L’ENQUÊTE SUR LENQUETTE PART TWO

Youri LenquetteSecond épisode de notre captivante ENQUÊTE SUR LENQUETTE, frère de BEST, depuis ce jour du printemps 81 où nous nous sommes rencontrés à la rédaction de la rue d’Antin. Youri Lenquette est un super photographe rock, dans la lignée des grands fauves de la pellicule. Du Clash à Youssou N’Dour, de la Mano Negra à Nirvana, du Gun Club à Tiken Jah Fakoly en passant par tant et tant d’autres, ils sont si nombreux à avoir posé sous son objectif pour la presse, comme pour leurs propres pochettes de disques. Un œil exceptionnel, mais aussi une oreille qui a tant bourlingué. Part Two de ce vertigineux et forcément exclusif Gonzo-portrait ….

Youri & Tiken par Eric Mulet

Youri & Tiken par Eric Mulet

Dans l’épisode précédent, notre PART ONE de L’ENQUÊTE SUR LENQUETTE, ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/lenquete-sur-lenquette.html ), on retrace l’enfance et les débuts de Youri Lenquette, jeune rock and roll connaisseur, qui se métamorphose au crépuscule des 70’s, en DJ de radio pirate et apprenti rédacteur pour la presse de Nice. Arrivée à BEST en 81 et rubrique légendaire « In the City », succédant au fameux Bruno Blum, dans le rôle de l’honorable correspondant à Londres du fameux mag rock hexagonal. Rencontre et amitié avec JJ Burnell from the Stranglers, première photo de pochette avec le Gun Club Jeffrey Lee Pierce, reportage photo historique sur Bruce Springsteen à la Courneuve, qui lui ouvre les portes de l’agence de photos Stills, puis aux côtés de la Mano Negra en Amérique du Sud, Youri a décidément bien bourlingué au nom de la cause sacrée du rock. Second épisode des aventures de Youri Lenquette…

« Souvent je me donne des gifles à moi-même, car lorsque je prends des vieilles planches contact. Je commence à regarder et je me dis : j’engueule le mec qui a fait ça. Il a commis des erreurs qu’aujourd’hui je ne ferais plus. L’autre regret que j’ai, en passant à travers mes archives, c’est aussi que alors  j’étais aux premières loges, je ne prenais pas les photos que j’aurais pu prendre et qui seraient vraisemblablement celles que l’on trouverait intéressantes aujourd’hui. J’étais, par exemple, dans le bus avec Clash, , mais une fois que j’avais fait la session photo avec les mecs posant tous les quatre pour illustrer l’article, je rangeais l’appareil dans le sac.  C’est pourtant là que cela devenait intéressant.

À l’époque cela ne se faisait pas, il y avait une sorte de frontière entre la partie boulot et la partie copains. Sans compter qu’il n’y avait pas toute cette culture des selfies apportée par l’image digitale.

