FOREIGNER L’ÉTRANGER AUX HITS MUSCLÉS
Voici 40 ans dans BEST GBD retrouvait à New York City un Étranger dans la ville en la personne de Mick Jones. Le leader de Foreigner venait de publier le 4éme LP de sa formation anglo-américaine, le bien nommé « 4 » et porté par ses hits à répétition « Urgent », « Juke Box Hero » et « Waiting For A Girl Like You » l’ex-guitariste de Johnny Hallyday était à la veille du lancement de sa plus grande tournée mondiale. Flashback…
En arrivant chez BEST en novembre 1980, je m’étais promis de ne bosser qu’avec des artistes ou des groupes qui me me bottaient vraiment. Ce qui excluait à priori tous les groupes de hard rock… à quelques exception près. Tout d’abord Thin Lizzy parce qu’au fil des rencontres et des concerts j’ai appris à vénérer cette fulgurante « rose noire irlandaise » qu’était Phil Lynott. Seconde exception, on en a déjà parlé dans Gonzomusic c’était Girlschool… car c’étaient des gonzesses et qu’elles me faisaient marrer ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/girlschool-ecolieres-for-ever.html et aussi https://gonzomusic.fr/girlschool-hit-and-run.html ). Enfin, la troisième exception était Foreigner découvert dés son premier 33 tours éponyme sur les FM de LA avec les puissants « Feel Like the First Time » et « Cold As Ice ». Un Mick Jones pouvant en cacher un autre, surtout il ne fallait pas confondre le guitariste du Clash et le moteur à explosions de Foreigner… qui avait tout de même assuré la première partie du concert des Beatles à l’Olympia en tant que guitariste du groupe de Sylvie Vartan, cela ne s’invente pas ! Ensuite durant six ans il usinera les albums de Johnny Hallyday enrôlant la crème du rock British de l’époque Jimmy Page, Steve Mariott ou Peter Frampton. Coté Foreigner justement, chaque album délivrait son lot de hit ainsi le second disque « Double Vision » avec sa chanson-titre et le monumental « Hot Blooded ». De surcroit Mick Jones qui signait l’écrasante majorité des titres savait s’entourer des meilleurs musicos, ainsi l’anglais Thomas Dolby qui révolutionne littéralement le son Foreigner avec ses synthés sur « Urgent » et l’intro de « Waiting For A Girl Like You ». C’est dire si cet été 1981 en débarquant à New York pour BEST, je brûlais de bombarder « l’Etranger » de mes questions les plus incisives avant sa méga-tournée mondiale.
Publié dans le numéro 158 de BEST sous le titre :
LA FORCE TRANQUILLE
« Dans l’ombre des géants, dans la jungle du business international, Mick Jones, durant de longues années, donna beaucoup et apprit encore plus. Patiemment. Son heure viendrait, il le savait. Et Foreigner est venu. Et Foreigner vient maintenant par ici, rencontre parfaite de la hargne brûlante et de l’accomplissement mélodique. Une interview de Gérard Bar-David. » Christian LEBRUN
1975… New York megalopolis USA, l’Étranger se prépare à investir la cité. Micky Jones, les cheveux dans le vent glacé prépare son plan d’attaque. Le guitar-hero se lance à l’assaut de la forteresse des hit parades. Supergroupe, rock d’acier dans un gant de velours, Foreigner est un subtil mélange de punch électrique, de tendresse adolescente et d’un « je ne sais quoi » générateur des hits gros comme les Montagnes Rocheuses. Aujourd’hui, le groupe de Mick Jones se retrouve à la tête d’un capital kolossal de plus de 16 millions de LP de par le monde. Mick a su se préserver pour décrocher le jackpot. Dix années se sont écoulées, sablier doré du rock and roiI, les rêves se sont succédés et Micky a su peaufiner son style net et précis comme le fil immatériel du laser-rasoir. La force tranquille s’est peu a peu affirmée du premier « Foreigner» jusqu’à la cible de «4 »… mission accomplie !
