LA SAGA RAMON PIPIN Épisode 2
Musicien émérite, héros du rock hexagonal depuis mon adolescence, je n’avais pourtant pas tendu mon micro à l’immense Ramon Pipin depuis mes débuts de journaliste à l’aube des années 80. Pourtant des Au Bonheur des Dames aux Excellents, en passant par les délirants Odeurs et sa carrière solo, l’auteur-compositeur-arrangeur-producteur-déconneur parisien n’a jamais cessé de créer ses désopilants standards. Erreur enfin réparée avec cette épique et néanmoins nécessaire Saga Ramon Pipin, dont voici l’Épisode 2: De Odeurs à the solo carrière en passant par Ramsès !
Cet été 1974 je suis en première au lycée Voltaire et si peu de groupes hexagonaux trouvent grâce à nos jeunes yeux fans des Dolls, de Bowie mais aussi de Neil Young, Santana, les Stones ou encore Ten Years After ; pourtant un OVNI sonique baptisé Au Bonheur des Dames va carrément nous vriller le cerveau. Avec leurs tenues provocs à la manière des New York Dolls justement et leurs textes délirants, les ABDD, comme on les appelait entre nous, nous ont offert cette année du BAC Français un hit imparable en forme de bol d’oxygène : « Oh les filles ». Quelques années plus tard au crépuscule des 70’s, devenu journaliste-rock je succombe à nouveau à ce qui ressemble fort à un nouvel ABDD, les bien nommés Odeurs, portés par leur irrésistible et néanmoins iconoclaste reprise du « I Want to Hold Your Hand » des Beatles… version marche militaire nazie. C’est à ce moment que je réalise qu’un certain Ramon Pipin est le responsable qui tire les ficelles de ces deux formations. Et son humour juif puise autant au « Springtime For Hitler » de Mel Brooks qu’au « Rock Around the Bunker » de Gainsbourg. De son vrai nom qui n’est pas son vrai nom Alain Ranval, l’homme n’en est pas à une casquette près. Parallèlement, il monte un studio parisien réputé baptisé Ramsès et devient, entre autres, arrangeur/réalisateur des meilleurs albums de Renaud, excusez du peu. Il signe une armada de bandes originales de films et après ses deux groupes emblématiques entame une vaste carrière solo riche de six albums publiés de 85 à nos jours. Enfin, et c’est crucial, il faut aussi évoquer sa dernière formation les Excellents ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/vraiment-excellents-les-excellents.html et aussi https://gonzomusic.fr/21-4-21.html ) dont la raison sociale assumée est « les chefs-d ’œuvres du rock massacrés par nos soins ». Vous l’aurez compris, ce héros du rock français n’a que trop longtemps attendu de voir publiée sa Saga, une injustice que ce deuxième épisode contribue ENFIN à réparer.
Décidément, les années 80 étaient placées sous le signe de l’odeur. Ou plutôt des Odeurs. La preuve, en 1981 John Waters sort le tout premier film vidéo en Odorama, l’hallucinant « Polyester » divinement porté par…Divine. Une carte était glissée dans le boitier et à différents moments du film il fallait gratter une case qui dégageait alors l’odeur ad hoc. Et je ne vous dis pas l’odeur. Un délire. Deux ans auparavant, Ramon Pipin publiait son « Ramon Pipin’s Odeurs », un album furieusement iconoclaste qui ne respectait ni Dieu ni maitre, tournant à peu près tout en dérision. Et bien entendu dans un pur esprit music-lover embrassant le rock comme le music-hall, le funk comme le folk, le hard comme le punk, rendant un vibrant hommage à Jane et à Serge mais n’oubliant jamais de sabrer le plus radicalement la niaise variétoche. Un an plus tard, le bien nommé « 1980 No Sex » poursuit l’aventure rock and drôle d’Odeurs dans son vinyle couleur caca … il fallait oser. De « L’homme objet » en clin d’œil au « Sultans of Swing » de Dire Straits, au swinging « Rock Haroun Tazieff, en passant par le désopilant rock and yidish « Ma fils Tennesy », le Devoesque « Couscous Boullettium, la folky maximesque le fox terrier « Je m’aime » ou le bluesy « J’ai le mauvais gout dans la bouche »,les Odeurs persistent et signent de leur imparable esprit potache. Quatre décennies plus tard, Ramon Pipin prouve qu’il n’a rien perdu de ces Odeurs. 🤪
« Quatre ans après la désintégration de ABDD, tu inventes Odeurs, un nouveau groupe avec ton complice Costric 1er .
