément moteur. Le kid de 88 préfère être célèbre que riche et surtout, surtout, il voudra être à la mode, car s’il ne colle pas au courant, il devient invisible et cela c’est encore pire que la mort. »
Bermudas collants à la vélocipédiste et Lacoste futuristes, minces comme leurs modèles en quadrichromie des magazines, sains et esthètes, les ados qui se pressaient au Rose Bowl marquaient toute la distance parcourue sur l’échelle de l’évolution. Thanx to Jane Fonda et la découverte du « natural way of life », les néo-babs épouvantails traine-savates d’une longue agonie Woodstockienne. s’étaient-ils transmutés en parfaites figures de Mode ?
« Si tu observes comment les gens étaient habillés à Monterey Pop en 67, c’était exactement le même type de public middle-class qu’hier soir. Les kids se reconnaissent dans les mêmes fringues en simultané. Ils admirent les mêmes gens, la même mode et pour cela échappent de la même manière aux parents qui n’y comprennent rien. Cela crée des liens et cette affinité de bouche à oreille sera toujours plus forte que l’école ou la télé. » D.A. s’interrompt un instant pour saluer un blondinet moustachu: «C’est le financier de la tournée », explique t’il, avant d’ajouter comme si cela coulait de source « qu’il est suisse… » puis, naturellement, il reprend : « C ‘est l’instinct qui leur dit ce qui est « in » ou ce qui est « out ». Lorsqu’ils se lèvent tous ensemble pour jouer la vague humaine qui roule sur les gradins du stade – comme a la coupe du Monde de foot – ils ne se sont pas consultés auparavant, ils n’ont sans doute jamais vu le show, mais ils le sentent, tout simplement. 70 000 personnes sur la même longueur d’onde, c’est la communication. Pour la mode c’est la même histoire, un langage à soi qui transite par une certaine culture. Hier il n’y avait pas de blancs, de noirs, de jaunes, d’Hispaniques, riches ou pauvres, il n’y avait que des teen-agers qui s’éclataient au même rythme en échappant à leurs parents. »
De l’influence du docteur Freud sur le comportement rock and roll ?
« Je ne sais pas si c’est freudien », réplique D.A, « mais dans toutes les cultures il y a ce point de non-retour où les enfants et les parents ne se supportent plus. Depeche Mode incarne aujourd’hui leur rupture avec le monde de papa. »
Il y a vingt ans D.A. shootait Dylan comme personne avec « Don’t Look Back », s’il récidive aujourd’hui avec les Modes c’est qu’ils véhiculent aussi un puissant message social ?
« Les gens voulaient le voir en Dylan, mais je ne suis pas sûr que cela le contentait. En fait, il détestait ce rôle de porte-étendard de sa génération. Il voulait être un performer, un musicien avant tout. Ce qui explique ses réactions parfois lorsqu’on lui demandait « Que penses-tu de la bombe H ? » il rétorquait férocement: « Je n’ai aucune envie d’y penser. Cela n’est pas mon problème, c’est TON problème ». Et cela les rendait fous, car pour eux il était évident que Bob Dylan ne pouvait qu’adhérer à toutes leurs croisades. Dur d’expliquer cela à des fans. Par réaction, Dylan s’est tiré à Newport où il a commencé à électriser sa musique. Les fans se sont sentis trahis, mais Bob Dylan tenait sa vengeance. »
Dans le film, Dylan déclarait à un journaliste : « Jamais je ne serai ce que vous voulez que je sois. » Ces bribes d’interviews sont les moments les plus chocs. D.A. a-t-il récidivé avec les Mode?
« Et comment ! Ces mecs sont vraiment drôles. Tout particulièrement Martin et Andy qui ont un sens de l’humour ravageur. Mais ils n’ont pas cette ascendance spirituelle qu’avait Dylan. Lorsqu’il répondait à une question, les gens prenaient carrément des notes parce qu’ils se disaient: « Oh il doit y avoir un sens caché dans ce qu’il raconte. » Dylan c’est comme Byron, une personnalité unique par génération. Avec Depeche c’est différent, ces quatre mecs n’ont pas simplement gagné au loto, mais ils ne sont pas Dylan et on ne les rendra pas plus Dylan en les filmant de là même manière. Pour moi, ils sont avant tout quatre superbes- personnes que j’aime vraiment. Aucun d’eux, a l’exception de Martin, n’est un musicien vertigineux à la Clapton, mais ils ont des idées fortes et renversantes et le talent c’est qu’ils ont réussi à trouver le langage pour les faire passer. Il n’y a pas de leader officiel dans Depeche Mode, mais moi je peux dire que tous les groupes ont un leader même s’ils ne s’en rendent pas toujours compte. »
Tu les connais bien, à ton avis quel est-il: Fletch ou Martin. ?
