LE CHATEAU LIBERTÉ DES DOOBIE BROTHERS
Les héros du country-rock californien de notre adolescence sont enfin de retour, avec un prodigieux nouvel album, et son nom, en français dans le texte « Liberté » est un symbole fort dans ces années troublées. Il nous ramène aussi aux racines des Doobie Brothers puisque le tout premier club qui les accueillait à coté de San Francisco, était un bar de hippies et de bikers baptisé « Château Liberté » preuve qu’il est temps à nouveau d’écouter la musique… listen to the music and welcome back dear Doobie Brothers !
Découverts durant mes années de lycée, le country rock des Doobie Brothers a toujours occupé une place privilégiée dans mon Panthéon du rock West Coast aux cotés des Eagles, Poco, Quicksilver et autres Firefall, mais surtout, Tom Jonhston, le chanteur des Doobie Brothers est la toute première rock star internationale que je n’ai jamais interviewée. Enfin « interviewée » est un bien grand mot, disons rencontrée. Cette année 1976, avec des potes d’enfance nous avions acheté une Buick Skylark 1970 crème pour sillonner les freeways de l’Amérique, de l’Est à l’Ouest, mais aussi du Nord au Sud en passant par le Canada et le nord du Mexique. Plus de 100 jours à bouffer du macadam à travers ces USA qui célébraient leur bi-centenaire., 100 jours d’incroyables aventures et de rencontres aussi improbables les unes que les autres : Jimmy Carter au coin d’une rue de Manhattan au chanteur des Doobie Brothers à Los Angeles, en passant par le Sénateur Bolling du Tennessee. Deux ans auparavant, j’étais déjà parti en tant que lycéen à Los Angeles où j’avais été hébergé par une famille qui vivait à Tarzana, dans la San Fernando Valley. On en aout 1976, la mère de cette famille se retrouve à l’hôpital opérée à la suite d’une crise d’appendicite. En sortant de sa chambre, j’entends soudain de la musique. Il ne s’agissait pas d’une radio ou d’un disque, non quelqu’un jouait de la guitare acoustique dans une chambre à coté. Cela me semblait tellement irréel, tellement incongru que je suis allé direct vers cette porte. C’est ainsi qu’à 20 ans j’ai vécu ma toute première « Almost famous » story de rock-critic. J’ai frappé et je suis entré. Là je me suis retrouvé face à ce mec à moustache que je connaissais des pochettes de disques des Doobies. Il était assis sur son lit en train de jouer. Il m’a souri. Je ne me souviens plus vraiment ce que je lui ai demandé, mais nous avons discuté quelques minutes. Pour moi c’était surréaliste. Trois ans plus tard, en souvenir de cette rencontre, mon premier chat sera baptisé Doobie ( il faut aussi se souvenir que le doobie en argot US signifie joint : NDR) et croyez-moi c’était un sacré voyou, tous ceux qui l’ont connu s’en souviennent, demandez à Youri Lenquette ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/lenquete-sur-lenquette.html et aussi https://gonzomusic.fr/lenquete-sur-lenquette-part-two.html ).
35 années après ma rencontre avec Tom Johnston, les Doobie Brothers sont en concert à Paris. Or durant les années à BEST je n’ai jamais eu l’occasion de les interviewer, mais cette fois c’est l’occasion. Le groupe vient de sortir un nouvel album après dix ans de silence. Il est intitulé « World Gone Crazy ». Rolling Stone magazine m’a missionné pour leur tendre enfin mon micro. Bingo… pas tout à fait, puisque le sujet sera « trappé » sans autre forme de procès ni d’explication par le rédacteur en chef d’alors, Alain Gouvrion ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/1000.html ). Avec la publication de cet excellent « Liberté » c’est le moment ou jamais de découvrir cet entretien forcément inédit avec Patrick Simmons et ce bon vieux Tom Johnston. Forcément, dès ma première question, je remonte le temps jusqu’à cet hôpital de la San Fernando Valley :
« À l’époque je n’avais pas osé te poser la question : pourquoi étais tu hospitalisé ? pour des histoires de drogue ?
Tom Johnston : Contrairement aux apparences je n’étais pas en cure de désintoxication. Mais j’avais cet ulcère très grave et j’ai bien failli y rester cette année-là. Bon pour en arriver là, c’est sûr que j’ai dû commettre quelques excès. Les autres étaient en train de bosser sur l’album (« Takin’ It To The Streets ») et moi je faisais des aller-retours entre le studio et l’hosto. Je crois bien n’avoir signé qu’une seule chanson sur cet album. Heureusement, j’ai fini par me rétablir et j’ai pu rejoindre les Doobies pour leur tournée au printemps 77.