Mick Jones a grandi dans la banlieue sud de Londres, à Woking, petite bourgade de quelques milliers d’habitants écrasée par la capitale. Après un certain nombre d’expériences diverses avec des groupes locaux, Micky s’est retrouvé, un jour et par hasard, sur le pavé de notre chère capitale : le flash s’étirera pendant plus de cinq années. Mick se consacrera à notre Johnny « Cherchez l’idole » national Hallyday. C’est lui qui usinera les hits de Johnny, « Ma jolie Sarah » et tous les autres jusqu’à la rupture et le départ pour les States. Drôle d’aventure que celle de ce petit anglais middle class qui devra attendre le boomerang du succès américain pour revenir en vainqueur dans ses deux patries européennes : la France et l’Angleterre. Août 1981. L’Étranger se prépare à débarquer pour une tournée de trois semaines, prologue d’un world tour de sept mois. Comme je me trouvais à moins de cinq mille kilomètres du studio de répétition du groupe à New York, je me suis donc retrouvé investi de la sainte mission de l’interview.
New York a beau être une ville de science fiction, ses taxis sont plus branlants encore que les pires transports en commun du bassin Méditerranéen. Mon taxi jaune fait des bons en avant sur la chaussée défoncée qui mène au Queensborough bridge. Chaleur moite et soleil crasseux sont les deux mamelles humides de l’été de N Y City. Foreigner s’est installé depuis quelques semaines dans un studio de répètes d’une rue borgne du Queens. Épaves et poubelles sous les piliers du métro aérien, style poursuite dans « French Connection », forment un décor sordide, mais très carte postale de la Grosse Pomme. Depuis le départ de lan Mc Donald (claviers) et de son petit camarade Al Greenwood, Foreigner SA engage. Micky cherche un claviers pour la tournée et il ne se passe pas un jour sans qu’il en essaye un ou deux. A travers la porte du studio transpirent les hits de Foreigner « Hot Blooded », « Feels like the first time » et un paquet d’autres. Installé dans un fauteuil j’écoute le temps passer au fil des chansons de Micky. Agréable ? Et pourquoi pas. Dans le style métallique et énergie, Foreigner n’a rien à envier à ses confrères Saxon, Pile/ Secteur ( AC/DC : NDR) ou des autres Tête-à-Moteur ( Motorhead :NDR). Mais Foreigner vous en donne plus; la mélodie, une certaine harmonie, un rock fort qui conserve une espèce de pureté adolescente. Un rock glacé teinté du smog british, du soleil techno-dynamique US et de notre cher gros rouge qui tache. Mais que penser de ce « mondo-rock » que nous propose Foreigner? Au fil des années, j’ai appris à vivre avec l’horrible dépendance des Watts. Des 1,5 W de mon premier mini-cassette Philips aux milliers des sonos équalisées et massives des gigs de cette fin de siècle, l’escalade des sons chatouille nos oreilles. Avec Foreigner, je ne risquais pas trop d’abîmer mes précieuses membranes. Dans le studio à côté, le dernier cri de la guitare de Mick Jones a traversé l’air et la porte s’est ouverte. Mick m’a dit bonjour en Français, en enchaînant avec son accent chantant sur une conversation bilingue. Décor bois naturel vernis, la grosse boîte du studio B compte deux occupants, l’Étranger et votre dévoué pressman humain.
« Pour toi, les choses sérieuses ont vraiment commencé en France, c’était un plan du hasard ou une action préméditée ?
En fait, je n’ai pas vraiment choisi la France, mais lorsque j’ai débarqué à Paris, j’ai vraiment eu le coup de foudre. Et a l’école, si je me souviens bien, le seul sujet qui me bottait vraiment c’était le français.
Comment t’es tu retrouvé à Paris?
Comme ça… je suis venu pour taire une tournée avec un groupe. Elle devait durer un mois., et je suis resté six ans en France. J’étais complètement fasciné par Paris, les gens le métro, la ville, le parfum de la Gitane. Je suis tombé amoureux du français way of life. Je n’avais jamais vécu dans une ville avant J’ai toujours évité de vivre à Londres J’avais une maison pas loin, mais assez éloignée pour être à la campagne
CHERCHEZ L’IDOLE
Mais ici, aux States, ne vis tu pas dans la plus grande ville du monde. Tu supportes NYC?