« Moi je sais que c’est Andy Fletcher. Je leur ai dit et ils ont acquiescé. Fletch est la conscience de Depeche Mode, c’est un rôle de leader. Dès qu’ils se retrouvent confrontés à un problème social, Fletch apporte toujours une réponse. Il déteste la musique, car il n’est pas un super musicien. Mais il constitue la force motrice de ce groupe, il est crucial. En les filmant durant ces semaines, la première chose qui m’a frappée au sein du groupe c’est la manière dont Fletch se comporte et cimente l’union. Pour quelqu’un qui n’est pas vraiment musicien, c’est fascinant. J’ai tout de suite noté l’existence d’une quasi-cellule familiale dans ce groupe et c’est ce qui les soude. au delà de tous les clichés du rock and roll”.
Depeche Mode-Beatles ?
« ll y a un peu de cela. Je connaissais bien les Beatles et surtout John. Mais les Beatles étaient construits sur une plateforme telle qu’ils ne pouvaient que sombrer dès que la romance Paul/John s’est brisée. Il y a le même rapport de sang et d’émotions chez Depeche Mode; s’ils se séparent un jour, ils seront comme des handicapés à vie même s’ils continuent à faire de la musique chacun de leur côté. D’une certaine manière, à eux quatre ils regroupent tous les caractères d’un individu parfait, ils sont une seule personne idéale. Comme tu le sais, il y a souvent des tensions dans le groupe entre Alan et David, entre Martin et Alan, ils le reconnaissent et leur force c’est qu’ils ne perdent jamais le fil du dialogue pour trouver une solution. Mais si cela fonctionne, c’est uniquement dû à Fletch._ Avec lui tout finit par s’emboîter et c’est fondamental. Pour mol, le film doit démonter tout ce mécanisme. C’est en tout cas ce que je vais chercher dans mes rushs. Lorsque je les shoote dans leur loge et qu’après un concert Dave est allonge’ dans un coin, quasiment en larmes, tu vols vraiment comment ils se comportent les uns avec les autres. Tout est là, à condition de savoir ouvrir les yeux, a mon sens, le côté humain est essentiel surtout par rapport au succès, or, ce qui fait leur succès, ce qui les pousse au sommet, ils n’en sont sans doute pas conscients. Les Beatles n’ont jamais compris ce qui leur arrivait, à l’exception de Paul qui n’a jamais douté de son talent. John, lui ne l’a jamais vraiment su, c’est pourquoi Yoko a toujours eu cette fantastique ascendance sur lui. Elle luI a dit: «Je ferai de roi un artiste» et c’est tout ce qu’il voulait être: un artiste reconnu. Il ne voulait pas être un Beatles. D’ailleurs, tous détestaient l’idée d’être un Beatles, sauf Ringo qui n’a jamais eu toute sa tête. Dès qu’ils se sont sorti du ghetto de Liverpool et qu’ils ont eu tout ce qu’ils voulaient, le véhicule Beatles ne leur était plus nécessaire. Qui a envie d’être le quart d’une entité mondialement acclamée. »
Et la Modemania en action?
« Tu ne peux guère y échapper. Elle est partout avec ces kids excités. Ça fait partie du trip, parce que les klds pensent qu’ils détiennent le secret. Mais le secret c’est qu’il n’y a pas de secret. Ces quatre gars sont vraiment intéressants. Leurs concerts étalent fantastiques, de véritables spectacles. Depeche Mode en instaurant cette relation claviers/lumière crée le théâtre du futur et on n’est pas près de voir cela à Broadway ! »
Après « Don’t Look Back” c’est “Don’t Look Further” ?