Cela t’arrivait souvent de jouer de la guitare sur ton lit d’hosto ?
J.T : J’avais carrément oublié que je jouais de la guitare dans cet endroit. Je ne saurais même pas te dire si les gens s’en plaignaient ou s’ils s’en réjouissaient. Et puis je ne devais pas jouer trop fort.
Vous avez encore et toujours aujourd’hui une guitare à votre portée en permanence ?
Patrick Simmons : Oui on en toujours une avec nous, que ce soit dans nos chambres d’hôtels de tournées ou chez nous à la maison. C’est ainsi que nous avons bossé pour écrire les chansons du dernier album (« World Gone Crazy ») au fil des villes que nous avons visitées.
C’est cet esprit vagabond qui animent les chansons des Doobie Brothers…. ?
P.S : Moi j’écris aussi chez moi mais ce n’est pas pareil. Mais j’adore jouer et on a tellement de temps mort en tournée, alors j’occupe mon temps à chercher sans cesse des idées.
T.J : Moi c’est le contraire, je fais de moins en moins de trucs en tournée et la plupart des idées se mettent plutôt en place en studio chez moi à la maison. Je me souviens du lieu où j’ai écrit mes premières chansons dans le deux pièces de 12th street quand nous avons commencé au début du groupe. On avait réveillé Ted (Templeman) au téléphone à trois heures du matin pour lui dire : on a eu une idée géniale, tu dois venir l’écouter. Mais je ne nie pas qu’on soit inspiré par nos rencontres et nos voyages. Je sais bien sûr que certains couplets viennent forcément de discussions et d’images enregistrées par nos mémoires internes.
La chanson intitulée « Château » fait référence au fameux club où vous avez démarré à Santa Cruz ?
T.J : Totalement , c’est bourré de références directes à nos débuts. On doit beaucoup à Ted Templeman car il a su prendre les choses en main en nous indiquant quelle direction on devait prendre avec nos chansons. Il nous a aussi beaucoup aidé dans le choix des morceaux. C’est aussi le cas avec ce titre. Au début, pour moi lorsque je l’ai écrite, c’était plutôt une chanson contre la guerre en Irak et en général. J’avais déjà tout le premier couplet. Et des tas d’idées pour refrain. Je l’ai fait écouter à Ted et savez-vous ce qu’il en a dit ? Cette chanson évoque vraiment vos racines, elle a le son des débuts du groupe. Tu devrais raconter une histoire autour de ça. Ou mieux, tu devrais raconter une histoire autour de ce club, « le Château », sans doute la première salle où se soient jamais produits les Doobie Brothers. Et là où Ted nous a vu sur scène pour la première fois.
Le nom complet du club était « Château Liberté », le patron était Français ou il avait eu une maitresse Française ?
P.S: Oui. Au début c’était le « Château Regis », c’était un vieux relais de poste puis une gare de chemin de fer jusqu’au début du siècle dernier. Et aussi un bordel, il faut s’en souvenir. Il y avait d’ailleurs un hôtel juste à côté. Puis au fil des années, la gare a été désaffectée, plus aucun train ne circulait désormais. Heureusement, la nouvelle autoroute ne passait pas trop loin, dans les années 40 et 50, c’est devenu un restaurant avec un terrain de camping où les gens venaient se faire leur BBQ. Mais au début des 60’s, le lieu a commencé à décliner. A l’époque, le boss était un vieux gars du nom de Bill Regis. Et Bill vieillissait de plus en plus. Mais quelqu’un lui a suggéré : tu devrais te brancher sur la musique et organiser des concerts, tu pourrais te faire du blé. Alors il a commencé à programmer des groupes. Au début il n’y avait que des groupes qui se produisaient en acoustique, puis les groupes de rock sont arrivés. Mais à cause de l’âge le vieux Bill ne pouvait plus assurer. Alors il a revendu son business à un autre type qui a rebaptisé le lieu « the Château Liberté ». c’était toujours le Château mais avec cette dimension de liberté totale où tout pouvait arriver. On était au milieu des 60’s, il ne faut pas oublier que le psyché a vraiment commencé dans le coin. On a vécu le « Summer of Love » et en 68, ça tournait à fond avec des groupes chaque soir. Nous avons du commencer à jouer là-bas en 69. C’est vraiment devenu un lieu très à la mode avec des files d’attente tous le soirs et toute la folie qui pouvait régner dans ces années-là. C’était une salle qui pouvait contenir 300 personnes à la base, la plupart du temps ils en entassaient plus de 500 !
