BORN TO BE RAP

grandmaster flash

Grandmaster Flash &the Furious Five

Voici 42 ans dans BEST GBD accompagnait du Bataclan parisien au Venue puis au Whisky A Gogo de Londres, ce qui constituait sans doute la toute première vague de rappers US sur notre bon vieux continent avec Future 2000, Fab Five Freddy, Phase II et Grandmixer DST… avant de rencontrer Grand Master Flash and the Furious Five, fraichement débarqués de NY, derrière le Palace, dans une chambre d’hotel pleine à craquer de photographes dans la cité Bergère pour assister  live et en direct comme on disait alors, à la naissance du rap. Incroyable flashback illustré par une des premières photos de Youri Lenquette…

Grand Master Flash by Youri Lenquette

Grand Master Flash by Youri Lenquette

En ce temps-là le rap n’existait pas. Ou plutôt il était juste en train de naitre, de pousser ses premiers cris, quelque part entre Harlem et le Bronx. DJ, MC, platines, mix, scratchs… tous ses termes allaient pourtant peu à peu s’imposer à nous, dès ce tout premier maxi fondateur « Adventures At the Wheels Of Steels » de Grandmaster Flash and the Furious Five, stars du label Sugar Hill naissant en 1981, disque majeur qui inspirera le « Rapture » de Blondie tout comme le « The Magnificent Seven » des Clash et mille autres hits à venir, allumant ainsi le feu aux poudres de l’explosion rap. Car c’est justement ce à quoi j’ai eu le privilège d’assister à la fois en suivant la fameuse première tournée rap montée par Zekri avec Future 2000, Fab Five Froddy, Phase II et DST, accompagnés sur trois dates dont deux à Londres au Venue et au Whisky plus le Bataclan, et l’incroyable débarquement de Grandmaster Flash and the Furious Five au Palace à Paris dans la foulée de leur invincibe « The Message ». A part les papiers sur le sujet de Bernard Zekri dans Actuel, je pense que cet article de BEST est vraiment crucial, sans doute l’un des tous premiers publiés sur la rap culture dans l’Hexagone… où il faudra tout de même attendre quatre ans avant de voir émerger les tous premiers rappeurs made in France avec Destroy Man & Jhony Go (Voir sur Gonzomusic  LES PREMIERS RAPPEURS DU MONDE MADE IN FRANCE   )… mais c’est encore une autre histoire du rap, n’est-ce pas ? Avec une superbe photo signée Youri Lenquette ( Voir sur Gonzomusic  L’ENQUÊTE SUR LENQUETTEL’ENQUÊTE SUR LENQUETTE PART TWO   et aussi 1983…LE JEUNE YOURI LENQUETTE ASSISTE AU LANCEMENT DU SERIOUS MOONLIGHT TOUR DE BOWIE  )

 

Publié dans le numéro 174 de BEST sous le titre

 

RAP

 

Futura 2000

Futura 2000

Pile ou face? Should I stay or should I go ? Les modes sont comme les comètes, on ne sait jamais très précisément où l’on en est, à deux doigts de l’épicentre ou bien dans la queue. L’an passé, le Rap traverse la Harlern River du Bronx à Manhattan. Blondie, Chic, se mettent au rap, les master blasters baladeurs envahissent la rue sur des épaules de blacks ciselés au « Bullworker». Le rap s’impose dans les clubs ; les fesses blanches commencent à s’agiter furieusement. Gadget ou pas, la mode intrigue par son côté bâtard entre concert et prestation de DJ disco. Séduisant n’est-ce pas, ce rythme étrange, un mixage subtil chant/dialogue, une BD moderne pour les « Nouvelles Nuits Rouges de Harlem ». Dans leur training, Marvin ou Billy sont fauchés, toujours la même histoire, et leur bière est presque consommée. Shit, faut trouver une arnaque pour s’en sortir. Et on débite une histoire à tiroirs à un gogo pour lui soutirer quelques billets verts. L’arnaque, mais quelle classe : Marvin ou Billy et les rappeurs, c’est le même plan, the great rap swindle, la grande escroquerie du rap. Dans la musique, les styles se pillent mutuellement pour évoluer, mais le rap frappe encore plus fort, puisqu’il recycle directement le vinyl déjà écoulé. En jouant avec ses platines, le DJ recompose un son, en jouant avec les disques des autres. Pratique et surtout peu encombrant, le matériel du rappeur est une version améliorée du master blaster quelques micros pour les chanteurs, des amplis, trois pick-ups et une pile de disques. Le prix de revient est, en gros, 144 fois moindre qu’un groupe de funk équivalent et nul ne semblait y avoir songé…