Londres 1981

Emeutes Brixton, Londres 1981

Oui, et aussi le fait, peut-être, que les gens ne m’auraient pas accepté autant s’ils m’avaient perçu comme un mec en train de les mitrailler, on est bien d’accord. Mais, néanmoins, je pense que c’est un des défauts que j’ai eu d’avoir trop souvent sous-estimé mon propre quotidien. Un bon exemple, quand j’étais à Londres au début, je vivais à Brixton  dans une cité qui s’appelle Tulse Hill Estate. J’étais un des rares blancs à habiter là, ils me connaissaient tous et, tous les jours, tu avais des mecs avec leurs dreadlocks, assis à l’entrée de leur immeuble déglingué, en train de fumer des pétards que j’aurais pu photographier. À chaque fois que je vois une compile, sur du reggae années 70, ce sont exactement le genre de photos qu’ils placent sur la pochette. cComme cela faisait partie de mon quotidien, je n’y pensais pas et je passais en courant, avec mon appareil photo, pour aller faire une session photo avec les Bananaramas. Sans me rendre compte que, finalement aujourd’hui, une photo des Bananaramas posant je ne sais où, dans un hall d’hôtel, tout le monde s’en tape. Je vois de temps en temps une photo que j’ai pu prendre pour terminer une bobine dans les bureaux de BEST et je me dis : pourquoi je n’en ai pas fait plus ? J’ai eu la chance et l’opportunité de m’être trouvé dans plein d’endroits intéressants, avec des gens intéressants, des soirées, des backstages, des tournées…et, finalement, je n’ai pas assez photographié mon environnement. Ça je l’ai appris avec le temps. Quand on est photographe, il ne faut pas hésiter à photographier ce qui fait partie de sa propre vie, car qui sait … Me retrouver avec les Clash, dans le bus de tournée, c’était juste passer du temps avec mes amis Mick Jones et Joe Strummer et me demander qui allait rouler le prochain pétard, qu’on allait fumer. Ça ne me venait pas à l’idée de me dire : là, tu es dans un bus avec Clash, et dans vingt ans, c’est ce qui va intéresser les gens. Et, finalement, les intéresser beaucoup plus que la photo du groupe posant devant l’hôtel. Ça n’est que dans la deuxième partie des 90’s, et au début des années 2000, que j’ai mieux compris ce qui  présentait un intérêt pour le futur.

Quel fut le pire client que tu aies jamais eu ? Le casse-couille intégral ?1988_ETIENNE DAHO-Des heures hindoues-recto

Les casse-couilles intégraux, en fait tu n’as plus l’occasion de re-travailler avec eux, parce que justement cela ne s’est pas bien passé. Ceux-là j’ai tendance à les oublier.

Il y a des gens avec qui tu  peux être très ami mais qui ne sont pas faciles à capturer parce qu’ils  n’aiment pas se faire photographier. Etienne Daho  par exemple. Nous étions assez proches à un moment, vers la fin des 80’s, mais  à chaque fois que nous faisions des photos, je me sentais  un peu dans la peau d’un dentiste avec sa roulette.  Et d’autant plus honteux que la patiente subissait avec sa légendaire politesse. Ou Françoise Hardy qui, la première fois que j’ai fait un studio avec elle, s ’est mise à pleurer. Là on a  carrément arrêté  la session. Je ne fais pas non plus ce métier pour faire pleurer les gens…surtout ceux que j’admire. Kurt Cobain c’était devenu un bon pote, mais lui pareil, il trouvait tous les prétextes pour  éviter les photos. Quand j’étais parti sur la tournée en Australie fin 91, j’y allais pour BEST, pour faire la couve. Je devais passer quatre ou cinq jours avec le groupe pour faire un papier et une grosse session pour la couve.  Mais tous les jours, il trouvait  un prétexte pour y échapper. On arrive donc vite au bout du délai prévu.. Nirvana partait ensuite jouer à Melbourne… Et là Kurt, manifestement pas mécontent de m’avoir dans les environs mais toujours pas plus motivé que ça pour que nous fassions la session prévue ,me propose de les suivre sur la date suivante .Et me voilà parti à Melbourne, le label se chargeant  des changements de   billets d’avion, hôtels, etc. que cela impliquait.  C’était la grande époque où les maisons de disques avaient beaucoup d’argent et on ne refusait rien à  Nirvana qui venait juste d’apprendre qu’ils étaient numéro un aux States. Je me retrouve  donc embarqué à Melbourne et  là , same player shoots again , il trouve chaque fois un prétexte pour repousser la session au lendemain  , en jouant à fonds sur le fait que puisque nous étions potes j’étais capable de comprendre. C’est là qu’il a commencé à se plaindre de douleurs dans le ventre qu’à vrai dire je ne  le croyais guère même si ca s’est avéré vrai par la suite. On arrive donc à la fin du séjour à Melbourne et je n’ai toujours rien .C’est sur  que c’est plutôt cool de participer à la tournée d’un tel groupe mais, bon ,il y a aussi un taf  à assurer. J’avais bien les boules, car un  photographe de Rolling Stone US  était venu et lui, parce qu’il avait la chance de ne pas être pote avec eux,  avait fait la session pour laquelle on l’avait envoyé jusqu’en Australie! Du coup on m’a proposé de continuer à suivre la tournée en allant dans la ville suivante : Brisbane….