On ne tenait absolument pas compte de ce qui pouvait plaire ou déplaire. Tu sais, on disait toujours « Odeurs frôle le bon goût sans jamais y sombrer », ce qui était un peu notre credo. Et donc il y avait effectivement des trucs qui donnaient dans l’archi mauvais goût. Pour le premier album, j’ai fait le tour de Paris avec ce disque. Je me suis fait jeter de partout je me suis fait jeter par l’éditeur des Beatles à l’époque, mais il ne m’a pas fait de procès. Par contre, il m’a balancé : « on ne plaisante pas avec ces choses-là ! »
Ah tu parles de la reprise de « I Want to Hold Your hand », façon marche militaire ?
L’éditeur c’était Daniel Margules. Tu l’as sans doute connu ?
Et comment ! J’ai même souvent bossé avec lui.
Il m’avait foutu dehors de son bureau, mais finalement il y a un mec chez Polydo,r Francis Germain, qui a eu le courage de sortir l’album et on a cartonné. On a vendu 150 mille exemplaires du premier album. Après, comme moi je connaissais de Caunes par mon studio d’enregistrement, qu’il a eu son émission, il nous a programmé et dans la foulée on a pu s’installer au théâtre Renaud-Barrault. On a fait une semaine et c’était plein et ça a commencé comme ça. En fait, notre studio d’enregistrement a assez rapidement fait son trou, parce qu’il y avait une ambiance, c’était dans des caves moyenâgeuses, situées en plein Paris. On se demande pourquoi j’ai tant d’excellents musiciens avec moi, c’est parce que tous ceux qui accompagnaient Mireille Mathieu ou Dugenou se faisaient tellement chier qu’il venaient tous me voir en me disant : « c’est tellement marrant tes albums, je veux jouer avec toi ». C’est ainsi que j’ai pu les solliciter et faire ces albums avec la crème des musiciens français.
Le casting chez Odeurs est juste hallucinant et je ne parle pas seulement des solos de guitare de Jacky Jacubowitz… ( humour !)
Sur le deuxième album, je crois qu’on était 49 avec Jean Michel Kajdan, Didier et Frncis Lockwood, Manu Katché, Bernard Paganotti , Richard Pinhas, François Bréant, Pierre Chérèze, etc…
Odeurs par rapport à ABDD c’est autrement plus fouillé musicalement et instrumentalement, c’est l’apport du studio Ramsès. Il était situé où ?
Rue Jean de Beauvais, à Maubert-Mutualité. Ramsès a vu passez Jonasz , Gainsbourg, John McLaughlin, James Chance, Billy Cobham, Didier Lockwood, Renaud évidemment avec qui j’ai travaillé après…
Et donc Polydor a les couilles de sortir l’album avec tous ses gags et de surcroît vous remettez le couvert et vous en sortez un second…
Oui, le bien nommé « 1980 No Sex », avec la poupée gonflable qui se suicide sur la pochette. Les gens ont souvent mal interprété ce que je voulais dire. En fait sur le premier album Ramon Pipin’s Odeurs, c’est mon cerveau qui dégage des effluves nauséabonds, contrairement à ce que certains ont pensé. Et dans le deuxième, sur la pochette, c’est une poupée qui se suicide. Il devait y avoir un mouvement de puritanisme ou je ne sais quoi, c’est pourquoi on avait appelé ça « No Sex ». Et bizarrement je n’ai jamais compris pourquoi, alors qu’on a vendu encore plus du deuxième album que du premier, Polydor nous lâche…
Il y aurait eu des pressions à cause de votre côté provoc ?
Je ne sais pas. C’est Patrick Zelnik qui avait repris les rênes de la boîte à l’époque, je ne suis pas sûr que ce fut son type d’humour. Donc on a changé de maison de disques et produit un troisième album intitulé « De l’amour » chez RCA. J’aime beaucoup ce disque avec sa production très année 80, très froide. Richard Pinhas joue dessus avec des synthés, les premiers sequencers. Il y a des morceaux que j’aime beaucoup comme « Faut être deux pour faire un enfant », « L’amour », « Que c’est bon» et je collabore à cette époque-là avec un musicien que j’adore et qui est resté mon ami, Jean-Philippe Goude. Aujourd’hui il est plutôt néo-classique, il vient juste de refaire un disque. Si cet album remporte un peu moins de succès, on a quand même fait pas mal de télés. Mais, surtout à l’époque, on a réussi à faire 11 jours de suite à l’Olympia, je ne sais pas si tu vois ce que cela représente 11 jours de suite ? Et c’est plein ! On cartonne sur scène, le spectacle est super. Malheureusement, je n’ai qu’une vidéo pourrie, mais j’en ai quand même une. Après, on a aussi fait 6 semaines à Bobino, puis le théâtre des Variétés sur les grands boulevards ; on remplissait partout même à travers toute la France.
