LA SAGA JACK DOUGLAS Épisode 2
Voici 41 ans dans BEST GBD rencontrait Jack Douglas au Record Plant de LA. Le légendaire producteur d’Alice Cooper, d’Aerosmith, de Cheap Trick , des New York Dolls et surtout de Lennon produisait le nouvel LP de the Knack. Tout juste un an après la tragédie du Dakota Building, Jack qui a réalisé toutes les sessions de « Double Fantasy » nous fait partager ces moments privilégies… et bien d’autres lorsqu’il défile le film de sa vie pour mon mini K7 qui en reste tout éberlué… Épisode 2 : De l’enregistrement de « Who’s Next » à Cheap Trick en passant par John Lennon, Alice Cooper, les New York Dolls et Aerosmith. Flashback…
Franchement si je devais dresser une galerie de portraits des fameux « producers » rencontrés au fil des ans, de Rupert Hine à Don Was en passant par Todd Rundgren, Mark Knopfler, Ed Stasium … ou encore Prince et Wonder, Jack Douglas occupe une place particulière dans ce palmarès. Cette année 1981 il produisait « Round Trip » le nouvel album de the Knack, qui était alors un de mes groupes pop favoris de la cité des Anges portés par leur irrésistible « My Sharona » . De surcroit j’avais une vraie amitié avec Doug Fieger, le chanteur avec lequel nous partagions cette complicité du good jewish boy tout comme moi. Aussi lorsque Doug m’avait proposé de le rejoindre au record Plant où ils enregistraient leur 3éme 33 tours « Round Trip » je n‘avais bien entendu pas résisté. Et c’est ainsi que j’ai rencontré Jack Douglas… qui va non seulement m’apprendre qu’il y allait avoir un LP posthume de John le futur « Milk and Honey », mais que les Who ont enregistré leur légendaire « Who’s Next » en secret aux USA et bien d’autres mystères du rock ainsi révélés. Épisode 2 : De l’enregistrement de « Who’s Next » à Cheap Trick en passant par John Lennon, Alice Cooper, les New York Dolls et Aerosmith.
Publié dans le numéro 161 de BEST sous le titre :
RE-RECORDING
Le jour de l’arrivée des Who, tout était prêt. J’avais branché tous les micros et je les avais réglés, j’avais disposé les câbles pour les instruments. J’étais complètement fasciné par les guitares de Townshend. Généralement, le boulot de l’assistant reste purement matériel : après avoir préparé le studio et la technique, il manœuvre les magnétos. Parfois, l’assistant touche à la console, ça dépend vraiment de l’ingénieur. Contrairement aux musiciens, la grande majorité du personnel des studios n’est pas syndiquée. Il n’y a donc aucune incompatibilité de fonctions. Certains ingénieurs laissent beaucoup de liberté à leurs assistants, d’autres pas du tout : c’est simplement une question de rapports personnels. Jack Adams, l’ingénieur que j’assistais, était particulièrement cossard. Parfois, il ne venait même pas aux sessions. Grâce à lui, la première fois où je me suis assis face à une console pour travailler un disque, c’était pour « Who’s Next ». C’est Kit Lambert qui servait de manager aux Who, à l’époque. Il avait choisi le Plant pour son acoustique. Lorsque le groupe s’est installé, le premier titre qu’ils ont enregistré, c’était « Won’t Get Fooled Again ». Tous les vocaux ont été faits en une seule prise. Nous avons travaillé un mois sur cet album et les Who sont repartis incognito en Angleterre pour le mixer.
Lorsqu’on sortait de séance, à cinq heures du matin, je les emmenais faire la fête dans Manhattan. Je n’avais peut-être pas assez d’argent pour fréquenter les clubs privés after-hour, mais par contre, je savais exactement où les trouver. Dans certains immeubles bourgeois qui donnent sur Central Park se cachent des clubs très privés. Tu prends l’ascenseur au fond du hall et tu montes. Tous les étages se ressemblent, ils ont tous l’air aussi straight les uns que les autres, mais lorsque tu atteins le dernier, tu te retrouves face à une porte. Si tu fais partie des initiés, elle s’ouvre devant toi. Techniquement, c’est tout à fait illégal, mais dans les faits, on y boit et on y joue jusqu’à dix heures du matin. Après les heures de studio, c’est fou de se retrouver dans un pareil endroit, chic et feutré, entouré d’une foule en robes longues et smokings. Je ne te parle pas du buffet, il est vraiment digne d’une bonne production hollywoodienne. Le plus célèbre de ces casinos parallèles se trouve sur la 5e Avenue. Je ne peux même pas te révéler son nom parce que ça se saurait et qu’il y aurait toujours quelqu’un pour me retrouver et me dire deux mots. Tous les habitants de ce superbe building en sont membres de droit… à condition qu’ils la bouclent. Toute cette époque m’a permis de vivre des expériences nécessaires et fantastiques.