(rire gbd)

Je me retrouve  donc à Brisbane, avec eux et la session photo n’a toujours pas lieu. Et là il me fait : bon, j’ai une idée, on va le faire à Perth, c’est notre prochaine date. Je lui dis : mais Perth c’est là-bas, de l’autre coté du pays  ! Je lui dis : je rentre à Sydney et comme vous aussi devez y passer ensuite, je vais vous attendre là-bas. Je suis rentré en voiture, ca a été un peu long mais les paysages qu’on traverse sont magnifiques… Finalement, on a fini par faire cette session à Sydney à l’ultime moment. Ils avaient  les sacs  déjà descendus  dans le hall de l’hôtel , il ne manquait  plus que l’arrivée des voitures pour les amener à l’aéroport. A  ce point il n’y avait plus d’autre ville où aller sauf à  prendre l’avion avec eux pour les Etats Unis… On a fait du coup  une séance de quatre minutes  juste derrière l’hôtel, alors que cela faisait douze jours que j’étais là. Ça n’a pas été très productif mais ça peut être  m’a permis de les connaître mieux et contribué à ce que je continue de bosser avec eux après. Et puis visiter l’Australie, c’est un très beau pays. Sinon pour en revenir à ta question de savoir si il y a des gens avec qui cela s’est mal passé, la réalité est  que dans lors de beaucoup de sessions ,notamment celles faites lors de visites promo tout se passe tellement vite que tu n’as pas vraiment le temps de savoir  si les gens que tu photographies sont cool ou pas…

Pour rester sur Kurt Cobain, il y a aussi le coup de bol d’être là, au bon moment, au bon endroit. Ta photo emblématique avec le flingue, ce n’était pas prémédité, à aucun moment.