DST & Blondie

DST & Blondie

L’hiver dernier, dans la foulée du Clash à Paris, Futura 2000 exécute sur scène quelques bombages et un rap. Le Clash renvoie l’ascenseur à ceux qui lui ont inspiré « The Magnificent Seven ». Dans le même temps, à New-York, un Français s’est infiltré dans les boîtes du Bronx. L’idée germe dans la tête de Bernard Zekri : il faut exporter les rappers vers l’Europe. Il intéresse Europe 1, sa filiale Disques AZ et quelques autres comme Actuel pour faire tourner un Grand Rap Circus »: Future 2000, Fab Five Froddy, Phase II et Grandmixer DST. Des DJs, mais aussi des chanteurs, des danseurs, des frimeurs et même une institutrice pour que les plus jeunes puissent glaner deux heures de cours entre les chambres d’hôtel. Première date : le Bataclan ou la fermeture éclair coincée par la méprise. Formé à la routine du concert, le public a perdu la notion de participation. Il observe, s’étonne, mais à aucun moment ne se laisse entraîner sur la rap wave. Passivement, le rap, c’est chiant… surtout lorsqu’on n’ose même pas danser. Au Venue, à Londres, le courant passe déjà plus. Le problème de langue ne se pose pas, comme chez nous et surtout, les Anglais, gagnés depuis déjà des mois à la vague funk, sont nettement plus réceptifs ; le public envahit la scène et se mêle aux rappeurs : gagné ! Le lendemain, ils réitèrent l’opération au Whisky de Soho et c’est le délire parmi la faune des branchés les nouveaux hippies comme Boy George Mark Almond, Chris Sullivan (Blue Rondo) ou la ravissante Kate (Haysi Fantayzee) sont conquis et fascinés. Les danseurs se contorsionnent, bougent sur leur tête ou une seule main, et tournent comme des derviches. A mes côtés, Bou, l’ex-danseuse de Bow-Wow-Wow en tombe sur le cul « Jamais je ne pourrais y arriver. » Et pourtant, ils tournent. Sur la piste de danse, c’est la transe…

 

grandmaster flashMais le rap n’a pas fini d’étonner : après les rappers de Zékri, Grand Master Flash et ses Furious Five attaquent à leur tour le vieux continent. Dans une chambre d’hôtel de la cité Bergère, derrière le Palace, Flash et trois de ses « furieux »se prêtent au jeu des photographes et des intervieweurs rock. Chacune de leur phrase est ponctuée d’un « Yeah » sonore : Melly Mel, Creole et Mister Ness ont appris leur leçon par cœur. « Tout ce qu’il faut au public, c’est nous donner une chance de le rapper, ce qui importe, c’est le fun. Le public est la partie la plus importante du show. On est juste un véhicule qui sert â canaliser l’énergie, le show est complètement construit sur la réponse : il suffit de se laisser porter par la musique. » Et l’on évoque pêle-mêle leur enfance au Bronx, les débuts de Flash, DJ de la rue et des parties, Sylvia Robinson, la Berry Gordy de Sugarhill Records et de ses rappers. Son slogan, c’est « if you can hip hop, don’t stop. » Les Furieux sont incroyables, avec le Casiotone que je leur ai apporté, ils improvisent un rap question-réponse. En avant pour la leçon de rap, avec les photographes et les quinze personnes compressées dans la pièce. Tout le monde reprend en coeur. Mel dit « Oui » dit « Paris »… Vous répétez et vous avez déjà compris.

grandmaster flashLes rappers, je vous l’ai dit, ont l’habitude des emprunts : deux heures plus tard, sur scène, ils réutiliseront l’idée. Lorsque je demande à Ness quelle est la chanson française qu’il préfère, il entonne « Michelle » des Beatles, suivi d’un « French Girl Rap » improvisé à la volée: She said comment allez-vous/I said comme ci comme ça/Très bien merci beaucoup/And I realised that the girl was french. » Flash s’est esquivé pour aller dormir. Dix minutes avant son entrée sur scène, je lui colle mon micro sous le nez ; «  Je suis complètement excité », confesse Flash dans son costume de cuir rouge moulant comme une seconde peau. Après ses dix années de platine et de scratch, Flash a baptisé sa technique le « quick mix ». Les photographes mitraillent, on assaille Flash de tous les côtés. Un black veut absolument poser avec lui, moi, je m’accroche à mon micro « Je ne suis pas un rapper mais un « mixiologiste », un DJ : mes mains sont plus loquaces que ma bouche. » Et derrière ses lunettes-miroirs : « Dans le fond, je suis un grand timide » à.. Ben voyons ! Sur scène, GM Flash offre un véritable numéro de cirque coloré et agité : le rap en paillettes est aussi séduisant que celui de la rue, même si quelques branchés croisés à la sortie se lamentent sur le manque d’authenticité du groupe. Comment rêver d’authentique avec des rappers-pompeurs-détrousseurs dont c’est justement la fonction ? C’est comme demander à un mafioso de verser ses royalties au grand mufti de la Mecque.

 

Publié dans le numéro 174 de BEST daté de janvier 1983

 

 

 

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.