UN AUTOGRAPHE DE LA
Voici 40 ans dans BEST, GBD rédigeait la rubrique la plus cool du fameux mag de la rue d’Antin. Intitulée AUTOGRAPHE, c’était comme un super joker, une « carte blanche » donnée à un journaliste de la rédaction pour raconter tout ce qui lui passait par la tête. Dans le numéro 159 daté d’octobre 1981, je racontais mon été passé à Los Angeles où au volant de ma Pontiac Firebird 1967 décapotable, j’avais croisé les Ramones, Joni Mitchell, les Sparks, Holly & the Italians, Steve Strange, Devo, les Brothers Johnson, les Carpenters sans oublier le sosie d’Hendrix à rollers de Venice Beach… flashback !
Résumé des épisodes précédents des aventures de GBD aux USA cet été 1981 : après être allé à New York tendre mon micro à Mick Jones de Foreigner ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/foreigner-letranger-aux-hits-muscles.html ) et à Nile Rodgers de Chic qui enregistrait alors au Power Station studio sur la 43ème rue ( à suivre très bientôt sur Gonzomusic), je m’étais envolé pour la Cité des Anges où j’avais passé plus de six semaines à interviewer de nombreux groupes et autres rock stars. Premier trip à LA pour BEST, mais déjà mon 4ème . Depuis mes 18 ans j’étais tombé amoureux de cette ville, de ses palmiers, de sa culture rock et ciné, de cette incroyable fascination pour une ville où chaque coin de rue évoque une chanson ou est un décor de film. LA a inspiré tant de chansons incroyables, j’en ai d’ailleurs fait un « Best of » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/le-best-of-los-angeles-songs.html ) Mais y bosser était une toute autre aventure et c’est ce que j’ai eu la chance de vivre cet été-là…
Publié dans le numéro 159 de BEST sous le titre :
AUTOGRAPHE
J’observe d’un regard en coin le mois et demi de pages vierges de mon agenda et je me dis que ce sale menteur raconte vraiment n’importe quoi. J’ai peut-être la tête comme un shaker et les idées renversées et je suis accro au cafe au lait. Merci LA et ses coffee shops à la « Breakfast in America », merci pour les freeways et les flics qui m’arrêtaient sans cesse pour conduite inconsidérée (on dit« wreckless driver»): Los Angeles à deux cents ans n’a pas perdu ses allures de gigantesque Disneyland. Dans « Annie Hall », Woody Allen règle ses comptes avec LA : « Jamais je ne pourrais vivre dans une ville dont le seul acquis culturel consiste à avoir le droit de tourner à droite lorsque le feu est rouge, au volant de son auto ». Si Motown « motor-town » n’était pas déjà le pseudo de Detroit, il collerait tout à fait à LA , une ville moteur à explosion, complètement givrée et mégalos. À seize ans. on te donne quatre roues et un moteur et ride on… Dans la mythologie rock aux USA à un moment ou à un autre, on retrouve toujours la petite amie ET (OU) la voiture. Brucie et sa 69 Chevy qui attend dans le parking d’un supermarchè ouvert 24 h sur 24 dans « Racing in the Street », la T-Bird des Beach Boys ou I’Excalibur de Stewart aperçue dans une station-service, décidément I’auto a bien remplace le cheval. Ma monture à moi, my ride, est une Pontiac Firebird 67, presque un collector’s, un classic car. Pour rien au monde je ne voudrais d’un engin pareil dans les rues de Paris, mais ici. c’est diffèrent: la Firebird est le prolongement à moteur de mon trip hollywoodien. un jouet king size aux allures d’un mirage. Colorié par De Luxe, LA 81, le rêve américain s’effiloche dans la crise: on refuse partout les chèques et les cartes de crédit et à la nuit tombée essayez un peu de payer votre plein d’essence avec une coupure de plus de vingt dollars (120 F). Parano city, la plus infime des cages à lapin a son signal d’alarme et les sociétés de police parallèle forment une source nouvelle et intarissable d’emplois nouveaux. Si un flic vous arrête pour excès de vitesse, il sort sa matraque en même temps que son carnet à souches… au cas où !