C’est d’ailleurs en tant qu’ingénieur que j’ai rencontré John, en 72, pour « Imagine ». Je ne regrette pas mes années passées sur la console. Savais-tu que la plupart des producteurs n’ont jamais été ingénieurs du son. N’importe qui peut se prétendre « producteur », il n’y a pas de diplôme pour cela. Dès l’instant où tu amènes un groupe en studio, on te bombarde « producteur». Si tu as la chance d’être un peu futé, même si tu n’y connais rien, tu apprends vite les premières ficelles. Mais est-ce vraiment suffisant ? La grande majorité des producteurs de disques ne sont pas des techniciens, ce sont d’anciens musiciens ».
Un type en T-shirt « Record Plant» débarque dans le studio et dépose une bière et un cheeseburger devant Jack. Après son long monologue, il doit être assoiffé. Allez Jack boit donc un coup…
« Tu veux dire que certains producteurs ne connaissent rien à la technique du son ?
Bien sûr. C’est ce qui explique certains flops. En fait, j’ai vraiment eu de la chance, parce que j’ai pu connaître les deux aspects: le côté purement technique et celui du musicien où le feeling tient une grande place. Lorsque j’étais ingénieur, j’ai vu de très médiocres producteurs, mais heureusement, j’ai aussi pu bosser avec les plus grands. Phil Ramone, Phil Spector, Kit Lambert, Bill Szymczyk, Bob Ezrin…
C’est d’ailleurs grâce à ce dernier que j’ai décroché mon premier contrat de production. Bob m’a toujours poussé dans cette voie. Cette fois-là, il m’a forcé à abandonner mon job confortable d’ingénieur du son à 35 000 dollars (210 000 F) par an. En fait, j’avais déjà produit un album au Canada. Heureusement pour moi, il n’a jamais quitté son territoire d’origine ; ainsi mes premières planteries sont restées à peu près confidentielles. À mon retour du Canada. Bob a pensé que j’étais prêt pour une grosse production : « Tu peux faire le prochain Alice (Cooper) vas-y, moi, ça ne me branche plus ». Bob ne se sentait pas le courage de produire cet album: le groupe était au bord de la rupture. « Muscle of Love », ma première production, est aussi le dernier album de groupe d’Alice. On l’a enregistré ici même, dans ce studio B du Plant.
Après « Muscle… », tu as pris goût à la production, pas vrai ?
C’est un vieux rêve, tu sais. Depuis que je suis môme, je voulais bosser dans la musique. D’une manière ou d’une autre, il fallait que je touche au son. Certains êtres deviennent esclaves de leur passion, pour moi, c’est une sorte de magnétisme. Voilà pourquoi, au lieu de rentrer dormir à l’hôtel, je suis au studio depuis plus de trois jours. La nuit dernière, je voulais m’en aller, quatre heures plus tard, j’étais de retour pour écouter des bandes. C’est le seul moyen d’y arriver : lorsque tu travailles beaucoup, tes rêves, ils finissent par devenir ta réalité quotidienne .
La seule manière d’y arriver, c’est de bosser?
Bien sûr. Si tu laisses tes rêves dans un cocon, il ne se passe rien. Prend ce kid qui rêve dans son lit qu’il devient une célèbre rock star. Tant qu’il ne sortira pas de ses couvertures pour prendre une guitare et apprendre à jouer, il ne se passera rien dans sa vie. Il faut s’accrocher à ses rêves pour qu’ils se réalisent.