Sûrement puisque j’y suis installé. Et puis c’est peut-être grâce à cette ville que je me suis autant investi dans la musique, à cause du « challenge » pour la survie. New York c’est la jungle. Il faut se battre. A Paris je ne me suis jamais senti écrasé comme ici. En définitive c’est assez stimulant. Je crois pourtant être resté le même, un peu plus endurci peut être. J’ai surtout compris qu’il fallait absolument que je me bouge, que j’entreprenne enfin quelque chose qui me motive a 100 %. Mon avenir en France était trop cool et confortable. Sans aucune compétition avec moi-même. Je ne regrette pas ce temps-là et il m’en reste de superbes souvenirs, comme ce concert de l’Olympia en 64 où je me suis retrouvé sur scène avec Vartan comme première partie des Beatles; c’était mon premier vrai concert à Paris Je n’arrivais pas à y croire. Moi, un petit anglais débarqué et inconnu j’ouvrais un concert des Beatles En plus, ils étaient assez sympas avec moi, étonnés de trouver un Anglais au milieu de tous ces Français !
Comment t’es-tu branché sur Vartan ?
Grâce à un film où Johnny avait le rôle principal, c’ était « Cherchez l’idole », et moi j’étais guitariste dans Hector et les Mediators, le groupe du… ah… oui, le Beethoven du rock (Le Chopin du Twist, en fait: N.D.LR.), un mec avec les cheveux très long. Ensuite j’ai joué avec Sylvie. Mais lorsque Johnny est rentré de l’armée il m’a demandé de l’accompagner; j’ai accepté et c’est ainsi que Johnny m’a volé à Sylvie. J’ai composé des tas de chansons pour lui comme « Né dans la rue » ou « Ma Jolie Sarah » … il y a une discographie assez complète chez Philips je crois bien.
Mais tout ça c’était alimentaire ou… ?
Non. Je faisais des chansons, un point c’est tout. Je ne regretterai jamais d’avoir travaillé avec Johnny parce qu’il m’a toujours permis d’aller exactement là où je voulais aller. Il m’a toujours écouté sur le plan du son des disques et des gens avec lesquels nous devions les faire. Avec lui, on partait constamment à Londres et c’est comme cela que j’ai rencontré des tas de musiciens que j’appréciais beaucoup, des gens comme Jimmy Page, Steve Mariott, Peter Frampton avec lesquels on enregistrait. A l’époque, je dirigeais les séances des disques de Johnny et personne ne m’a jamais empêché d’utiliser de super musiciens, au contraire. Jimmy venait souvent passer une semaine ou deux à Paris en studio avec nous; bien entendu c’était avant l’envol du Zeppelin. Si un jour Johnny me disait « Tiens je ferais bien un truc un peu soûl. », la semaine suivante je m’envolais pour New York enregistrer avec les meilleurs musiciens de studio de l’époque. Quelle expérience !
Philips investissait beaucoup d’argent dans la carrière de Johnny?
Plus encore que tu ne peux imaginer…
Et Johnny te faisait vraiment confiance?
Je crois qu’avec Tommy(Brown, ex batteur disparu du Johnny band), nous étions vraiment les seuls en qui il pouvait croire aveuglément. Johnny a toujours eu tant d’idiots dans son entourage. Moi ça me rendait vraiment triste de voir tous ces c… la « Bande à Johnny ». Ça m’attristait, mais j’ai compris qu’il avait aussi besoin de ça pour vivre.
Vous êtes encore copains?
On a toujours conservé un respect mutuel. On a vécu tant de situations difficiles ensemble. Lorsque j’ai quitté Johnny, je n’arrivais pas à me décider. Je me disais : il a besoin de moi. Après mon départ, j’ai réalisé qu’il pouvait très bien se passer de moi. Mais Johnny m’a aidé, comme moi je l’ai aidé. En France, je crois qu’il sera toujours une institution, une idole…
Comment as-tu échappé aux futilités de la vie parisienne ?
J’ai rencontré Gary Wright dans un club à Paris, au moment où je commençais à avoir très envie de rentrer à Londres. Comme Spooky Tooth venait de splitter, nous avons monté un groupe que nous avons baptisé « Wonder Wheel » à cause de la grande roue du parc d’attractions de Coney Island. Le groupe a duré un peu plus d’un an, soit jusqu’en 71 lorsque Chris Blackwell a proposé à Gary de reformer Spooky Tooth avec Mike Harrison et moi. Je suis donc resté avec le groupe jusqu’au moment où Gary s’est tiré en me laissant dans la merde. On venait juste de finir l’enregistrement de « The Mirror». Ça lui a pris d’un seul coup; il voulait se remettre aux LP solos.