Chez les kids, à une échelle différente, c’est un peu le même flip: dans les milieux branches aujourd’hui, on est punk de luxe et on roule les cheveux mauve dans le vent, dans la Toyota flambant neuve offerte par papa. Les punkies de Sunset Bd ont l’estomac plein, le portefeuille confortablement matelassé de billets verts et les poches lestées de speed. Malgré tous leurs efforts, ils n’ont vraiment pas l’air bien méchants. Ils se révoltent simplement contre leurs parents ex-hippies vieux babas libéraux en leur démontrant ainsi la faillite totale de leur système d’éducation. Virage en épingle a cheveux vers la droite, le malaise a gagné la bande FM de LA Depuis sa naissance, dans les temps psychédéliques, la FM a toujours été ouverte à tous les courants musicaux, contrairement aux ondes courtes territoire incontesté des radios de type Top 40 qui programment inlassablement les mêmes quarante disques. Aujourd’hui, les stations FM comme KMET ou KLOS et toutes les autres ne sont plus que des suppôts d’un hit-parade assez réac. La seule radio qui ait échappé au massacre, c’est KROQ.
Lorsque mon buddy Joey Ramone est allé les voir pour leur accorder une interview, je I’ai suivi par curiosité. Grande fut ma déception. La pub et les sondages, les pressions des maisons de disques ont. là aussi complètement bouffé la liberté de programmation des animateurs. L’animatrice interviewe mollement Joey sur fond de « We Want the Airwaves », le premier single de « Pleasant Dreams » qui vient de sortir : c’est vraiment la fin d’une époque. Heureusement, je me suis consolé avec le concert des Ramones, l’évènement rock de mes cinq semaines américaines. Ces mecs m’ont vraiment soufflé : non seulement ils ont appris à jouer, mais en plus ils n’ont pas égaré au passage une seule once de leur incroyable énergie. J’avoue que je ne les avais jamais vraiment pris au sérieux jusqu’alors. Il y a quatre ans, je m’étais retrouve avec eux au fameux Tropicana Motel sur Santa Monica Bd. Ils passaient leur temps à se bourrer la tête. Joey venait a n’importe quelle heure du jour ou de la nuit me taper d’un peu de bourbon avant de retourner s’effondrer autour de la piscine. « Depuis combien de temps joues-tu Dee Dee », avais-je demandé un jour . « Je ne réponds pas a cette question… » avait-il alors répliqué. Bravo les Ramones, aujourd’hui. vous avez gagné. Je m’étais lamentablement planté sur votre compte. Rendez-vous au prochain concert. Cc soir-là. au Perkins Palace, une sorte de grand hangar tapissé de sièges Holly et ses Italians ouvrent pour les Ramones. Moulée dans son T- shirt Palace, elle prend vraiment son pied Holly, car LA c’est sa ville. son territoire…
Back to Hollywood pour une party neo- romantique offerte par ce coincé de Steve Strange à la « Lingerie ». le club des nouveaux-snobs où il est de bon ton de faire une apparition. À l’interieur. c’est le même cinéma qu’a Paris. Londres ou New-York : des pirates en soieries et des comtesses perlées en mini jupes, chemises à jabot et foulard dans les cheveux : j’ai l’impression d’assister à une boum au musée Grévin. Le seul qui échappe à ces pitreries, c’est Russell Mael. Hello Russell, mais que diable viens-tu faire dans cette galère ?
Le lendemain, déjeuner exotique avec mes complices les deux frères Sparks ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Sparks ) au marché de Farmer’s Market. Le LP de Lio qu’ils ont adapté en anglais, sort en septembre including un duo Russell/Lio. Éclectique Russell qu’on retrouve également dans les chœurs du « Pleasant Dreams » des Ramones parce que Joey et lui sont de vieux copains d’enfance. J’abandonne Ron à son boulot et Russell à une adorable nymphette, pour alter faire un tour a Venice Beach, juste au sud de Santa Monica. Venice, c’est le paradis des cuckoos, des cingles et allumés de tous poils, de tous sexes (y compris le 3ème et le 4ème) et de toutes couleurs.
