LA SAGA FRANK DARCEL Épisode 2
De ses débuts de guitariste en centre Bretagne à ses dernières aventures avec Marquis, en passant par Marquis de Sade, Octobre, Senso puis Republik, sans oublier ses multiples casquettes de producteur (Etienne Daho, Paulo Gonzo, Alan Stivell) et de romancier, combien de médailles sur sa poitrine ? Frank Darcel incarne à lui seul un pan aussi massif que précieux de l’histoire du rock Hexagonal. Avec la sortie de l’album « Aurora » de Marquis et de la tournée qui se prépare, cette saga extensive Frank Darcel se révèle juste indispensable. Épisode 2 : de Marquis de Sade à la naissance d’Octobre
40 années complicité ne se racontent pas en quelques lignes, alors avec la publication de l’album « Aurora » de Marquis ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/marquis-aurora.html ) qui se classe déjà parmi les albums les plus précieux de cette étrange année 2021 , la Saga Frank Darcel se devait d’être le plus largement contée. Et cela, dans les plus grandes largeurs, soit QUATRE ou CINQ épisodes qui vous tiendront, je l’espère, en haleine jusqu’à l’été. Car l’histoire de ce guitariste hors pair est aussi la nôtre. À travers ses disques, ses prods, ses livres aussi, Frank a su s’inscrire dans nos quotidiens, rythmant nos vies de ses créations. Que ceux qui n’ont jamais dansé sur « Tombé pour la France » ou « Wanda’s Loving Boy » lèvent la main ! Déontologiquement, je dois confesser qu’après avoir rencontré ce fameux guitariste de l’ouest pour BEST ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/philippe-pascal-au-paradize.html ), quelques années plus tard, je crois avoir signé les bios d’Octobre et/ou de Senso. Ce qui ne retire en rien ma subjectivité musicale revendiquée le concernant. Car Frank Darcel ne se distingue en rien par une virtuosité assumée, mais plutôt par une signature, une marque, une personnalité, une griffe, un style guitaristique aiguisé au fil du rasoir, à des années-lumière d’un Clapton. En fait, pour tracer un point de comparaison il faut mieux chercher du côté de David Byrne. Mais pas que… Enfance, influences, itinéraire, réalisations, aventures étranges et étrangères, amour du rock et de la musique en général, Frank se livre ici pleinement.
En espérant que cette saga vous éclaire, à l’instar d’une boule de bal, sur les multiples facettes d’un homme exemplaire, qui n’a jamais trahi son idéal musical, optant toujours pour l’indépendance artistique là où tant d’autres ont succombé aux sirènes de la gloriole et de la thune. II était une fois Frank Darcel… Épisode 2 : de Marquis de Sade à la naissance d’Octobre
« Dans notre précédent épisode, Philippe Pascal rejoignait Marquis de Sade…
Les choses s’enchaînent assez vite après l’arrivée de Philippe. On enregistre « Airtight Cell » en avril 78, au bien nommé cinéma le Studio, à Rennes. Ce premier single est produit par le label Terrapin d’Hervé Bordier. On essaye de se démarquer de tout ce qu’on entend. « Airtight Cell », pour moi, est une première approche de la guitare un peu différente de ce qu’on écoute. Je n’essaye plus de reproduire, mais au contraire de travailler avec cette corde grave en bourdon et deux ou trois autres cordes, jouées en arpège, sans jamais mettre d’accords pleins.
Ce n’est pas un moment-charnière pour toi, où tu as été plus inspiré par les punks de New York que par les Anglais ?
Si, on commence à écouter plus Television et Richard Hell que les Clash ou les Pistols. À l’été 78, je pars trois mois à New-York et je compte bien en juger par moi-même! C’est mon troisième voyage chez mon oncle, aux USA, mais c’est la première fois que je vais pouvoir vraiment sortir le soir ; j’étais bien trop jeune lors des voyages précédents.
Cela a dû être sacrément formateur d’aller trois fois aux States dans ces années-là !