Non du tout. L’existence même de cette session n’était pas préméditée. C’était en 1994, Nirvana était beaucoup à Paris car c’était un peu la base  principale de leur tournée européenne. Du coup Kurt passait beaucoup de temps dans mon studio pendant leur séjour parisien .Il passait la journée assis recroquevillé dans le canapé   -oui celui où tu es assis, du moins son prédécesseur qui se trouvait au même endroit .Il jouait un peu de guitare. .Parfois il ne  faisait  juste rien….  Un après-midi  donc il me dit : « Si ca te dit, ce soir on va faire des nouvelles photos »  Que Kurt Cobain me  dise ça, réclame  de son propre gré des photos me  paraissait, compte tenu de mes expériences précédentes en la matière   ,aussi crédible et réalisable qu’un accord de paix durable au Moyen Orient. « On n’a pas encore  de photos à quatre avec Pat Smears, on va donc  faire la session photo chez toi ce soir . Je rentre à l’ hôtel chercher les autres et je reviens ». Moi dans ma tête me disant : cause toujours, tu ne va jamais revenir. Du coup, je n’avais même pas pris soin d’acheter du    film :je n’en avais plus de celui que j’utilisais à cette époque. J’ai  aussi laissé partir mon assistant, qui devait rejoindre sa copine en Bretagne mais me  proposait de rester au cas où l’invraisemblable se produise …Ils devaient arriver à 20H. A l’heure dite, no news et personne n’avait de portable à cette époque. J’étais donc rentré chez moi, je n’habitais pas ici dans mon studio, je m’étais roulé un petit pétard …Bref pas du tout dans le mood de ressortir quand le téléphone sonne vers 22h . C’était Kurt  qui m’avertissait qu’ils arrivaient tous les 4… Branle bas de combat ! Je file à mon studio ,récupère quelques films dans le frigo qui trainaient là depuis longtemps car  d’un type j’utilisais rarement. J’appelle un pote photographe et fan de Nirvana, pour lui demander de me filer un coup de main…Le temps que tout le monde arrive il était déjà  23 heure . Autre surprise Kurt me propose de commencer par des portraits solo avant de faire les photos de groupe .Et là  il sort un flingue qu’il avait apporté avec lui et me demande de le photographier avec . Je pensais qu’on allait faire trois ou quatre clics et qu’après on passait à  autre chose. Mais ça a duré. Il  jouait  avec, se le mettait  dans la bouche … .C’est moi qui au bout d’un moment lui a suggéré que c’était bon, on avait ce plan et qu’on pouvait passer à autre chose. Enchainer avec les photos du groupe. Ce qu’on a fait jusqu’à deux ou trois heures du matin. Le lendemain je préviens mon agence  de l’époque, que j’avais fait ces photos, en leur disant que devais d’abord les faire approuver par le groupe. On leur envoie les photos en Allemagne et tout est approuvé en bloc. En fait je soupçonne que Kurt  ne les ait même pas regardé . Je crois que ca le gonflait autant de devoir choisir des photos que de les faire …Du coup je me  suis dit qu’avant de libérer ces images, il valait mieux que je  puisse lui  redemander  si il était OK pour que  les photos où il pointait l’arme sur sa tête  soient distribuées .Sans même  savoir ce qui allait tragiquement se passer ensuite  je les  trouvais un peu dérangeantes . Dans le doute , je n’ai  donc pas donne cette série  à mon agence . Bien m’en a pris car une fois que des images ont été distribuées à l’international il est très difficile, voire impossible, de les arrêter. Lors d’une de ses visites chez moi  j’avais propose à Kurt qui était  bien déprimé  et négatif sur tous les aspects de sa vie de faire un break après sa tournée. Il avait vu sur mes murs des photos du Vietnam et du Cambodge où j’avais pas mal voyagé quelques années auparavant et que   je connaissais un peu .  Je lui ai conseillé d’essayer de faire un break d’un mois ou deux après la tournée  et ,puisque ce que je lui avais raconté et montré de ces deux pays l’intéressait pourquoi ne pas y aller ensemble,. Je pouvais  être son guide sur place et peut être que un tel changement de décor pourrait l’aider à se sevrer  de toute la merde à laquelle il était accro. Au moins là bas, tu peux espérer  faire décrocher  quelqu’un en douceur …   Je me disais que, peut être comme ça,, il ne sentirait  pas stressé là  où personne ne savait  encore qui était Kurt Cobain. Apparemment  l’idée lui plaisait bien , on s’est quitté, en se disant à  dans deux mois….Il devait s’occuper de voir comment trouver un visa ,etc. On s’est quitté comme ça, en bas de chez moi, boulevard de la Villette. Ils sont montés dans des taxis et on ne s’est plus jamais revu en personne. Je l’ai eu ensuite une ou deux fois au téléphone pendant qu’ils tournaient en Allemagne. Il avait l’air d’aller de plus en plus mal…Puis plus rien en dehors de ce que je pouvais apprendre par les news, l’histoire de la tentative de suicide à Rome, la tournée écourtée.

youri_et_kurt

Youri & Kurt

Et deux mois après, au lieu de partir en Asie avec toi, il se flinguait ?

