JOHN LENNON « Mind Games »
C’est le quatrième LP solo de John Lennon depuis le split des Beatles, le successeur attendu du déconcertant double « Sometimes In NY City » et un incontestable retour à la pop pour le mythique auteur- compositeur-interprète, qui devient également producteur sur ce projet, remplaçant lui-même Phil Spector qui avait si bien « muré le son » à ses côtés durant tant d’années. Cependant, ce qui distingue cette nouvelle réédition c’est son nouveau sidérant mixage/remasterisation au son clair comme le cristal, et surtout l’apport d’une seconde rondelle reprenant le même track-listing que l’original mais sur des prises alternatives et là, l’effet de surprise est maximal.
Faut-il vous le rappeler mais « Mind Games » a été enregistré aux Record Plant Studios de New York ( Voir sur Gonzomusic Le Record Plant LA : c’est planté ! ) durant l’été 1973. Il faut se souvenir que le 33 tours a été enregistré alors que Lennon affrontait l’immigration américaine et le FBI qui le suivait à la trace. Il correspond également au début de sa séparation de 18 mois avec Yoko Ono et son idylle avec May, connu sous le nom de the Lost Week-end). Utilisant les nouveaux transferts numériques 192-24 des multipistes originaux, « Mind Games » a été remixé par Paul Hicks et Sam Gannon, qui ont fait un sacré boulot avec ces nouveaux mixes quasiment de science-fiction tant ils sonnent sur mes enceintes.
Et tout démarre donc par une « Mind Games », lumineuse et peace on earth… superbe mélodie à la Lennon pour une émotion à la « Imagine » pour maybe un des derniers slows de l’Histoire du rock. Et la voix du Beatle John n’aura peut-être jamais sonné aussi bien. C’est une véritable émotion de redécouvrir cette vibrante tittle-track…. qui date tout de même des « Get Back » sessions, début 1969 et que John a conservé pour la re-bosser. Il n’a pas eu tort. Puis « Tight A$ », plus blues rock and roll plus dans la vibe de « John Sinclair » sur « Sometimes In NY City », par exemple, porté par un flow et naturel, doublé d’un solo de guitare façon clin d’œil nostalgie Beatles à la « Can’t By Me Love », sans oublier un retour au sens de l’humour provoc légendaire de John par ce titre jeu de mot avec tight ass ( cul serré). Avec « Aisumasen ( I’m Sorry) , c’est une « petite chanson » en forme d’excuse à Yoko qui devient soudain grande, notamment par l’amplitude sonic de cette réédition, qui sublime la belle performance vocale de John et c’est une véritable nouvelle émotion portée par la technologie de ce remix. Mention spéciale pour la superbe performance du guitariste David Spinozza. Sur « One Day At A Time », John chante « I’m the fish and you’re the tree… you’re the honey and I’m the bee » et l’on se demande : mais où donc allait il chercher tout ça ? Encore une preuve si l’en est que Lennon au-delà du musicien était aussi un véritable poète. Musicalement super mélodie nostalgique et cool.
Et sur « Bring On the Lucie ( Fredda People) », il vocalise « Free the people now… do it do it do it now… » et c’est un peu comme les retrouvailles de « Merry Xmas (War Is Over) » et de « Power To the People »… du pur Lennon, pacifiste en diable, qui donne une âme à son utopie de l’ « Nutopia » ce pays sans frontières qu’il a créé au nom de la paix et de l’humanisme qui le distinguait- d’ailleurs le double CD contient un fac similé d’une carte de Citizen of Nutopia qui figurait dans le vinyle original . « Stop to kill now… », je me demande que dirait John aujourd’hui face aux guerres et aux atrocités qui ravagent notre planète. John répliquerait du tac au tac à un Trump ou à un Poutine et il manque si cruellement aujourd’hui. Après la nonchalante insouciante et cool « Intuition », on plonge dans « Out The Blue » sublime love song enamourée en référence à la séparation avec Yoko dans la veine de « Bless You » ou de la future « Watching the Wheels ». Chassez le naturel de John et il revient au galop… c’est plus fort que lui, même dans un album de quasi pop-songs majoritairement hantées par Yoko, il ne peut s’empêcher de pousser son agenda politique sur « Only People », une des seules compositions du genre de l’album, dans un style piano boogie furieusement bastringue. Avec « I Know I Know » c’est une puissante balade acoustique, voix dans l’écho dans de faux accents des accords de « I’ve Got A Feeling » et qui finit tout de même par les mots « no more crying »… plus jamais de pleurs Puis « You Are Here » est encore un must de coolitude exacerbée, sur des accords de guitare hawaïenne où John vocalise sur les thèmes de l’amour- forcément- et de la paix – again forcément-. Enfin on assiste à un final bien rock, pour la saignante « Meat City » aux guitares un peu « Cold Turkey » version « Live Peace Toronto 1969 ».
Mais il en reste autant à découvrir avec cette seconde rondelle chargée de bonus tracks. Car l’album est carrément «doublé» par un alter ego virtuel, au même track-listing, mais en prises alternatives et là c’est du régal dès le tout premier « Mind Games », une septième prise inédite où John se laisse aller à une impro piano qui n’a pas survécu au mix final. De même, le fameux « Tight A$ » ou Tigth Ass si provoc dans une Amérique puritaine, notre Beatle se laisse aller boogie cool. Quant à cette seconde prise de « Aisumasen ( I’m Sorry) » au ralenti, elle se révèle juste poignante car débordant de feeling et de nonchalance, avec un son cristallin juste incroyable, qui donne la sensation que John la chante juste devant nous, penché sur son piano. Séduction et frisson garantis. « One Day At A Time »… yes ,c’est la 18ème des 19 prises de la chanson et sa voix est légèrement éraillée par les efforts et c’est finalement ce qui rend cette version si touchante, preuve que même les plus grands héros sont parfois fatigués. Même combat pour cette 15ème sur 17 prise de « Bring On the Lucie ( Fredda People) », carrément en version slow-motion balade, au lieu de l’hymne insurgé que nous connaissons tous. Surprenant là aussi, le coté impro incroyablement cool. Puis on assiste à l’hallucinante conférence de presse à NY de John et Yoko pour la naissance de Nutopia, le pays utopique sans frontières qu’ils ont fondé et dont – sic !- ils réclament la reconnaissance par l’ONU. « Intuition » la 17éme des 26 prises se révèle toujours aussi insouciante et cool que la version originale. Version 15 sur 36 de « Out The Blue » là aussi improvisée et quelque peu ralentie, avec un omniprésent piano en avant et toujours ce son si absolument limpide, comme un torrent de montagne. « Only People » version 12 sur 19 assez semblable à l’originale, malgré quelques intonations distinctes à droite à gauche. « I Know I Know » 22ème prise sur un total de 24, puis on se laisse gagner par la simple et émotionnelle « You Are Here » quelque peu rallongée, 5é et avant dernière prise, empreinte d’une déchirante mélancolie comme une compo de Jimmy Buffett. Enfin, et à nouveau c’est « Meat City » qui achève le bal, mais cette fois en version blues déjantée On notera que Sean Ono Lennon est crédité en tant que « Producer & creative direction », on se doute que ce travail a dû être sacrément chargé d’émotion pour ce gamin qui a perdu son père alors qu’il n’avait que cinq ans. Bref à l’instar des inédits live de « Band On the Run » ( Voir sur Gonzomusic PAUL MCCARTNEY « Band On the Run Underdubbed » et aussi PAUL MCCARTNEY and WINGS « One Hand Clapping » ), ce double CD se révèle indispensable à tout aficionado de John qui se respecte.