Oui, car dès 73 je vais tout de même voir des concerts, comme celui des Allman Brothers au Madison Square Garden. Ce n’est pas mon style de prédilection, mais je passe un super moment. J’ai d’ailleurs continué à les écouter de temps à autres ; j’ai une grande admiration pour Dicky Betts et j’adore la voix de Duane Allman, Greg était déjà décédé quand je les vois. Ce sont des musiciens incroyables. Je retourne à NY en 75, mais je ne vais toujours pas dans les clubs. Mon oncle m’autorise cependant à partir pour un festival dans le New Jersey, où je compte voir les Faces. Ron Wood est encore là, aux côtés de Rod Stewart avec l’excellent Steve Cropper en deuxième guitariste. En ouverture, il y a Lynyrd Skynyrd, avant leur funeste accident d’avion. Ensuite, juste avant les Faces, c’est Ten Years After, avec Alvin Lee. C’est le seul moment un peu excitant de ce mini festival dans mon souvenir, non seulement parce que leur nom n’était pas marqué au programme, mais pour un gamin qui a découvert le film « Woodstock » quelques mois auparavant, c’est émouvant de les voir jouer « I’m Going Home » (morceau emblématique au solo légendaire justement interprété par Alvin Lee sur le film et le triple LP « Woodstock », dans une époustouflante version de 5’ 15’’ : NDR) en rappel. Mais l’été 78 je sillonne pendant trois mois Manhattan la nuit, passant d’un club à l’autre…
Mon oncle, qui était quelqu’un d’assez allumé, mais fort drôle et sympathique le plus souvent, m’emploie comme livreur de perruques (sic !) dans la journée, parce qu’il tient ce magasin très chic sur Madison avenue (il sera plus tard installé au coin de la 5ème avenue et de la 57ème rue). Je vais aussi récupérer des cheveux naturels à Chinatown, utilisés pour la fabrication de ses perruques… Je suis très correctement payé et comme j’ai 19 ans, il me laisse carte blanche le soir et je vais fréquenter essentiellement 3 clubs : le Max’s Kansas City, le CBGB’s et à trois blocks de chez lui il y a le Hurra, qui a aussi une super programmation. Je vois à plusieurs reprises Richard Hell en concert, avec Ivan Julian et Robert Quine aux guitares. C’est la grande claque ! Il y a souvent les Feelies en première partie et c’est le groupe que je trouve finalement le plus inspirant durant ce séjour. Dès qu’ils jouent quelque part, je vais les voir. Leur jeu de guitare me captive, leur look presque folk détonne complétement et ce que je comprends des textes me bouleverse… C’est vraiment le genre de guitares qui me branche : c’est tendu, vicieux, mais mélodique aussi. En réalité, je deviens réellement musicien lors de ce voyage et je sais qu’en rentrant il sera difficile de retourner à l’université. Le cours de ma vie vient de changer pour de bon… J’ai vu des tas de groupes cet été-là, mais j’ai oublié beaucoup de noms. J’ai adoré Teenage Jesus and the Jerks, et puis les Senders avec le français Philippe Marcadé au chant et Johnny Thunder et Henry Paul aux guitares. Et aussi des groupes anglais qui passent par là, comme Young Marble Giants, pour un superbe concert au Hurra. Toujours ces petits clubs, à l’ambiance si cool et tellement interlope… J’ai vu aussi un super set des Nuns au Max’s, un groupe punk assez violent de San Francisco.
À l’époque, lorsque j’arrivais à Los Angeles, je résidais au Tropicana motel. Comme la plupart des jeunes groupes, qui à chaque fois qu’ils venaient jouer dans les clubs de Sunset boulevard, dormaient au Tropicana. C’est ainsi que je suis devenu ami avec Joey et Dee Dee Ramones, par exemple. En 79, je suis devenu pote avec le guitariste des Nuns, c’était mon copain de virée. On allait ensemble aux concerts, on achetait de la weed, c’était un super mec et un groupe incroyable.