Voilà. Je me souviens que ma copine de l’époque me demandait : alors qu’est ce qui se passe avec ton histoire du Cambodge avec Kurt Cobain ? Tu pars ou pas ? Il est vraisemblable que j’ai dû essayer d’appeler chez lui, alors qu’il était déjà… J’essayais d’appeler mais personne ne répondait ,pas même ce gars  ,Michael , qui habitait chez eux et prenait d’habitude les appels . Kurt décrochait rarement  aussi le téléphone.… Et là…rien. Un soir j’étais ici en train de bosser tard au studio  et  je reçois un coup de téléphone de ma copine m’annonçant qu’elle venait de voir sur CNN que Kurt s’était suicidé chez lui à Seattle et . C’était un vendredi soir, je m’en souviens très bien . C’était un véritable choc . Je repensais à comment auraient pu être   utilisées les images de la dernière session si je n’avais pas décidé d’attendre de les remontrer avant de les diffuse! Ce n’est que le dimanche soir que je me suis souvenu d’une autre image que j’avais fait à Seattle à l’automne 93 et qui était passée dans BEST. On était dans le jardin de chez Dave Grohl. On faisait des photos sur le capot d’une bagnole, et tout d’un coup il voit trainer par terre un M16 jouet. Il prend le M16, et se le met dans la bouche. Je fais trois photos et il le pose. Le problème c’est que ces photos-là avaient été approuvées , avaient été  publiées dans Best et diffusées depuis plusieurs mois dans mon agence.  Et à l’international .  Dés le  lundi matin, je les appelle pour leur dire : vous devez envoyer un Fax à tous vos correspondants, car je ne veux pas que cette photo sorte. Et là, les mecs me disent que c’est trop tard, que cela a déjà fait la couve de je ne sais combien de journaux de par le monde pendant le weekend . J’ai demandé à ce que cette photo soit bloquée. Cela m’a pris au moins deux ans à envoyer des faxes à chaque fois que malencontreusement –c’est fou le nombre de stagiaires qui peuvent faire des erreurs-  cette photo sortait dans un pays étranger avant d’arriver à ce que réellement les correspondants  la retire de leurs archives . J’ai dû envoyer des recommandés exigeant qu’ils détruisent toute copie de ces photos.  En ce qui concerne donc cette session de 1994, la dernière de Nirvana, les photos les plus dérangeantes pour ce qu’elles avaient de tristement prémonitoires  ne sont sorties que quand j’ai fait mon expo « The last shooting » en 2014, vingt ans après.  Après ce délai  j’estimais qu’on pouvait les montrer, car elles faisait  partie de l’Histoire . Suite à ça, mais pas que à cause de ça, à partir de 95, j’ai commencé à m’intéresser à d’autres sons, plus lointains alors que jusque là je ne m’intéressais qu’aux musiques occidentales, blanches ou noires, mais occidentales… Je crois que la mort de Kurt Cobain m’a beaucoup refroidi, sur cette espèce de mythologie du « vivre vite, mourir jeune », la fascination pour la drogue ,laisser un beau cadavre, cette imagerie rock n’roll  qui, jusque là me semblait fascinante . Quand tu vois un mec beaucoup plus jeune que toi, un  « petit frère », qui se fout en l’air, comme ça tout d’un coup, et que tu  en as toi-même 36 balais, tu commences à réfléchir. Les musiques latines ou africaines sont fondamentalement joyeuses, elle envoient au contraire un message de vie et d’espoir. On n’a jamais entendu parler d’un Joy Division venant de Kinshasa, ce n’est pas un hasard

Le reggae quand même ?

Oui, le reggae, qui était à peu près la seule chose un peu world.

1999_Cesaria Evora Cafe AtlanticoDire qu’on se foutait de ma gueule pour oser écouter des musiques africaines !

