DAVID JOHANSEN AU PARADIS DES POUPÉES

New York DollsIl s’est éteint vendredi et cela m’a déchiré le cœur comme à tant d’entre vous. L’immense David Johansen s’est battu jusqu’au bout contre ce cancer qui le rongeait depuis longtemps, mais je n’avais pas le courage de rédiger cette nécro à vif. Découvert avec le LP éponyme des Dolls, paru en 75, et par l’incroyable show donné au Bataclan dans la foulée par ces hallucinantes poupées de New York, David Johansen était mon héros, au même titre qu’un Lou Reed ou un Joey Ramone. Six ans plus tard, cet hiver 1981, premier voyage à NYC pour BEST, l’ex-frontman des Dolls publiait alors « Here Comes the Night » son 3ème 33 tours solo et j’avais eu le privilège de lui tendre mon micro… David Johansen incarnait cet esprit de liberté rock qui a su si bien inspirer nos révoltes et nos provocs, il laisse un vide que nul ne saurait combler désormais. RIP …  tu as finalement rejoints Syl Sylvain et Johnny Thunders au paradis punk des poupées de New York !

David JohansenDécidément, la vie est pleine d’ironies, mais aussi de coïncidences troublantes. Cet hiver 81, j’avais au moins appris deux choses en rencontrant David Johansen  ( Voir sur Gonzomusic ALL MY NEW YORK 1981 HEROES et aussi  DAVID JOHANSEN « Here Comes the Night » ), la première c’était mes tout premiers rudiments du billard américain et la seconde, un cover désopilant du « Walk On the Wild Side » de Lou Reed repris par le bien nommé Gefilte Joe and the Fish, référence directe à la carpe farcie, ce fameux plat ashkénaze, devenu pour l’occasion « Take A Walk On the Kosher Side », dont les paroles chantaient :

New York Dolls« I said hey Yakov! Take a walk on the kosher side. / I said hey nudnik! Take a walk down Fairfax… / Oy a broch /W hy don’t you go meet yourself a nice girl? / What do you need a shiksa for? / They’re dirty, they’re filthy/ You need a pure one, a clean one, a clean one, a pure one  ( J’ai dit hey Yakov ! Va te promener du côté casher. / J’ai dit hey nudnik ! Va faire un tour du côté de Fairfax…  /Oy a broch / Pourquoi tu ne vas pas te trouver une jolie fille ? / Pourquoi as-tu besoin d’une shiksa   ( une goy) ? / Elles sont sales, elles sont sales / Tu as besoin d’une pure, d’une propre, d’une propre, d’une pure )».

« Take A Walk On the Kosher Side »J’avais bien entendu immédiatement acheté le single, dans la foulée chez un disquaire du Greenwich Village, dans sa version collectors en forme de Magen David bleue. Je l’ai toujours à la maison. Et aussi de version MP3 sur mon iPhone où j’écoute systématiquement la musique en aléatoire. Vous n’allez pas le croire, ce jour où je dois rédiger cette funeste nécro de Johansen, sur les 11598 titres qu’elle contient, signe du destin, c’est bien ce « Take A Walk On the Kosher Side » qui résonne dans mes Air Pods ce matin. Comme une dernière pensée. Car David Johansen n’était pas rien pour moi, non pas que nous soyons restés potes toutes ces années, après cette rencontre pour BEST, mais surtout pour tout ce qu’il a su inspirer à l’ado en devenir que j’étais à la sortie du premier LP des New York Dolls. Déjà, le pochette… le nom du groupe graffité au rouge à lèvre, ces cinq gars maquillés au look androgyne et aux vertigineuses plateforme-boots … New York Dolls… les poupées de New York… et que des mecs !