Oui, en dehors des concerts, il y a bien sûr ces rencontres souvent pittoresques avec les musiciens. J’étais devenu assez vite pote avec la manager du Max’s, Terry Ork, et aussi avec beaucoup d’oiseaux et de belles de nuit. Au bout d’un mois de nightclubbing effréné, je faisais partie des habitués, et il m’est arrivé de trinquer avec Joey Ramone ou encore Richard Lloyd. Pour mon dernier soir à NY, avant de repartir, j’ai vécu une soirée épique au Hurrah. Il me restait un « Airtight Cell », et je voulais le donner au manager du club, espérant qu’on viendrait jouer un jour. Au moment où je m’approche du bar, je reconnais David Johansen sur un tabouret. Comme c’était ma dernière sortie en ville, j’avais pris mon appareil photo pour garder des souvenirs des copains et copines, du coup je demande à Johansen si je peux le photographier. Il accepte, puis me demande ce qu’est ce disque. Je lui explique et décide de le lui offrir finalement. Il le prend et se rend compte que je l’ai signé (je les avais signés en partant de Bretagne et je n’ai jamais su exactement pourquoi…), il se marre et demande un stylo au barman. Et là il me dédicace ce disque que je viens de lui offrir puis me le rend. Sur le coup j’étais un peu vexé, mais maintenant, avoir un disque rare de MDS dédicacé par David Johansen, je pense que c’est cool…
Ce soir-là, j’ai aussi eu le droit à une algarade avec Jean-Jacques Burnel. Les Stranglers jouent le lendemain dans une grosse salle et je le croise en sortant. Il est avec Sovia, une fille avec qui je suis sorti au début de mon séjour et qui m’a souvent parlé de Burnel comme étant son meilleur ami. Elle l’héberge parfois quand il vient à NY. Après avoir fait les présentations, elle me reproche de ne pas avoir répondu aux messages qu’elle a laissés à la boutique de mon oncle… Je m’excuse mais Burnel m’attrape par le col de la veste en me traitant de petit con, en français. Comme les amis paimpolais ne sont pas là, je juge plus sage de filer… ce que je fais avec une pointe supplémentaire d’amertume quand je vois le curieux sourire affiché par Sovia. En rentrant chez mon oncle, à deux pas de là, un peu saoul, je réalise que le chanteur des New York Dolls vient de me dédicacer un disque que je voulais lui offrir et que le bassiste des Stranglers m’a donné une leçon de bonne conduite avec les femmes. Quelque chose cloche et il est vraiment temps de rentrer à Rennes ! Mais je sais que je ne pourrais jamais me passer de New York. Bien plus certainement qu’aux Nouvelles Galeries, il s’y passe toujours quelque chose…
Donc, oui tu as eu une super formation rock au meilleur moment !
Oui, et en rentrant on nous prête le Régent, un autre cinéma à Rennes, fin septembre 78, et c’est là que j’intègre tout ce que j’ai entendu à New York pour commencer à façonner le son du groupe. Il se trouvait en fait que les Feelies travaillaient aussi beaucoup avec les cordes graves à vides, cela m’a conforté dans ma manière de concevoir les choses et je me suis mis à bosser la guitare encore plus sérieusement. Pendant ce voyage, j’avais envoyé régulièrement des cartes postales à Philippe, Christian et Richard Dumas. Comme on ne traversait pas si facilement l’Atlantique à l’époque, ils étaient très curieux que je leur raconte ce trip musical, et de voir aussi ce que j’en avais retiré. À partir de là, pour nous, la terre promise sonique est définitivement la Grosse Pomme…
Bref, c’est dans ce cinéma que j’ai commencé à imaginer les riffs de « Dantzig Twist ». C’est presque venu d’un coup… On a cependant décidé de se séparer de Christian (Dargelos) à ce moment-là, à regret, parce que c’est un ami, mais j’avais compris en voyant les groupes à New York que si on ne bossait pas notre instrument de nombreuses heures par jour, cela ne pourrait pas le faire. Et ce n’était pas le cas de Christian qui a d’abord été remplacé par un bassiste africain, Henry Abega, qui nous a beaucoup apporté pendant ces répétions, avant de nous quitter parce qu’il avait trop d’engagements dans d’autres groupes. Il sera remplacé par Serge Papail. Le batteur, Pierre Thomas, avait lui préféré aller camper à Jersey avec sa copine, séchant quelques jours de répétition. Cela a donné lieu à une deuxième expulsion et on est allés avec Philippe chercher Eric Morinière dans son groupe de Saint-Malo, Mister Hyde. On n’était plus là pour rigoler… (rires). On se disait avec Philippe : on peut faire un truc, mais il faut que tous les mecs soient à 100%. Marquis de Sade, en termes de style musical, est vraiment né là, même si Thierry ne nous a rejoints que quelques mois plus tard à la basse.