Pour reconnaitre mes erreurs, je me souviens quand même d’être allé à un concert de Ruben Bladès dans la grande période années 80, avec en première partie los Van Van, le plus grand groupe de salsa cubaine. Je me souviens d’avoir passé le concert  de Van Van au bar. Puis, d’avoir fait les trois premiers morceaux de Ruben Blades et de m’être barré juste après ! Alors qu’aujourd’hui, une affiche comme celle-là, je rampe sur du verre pilé, pendant trois kilomètres rien que pour pouvoir y assister. Et, effectivement, toi tu étais le plus intéresse à BEST par des sons venant d’ailleurs. Donc, en 95  je suis parti à Cuba, . Un voyage que j’ai  fait presque  par hasard, car je venais de terminer un gros boulot à Miami et je me disais que  le communisme et Castro n’en avaient plus pour longtemps et que le pays allait changer rapidement, comme le Vietnam  que j’avais vu se transformer  en  très peu de temps. Mon analyse géopolitique s’est avérée fausse, Cuba n’a pas beaucoup changé ces 25 dernières années et les Castro Brothers ont fait encore une belle carrière après, mais  j’ai adoré ce pays . Je me suis pris une très grosse claque,  avec justement  Los Van Van à La Tropical, une salle où vont les cubains qui n’ont pas trop de thunes pour  voir pour un prix modique les groupes locaux  .L’énergie que  véhiculait cette musique m’a scotché.  j’y ai retrouvé tout ce que j’aimais dans le rock, avec même des trucs en plus :une sensualité, une chaleur ,un esprit positif  et plein de jolies filles. …Bref, pour plein de raisons, j’ai commencé à m’intéresser  à Cuba, à la salsa et à l’histoire de cette musique. Cela a contribué à faire  sauter plein de  barrières  musicales dans ma tête . Etonnamment dans les pays où la vie des gens au quotidien est dure, la musique est assez curieusement beaucoup plus joyeuse. Cela m‘a  amené rapidement à écouter  aussi des musiques africaines. De la même manière qu’ on m’avait collé l’étiquette Monsieur rock and roll, tout à coup, on m’a collé l’étiquette monsieur World music. Même s’il m’arrive de continuer à faire des groupes de rock, comme récemment les Wampas ,Vigor Hugo ,Grandma’s Ashes , Stubborn Trees, le rock me plaît toujours autant … Mais globalement on a commencé à faire appel à mes services  de plus en plus souvent pour des artistes latinos ou africains. Ce qui m‘a amené à beaucoup voyager, dans ces pays : Cuba, Colombie qui est peut-être le pays que j’ai préféré parmi tous ceux que j’ai visité…  Je suis allé assez souvent au Brésil aussi même si il m’a fallu un peu plus de temps pour être sensible à la musique qui en est issu.  J’ai pas mal bossé aussi au Cap Vert, au Sénégal, en  Côte d’Ivoire, au Mali. Mes centres d’intérêt musicaux se sont agrandis et cela a aussi donne un autre élan à ma « carrière ».

Comment s’est passé ton travail avec ces artistes africains justement ?

Youri et Youssou photographiés par Yama Lenquette

Youri et Youssou photographiés par Yama Lenquette

Avec les artistes africains, cela c’est en général plutôt toujours très bien passé. Avec les artistes latinos aussi, même si on évolue là dans un contexte beaucoup moins florissant et moins organisé que dans le music business occidental . Le music business ressemble plus à ce qu’il devait être chez nous dans les 50’s ou 60’s…. Le business de la musique rock, chez nous, est devenu plus pro, plus efficace. Aller à un concert est devenu, et  c’est tant mieux, une activité bien organisée, sécurisée… Il y a tout un temps de gens à tous les niveaux des métiers de la musique qui sont des pros. Mais ce faisant, il a perdu beaucoup de fun et de surprises, bonnes ou mauvaises.  C’est cet esprit un peu à l’arrache, chaotique et improvisé, où tout est possible qui m’a aussi séduit dans le fait de travailler avec des artistes latino et africains.

Mais… il ne faut pas être pressé !

Il ne faut pas être pressé. Et il faut ruser. Je me souviens de Compay Segundo, à chaque fois que j’allais faire des photos avec lui, il me faisait : oh putain Youri, là je suis fatigué. Il jouait le petit vieux, pour que les photos durent le moins longtemps possible… J’avais toujours vu Compay comme ça, puis un beau jour, alors que je raccompagnais une copine chez elle, de l’autre coté de la Havane  je fais un détour par chez lui dans le Centro Habana. Donc, j’arrive avec cette fille magnifique et là,  tout d’un coup, voilà Compay transcendé ,on aurait dit le loup de Tex Avery. Trente ans de moins au bas mot juste parce qu’il avait envie de se montrer sous son meilleur jour .Donc après, systématiquement, à chaque fois que je devais faire des photos de lui, je demandais à une copine un peu mimi de bien vouloir m’accompagner. Et ça marchait… Pour Youssou  Ndour, depuis quelques années ,je vais le photographier avec ma  fille Yama qui a aujourd’hui neuf ans . Youssou est une énorme star mais c’est au fonds quelqu’un de très timide et réservé. Involontairement son visage se crispe quand il sent un appareil pointé sur lui .Le fait de discuter ave ma fille ,une enfant, lui permet d’être plus relax au moment des photos. Mon assistant la prend sur ses épaules et se place à côté de mon appareil pour que je puisse attraper les bonnes expressions du visage de mon modèle soudain plus relax…. Cela fait des années que je travaille avec Youssou. Notre première rencontre remonte à 1993 !

