SUR LE DIVAN D’AVIDAN : Épisode 1

Asaf Avidan by Faid A. Savant
C’était il y a tout juste un mois, lorsque je sortais touché par la grâce émotionnelle de l’incroyable performance d’Asaf Avidan au Grand Rex. Bien entendu, j’avais déjà fondu comme neige au soleil sur « Unfurl », son époustouflant 8ème album. Et pour l’évoquer, je me suis à nouveau étendu sur son divan pour tenter l’analyse de l’inclassable artiste après la sortie d’un tel opéra rock capable d’embrasser si large de Kurt Weil à Kendrick Lamar. Focus sur l’un des artistes les plus singuliers de notre époque avec explication de texte du Dr Asaf. Épisode 1
Dix ans que je tends mon micro à Asaf Avidan ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Asaf+Avidan ) , dix ans que je suis sa progressions stratosphérique entre interviews et chroniques d’albums. Sans jamais transiger ou faire aucune concession, de sa voix haute d’écorché vif , il a toujours su exprimer son art avec flamme. Cette fois pourtant sa voix parait juste un peu moins brisée comme si le chagrin extrême, le spleen qui servait de carburant à ses chansons avait switché pour une énergie renouvelable, c’est en tout cas ce qui transparait en filigranes du grandiose et ambitieux opéra qui nous réunit aujourd’hui dans ce bureau parisien.
« Tu ne chantes plus comme avant ou comme d’habitude. Or je connais la Genèse de ta manière de chanter avec cette voix hyper haute après une rupture amoureuse, donc je suppose que la blessure qui a créé cette voix s’est refermée, qu’elle s’est guérie ?
Je ne dirai pas qu’elle s’est guérie, je dirai qu’elle a subi une mutation. Je pense que sur cet album, comme sur le précédent qui a quelque part donné naissance à celui-ci, même avec un fossé de cinq ans entre les deux. Toi tu entends le résultat final de tout un processus alors que moi je me souviens de chaque stade. Pour moi, la voix a toujours fonctionné à la manière d’un instrument pour dépeindre un certain état émotionnel. Cette voix auparavant était là pour exprimer une couleur spécifique, une émotion spécifique. Mais plus je creuse profondément dans cette introspection, plus cela devient abstrait au fur et à mesure où tu avances. Je l’ai déjà expliqué auparavant … tu prends une table et tu l’observes en te rapprochant et là tu notes qu’elle est faite de bois et que ce bois est constitué de particules et tu observes au microscope les cellules qui le forment. Puis tu prends un électro-microscope et tu commences à apercevoir les particules puis les sous particules.

