PIERRE BAROUH par ÉRIC DUFAURE
Nous restons tous sans voix face à la tragique et soudaine disparition de Pierre Barouh. Ne l’ayant jamais rencontré malgrè toute la « shabada bada shabada bada shabada bada » admiration que j’avais pour l’homme et sa musique, j’ai donc demandé à Eric Dufaure (alias Private Pepper) d’avoir la gentillesse de bien vouloir témoigner en nous décrivant le Pierre Barouh qu’il avait cotoyé. Voici ses mots à lui…
C’est le Japon qui m’a fait rencontrer Pierre Barouh, pour la première fois. C’était en 2007, je produisais un chanteur japonais, Tomuya, et on avait enregistré sa version de « La Bicyclette », avec des paroles japonaises adaptées de celles de Pierre. Barouh est très connu au Japon, son épouse Atsuko est japonaise et leur fille Maïa commençait à être connue comme chanteuse là-bas. Grâce à la « Japanese connection », on s’est retrouvé chez Pierre, dans son antre près du Panthéon, pour une interview. Il nous a reçu avec sa douceur légendaire pour une rencontre qu’on a filmée pour un petit court métrage sur Tomuya. Il nous avait dit ce jour-là : « Une chanson c’est fait pour voyager…quand je fais une chanson, c’est quelque chose que je lâche comme ça, et puis il y a le vent qui souffle, et puis ça se dépose quelque part… ». Et puis, on l’avait quitté sur le pas de sa porte, avec l’impression d’avoir rencontré un sage, un grand voyageur, quelqu’un qui a déjà vécu mille et une vies.
Flash-forward en 2013, où j’apprends que Maïa Barouh chante à Paris, aux Trois Baudets, et que c’est un vieil ami, autre grand voyageur et esthète de la musique, Martin Meissonnier, qui la produit. Il m’invite au concert où je découvre une artiste originale et douée : la musique est donc un bien-être génétiquement transmissible ?
Flash-forward, de nouveau, à l’automne 2016. On prépare encore cette année un concert multi-artistes pour célébrer en musique les 50 ans de 1966 (voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/back-to-1966-avec-le-2eme-classe-poivre.html). Cette année ce sera à la Bellevilloise. Depuis l’an dernier, où notre « Back in 1965 » avait accueilli le chanteur franco-marocain de Soul music, Vigon avec son groupe – il avait fait ses débuts cette « année-là » – , on reçoit un invité d’honneur. Alors, pour présider notre « Back in 1966 », on a commencé à rêver à Brian Wilson ou Donovan…et puis on pense aux « stars 66 » de la nouvelle génération française comme Michel – que j’ai bien connu à un moment de ma vie, mais lui préparait déjà son Pleyel, ou à Hugues, mais lui partait aux States, puis à Antoine, mais lui retournait en Polynésie…et puis tout à coup la lumière se fit. 1966, c’est deux vagues musicales géantes dans le monde de la pop (après le Rock anglais et la Soul music, qui ont explosé en 64-65) : le Rock psychédélique avec l’album « Pet sounds » des Beach Boys en figure de proue (mais aussi The Byrds, Hendrix, « Revolver » des Beatles, The Pretty Things et bien d’autres)…et 66, c’est aussi la révélation mondiale de la musique brésilienne, la samba et la bossa nova. Avec comme passeur aux USA et à l’international, Sergio Mendes et Brasil 66. En France, le passeur s’appelle Pierre Barouh, acteur dans « Un homme et une femme » et auteur-interprète de la chanson éponyme du film (musique Francis Lai) avec Nicole Croisile. Et aussi de « Samba da Bançao » (Baden Powell/Vinicius de Moraes) qui sous sa plume deviendra « Samba Saravah ». Ce Saravah qui deviendra le nom de baptême de sa maison de production créée la même année.C’est ainsi que le nom de Pierre Barouh pour parrainer la soirée surgit un matin dans ma tête, comme une évidence. J’avais le portable de Pierre. Mais comme on ne s’était pas revu depuis 2007, je décide que ce serait plus élégant d’appeler d’abord les Editions Saravah, administré par le fidèle Yvonnick. Celui-ci me dit qu’il va voir ça avec Pierre qui est encore au Japon où l’on célèbre les 50 ans de Saravah. Quelques jours plus tard, Yvonnick me rappelle pour m’informer que Pierre est OK pour présider la soirée « Back in 1966 » : je suis aux anges.
Je ne sais pas si chacun a son histoire brésilienne, mais j’en ai une à raconter. D’abord à l’orée de mes 20 ans, il y a eu quelques longues nuits pour apprendre à jouer les chansons de Joao Gilberto, entre autres, avec le pouce et trois doigts et pour guide mes oreilles et la première page d’un manuel du style « guitare jazz pour les nuls ». Ensuite j’ai écrit trois ou quatre chansons avec le balancement de la bossa, comme « Sabado » qui date de mes années 70 à Londres. Ce titre est remonté à la surface pendant que j’enregistrais mon album « Qiu » dans le Perche à l’automne 2015. Il deviendra « Sabado Samba » et me fournira un formidable prétexte pour aller, pour la première fois de ma vie, au Brésil en avril 2015 et y tourner un clip de la chanson, à Rio. Je serai reçu là-bas comme un roi par mon ami Dario, ancien éditeur du grand chanteur du Nordeste, Lenine, qu’on avait signé ensemble pour la sous-édition chez EMI dans ma précédente vie d’éditeur. Ainsi l’idée que notre fiesta 1966 pourrait être présidée par Pierre Barouh, qui réunissait en lui trois univers qui m’étaient chers – le Brésil et la bossa, le Japon avec ses hybridations musicales et la chanson française – me remplissait d’une grande joie.