On peut dire que pour les Doobies c’était équivalent à ce que pouvait représenter le troubadour à LA disons pour James Taylor ?
P.S : Absolument. A la seule différence que nous n’étions pas à la frontière de Beverly Hills et de West LA, mais au milieu de nulle part dans les montagnes en plein désert. Ce qui n’empêchait pas des centaines de personnes d’affluer tous les soirs. C’était ouvert à tout, tu pouvais faire tout ce que tu voulais. Fumer de l’herbe, prendre des drogues psychédéliques, du speed, n’importe quoi. C’était aussi un repaire de bikers qui alignaient leurs Harleys juste devant l’entrée du club. Il y avait toujours une douzaine de Hells Angels qui trainaient au « Château ». Ils étaient là pour se montrer avec leurs tatouages, leurs gonzesses et leurs bécanes. Je me souviens qu’ils ramassaient pas mal de nanas.
Et ils ne créaient pas de bagarres ?
P.S : Jamais, sérieux ! Je n’ai jamais assisté à une seule baston là-bas et je crois bien que c’est justement dû à leur présence : nul n’avait envie de se frotter à eux. C’était les 60’s, on était aussi très peace and love à l’époque. Les gens venaient pour s’éclater, pas pour se chercher noise.
C’était aussi une réaction face à la guerre du Vietnam et à la politique de Nixon !
P.S : Je suis certain de ne jamais avoir vu un flic dans le coin en tout cas !
T.J : Tu as raison, on n’a jamais vu un seul poulet au Château. C’était pacifique mais c’était aussi complètement dingue.
Ca ressemblait assez à la musique que vous faisiez à vos débuts : très cow-boy et pionnier au milieu du désert ! Votre description du « Château » on dirait un saloon de western ?
T.J : Disons un version rock de saloon !
P.S : Je suis allé plusieurs fois au Troubadour à cette époque et c’était beaucoup plus coincé comme ambiance on va dire. T’était assis à des petites tables avec nappes et bougies et le public était à son image : sage. Au « Château » tu te retrouvais face à une bande de freaks. Le public avait tout l’air de sortir des bois, tout le monde gobait de l’acide et fumait des tonnes de joints mais ils avaient la délicatesse de sortir pour fumer leur beu.
Neal’s Fandango votre chanson était en fait un hommage à Neal Cassady et à « On The Road » de Kerouac, pourquoi cette fascination pour la route ?
T.J : A cette époque on passait tout notre temps à bouger dans tous le sens. J’avais une WW, une super petite bagnole qui ne consommait rien et qui m’emmenait partout, y compris au « Château ». Parfois même je me demande comment elle faisait pour me ramener à la maison. J’allais camper dans le désert avec ma petite amie. Le type à qui appartenait le terrain n’en avait rien à cirer. C’était un redneck intégral qui vous foutait une trouille bleue dés qu’on le voyait. Mais on bougeait sans cesse un jour à Carmel, le lendemain à Big Sur ou Carpinteria. C’est là où nous trouvions toute l’inspiration pour nos chansons.
40 ans ensemble, il ne reste plus beaucoup de groupes comme vous, vous sentez vous proche des Eagles ou America, avez-vous l’impression de former un club ?
T.J : Franchement, on ne voit plus la plupart de ces types. Je me souviens avoir croisé Joe Walsh qui est monté sur scène avec nous à Dallas voilà quelques mois.
P.S : De temps à autres on joue avec les gars d’America, je suis très pote avec Dewey Bunnell.
T.J : Mais on n’a pas pour autant l’impression d’appartenir au même club. On fait notre truc, notre musique de notre côté. Et nous apprécions notre chance d’être encore capable de le faire.
Vous fumez encore des Doobies ?
P.S : Je fume beaucoup moins qu’avant, mais c’est une habitude que je n’ai pas totalement perdue. Mais de temps à autres, je ne dis pas non à un petit joint. »
Dédié à Isabelle Louis: preuve que patience n’est jamais vaine… dix ans après voici ton ITW ENFIN publiée 😂