Et en plus des disques solos de synthés sans un seul accord de guitare !
En plus. Mais là non plus, je ne crois pas avoir perdu mon temps. Je me suis installé sur mon strapontin en attendant que ça se passe. Pendant six mois je n’ai pas fait grand chose, je vivais de quelques sessions et de mes droits d’auteur sur la France.
Mains non, tu as survécu grâce à la SACEM ?
C’est drôle, non ? Je me suis lancé dans quelques productions foireuses de groupes noirs et inconnus. J’étais très paumé à NY. C’est dur, même pour un Anglais, mais c’est encore pire pour les musiciens français : ceux qui viennent ici ne font pas de vieux os Heureusement, un matin j’ai reçu un coup de fil de Leslie West (Mountain). On avait fait quelques tournées ensemble. Il voulait monter quelque chose avec deux guitares et il s’est souvenu de moi. Je me suis retrouvé dans un studio avec lui et c’était comme si je contemplais à nouveau le soleil, c’était super. On a fait le Leslie West Band avec Carmine Appice à la batterie. Je vivais encore une expérience différente car Leslie ne s’intéressait absolument pas aux compositions; j’ai donc écrit tout l’album; c’était ma première chance de composer un album de A à Z Nous avons beaucoup tourné, ce qui m’a donné plus de punch et d’agressivité dans mon style Mais au bout d’un moment Leslie ne s’est plus amusé, il avait aussi des problèmes personnels et le groupe n’a pas tenu le choc. Là je me suis dit qu’il fallait vraiment que je me décide à monter mon propre groupe. J’avais assez donné aux autres…
Combien d’années as-tu joué pour les autres?
Un peu plus de dix ans Mais je ne regrette pas Je suis content d’avoir eu tout ce temps devant moi pour me préparer. Quand c’est arrivé je savais par cœur les trucs que je devais faire et ceux qu’il me fallait éviter.
Avec Johnny tu as appris à te défier du piège de la pop star, avec West tu as appris à écrire… chacun des musiciens avec lesquels tu as joué t’a apporté quelque chose. Avec ces expériences, tu t’es décidé à tenter Foreigner… mais tu ne l’as pas fait avec n’importe qui.
J’ai passé plus d’un an à mettre ce groupe en place Je me suis entraîné sur pas mal d’albums avant de faire le premier Foreigner. Il fallait que je réinjecte la somme de toutes les expériences passées et complémentaires dans mon premier LP parce qu’il fallait à tout prix que j’en sois fier. J’ai voulu prendre vraiment mon temps. Le premier membre du groupe que j ‘ai rencontré, c’est lan Mc Donald. Malgré une foule de sessions communes, on ne se connaissait pratiquement pas. On a beaucoup discuté avant de se décider, lan est un des co-fondateurs de King Crimson. avec Robert Fripp, c’est lui qui a écrit la moitié des titres du « In the Court Of… ». Ça a fait tilt dans ma tête, je me suis dit « et pourquoi pas… »; pourtant je ne courais pas après les célébrités du rock, je ne voulais pas un groupe constitué d’ex-stars d’autres groupes Avant tout il fallait créer un peu de fraîcheur. Il fallait que mon expérience soit utilisée d’une manière enrichissante en conservant une certaine spontanéité.
Mais Foreigner n’a jamais été à proprement parlé une équipe de débutants…
C’est toujours la même histoire, c’est comme ce quarter (25 Cents) il y a deux faces deux aspects Ça aurait été trop facile de monter un groupe avec des stars…
Et les autres Foreigner où les as-tu rencontrés ?
Al Greenwood je l’ai débauché dans un groupe de Brooklyn. Dennis Elliot, le batteur, est un anglais Je l’ai trouvé dans un studio ou il faisait des séances avec lan Hunter. Il jouait aussi dans les early seventies avec If. Quant à Lou Gramm, je le connaissais déjà depuis deux ou trois ans lorsqu’il était chanteur de Black Sheep, un groupe de hard rock New Yorkais Vocalement je voulais quelqu’un qui sache monter assez haut dans les aigus. Je voulais vraiment mettre une super voix sur mes chansons J’ai auditionné plus de 40 chanteurs avant de choisir Lou.