On y trouve un freeway pour roller skates et de véritables souks. Ce petit coin de Pacifique a même son clone de Hendrix, un noir en survêtement qui se balade en roller skates, son ampli a piles dans un sac à dos. Avec sa guitare, il imite le maitre a longueur de journées. Assis sur un banc, j’observe les passants: les blacks qui trimbalent leur chaine stéréo compacte a l‘épaule et les minettes assourdies par leur Walkman, chacun danse a son propre rythme. II y a même un beauf qui écoute a plein tues des marches militaires, tout en ronflant sous sa serviette. Après les palmiers, la plage et l’océan facilement identifiable a son odeur de noix de coco… Noix de coco’.’ Normal. 99.99 % des corps luisant sous le soleil utilisent de I ’huile de coco. Vous en prendrez bien un peu ? Lorsque j’ai croise Diana Ross au Power Station studio à NY, j’aurais du lui demander quelle marque elle utilisait. Diana enregistrait son premier album pour Capitol. II parait que chez Motown, lorsqu’elle a claqué la porte, les disques d’or accrochés sur les murs en ont tremblé. Sortie du LP prévue début 82. Tout comme celui que Rod Stewart enregistre au Record Plant dans le plus grand secret depuis 1 mois.
Droles de dames, suite, avec maman Ronstadt qui enregistre pour la coquette somme de 145 000 dollars. Crisis… What crisis ? Les productions des maisons de disques ont trouvé la parade aux budgets dépassés : aujourd’hui, on affecte directement une somme donnée a I’artiste et il se débrouille. S’il ne dépense pas tout, il met l’excédent dans sa poche. C’est la fin des studios d’enregistrement loués à l’année… Pour rédiger mon papier sur Foreigner j’avais besoin d’une machine à écrire. J’ai donc passé pas mal de temps chez A&M records, dans les anciens studios de Charlie Chaplin. Ce qui m’a permis de surprendre Joni Mitchell qui enregistrait dans les studios A&M. Juste quelques bribes d’une chanson à travers la porte du « B », quelques instants de rêve volés à Joni, un rêve qui parait fort prometteur ( En fait son 11éme album, le tout premier enregistré pour Geffen Records intitulé « Wild Things Run Fast »). Toujours grâce à l’extraordinaire hospitalité d’ A&M, j’ai pu assister à un show télé en direct retransmis pour NCB TV au Japon par satellite. Devo en play back fun, et les Brothers Johnson live et excellents: le petit présentateur nippon était dépassé. Moi. en tout cas j’ai vu se réaliser sous mes yeux un très vieux fantasme télévisuel: voir un artiste qui chante en play back en direct se planter avec sa bande. Cette fois. ce sont les pauvres Carpenters qui ont écopé: devant quelques dizaines de millions de Japonais. Karen et Richard sont restés sans voix face à l‘image. Les risques du métier ! Et maintenant. une page de pub…
Les Tazmanian Devils forment un petit groupe que j’ai découvert parce qu’ils font une pub pour le lait à la radio. Grace à cette pub, ils ont enregistré « Broadway Hi Life », leur premier LP (Warner). L’argent n’a pas d’odeur à ce qu’on raconte. Moi je n’hésite pas à me mouille pour les groupes. La preuve, j’étais à un concert au Theta Delta Chi club à UCLA autour d’une piscine. Comme je ne faisais pas partie des cinquante premières nanas en maillot de bain, j’ai payé mon billet pour quatre groupes locaux tels que Beachy and the Beachnuts, the Pcnetrators. etc. Lorsqu’à dix heures, le DJ de KROQ qui présentait les groupes a annoncé que les flics étaient à l‘entrée et qu’on arrêtait, tout il a fini au fond de la piscine où, volontairement ou non, une bonne partie du public est allée le rejoindre. Youpee’ En rentrant. je me suis fait coincer dans un embouteillage sur Hollywood Bd: à 1 h du matin sévissent les « low riders » des chicanos qui font du cruising dans des voitures dont l’arrière est surélevé. Les flics les ont chassés de Van Nuys, leur boulevard de prédilection, alors ils se vengent sur Hollywood au volant de leurs incroyables bagnoles chromées et sur-décorées d’enjoliveurs. Pour les combattre, la police de LA se remet à cheval et patrouille ainsi dans les rues: c’est le grand retour des cow-boys dans les collines d’Hollywood.
Dans le taxi qui file vers LAX airport. Kenny le chauffeur, me raconte sa vie d’acteur. Il me tend un sac en papier rempli des photos de ses petites amies: une tranche de vie pré-emballée que je regarde sous mon dernier soleil californien. Le show est fini, je rends ses photos a Kenny : goodbye LA.
Publié dans le numéro 159 de BEST daté d’octobre 1981