Asaf Avidan by Ben Palchov
Et ta voix a subi tout ça ?
Sois un peu patient avec moi, car j’ai une longue réponse à ta question courte. Ce que je veux dire c’est qu’avec « Anagnorisis” j’ai atteint un certain stade. Considère que chaque album correspond à une nouvelle couche, avec cet album j’ai atteint un stade si profond que cela correspond aux particules en physique et cela ouvre une nébuleuse de possibilités C’est vraiment ce que j’ai ressenti, avoir réussi à atteindre un tel niveau subconscient que cela devient par essence indescriptible en perpétuelle mutation. Et j’ ai essayé de poser une structure en creusant si profond en soi que tu finis par trouver un caractère humain universel qui ne te définit pas seulement toi mais tout le monde. Donc pour répondre à ta question, les voix sont là pour représenter cet état et il y a beaucoup trop de nuances pour se contenter de juste hurler ou de juste chuchoter ou de juste descendre dans des graves théâtrales. Il y a une telle richesse d’expérience qui devaient être mises en portraits en utilisant toute la richesse de cet instrument. Cela n’aurait eu aucun sens d’utiliser cet instrument de la même manière qu’utilisé sur les albums précédemment, pour décrire quelque chose de compléèement différent. La chanson est toujours le Dieu… et moi je suis à son service et j’essaye de réaliser ses ordres. Je suis là pour explorer cet état émotionnel, mais cela mène parfois à la confusion mais surtout à la multitude. Et voilà… ( en français dans l’interview)
Mais pour revenir à ma question est ce que tu ressens enfin moins de douleur ?
Non pas du tout, je ne ressens pas moins de douleur, c’est simplement que la douleur se focalise sur autre chose. J’ai le sentiment d’avoir plongé dans l’abysse…
Pourtant la rupture amoureuse qui t’a déclenché cette voix si haute date d’il y a 14 ans maintenant, ta peine aurait dû s’atténuer, non ? De quand date t’elle exactement ?
Elle pourrait avoir vingt ans cela n’y changerait rien. En fait je ne sais pas à quelle rupture tu fais allusion car il y en eu tellement…
(rire)
…. C’est justement là où je voulais venir car de la même manière que Jung recherche des archétypes dans la psyché humaine, que Joseph Campbell recherche des archétypes dans la mythologie, peu importe ce que le masque peut représenter : par conséquent la rupture n’a jamais été la rupture, comme la jalousie n’est jamais la jalousie, c’est le sentiment d’insuffisance, le sentiment d’invisibilité, le sentiment que c’est dénué de sens qui priment. Ok alors sur le premier album il a dit cela, elle a dit ceci, il a fait ceci, elle a fait cela. Le deuxième album… attend un instant… s’ils disent tous : il a dit cela et elle a dit ceci, c’est que peut être il y a quelque chose en moi qui le propage…
C’est une évolution !
C’est une évolution et en tant que chercheur tu ne veux pas rester bloqué dans cette nasse donc je ne crois pas que la douleur ait disparue, elle est simplement masquée par d’autre sentiments. Je crois que ce que je réalise avec cet album c’est que je ne peux plus qualifier cela comme de la douleur, je ne le qualifierais pas non plus comme une souffrance mais je le qualifierais plutôt d’expérience humaine.
Il demeure donc une touche de douleur résiduelle !
Oui mais, comme il y a aussi une touche d’espoir, une touche de panique, une touche d’humour, une touche de mélodrame… mais c’est une expérience qui ressemble à essayer de créer un océan avec de simples petites gouttes d’eau en faisant du mieux que je peux avec mes deux petites mains.
Parlons de ce 5é ou 6é album international….
Pour moi c’est le 8ème je ne fais pas de différence entre mes trois albums israéliens avec les Mojos et les cinq suivants en solo…. Mais ils sont tous internationaux.
Sauf que celui-ci est sans doute le plus ambitieux de tous car c’est un étrange et surprenant opéra rock entre Gershwin Kendrick Lamar et les Who ?
(hum hum acquiesce Asaf) ok… rien que du bon…
Mais quelle est l’histoire derrière l’histoire de « Unfurl » puisqu’on commence par « Unfurling Dream » après l’intro de « IDKW » et on finit par « Unfurl » comme pour mieux boucler la boucle.
Pour moi c’est une seule chanson en huit parties…
…. qui sont toutes interconnectées ?
Oui. Elles sont interconnectées et il y a même des répétitions de textes et de thèmes musicaux. C’est un peu comme ces peintres qui passent leur vie à peindre la même chose car ls cherchent encore et encore toujours la même chose. Picasso dessine un taureau et un homme et il le dessine le redessine encore. Et cette série d’œuvres constitue l’œuvre elle-même, j’en suis persuadé. Et c’est aussi ce que je voulais faire, ne pas écrire des chansons isolées mais composer la même chanson encore et encore sur différentes …
… tonalités…
… oui, tonalités, car même si j’essayais demain de faire cette même chanson, ce serait forcément une chanson différente, c’est la réalité car tu creuses toujours dans le flux du présent, jamais d’ailleurs. C’est la première remarque à faire sur « Unfurl ». La deuxième, c’est qu’elle raconte l’expérience qui consiste à se dissoudre soi-même dans l’infini. C’est une expérience qui a commencé avec « Anagnorisis» voilà six ans lorsque j’ai découvert les particules, la physique universelle, les nébuleuses. Mais ce à quoi je ne m’attendais pas c’est à sentir l’absence de forme, l’absence de structure, l’abysse… je ne pensais pas que cela ferait autant partie de moi, mais c’est bien ce qui s’est produit. Quelque part entre le conscient et le subconscient je me suis senti vulnérable. Je ressentais en fait un état similaire à ces types qui prennent une drogue trop forte et qui ne redescendent jamais de leur trip.

Asaf Avidan by Faid A. Savant
Les portes de la perception ?
Oui exactement, c’est ça c’est exactement ce que j’ai ressenti : l’impression d’avoir franchi ces portes. Cependant si j’en suis revenu, ce n’est pas complètement. Des particules de moi sont demeurées là-bas comme une sorte d’écho physique. Comme une ombre qui s’agiterait inlassablement derrière ces portes. Je sais que cela parait difficile à croire mais c’est un puissant vertige qui agit exactement comme une drogue. Certains y parviennent par des rituels divins, d’autres par la méditation, moi j’y suis parvenu à travers tout le processus d’écriture de cet album sur un mode méditatif justement. Mais je voulais également l’explorer en disant : OK je suis assez stupide pour oser redescendre à nouveau là-bas tout au fond du fond, mais cette fois je serai muni d’une corde et d’une lampe-torche. J’ai lu énormément Yung et je me suis intéressé à la manière dont il dispensait son enseignement…
…quand tu dis Yung tu parles du philosophe, tu ne fais pas référence à Neil Young ?
Non je parle bien de Karl Yung…. ( fou rire d’Asaf venant de piger la joke après un moment)
Pardon de t’interrompre mais dans « Tommy » on comprend à peu près ce que fait Tommy par conséquent es-tu le véritable héros de cet opéra ? Ou bien est-ce quelqu’un d’autre que tu as créé ?
Oui exactement, car toute l’idée tourne autour de la dissolution de la personnalité universelle et j’y crois vraiment. Je crois déjà te l’avoir dit mais plus tu vas au fond de ta personnalité plus tu te rapproches de l’être universel, l’humain. Donc dans cet album, je suis à la fois moi-même et aussi un pochoir de l’humain type. C’est mon expérience mais je ne suis pas suffisamment narcissique pour croire que cette expérience est spéciale. Car chacun peut vivre cette expérience. Dans la plupart des philosophies asiatiques on considère que l’univers est en nous et non pas à l’extérieur. Voilà pourquoi tu as le devoir de méditer encore et encore sans relâche pour atteindre le Nirvana. »
À SUIVRE….