Quand j’ai interviewé Todd Rundgren sur son travail de producteur, il avait l’air assez blasé, désabusé. Où est passé le rêve ? ( Voir sur Gonzomusic SOLO STUDIOS HEROES Épisode 2 )
Parce que Todd a changé de rêve. Il s’est branché sur autre chose, il fait de la vidéo, je crois. Todd et moi avons bossé une seule fois ensemble et j’en conserve quelques bons flashes. C’était en 72, pour le premier album des New York Dolls. Quand j’ai entendu le style des vocaux de David Johansen ( Voir sur Gonzomusic ALL MY NEW YORK 1981 HEROES ), j’ai été complètement sidéré parce que ça ne sonnait comme rien. Ce mec devrait être une grande star: les vocaux qu’il a su imposer ont vraiment démarré un tas de choses qu’on qualifie aujourd’hui de punk ou de new-wave. Je crois bien que David et ses copains étaient les tous premiers. Leurs guitares étaient à peine accordées, mais l’énergie qu’ils savaient dégager éclatait dans tout l’espace du studio. J’étais fasciné.
Quels autres LP te sont passés entre les mains ?
Si j’ai eu la chance de toucher à beaucoup d’albums, c’est vraiment grâce à des disques comme celui des Dolls. Mon téléphone s’est mis à sonner de plus en plus souvent. L’industrie du disque est un tout petit monde fermé au public et aux journalistes. C’est un monde où les nouvelles se propagent extrêmement vite. J’ai eu la chance de bosser sur des montagnes de disques, de « Frank Sinatra » à « Elvis Live » en passant par « Bangladesh ». Avec le recul, ça paraît plus facile. Et il y a aussi la hantise du temps. Tu n’as que quelques années avec ce corps avant qu’il ne devienne trop vieux ou qu’il ne disparaisse. Tant que j’en aurai, la force, je continuerai à bosser trois jours d’affilée, ça n ‘est pas un problème : cela fait plus de dix ans que je vis de cette manière. C’est ce qui t’a donné le temps de produire Cheap Trick et la plupart des LP d’Aerosmith ? C’est marrant, ici, à LA, les stations de radio comme KMET matraquent encore pas mal Aerosmith. Je roulais tout à l’heure en direction du studio et j’écoutais « Walk this Way ». Je me suis mis à éclater de rire tout seul dans mon auto.
Ça m’a rappelé les sessions et les private jokes que Steve Tyler avait l’habitude de glisser dans ses chansons : cinq ans après, ça me fait encore rigoler. Quant à Cheap Trick, je crois bien que jamais je ne pourrais oublier notre toute première rencontre dans un bowling paumé du Wisconsin où ils donnaient un concert. Tu t’imagines, se retrouver ainsi dans un bowling, au milieu du néant, face à un groupe vraiment très au point, avec des pôles d’attraction extrêmement forts .
C’était déjà les mêmes personnages?
Bien sûr, je ne crois pas qu’ils aient jamais changé, ces mecs sont vrais, et personne ne t’a vraiment compris. C’est pour cela que le public passe à côté de Cheap Trick. Si tu écoutes « Live at Budokan », c’est complètement fidèle à ce qu’ils sont capables d’offrir à un public. Du véritable rock and roll et beaucoup d’intelligence dans la musique. Les personnages de Cheap Trick n’ont rien de commun avec Kiss, ça ne pue pas le pré-fabriqué : Rick Nielsen avec sa casquette et tous les autres sont à l’opposé du rock-marionnettes que leur maison de disques et leur management ont tenté de vendre.
Ils ont même fait une BD à leur effigie ! Ils ont dépensé beaucoup trop d’argent sur des gadgets inutiles, au détriment de la musique: quand on essaye de vendre à tout prix, on finit par corrompre. Avec des titres comme « Daddy Must Have Stayed In High Schoool », l’histoire d’un type qui s’adonne aux sorties de lycée et qui utilise sa propre fille comme alibi pour pouvoir mater les jeunes nanas ou « He’s a Wore », l’histoire d’un gigolo, le groupe savait vraiment composer du rock pour adultes. Quel gâchis d’avoir essayé de le vendre aux mômes ! »
À suivre…
Publié dans le numéro 161 de BEST daté de décembre 1981
Voir sur Gonzomusic Épisode 1 : Du Record Plant de LA à l’enregistrement de « Who’s Next » en passant par les Beatles à Liverpool et Bobby Kennedy. LA SAGA JACK DOUGLAS Épisode 1
Voir sur Gonzomusic Épisode 3 : De the Knack à « Milk and Honey » en passant par les dernières sessions de John Lennon, son usage du « ghetto blaster » en version re-re pour confectionner ses maquettes, l’influence d’Orson Welles et « Walking On Thin Ice » son dernier enregistrement avant la tragédie du Dakota building. LA SAGA JACK DOUGLAS Épisode 3