C’est le début de la collaboration entre Philippe écrivant les textes et toi composant la musique ?
Je ne suis jamais intervenu sur les textes, sinon pour le choix des titres des albums « Dantzig Twist » et « Rue de Siam ». Je n’écrivais alors pas du tout de textes et Philippe ne jouait d’aucun instrument, donc le partage des rôles était clair. C’était une collaboration toujours fluide à l’époque, malgré ce qu’on a pu dire au moment de la séparation. On a vraiment eu une manière très naturelle d’écrire ces titres, y compris pour les maquettes de « Rue de Siam » par la suite.
Donc, vous enregistrez « Dantzig Twist » et l’album sort, c’est un OVNI intégral. Dans le ciel musical français, rien ne ressemble à ça et pourtant l’album ne fait pas un carton et les critiques rock ne sont pas vraiment à fond avec vous.
Les critiques sont plutôt positives malgré tout, mais peu nombreuses sans doute. Mais en termes de ventes c’est un album qui doit faire 25000, ce qui aujourd’hui serait extraordinaire, mais ce n’est pas beaucoup à l’époque. Cependant, ça nous permet de tourner et là les gens sentent la différence avec les groupes de rock français habituels. Quand on fait notre Tour de France, les groupes qui passent en première partie n’ont pas bossé leur instrument et copient d’autres groupes. C’est mal de copier ! C’est le rock français tu vois, mais nous on bosse et on se remet en question, c’est le rock breton… (rires) Il y a quand-même eu d’excellents groupes de première partie vers la fin, comme Kas Product, Taxi Girl ou encore les Nus.
Vous aviez déjà une génération au moins, voire deux d’avance sur les autres groupes. C’était excessivement novateur le choix des langues, du mélange des langues, du français, de l’allemand, de l’anglais… le son de l’album aussi, car rien ne sonnait comme ça à l’époque, en France en tout cas.
Ce qui se passe, c’est qu’en fait, en dehors de faire de la musique, on lit beaucoup, on va au musée, on fréquente les ciné-clubs. Cela n’a rien d’extraordinaire, et cela ne fait pas de nous des intellectuels, mais cela nourrit notre imaginaire. Philippe écoute aussi beaucoup de Krautrock et moi j’aime bien Can, donc ça nous influence également. Nous sommes sur l’axe Berlin/Rennes/ New York… Et notre mixture prend…
Il y avait aussi Thierry Haupais dans l’histoire, est-ce qu’il a eu un rôle dans cette Genèse de MDS ?
Thierry est le fondateur du label CBH qui nous a signé, puis placé en distribution chez Pathé-Marconi EMI où officiait Alain Maneval. Il est aussi le réalisateur du premier album. Mais ça va se gâter avec lui parce qu’on voulait que le 2ème album sonne plus international. Ce n’est pas tout à fait le cas de « Dantzig Twist », enregistré en 16 pistes, ce qui n’enlève rien au charme du disque ni à l’urgence du propos bien sûr. Mais par rapport à des productions anglaises ou à new-yorkaises qu’on aime, on se sent un eu déclassé. Pour la suite, je choisis donc un producteur anglais, Steve Nye, qui a travaillé avec Roxy Music et Ryuichi Sakamoto, entre autres. On a deux cuivres à ce moment-là, or avec Bryan Ferry et Roxy, Steve a produit des disques où il y a aussi profusion de cuivres et des guitare ; de plus, nous sommes fan de toute la première époque. On se dit pourquoi pas. On pense qu’il a ce côté un peu décadent de Roxy Music mais en fait, il est surtout très pro et j’apprends énormément avec lui.