« Le meilleur titre de tous, c’est bien celui qu’ils se sont choisi Depeche Mode, quelle subtile manière de jouer avec les mots ? »
La nuit s’étend sur Hollywood. Face au Sunset Marques, électrisés par une myriade de lucioles synthétiques, les palmiers sont d’éternels sapins de Noël où les aficionados de Depeche ont déposé leurs petits souliers.
« Hé Martin, ma caisse est immatriculée D. Mode, je peux faire une photo ? » Une heure du mat, à la veille du gig, Martin Gore accompagné par sa girl-friend Odile, la chanteuse de notre cocoricorock hexagonal Vienna, sourit et autographe à tour de bras. Au bar de l’hôtel, Fletch s’adonne à la bière mexicaine Corona en compagnie du sémillant Anton Corbijn, le photographe officiel au groupe, Dave dort avec son adorable bébé et Alan s’est évaporé dans la nature. À vingt-cinq miles au nord-est, la méga-scène du « Concert For The Masses» est un détonateur silencieux dans un écrin de béton, le compte à rebours a commencé.
Ma Mustang convertible 65 glisse sur l’incommensurable tapis roulant duSepulveda Freeway en dlrection de Pasadena, Les HP grésillent sous la voix du DJ de KROQ, sponsor officiel du concert au Rose Bowl :
« Et vous aussi vous chanterez « Happv birthday KROQ » avec Wire, Thomas Dolbv, OMD et Depeche Mode pour célébrer les dix ans de votre radio rock chérie. Si la météo prévoit un ciel dégagé pour toute la soirée, on ne peut pas en dire autant de la périphérie du stade où des bouchons de 5 miles se sont déjà formés. Prenez donc votre mal en patience avec ce remlx infernal de « Never Let Me Down Again »… »
Epicentre incontestable du séisme Depeche Mode, la métropole LA s’est enfin laissée secouer par les efforts répétés des DJs de KROQ pour promouvoir un rock oxygène qui arrache enfin les tympans de la mélasse Top 40. Four wheel drives, décapotables, VW destroy, pares chocs contre pare-chocs, les autos chargées de youngsters bronzés convergent vers le Rose Bowl, aiguillées par une escouade de policiers robotiques et sémaphores. Lorsque la Mustang atteint enfin son parking, le set de Wire paraît largement entamé. À travers mes Wayfarer, l’enceinte du stade est un spectacle vertigineux. Avenue circulaire de dealers de coke, hamburgers et autres pop-corns, stands de merchandising modèle supermarché, et 70 000 fourmis sous le soleil, les billets verts s’envolent comme un essaim. Exit Wire et bonsoir Dolby. Dans son costume zébré multicolore, Thomas Morgan Dolby Robertson a bien du mal à occuper tout l’espace du Rose Bowl. Son funk clin d’œil et électrique glisse sur les kids rôtis sur place. Paul Humphrey et Andy McCluskey d’OMD viendront leur apporter le souffle rafraîchissant et réparateur d’une pop bien dosée et agréablement acidulée. Pendant ce temps, dans les backstages du stade, les Mode se plient au jeu de l’interview pour les caméras de MTV, Harold, leur « personal manager» court dans tous les sens, tandis que l’équipe technique jongle avec le matos sur scène. C’est la dernière ligne droite, le soleil s’échappe derrière la cime des palmiers lorsque la scène s’illumine enfin sur nos basildoniens. Sur les écrans géants, Dave Gahan a la banane. Martin, Fletch et Alan émergent dans la fumée. Et Depeche Mode développe quelques milliards de watts pour éblouir 140.000 yeux d’un éclairage insensé. Sur les volutes qui baignent la scène glissent des chœurs synthétiques. Les drum-machines accélèrent les palpitations cardiaques. Depeche Mode à remonter le temps, ce « Concert For The Masses » est futuriste comme quelques pages choisies d’un roman de Jules Verne. Dans les gradins du stade, sur le parterre l’ordre règne. Poigne de fer pour sécurité d’enfer, chaque kid est assigné à son siège de plastique numéroté qu’il n’est autorisé à quitter que pour aller pisser ou brûler ses dollars chez les marchands du temple. Pourtant aux pieds de la scène, une poignée de privilégiés aux laissez-passer stickés dansent et se baladent en toute impunité. Minettes en short de jeans et porte-jarretelles, gentils rockys en cuir, couples tout droit sortis d’un épisode de Startrek, ils sont le « Bus ». Choisis sur un casting de mille fans à New York, ils ont suivi la tournée pour les besoins du film. Route 66 revisitée ? Pennebaker a tourné leur aventure à travers le continent dans le sillage des Modes. Leurs visages seront mélés à ceux de Dave, Fletch, Martin et Alan dans le film. Show interactif, le public se retrouve à son tour noyé dans la brume. Les mains se lèvent et tout autour du stade la vague humaine roule pour les surfers british.Deux heures de cinérama-rock, deux rappels et le gig s’achève sur un dernier trait d’humour avec « Everything Counts in large amounts » démultiplié par les masses. Normal, c’était LEUR concert, un triomphe massif.