2002_Tiken Jah Fakoly Francafrique

Tu parles, moi j’ai commencé en 83 avec Youssou !

Depuis 93, il me rappelle régulièrement  surtout maintenant que je vis une bonne partie de l’année à Dakar, je fais partie des meubles. Tiken Jah Fakoly aussi est un artiste fidèle: j’ai fait six albums pour lui, c’est mon recordman des pochettes.

Oui il est très cool.

Oui même si ce n’est pas non plus  un rigolo. Il est très investi dans ses combats et n’envisage pas son statut de musicien sous l’angle du grand n’importe quoi festif. Mais  il faut reconnaître que tu croises souvent de sacrés personnages. Et parfois  complètement ingérables comme par exemple DJ Arafat, le malheureux, qui s’est tué  en moto cet été.. La dernière fois que je l’ai vu, on s’était donné rendez-vous pour faire une session photo à l’hôtel où il se trouvait à Dakar. J’arrive et il me fait : « ouais bon d’accord, mais avant de faire la photo, je vais me changer. Tu m’attends là, je suis de retour dans un quart d’heure. » J’attends un quart d’heure, puis une demi-heure, 45 minutes…une heure ! Au bout d’un moment, je vais à son bungalow, où je vois tout un attroupement de personnages de sa suite, tous plus loufoques les uns que les autres. Je m’approche, je me présente : excusez-moi, je dois faire des photos avec DJ Arafat et je l’attends depuis plus d’une heure. Ils me disent ah, Daishinkan, c’était son surnom dans son groupe d’amis , il est venu, et il s’est rendu compte qu’il avait sommeil, alors il a juste décidé de faire une sieste.

Ah, ben  non ,on ne peut pas le réveiller. il faut attendre qu’il ait fini de dormir.

En général il peut se réveiller quand ?

Peut être vers 19 h ou 20 h ..

il était 15h30 !

J’ai laissé tomber.

Bon, il m’a téléphoné après, pour s’excuser, il était très rigolo. Il m’a appelé pour me dire : « ah Youri, j’ai eu une  fatigue, tout d’un coup, qui m’est tombée dessus. Je n’avais même plus la force d’aller dans le hall » À ce niveau tu ne peux que t’incliner devant le caractère imparable d’une telle excuse. Mais, bon, cela fait des histoires à raconter et des anecdotes pour rigoler ensuite même si sur le moment ca te met en rage. Globalement , cela se passe plutôt bien. Plus facilement qu’avec les groupes de rock même si  ce n’est pas non plus une règle absolue. Lenny Kaye, par exemple, le guitariste de Patti Smith est devenu  un de mes meilleurs amis. Il y a plein de musiciens occidentaux avec qui j’ai eu de vrais rapports amicaux. Mais, globalement tu t’amuseras mieux et tu auras plus d’anecdotes à raconter avec les africains et les latinos qu’avec d’autres styles de musique, du moins ces jour-ci.

Un regret ?

J’aimerais pouvoir revenir en 1977, en étant le photographe, que je suis aujourd’hui et, donc de ne pas laisser passer tout un tas d’images, que j’aurais du faire et que je n’ai pas fait.  Et revenir en emmenant avec  moi le matériel, qui n’existait pas à l’époque, et qui te permets aujourd’hui de travailler, dans des conditions de  très basse lumière. Avant, par exemple, quand tu étais dans un back stage, si tu voulais faire une photo, il fallait que tu balances un coup de flash. Or, le coup de flash faisait chier tout le monde. Tu dérangeais. Alors, qu’avec les appareils modernes, tu peux travailler quasiment en conditions de lumière ambiante. Une vague lampe de chevet ou même une bougie suffit. Dans ce cas là, tu peux shooter en étant moins intrusif…Je reconnais que dans certains cas, surtout en Noir et blanc et si tu envisages de faire des tirages et de les exposer ,la photo argentique a une valeur incomparable. Mais dans la plupart des situations je n’en suis pas nostalgique et apprécie tout ce qui peut être fait aujourd’hui avec les appareils numériques moderne.