« Rue de Siam » est enregistré dans la deuxième moitié de l’année 1980. C’est au moment de l’enregistrement que le fossé se creuse avec Philippe. Nous sommes satisfaits des maquettes que j’ai réalisées à DB, à Rennes, mais la production ne peut se permettre de payer les frais de Philippe à Paris pendant l’enregistrement définitif des musiques. Même chose quand il va faire ses voix à Londres, où je ne peux me rendre. De fait on assiste chacun à une partie différente de l’enregistrement… Ce n’était pas la bonne manière de procéder. Et quand les mixages arrivent, personne n’est tout à fait convaincu… Pour Philippe et pour moi, c’est surproduit.
Ah vous étiez carrément déçus par la production de Steve Nye ?
Non, on ne peut pas dire ça. Il a fait un boulot formidable techniquement et nous a poussé à jouer au maximum de nos possibilités. Mais on trouvait, et Éric et Thierry étaient d’accord là-dessus, qu’il y avait trop de cuivres et trop de claviers.
Est-ce que ce n’est pas justement ce qui rendait l’album plus « international » ?
Peut-être. Et d’ailleurs le disque a eu des pressages étrangers, comme au Portugal (je l’ai découvert en 1996…) et en Suède, et ailleurs aussi sans doute. Mais le label ne nous a pas alerté sur ces pressages étrangers ni sur les possibilités que cela ouvrait d’aller jouer dans ces pays-là. Si « Rue de Siam » avait une envergure internationale, on ne s’en est rendus compte que plusieurs années après la séparation… J’ai découvert par exemple, en allant vivre là-bas dans les années 90, qu’on avait eu une sacrée côte au Portugal, et qu’elle perdurait.
Dans « Rue de Siam », il y avait des hits énormes. « Wanda’s Loving Boy », « Cancer and Drugs », « Final Fog (Brouillard définitif)”, trois tubes dans un album de rock français c’était déjà rare.
Oui, mais, ce ne sont pas des choses qui passent vraiment à la radio en France. Là, les critiques sont très bonnes, sauf Libération. On est donc installés, mais on n’a toujours pas d’ouverture sur l’international et moi ça commence à me lasser ; je n’ai pas envie de faire un 3e album dans ces conditions pour me retaper encore le tour de France et de Navarre. Je veux voir du pays, entendre d’autres langues !
Attends, là tu vas trop vite. Juste une question, quand même parce que moi j’ai vécu ce moment charnière, puisque j’ai débarqué à Rennes pour BEST juste avant la sortie de l’album « Rue de Siam » et, en fait, le groupe était déjà carrément dissout alors que l’album n’était pas encore sorti ?
En fait, la décision s’est plutôt prise début 81.
C’est ce que je dis, car je débarque à Rennes à ce moment-là en janvier. Je fais l’interview de Philippe, puisque j’ai dormi chez lui ce soir-là, il m’a déjà parlé de Marc Seberg !
Oui, c’est possible. Là je crois qu’à ce moment-là on projette des expériences parallèles, comme ça se fait beaucoup maintenant. La rupture n’est pas encore dans les têtes.
Effectivement il n’a jamais parlé de rupture ou quoi que ce soit, mais l’expérience parallèle comme tu dis était déjà sur les rails.