Quelques bouchons de freeway plus tard, je gare la Mustang face à un club glauque d’Hollywood loué pour la circonstance où les Mode, leur famille et tout le staff célèbrent dignement the end of the road. Sa 35 mm au poing, Pennebaker shoote les danseurs. Martin coquin me chuchote à l’oreille : « Une party n’est jamais réussie sans strip…,pas vrai? » Et deux filles se désapent soudain et ses retrouvent bientôt en bas résilles pour se frotter à quelques messieurs de l’assistance. Pièce par pièce les girls retirent le haut, puis le bas, avant de finalement disparaître en pouffant. Précédé d’un garde massif, Bono déboule soudain dans la fête pour s’isoler avec Dave. U2 enregistre à deux pas dans les studios A&M proches. « Ah salut voisin… j’ai vu de la lumière. » Les Kids du bus se mitraillent au flash les uns les autres en compagnie de tout ce qui bouge. La cerveza coule à flots, quelle nuit l
Après un réveil brumeux, je retrouve Martin dans sa villa du Sunset Marquee. Fletch s’est défilé pour cause d’abus de houblon. Alors, oncle Martin quelles sont vos conclusions ?
« En 84, 85 ici nous devions justifier le fait que nous étions un groupe électronique et du jour au lendemain ils nous ont acceptés tels que nous étions; ils ont appris à nous respecter. En fait, beaucoup de jeunes Américains recherchaient un souffle neuf dans la musique et la mode. Quelques radios marginales de facs ont commencé à diffuser notre musique. Il y avait beaucoup de monde hier au Rose Bowl, mais c’est le top de l’iceberg. Au cours de cette tournée, on s’est retrouvé à Nashville ou en Georgie où sans un seul passage radio on a joué pour 3 000 personnes, c’est la force du téléphone arabe. Les kids aiment assez que nous ne soyons pas un groupe Top 40. Pour eux nous sommes des rebelles et le fait de partager notre musique les fait basculer dans une sorte de société secrète.
Comment supportes-tu l’Amérique ?
«Assez bien, car c’est encore le pays où nous avons le moins tourné dans notre carrière. On s’est toujours concentré sur l’Europe, car, avec Depeche Mode, on jugeait que I‘Amérique était une cause perdue ».
L’Amérique va-t-elle influer sur ton écriture musicale ?
« Je ne crois pas. C’était marrant de se retrouver à Nashville et d’y acheter des cassettes de country bien boueuse, mais dès que nous avons passé la frontière du Texas j’ai cessé de les écouter. Cette question semblait d’ailleurs obséder tes confrères yankee, car ils l’ont tous posée. Pour te répondre, je crois que pour nous cela ne changera rien. Les quatre derniers LPs nous ont permis de développer notre formule, il est temps de passer à autre chose. C’est une certitude même si nous ignorons encore quelle direction nous choisirons. Je crois qu’il faut que nous repensions toute notre approche de la musique si nous voulons continuer à faire ce qui nous excite vraiment. »
Il faut cultiver l’intérêt, c’est un des secrets de Depeche Mode. Cette autocritique interne et permanente leur sert de locomotive. Sans compter la soif de curiosité de Martin et de Fletch qui injecte au groupe un flux neuf, informé et ininterrompu. Ils ont des idées fortes et renversantes disait Pennebaker, moi j’ajouterais qu’ils sont aussi foutrement intelligents. Les Modes usent de la communication comme d’un instrument et il n’y a jamais de fausse note.
Depeche Mode the film et Depeche Mode the live LP sortiront début 89 et ça prendra fort comme à la Bastille.
Publié dans le numéro 242 de BEST daté de septembre 1988