Vous avez beaucoup répété avant de faire l’album « Foreigner »?
On a passé deux mois à New York avec un ingénieur anglais On a dû le faire venir, parce qu’à l’époque j’avais fait une demande pour obtenir une carte de résident aux États-Unis; or, une loi stupide interdit de quitter le pays même pour quelques jours tant que la demande n’a pas abouti. Je voulais enregistrer à Londres et je me retrouvais coincé aux USA L’ingénieur du son et le co-producteur sont donc venus a NY pour faire le disque.
Pourquoi as-tu signé chez Atlantic?
On a envoyé une maquette à trois record companies: Atlantic, A & M et Arista.. et elles nous ont toutes refusé. C’est drôle, parce que les gens s’imaginent que Foreigner est un truc complètement monté, construit de toutes pièces et fait pour gagner, ils se plantent Après coup, on nous a dit: « Ouais vous saviez d’avance ce qui allait arriver ». Moi j’avais à peine de quoi bouffer. Merci encore à la SACEM. Comme je co-produisais • Foreigner », on a dû enregistrer très low budget avec le minimum nécessaire Quand la maquette nous a été retournée j’étais si furieux que je l’ai immédiatement renvoyée chez Atlantic par retour du courrier. Je voulais à tout prix signer chez eux, peut-être à cause de l’héritage Atlantic de Ray Charles aux Stones en passant par Led Zeppelin.
C’est vraiment le feeling qu’on ressent en signant dans une telle maison de disques, c’est vraiment partager un patrimoine commun?
Écoute, le piano sur lequel je joue sur «Cold As Ice» c’est celui sur lequel Ray Charles a enregistré « What I ‘d Say »; Aretha Franklin s’en servait aussi. C’est presque sentimental. Au deuxième envoi, la cassette a abouti chez un A(rtist) and R(epertoire) qui nous a reconnu, lan et moi. Ensuite c’est l’histoire classique. Il est passé nous voir répéter et le lendemain Foreigner signait son contrat chez Atlantic. Tout ça pour te montrer combien il est facile de se ramasser, de voir sa maquette jetée. Et nul n’en est à l’abri, les distributeurs automatiques à contrats d’artiste ça n’existe pas les meilleurs peuvent se prendre des claques. Mais c’est bien aussi quand ça ne se passe pas trop facilement, ça laisse tout le temps de réfléchir.
C’est pas un peu maso comme attitude?
Ouais., mais les évènement n’arrivent pas par hasard. La vie est faite de choses qui s’emboîtent comme les pièces d’un puzzle; chacune te mène à quelque chose d’autre, moi j’accepte le pire parce qu’il peut mener droit au meilleur.
Quand le disque est sorti, comment expliques-tu qu’il ait marché aussi fort. Je me souviens que les radios américaines matraquaient « Feels Like the First Time » et « At War With the World ».
À l’époque, il y avait un grand vide dans la musique aux Etats-Unis; des groupes continuaient à sortir, mais il ne se passait rien de très fort. Et puis Boston est arrivé et a inauguré ce phénomène de ventes gigantesques de disques grâce au matraquage radio de « More Than A Feeling ». Lorsque «Foreigner » est sorti, il a profité de la même dynamique. La comparaison avec Boston s’arrête là. Pour le business, ce phénomène de vagues de ventes massives avait quelque chose d’assez déconcertant. Led Zeppelin et les Stones n’ont jamais vendu plus d’un million d’exemplaires d’un seul disque. Fleetwood Mac et Foreigner se sont arrachés à plus de quatre millions Quand j’y pense, ça paraît complètement vertigineux.
Vous vous êtes beaucoup produits sur scène aux USA avant que le disque devienne N° 1 ?
On a commencé à tourner dès que le disque est sorti, au début mars. À la fin mai, nous décrochions le N° 1, mais je crois que nous y étions préparés depuis longtemps. On a bossé, énormément répété pour acquérir une expérience de la scène réelle en tant que groupe-unité musicale. C’est aussi une question de discipline. Pour « 4 » j’ai bossé avec Lou au moins huit heures par jour non-stop pendant plus de neuf mois.
À la fin de la journée c’est l’Enfer ou le Paradis?