C’est probable, car avec Éric et Thierry, on commence à faire des choses un peu différentes, inspirées par ce nouveau souffle newyorkais. Je suis retourné à NY entre temps, en décembre 80, et j’ai sympathisé avec Bill Laswell. Les gens décrivent ce qu’il faisait comme du funk blanc, mais c’est très impropre comme dénomination parce que c’est plus une espèce de mixture de soul et d’autres influences telles que la musique sérielle ou encore le free jazz. Ça m’éclate complètement. Mais pour la fin de Marquis de Sade, cette absence de débouchés réels à l’international a bien été décisive. Un des moments cruciaux a été un concert où les gens de Sire Records viennent nous voir jouer en mai 80 à Anthony. Normalement ils doivent sortir notre prochain album aux États-Unis et en Angleterre. Mais en fait le mec de Sire n’aime pas le concert et quand l’album va sortir, on sait que les États-Unis c’est cuit et que l’Angleterre aussi. Du coup, avant la fin de notre tournée « Rue de Siam », en mars 1981, je décide d’arrêter. On avait commencé par ailleurs à travailler avec Etienne Daho avec Éric et Thierry, mais j’avais aussi envie d’aller vivre à New York à terme. Je savais que je pouvais être hébergé chez mon oncle, et j’avais la connexion avec Laswell et Jean Karakos, qui était son manager et avec qui je m’entendais bien également. Je me disais : pourquoi ne pas tenter le grand saut ? La nuit new-yorkaise me manquait.
Donc c’était plus un choix musical qu’un conflit de personnes entre Philippe et toi ?
C’était surtout cette absence de perspectives nouvelles, excitantes. Les rapports s’étaient cependant tendus dans la dernière tournée, mais c’est vieux comme le rock and roll, que le chanteur et le guitariste-compositeur rivalisent pour savoir qui aura la meilleure place dans le camion ! Des conneries…
Mais ce n’est pas primordial ?
Cela ne suffisait pas pour arrêter Marquis de Sade. J’ai l’habitude à l’époque que les choses aillent vite et je cherche l’inspiration dans l’air des villes, dans les encoignures de la nuit. Soit MDS nous donnait la possibilité d’expérimenter encore, d’aller voir ailleurs, soit il fallait faire autre chose. J’étais un jeune homme très pressé.
Donc tu avais déjà Octobre en tête ?
Disons que je continue de composer et je ne pense plus que MDS sera le véhicule idéal pour ces compositions. On enregistre à l’été 81 ce premier album avec Étienne, « Mythomane ». Je crois beaucoup à cette collaboration, même si ce disque ne marche pas. Mais ça ouvre des pistes. J’ai ce besoin de changement… Ce n’est pas que je sois instable, ou peut-être l’étais-je, mais je ne voulais rien inscrire dans la durée. Durer était un concept confortable, bourgeois, contraire à ce credo post-adolescent que je m’étais façonné entre Rennes et New York.
Comme de nombreux artistes, Bowie, Bashung, Gainsbourg, Lou Reed qui ne se contentaient pas d’un seul moule et qui le cassaient pour en faire un nouveau à chaque fois.
Je n’aime pas la routine c’est sûr, mais je ne me compare pas à ces gens-là, ils ont atteint des objectifs dont je n’ai jamais rêvé. Je ne suis qu’un aventurier…. La routine, il m’est arrivé par la suite d’y succomber, quelques mois par-ci par-là. Cela aurait été dommage de ne pas tester ça aussi…
Mais c’est quelque part la même démarche.
Je ne sais pas, car leur réussite financière leur octroie du temps pour faire des choix, un temps que je n’ai jamais eu. Ils peuvent même mettre d’affilée un ou deux coups d’épée dans l’eau. Pour nous ça a toujours été plus casse-gueule. À l’époque de MDS, il n’y avait pas d’intermittence du spectacle par exemple, et c’est tant mieux. Ça rend plus motivé comme ça. Mais entre deux projets, j’ai dû travailler à la fonderie de Ouest-France, comme barman, DJ, j’ai même été portier à l’Espace… Au fond, quand tu casses un truc comme MDS, qui marche bien mais qui a vendu en tout seulement 60 000 albums, tu prends plus de risques que Bowie quand il passe d’« Aladdin Sane » à « Pin Ups »… (rires)
À suivre…..
Voir sur Gonzomusic l’Épisode 1: De l’enfance à Loudéac à la Genèse de marquis de Sade
https://gonzomusic.fr/la-saga-frank-darcel-episode-1.html