« Appelle-le directement chez lui et va le voir » me dit Yvonnick. Pierre me répond au téléphone, toujours avec cette voix suave, et m’invite à le rappeler dans quelques jours pour fixer un rendez-vous. Ce sera donc un matin vers 11 heures, jeudi 24 novembre. C’est lui qui m’ouvre la porte du rez-de-chaussée, il est tout seul et m’introduit dans son antre magnifique, juste derrière le Panthéon, direction la cuisine. Là on bavarde pendant près d’une heure, sur le Brésil, le déroulement de la soirée et les chansons qu’il va interpréter. Je lui propose de faire deux duos avec l’excellente chanteuse brésilienne Ana Guanabara qui vit à Paris : « Un homme et une femme » et « Samba Saravah ». Lui me parle aussi de la chanson « Noite dos Mascardos » de Chico Buarque qu’il aime bien chanter. Et puis il me teste un peu sur mes connaissances de la musique brésilienne, en me tançant gentîment comme un grand frère quand le nom de Pixinguinha ne me parle pas autant que ceux de Baden Powell, Vinicius de Moraes, Jobim, Buarque, Jorge Ben, Caetano, Gilberto Gil ou Maria Bethania….ou quand je lui avoue que je n’ai pas encore vu son documentaire, redécouvert récemment, « Saravah », sur son séjour musical au Brésil en 1969. (Disponible en ligne sur le site http://www.percussions-bresiliennes.fr/). Je le contemple et je me dis : il est encore vraiment beau mec et quelle allure pour un homme de 82 ans, j’espère que j’y arriverai un jour et dans une aussi belle enveloppe. Et puis je m’en vais après une chaleureuse poignée de main.
Il était question de retourner chez Pierre avec Ana et son guitariste Nelson Fereira pour répéter un après-midi avant le concert du 21 décembre dans un mois. Mais deux semaines plus tard, Yvonnick me rappelle pour me dire que Pierre préfère tourner les chansons à la balance, le jour même. C’est comme ça qu’il procède pour ses duos, et ça se passe toujours très bien. Il sera accompagné par son fidèle pianiste Pierre-François Blanchard avec lequel il se produit le plus souvent dans ses concerts.
Quelques jours avant la soirée « Back in 1966 », j’ai de nouveau Yvonnick et Pierre-François au téléphone pour me dire qu’on allait réduire un peu la voilure. Pierre pense qu’un duo ce serait bien, plutôt que deux ou trois, et que ce serait sur la chanson « Samba Saravah ». Je suis OK si Pierre est plus comfortable, car ce bel hommage n’est pas lié aux nombres de chansons mais bien à l’émotion que suscitera sa venue pour fêter une année cinquantenaire qui est aussi la sienne. Et puis le matin du concert, le mercredi 21 décembre, j’ai la voix d’Yvonnick au téléphone : « Eric, j’ai une mauvaise nouvelle….Pierre ne pourra pas venir ce soir…..il s’est réveillé ce matin, il ne se sent vraiment pas bien. Je travaille avec lui depuis des années, je t’assure, ça ne lui arrive jamais….il honore toujours ses engagements, on est vraiment désolé ». Sur le moment, je suis abasourdi, et vraiment triste. Je m’étais fait mon cinéma…Pierre Barouh, parrain de notre soirée 1966, qui nous a fait rêver avec Anouk Aimée dans ses bras, qui nous a fait découvrir le Brésil, il ne viendra pas. Comment vont réagir le public, les autres participants, Ana ? Mais « the show must go on », et très vite je me ressaisi, il y tellement de choses dont il faut s’occuper avant le concert du soir, le matériel, les instruments, les balances de tous les groupes et artistes (plus d’une trentaine), l’organisation des invités et des repas….et puis je ne veux pas trop penser à cette triste nouvelle.Le soir même, le pianiste Pierre-François, qui a passé une partie de la journée aux côtés d’un Pierre alité, assure comme un maestro au piano, avec Nelson à la guitare pendant qu’Ana nous chante un « Mas que Nada » parfait et rend un bel hommage à Pierre avec sa version toute personnelle de « Samba Saravah ».
Le lendemain j’envoie un texto à Pierre « Bonsoir Pierre. J’espère que vous allez mieux aujourd’hui et je vous souhaite un bon et prompt rétablissement. Vous nous avez manqué hier, mais la chanteuse Ana et son guitariste Nelson vont ont rendu un bel hommage. Et votre pianiste Pierre-François qui a joué avec eux est doué et sympathique 🙂 Très cordialement. Eric ».
Aujourd’hui,Pierre nous manque tant. So sad !
Ceux qui ont eu la chance du partage avec Pierre Barouh savent que c’est plus qu’un ami qui nous a quitté. Pierre était de ces personnalités rares et attachantes qui vous nourrissent avec générosité et talent, courtoisie et sincérité. En 35 ans, je ne l’ai jamais entendu dire du mal de quelqu’un. Plus qu’un humaniste, un auteur et compositeur de génie, il a semé tant de bonheurs en nos cœurs et nos esprits qu’il est devenu immortel. Comme gage, s’il en était besoin, de la profondeur de son parcours, j’ai plaisir à constater que ses messages universels sont aussi intergénérationnels. J’ai eu notamment la satisfaction de réaliser à sa demande un de ses derniers vœux et je l’ai accompagné sur le bord de l’autre rive. Je suis inconsolable et, comme signe que chacun interprétera en résonnance comme il l’entend…il me souhaitait fin 2015 : » osons : bonneS annéeS » !