Je crois que ça ressemble plutôt à l’Enfer. À la fin de l’album, je me sentais presque comme au Vietnam.
« 4 » est co-produit par Robert John « Mutt » Lange qui a déjà fait AC/DC et les Boomtown Rats. Tu travailles souvent avec un co-producteur ?
Je travaille toujours avec un co-producteur, parce qu’il faut que quelqu’un reste en cabine pour véritablement contrôler le son pendant que je joue. Quand j’enregistre, je veux être un membre du groupe à part entière. Je n’ai pas l’âme du producteur et je refuse ce rôle s’il doit durer trop longtemps En fait, je n’endosse l’uniforme du producteur que pour le mixage. Quand on a fini d’enregistrer, c’est moi qui opère. Si on essaye de jouer et de produire en même temps obligatoirement l’un des deux côtés en souffre.
Pourtant des artistes parviennent à faire des disques complètement seul, comme Winwood par exemple ?
Oui, je pourrais faire un album de cette manière. Ça me tenterait assez, mais ce que je fais avec le groupe est pour l’instant bien plus important que de contempler un truc nombrilique comme ça »
Après une panne de micro, l’interview se poursuivra avec Micky l’Étranger. On discutera de la vie à Paris, de Roman son fils de quinze ans qui étudie dans un lycée français et qui j’espère lira cette entretien avec son daddy. Jessica, la sweet promotion-girl aux yeux verts déboule dans le studio avec les charts fraîches. Foreigner, en une semaine, a gagné 25 places passant du N° 30 à 5. Un roadie court vers le supermarché d’à côté pour acheter du champagne. C’est la fête au studio. Comme mon micro est toujours branché, j’en profite pour le présenter à Lou Gramm, le chanteur-percussionniste du groupe :
« Je suis assez excité par cette tournée. Ça fait plus d’un an et demi que nous n’avons pas pris la route. Et puis je n’ai jamais chanté en France. Je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre au niveau des réactions de la part du public français.
Vous vous entendez bien depuis le départ de lan et Al?
On s’entend assez bien. Il serait faux de dire qu’il n’y a pas de conflit, mais ils sont nécessaires, ils apportent un vent nouveau. Ce genre de controverse est toujours enrichissante finalement II n’y avait pas d’autre solution. Le groupe ne pouvait pas rester tel quel et continuer à progresser. Le son que nous avons aujourd’hui se rapproche vraiment de ce que je pouvais souhaiter, c’est-à-dire un son plus ouvert qui couvre des feelings musicaux différents les uns des autres Je crois que la cible est plus juste.
C’est pour cela qu’il y a une cible sur la pochette du disque?
Sans doute… mais il ne faut jurer de rien. »
Foreigner, l’Étranger calme et patient revient dans sa seconde patrie vers la fin du mois d’août. Trois gigs dans le sud estival: Annecy, Fréjus et Montpellier. Ça va lui faire une drôle d’impression à Mick, de retrouver un public francophone. Seulement cette fois, il ne sera pas derrière l’idole, sa guitare à la main. Cette fois l’idole c’est lui. Mais apparemment Micky est loin de laisser sa tête enfler comme un soufflé trop monté. Il a déjà vu le film, Mick, et il saura s’en défier. Elvis Presley à la fin de sa vie était si enflé qu’à la moindre piqûre supplémentaire, il a fini par éclater. Johnny est en passe de vivre la même aventure; la dernière fois il avait du mal à voir le bout de son nombril. Mick Jones lui, saura sans doute se surveiller. Dans le bureau de Los Angeles où je finis de taper ce papier, « Urgent » le hit fait du ping pong entre le canal gauche et le canal droit de mon casque de walkman. C’est vraiment très agréable à écouter, sans glisser sur les facilités à la Kansas ou Boston, ou les lourdeurs trop heavy-metaliennes. « Urgent» sonne dans ma tête comme le timbre d’un réveil trop matinal, mais, bon sang, finirai-je ce papier à temps ? Pour en savoir plus, branchez vous sur le sommaire de BEST. Si votre rock-magazine favori compte quelques pages blanches, je vous engage à venir me les faire bouffer. Et si jamais vous croisez l’Étranger sur votre route, saluez le donc de ma part…
Publié dans le numéro 158 de BEST daté de septembre 1981