David Bowie

David BowieDavid Bowie

Quatre ans auparavant, David Bowie, pourtant leader incontesté de ce rock androgyne qu’on qualifiait alors de « rock décadent » avant de s’affirmer en glam’ rock, n’avait pas réussi à imposer à son label RCA sa pochette  de « The Man Who Sold the World » où il portait une robe, lascivement allongé sur un sofa et remplacée hélico presto par d’abord une image de BD, puis par la pochette en noir et blanc que nous avons tous connu. Chez Phonogram par contre, ils n’avaient eu aucun souci pour laisser nos Dolls assumer cette si féminine virilité sur leur LP

New York Dolls Mais autres temps, autres mœurs en quatre ans les choses avaient aussi changées. Au fameux concert du Bataclan, en dehors du show juste dingue des Dolls et de leur énergie totalement provoc, je me souviens de deux choses. La première c’est qu’un spectateur à un moment a chauffé Johansen. Je ne me souviens plus si c’était par des gestes obscènes ou par des insultes genre « pédé », mais le chanteur des Dolls piqué au vif est finalement sorti de ses gonds et a balancé son micro exactement entre les deux yeux du gars KO ; je crois bien me souvenir qu’il avait été évacué par la sécu. Il ne fallait pas chercher David Johansen.

L’autre souvenir, c’est que le premier rang était occupé par une bande de joyeux drilles particulièrement exubérants, que j’allais régulièrement croiser aux concerts, notamment à la mythique soirée « Galère Cosmique » à l’Opéra-Comique avec Nico et la crème du Krautrock, c’était les membres du FHAR, soit le Front homosexuel d’Action Révolutionnaire. Maquillés à outrance et travestis, ils étaient drag queens avant que quiconque en France n’ait inventé les drag queens.

David JohansenL’héritage de David Johansen, je pense aussi au regretté Syl Sylvain le guitariste feuj marocain des Dolls et aussi à Johnny Thunders, c’est cet esprit de liberté et de provoc, de remise en question d’un ordre établi et de révolte punk rock, qu’ils ont su nous inspirer et qui nous porte encore à ce jour. Et cela n’a pas de prix. Vous comprendrez donc que je ne vais pas vous faire une nécro « sa vie son œuvre » de David Johansen, mais j’avais juste envie de vous faire partager pourquoi il avait été aussi essentiel à notre génération. Et pourquoi cette disparition nous touche si particulièrement.

Buster PointdexterAprès mon interview de 81, David Johansen publiera ses LP solos avant de tenir la promesse qu’il m’avait faite de se muer en un alter ego bondissant entre calypso, soul cool et big band sous son nouvel alias de Buster Pointdexter, sous lequel il décrochera d’ailleurs un hit avec la reprise du tropical et soca « Hot Hot Hot ».

Enfin, c’est au cinéma, entre autres avec Bill Muray dans « Scrooged »  et à la télé notamment dans la série MIAMI VICE que David Johansen, entamera sa troisième vie artistique tout en se consacrant désormais au blues. Hélas, David Johansen atteint d’un cancer, avait récemment fait un appel au crowdfunding pour financer son couteux traitement ( Voir sur Gonzomusic (Encore) aider un New York Dolls en danger et aussi  Le grand merci de David Johansen à ses fans ) – comme y avait été d’ailleurs aussi forcé le pauvre Syl Sylvain pour les mêmes raisons ( Voir sur Gonzomusic Aider un New York Dolls en danger et aussi Sylvain Sylvain emporté par le cancer ) – mais la maladie hélas aura finalement eu le dernier mot. En souvenir du chanteur des NY Dolls voici à nouveau mon interview de 81, suivie de celle du producteur du tout premier LP éponyme des NY Dolls, Jack Douglas. So long David Johansen ton rock et ta fantaisie n’ont pas fini de nous accompagner…

David Johansen

DAVID JOHANSEN 

Lorsque j’ai confié à Elliott Murphy que je voulais rencontrer David Johansen, ça l’a beaucoup amusé : « David… c’est un vieux pote. J’ai justement écrit avec lui une des chansons de son nouvel album, intitulée « Having So Much Fun ». Il vit à deux blocs d’ici. Veux-tu son numéro de téléphone ? ». Et voilà le travail ! Deux jours plus tard après quelques coups de fil, je sonne chez David « Funky But Chic » Johansen. Tout comme Elliott, David occupe un petit appart downtown, sur la 17éme rue. Son univers est un peu bordélique : des piles de cassettes, un vieil Hammond qui sommeille dans un coin, une guitare-miroir chromeée et, surtout, un nombre incalculable de vestes et blousons divers. David est peut-être the only living dandy in NY ! En tous cas, il est le premier américain que je rencontre qui sache servir un café correct – où pourrait flotter un fer à cheval – et s’habiller avec goût.