On est en 81 ?
Absolument et avec en première partie l’ineffable Professeur Choron ! À l’époque, on fréquente tout le monde, tous les Coluche Desproges, c’est nos potes, quoi. Et donc Choron nous a invité à faire deux romans photos dans Hara-Kiri et à cette occasion il me chante enfin,…il nous scande ses chansons, qui n’ont pas grand intérêt musicalement, mais par contre les textes sont géniaux, vraiment . Encore aujourd’hui, « La testiculance » c’est quelque chose, cela reste d’une créativité folle. Et donc je lui dis : Prof, on va faire l’Olympia, est-ce que tu veux faire la première partie ? Et il est resté mon ami, même si c’est un bien grand mot, mais il m’a remercié jusqu’à la fin de ses jours puisque c’était son rêve de chanter et de faire de la scène. Il est parti en tournée avec nous dans deux autocars, deux tours bus, nous et Choron… c’était épique.
Sex, Drugs and Rock n roll ?
Sexe ? pas des masses. Sex, drink and rock n roll, plutôt oui ! Il se nourrissait de Champagne, Choron ! Après, on a sorti un quatrième album d’Odeurs chez Flarenasch intitulé « Toujours plus haut » . Pourquoi nous sommes nous retrouvés sur ce label, me diras-tu ? Je n’en sais trop rien, mais pareil, on a été dégagé de chez RCA car on devait trop sentir le soufre et peut être aussi avions nous vendu un peu moins d’albums. Flarenasch à l’époque ils avaient un tube énorme avec « Africa » de Rose Laurens. Pour je ne sais quelle raison, ils avaient flashé sur nous persuadés que nous allions faire un énorme tube avec cette chanson crétine : « Le cri du kangourou », tu as déjà dû l’entendre. C’était pour moi une façon de rendre hommage au music-hall débile des années trente/ quarante à la Ray Ventura. Avec cette chanson, on a vraiment fait vingt télés mais… si on a réussi à faire connaître le titre, par contre les ventes n’ont pas suivi.
Quand tu dis ils… tu penses à qui en particulier?
Surtout Alain Puglia, qui était le PDG du label… qui allait quand même jusqu’à endosser un costume de kangourou sur scène avec nous ! pour un patron de maison de disques c’est pas mal ! C’était un mec assez bizarre, c’était difficile d’avoir des relations avec lui, il n’a pas très bonne réputation, je crois. Et puis un jour il s’est lassé, on a fait un dernier live et ça s’est arrêté. Le groupe s’est dissout dans la foulée. Pas faute de combattant mais c’était dur de faire vivre tout le monde. On était beaucoup, sur la route on était une vingtaine. On était déjà dix sur scène. On s’est arrêté en 1986. Moi en attendant j’avais enregistré mon premier album solo « Nous Sommes Tous Frères » puisque j’avais la chance d’avoir mon propre studio.
La décision de passer en solo a dû être difficile pour toi qui fonctionnait plutôt sur le mode « tribu » ?
Oui, mais je voulais pouvoir maîtriser ce que je faisais. Je l’ai enregistré avec Jean Michel Kajdan et Hervé Lavandier. Mais il y a McLaughlin qui joue sur l’album parmi d’autres invités.
Ah tout de même !
Il avait enregistré au studio et on avait noué de bons rapports et un jour je lui ai dit : « John, tu ne voudrais pas jouer ? ». Et il m’a dit oui. Et sans rien me demander en échange, c’est vraiment un mec super.
À suivre….
Voir sur Gonzomusic LA SAGA RAMON PIPIN Épisode 1 : De l’enfance à Au Bonheur des Dames en passant par l’éphémère IO. https://gonzomusic.fr/la-saga-ramon-pipin-episode-1.html
Épisode 3 : De Ramon Pipin’s band à Ramon Pipin en solo…
https://gonzomusic.fr/la-saga-ramon-pipin-episode-3.html
Épisode 4: Des Excellents à Son Excellence Ramon Pipin…
https://gonzomusic.fr/la-saga-ramon-pipin-episode-4.html
Ramon c’est le verlan de Amon Râ
le dieu solaire ėgyptien récupéré par les Yahoud , voir la saga en détail racontée par
Roger Sabbah .
Production Ramsès, tu m’étonnes.