MA PREMIERE INTERVIEW AVEC MURRAY HEAD
Voici 42 ans dans BEST GBD interviewait le plus frenchie des Britanniques, comme une version masculine de Jane Birkin… car depuis l’aube des 70’s Murray Head a toujours invariablement su séduire le public hexagonal à la fois à l’écran et sur disques, lorsque ses propres compatriotes semblaient bouder son irrésistible cocktail musical de rock et de folk produit entre autres par l’immense Paul Samwell-Smith qui réalisait les disques de Cat Stevens. Dans la foulée de son 5ème LP « Shade » publié fin 1982, première rencontre avant bien d’autres du créateur de « Say It Ain’t So ». Flashback…
C’était mon second trip à Los Angeles en 1976. Deux ans auparavant j’avais découvert les bacs à trésors des disquaires de la Cité des Anges, où DJs et journalistes revendaient leurs services de presse ces fameux « Promo copy not for sale » pour quelques dizaines de cents. C’est ainsi que pour 70 petits cents j’avais acquis la version promo du « Say It Ain’t So » avec son label blanc arborant le logo A&M records, qui distribuait alors Murray aux USA. Le type avait même écrit son nom au stylo rouge « Leonard ». Merci Leonard… Bien entendu, l’étudiant en droit que j’étais alors ignorait complètement que sept petites années plus tard, il tendrait son micro à Murray Seafield St George Head pour la première d’une longue série d’entretiens avec un artiste aussi cool qu’original, aussi drôle qu’inspiré dont l’estime mutuelle ne s’est jamais tarie durant plus de quatre décennies ( Voir sur Gonzomusic Après son terrible accident de voiture Murray Head a tenu à rassurer ses aficionados , MURRAY HEAD « Say it Ain’t So Live ! » et aussi « Say It Ain’t So Joe ( Biden) » VS the Big Bad Trump ).
Publié dans le numéro 175 de BEST sous le titre :
L’HOMME TRANQUILLE
« Tiens, écoute ce truc, c’est vraiment pas mal !», m’avait dit un copain, en 76, en posant « Say It Ain’t So » sur sa platine Dual. Attaque à la guitare sèche et une voix dans l’écho avec une drôle de conviction : Murray Head… J’avais déjà vu cette tête quelque part, au cinéma. Exact, Murray a tourné un certain nombre de longs métrages « La Mandarine », « Sunday Bloody Sunday » … « Say It Ain’t So » me faisait songer à la dégringolade de Richard Nixon… « The Army and the empire may be falling apart ». De bouche à oreille, l’album se répand dans l’hexagone sans trop d’étincelles, mais en France, à cette époque, on a l’habitude d’occulter les hits anglo-saxons pour défendre « notre » patrimoine de variétés fadasses. Deux ans plus tard, le malin Daltrey reprend la chanson, sans rien changer aux arrangements et fait de « Say It Ain’t So » un hit planétaire : un peu frustrant quand même pour ceux (rares) qui connaissaient la version originale.
En France, Phonogram se décide enfin à s’attacher Murray par contrat ; « Between Us », « Voices » et un album live sortiront ici. En Angleterre, par contre, le courant a du mal à passer : nul n’est prophète… les albums de Murray Head se retrouvent relégués dans les bacs d’imports. Moi, le décroche avec l’album-live. Geoff Richardson, mon « Caravan » préféré, rejoint les rangs des musiciens de Murray Head qui tourne sur la France comme un Jumbo Jet au-dessus de Roissy. Avec un soutien media minimum, son following ne cesse pourtant de gonfler : Murray Head draine un public de plus en plus dense à ses gigs. Après la sortie de « Shade », son album de 82, je rencontre Murray à un déjeuner et ce type me déboussole par son étonnante culture rock. Murray a toujours vécu à Londres où il a grandi dans les premiers concerts des Stones chez Alexis Korner, avec les Beatles, les Kinks, le Spencer Davis et tous les autres héros de ces années dorées. Ses premières tournées dans un Bedford mini-truck plein jusqu’à la gorge et la roue temporelle qui l’entraîne jusqu’à la France : Murray, depuis dix-neuf ans, n’a jamais cessé de gratter sa guitare. Ce qui ne l’empêche pas d’ouvrir ses oreilles sur les vagues successives du rock. En ce moment, il écoute Thomas Dolby ( Voir sur Gonzomusic THOMAS DOLBY « The Golden Age Of Wireless » et aussi WILL VIDEO KILL THE ROCK STARS : Épisode 2 Thomas Dolby ), Scritti Politti ( Voir sur Gonzomusic POP MUSIK 1983 Seconde Partie ), Joe Jackson… Sur scène, sa musique cultive un côté folk hors du temps. Rien à voir avec les folkeux au système pileux développé comme les Dupont-Dupond de « Tintin au pays de l’or noir ». En sensibilités parallèles. Le rôle est similaire à celui que pouvait avoir chez nous un Cat Stevens, un anachronisme en forme de bulle comme un Dire Straits. De la variété ? Pas vraiment, Head exprime sa créativité à la manière de John Martyn, en biaisant sur la hargne. « Shade », co-produit par Steve « Japan » Nye, est franchement plus réussi que « Between Us » réalisé par cet allumé des synthés qu’est Rupert Hine ou que « Voices » aux tonalités ternes et hivernales. Bien sûr, Murray Head synthétisé ne signifie pas forcément mutation en Depeche Mode ou Human League : il utilise les claviers de Peter Veitch comme s’il s’agissait de guitares acoustiques. Janvier 83, Murray Head est à Londres pour répéter son show. La tournée débute dans une semaine ; en attendant, il bosse dans un studio de Wembley appartenant à London Weekend TV. Calé au fond d’un siège de taxi, Murray nous raconte le paysage qui défile derrière la vitre :