L’ex-chanteur des Dolls vient juste de rentrer de Floride où il a enregistré son troisième album solo (titre provisoire : « Bohemian Love Pad »). Hier soir, au Peppermint Lounge, il a rejoint Sylvain Sylvain sur scène, juste pour le fun ; normal, à NY city, la musique et les musiciens respectent la sacro-sainte loi des vases communicants et dans tous les sens du terme, SVP. David est manifestement jeté. On discute de I’art instantané dans le métro, avec ces gangs qui vous décorent à la bombe une rame entière en moins de 30 secondes. Son hit préféré du moment, c’est « Take A Walk On the Kosher Side », un cover incroyable de la chanson de Lou Reed par Gefilte Joe and the Fish, c’est du délire. Si on allait prendre un verre ?

David Johansen, live en direct de Pitt’s Tavern, le plus vieux bar du Village, qu’avez-vous à déclarer ?

David Johansen« Mon nouvel LP a été enregistré avec Blondie Chapman (ex Beach Boys) et Elliott et je peux te dire qu’après quinze jours à glander à Key-West, je suis complètement prêt pour ma tournée qui commence dans un mois. Tous les matins, je touche un morceau de bois en espérant jouer bientôt et à nouveau à Paris ».

David vient aussi de signer son premier court métrage, « Thau in Love », une mégalomaniaquerie sur les managers de maisons de disques, mettant en vedette Marty Thau, l’ancien agent des Dolls. Destiné aux télés par câbles, « Thau in Love » compte aussi une partie chantée par un groupe de nanas, les Bracelettes. Au revers de sa veste, David porte un badge Sandie Shaw, vous vous souvenez, la chanteuse « aux pieds nus ».

« Tu veux dire aux pieds noirs ? Parce qu’à la fin, ils finissent par être sales… comme Syl !

(Pas tout à fait exact car si Syl Sylvain était juif sépharade, il était né en Égypte et donc n’était pas un « pied noir » au sens strict puisqu’il n’était pas originaire d’Afrique du nord)

Très drôle ! »Here Comes the Night

Une fois par semaine, David va s’entrainer au billard de la 14eme rue, il doit ressembler au kid de Cincinatti. « Tu peux m’accompagner », m’a demandé le chanteur. Je ne sais pas jouer au billard, mais j’ai suivi Johansen jusqu’à son tapis vert favori, je voulais voir un véritable héros américain dans son sport préféré. D’ailleurs, plus je le regarde frapper les boules les unes contre les autres avec une technique hyper au point, plus je me dis que je suis tout à fait incapable de l’imiter. C’est ainsi que David Johansen a tenté, avec un succès limité, de me donner ma première leçon de billard.

JACK DOUGLAS

Jack Douglas ( Voir sur Gonzomusic LA SAGA JACK DOUGLAS Épisode 1LA SAGA JACK DOUGLAS Épisode 2 et aussi LA SAGA JACK DOUGLAS Épisode 3 ) avait produit le tout premier LP des NY Dolls :

John et Jack

John et Jack

« Si j’ai eu la chance de toucher à beaucoup d’albums, c’est vraiment grâce à des disques com­me celui des Dolls. Mon téléphone s’est mis à  sonner  de plus en plus souvent. L’industrie du disque est un tout petit monde fermé au public et aux journalistes.   C’est un monde où les nouvelles se propagent extrêmement vite. »

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