Et ton actu ?

Je continue à faire des pochettes de disques et des commandes pour l’industrie de la musique mais aujourd’hui le gros de mon activité est plutôt dans la pub ou les reportages pour des organisations internationales. Je collabore assez souvent avec le magazine jeune Afrique. Au final ca me plait assez ainsi car cela me permet de fréquenter d’autres milieux, vivre d’autres aventures et apprendre de nouvelles manières de travailler.  Sinon, j’ai commencé il y a une dizaine d’années à faire des expos. Il y a eu une grosse rétrospective de mon travail africain, il y a deux ans à la Galerie du manège à Dakar intitulée « Youri ne dort pas ». J’avais fait d’autres expos, mais c’était dans des galeries de vente. Celle ci a été ma première exposition « muséale. » Là, tu ne vends pas de photos, mais en termes d’image et de réputation dans le milieu très particulier de l’art , c’est très positif.  J’en ai fait à Paris une sur mes années punk  et une autre sur les Rita Mitsouko en compagnie de Pierre Terrasson et Renaud Corlouer . J’en ai fait une l’an passé en présentant  des tirages vintage, les épreuves qu’on envoyait à l’époque aux magazines pour publication  . Ils sont parfois un peu abimés ,ou plein d’inscriptions pour la maquette mais certains sont très beaux et il y a des collectionneurs pour ce type de tirages .  Je n’ai rien de prévu comme expo  pour cette année…L’air de rien ca prend pas mal de temps et t’oblige à regarder en arrière. C’est peut être le deuxième petit regret que je peux avoir : ne jamais trop m’être préoccupé de que  j’avais déjà  fait. . Or quand tu es photographe, si je devais donner un conseil à un jeune collègue, il est important de réévaluer son travail d’aujourd’hui à la lueur de ce qu’on a fait précédemment.. Or, moi j’ai toujours été  plus intéressé par la photo, que j’allais faire demain. Je n’ai jamais fait de bouquin  pour les même raisons  car cela demande beaucoup de temps et beaucoup de travail pour repasser à travers ses archives, décider quel cliché irait mieux avec tel autre pour la mise en page etc. Je suis plus intéressé par faire de nouvelles photos. Et, comme pour l‘instant, j’ai toujours la chance d’avoir des commandes, des gens qui me demandent de faire de nouvelles  photos, je n’ai pas  vraiment le temps de bosser sur un livre. Je m’en occuperai surement le jour où je serai à la retraite ! »

Youri rock en seine Final Bd

Au-delà des saltimbanques, Youri  a aussi tiré le portrait d’un chef d’Etat Africain, Alpha Condé de Guinée Konakry, qu’il a suivi quatre ans durant son premier mandat, preuve que le rock mène à tout. Décidément, vous l’aurez compris, l’enquête sur Lenquette n’est pas prête d’être bouclée !

LIRE L’ENQUÊTE SUR LENQUETTE PART ONE

https://gonzomusic.fr/lenquete-sur-lenquette.html

La playlist de Youri Part Two 

Nirvana  « Breed »

White Stripes « Fell in Love with a girl »

Busta Rhymes « Woo-Hah »

Outkast  « Hey Ya »

David Byrne « The Rose Tatoo »

Buena Vista Social Club « El Cuarto de Tula »

Los Van Van « Que Sorpresa »

Juan Luis Guera « Farolito »

Sergent Garcia « Yo me voy pa’la cumbia »

Calle 13  « Atrevete »

Aidona « Pon di Cocky »

Cesaria Evora « Sangue de Beirona »

Brenda Fassié « Vul ‘indlela »

Magic System « 1° Gaou »

Nneka « Heartbeat »

Youssou Ndour «  Boul Bayekou »

Grupo Niche « Han Cogido la Cosa »

Angelique Kidjo « Bemba Colora »

Yemi Alade « Johnny »

Flavia Coelho « Billy Django »

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