« Ce triangle de verdure là, c’est South Kensington. Je me souviens lorsque les vieux Arabes en robe blanche ont commencé à l’envahir, ils ont changé la couleur du quartier. Londres, en fait, est un paquet de petits villages où les mentalités sont assez sectorisées, lf y a des années, j’ai débarqué avec des copains dans un petit village gallois, Newcastle-Emlyn, et les gens, qui ne pariaient que le gaëlique, nous considéraient comme des aliens. Heureusement, notre enthousiasme a fini par toucher d’autres copains qui nous ont rejoints … en deux ans, il s’est créé une douzaine de foyers, nous avons fini par faire nous-mêmes un Newcastle-Ernlyn parallèle. Dommage qu’avec la culture, le temps crée l’impact ; les Gallois nous rejetaient à cause de leurs traditions. Or, il ne faut pas se laisser piéger par une logique bien trop linéaire ». La conversation se poursuit sur les sièges de bambous du restau. « Le danger de la tradition, c’est son incapacité d’assumer le changement. Or, le changement est bien la seule chose qui m’intéresse, parce qu’il incarne la vie l’évolution doit être une simple question de feeling. Si je suis venu en France, c’est pour changer justement, comme je suis rentré en ville après mes six années dans ce petit village gallois. Dans la philosophie chinoise, on trouve le Yi-King ; le livre des changements relie les étapes de l’évolution avec la nature et chacun se construit sur le précédent. C’est ainsi que j’ai appris la tolérance, c’est important, la patience. Moi, je n’ai jamais été pressé, ce qui fait que ça finit toujours par marcher. Si tu dois te disperser, il vaut mieux ralentir qu’accélérer trop vite. De même, la crédibilité imposée par les médias me fait peur. Lorsque personne ne voulait nous parler, j’avais une idée précise de ce que pouvait être ma propre réalité. On faisait de petites tournées, on faisait des concerts, c’était assez simple à analyser. Maintenant, c’est différent d’autres circuits sont branchés, mais il faut conserver une certaine perspective. Ce que je fais, en fait, n’a pas vraiment changé, mais on y accorde plus d’attention.
Ça t’intrigue ?
Pas vraiment (rire), j’ai toujours considéré les Français comme des flatteurs professionnels. Ça me terrorise parce que Ies gens ont besoin de crier « Star » pour se sentir motivés. Warhol disait : « Everybody’s gonna be a star for 15 minutes » un groupe ne peut pas exister pour une semaine, on ne considère pas cela comme une « carrière ». Or les stars aujourd’hui, ce sont ces DJ de radios dont ta photo est collée sur toutes les bagnoles ; ils distribuent des autographes et leur tronche prend des allures de poster dans les journaux. Mol, je ne suis pas une star, je n’ai jamais vraiment été une star je fais mon boulot. Quand on parle aux gens de Murray Head, ça « leur dit quelque chose » on ne peut pas vraiment me mettre dans un cadre, ce qui me donne la liberté d’évoluer normalement ».
Si Murray Head passe le plus clair de son temps en France, il n’oublie pas pour autant ses racines anglaises. Dans sa maison de Clapham, près de la Tamise, il se livre aux activités de week-end des Britanniques il entretient son jardin rectangulaire et se livre au bricolage. Murray construit lui-même une partie des meubles qu’il utilise. En France, Murray Head sait qu’il peut compter sur un public très attaché, mais tout n’est pas toujours aisé pour un Anglais en exil. Malgré le boom rock de ces deux dernières années, les schémas traditionnels sont encore tenaces : la vieille garde de la variété a une attitude aussi protectionniste que le PS vis-à-vis des magnétoscopes japs coincés à Poitiers. À Rennes, par exemple, la municipalité, par le truchement d’un adjoint au maire, a tenté de racketter le concert prévu : Bam ! 10 %… pour nos bonnes œuvres. Le concert sera annulé, seul moyen d’éviter le chantage. Heureusement, tout ne se passe pas ainsi en France : la tournée Head compte un nombre astronomique de dates, elle sera demain dans votre ville. Profitez-en !