FRÉDÉRIC LO : L’ORFÈVRE SONIQUE
Il a signé la production de quelques sublimes albums- dont entre autres les « Crêve-cœur » et « Amours suprêmes » de Daniel Darc comme le « Alain Chamfort » d’Alain Chamfort- Fredéric Lo est sans conteste un des magiciens du son qui comptent vraiment dans l’Hexagone. À la veille de la sortie du 3ème CD des Pony Pony Run Run d’Angers, sa dernière réalisation, il retrace pour Gonzomusic le parcours musical unique qui est le sien.
Ce midi, calé dans un fauteuil sur la terrasse, il a entendu Alain Chamfort lui confier qu’il était prêt à remettre le couvert du prochain album avec lui. Excellente nouvelle ! Frédéric Lo affiche un très large sourire aux lèvres et si l’on ignorait qu’il ne touche à aucune drogue, on pourrait alors affirmer que Frédéric est plutôt résolument high que low. Au-delà des « jokes » à deux balles, ce garçon trop discret voue depuis son adolescence toute sa vie à la musique. D’abord, dans divers groupes, puis en artiste solo chez Mercury durant les 90’s (voir en fin d’article les critiques de ses deux CD parues dans le magazine BUZZ en 97 et 99 par l’estimable Frédéric LECOMTE), Frédéric Lo met ensuite son art au service des artistes qu’il estime, à l’instar de Daniel Rozoum dit Darc, Stephan Eicher ou justement Alain Chamfort. Portrait d’un authentique « amoureux de la musique »…
L’interview
Avec ces 3 albums superbes de Daniel Darc, dont celui des inédits de« Crêve-cœur », et celui d’Alain Chamfort, naturellement, cela m’a donné envie de savoir qui tu étais et d’où tu venais ?
J’ai grandi à Nogent-sur-Marne, en région parisienne. Je suis né en 64 à Rodez et par hasard, car mes parents étaient en vacances là-bas.
Tes premiers souvenirs musicaux ?
J’ai une sœur ainée qui a sept ans et demi de plus que moi qui écoutait beaucoup de rock. Elle était fan des Stones, du Velvet. Moi, le premier truc qui m’a vraiment happé, je me souviens, c’était l’album « Wings At the Speed of Sound » en 76, j’avais une douzaine d’années. Je me souviens très bien, j’adorais « Silly Love Songs », le texte de cette chanson m’a toujours hanté.
Tes parents ne sont pas du tout dans la musique ?
Pas du tout. J’avais un grand-père mineur qui jouait de l’harmonica. Et j’ai toujours son harmonica. Mes grands-parents étaient d’un milieu ouvrier assez modeste. Ma sœur est de sept ans et demi mon ainée, elle était branchée rock. À travers elle, je découvre les Beatles et, à ce moment-là, ma sœur sort avec un de tes confrères de BEST, Alain Wais. Donc, à douze ans, je suis invité à tous les concerts avec eux, je me retrouve même backstages au Palace avec les Talking Heads, tout ça…Brigitte et Alain étaient aussi très potes avec Constantin. Tout cela m‘a donné le goût pour la musique. Je me mets à apprendre la guitare en autodidacte. À Nogent, où nous vivions, j’avais pas mal d’amis qui ont fait carrière dans la musique. Ainsi mon premier pote de collège c’est Bruno Garcia qui va faire Ludwig Von 88 et Sergent Garcia, il m‘apprend quelques trucs à la guitare. Moi je lui fais découvrir tous les disques que j’écoute chez Alain Wais, où je passe tous les mercredis pour explorer les nombreux disques qu’il recevait en service de presse. Ensuite, je lui disais : « tiens tu devrais écouter cela… ». C’est fou, mais je lui ai fait « découvrir » U2 ! Quand tu es môme, tu as beaucoup de temps et de curiosité. C’est dingue la soif de connaissance qu’on peut avoir à cet âge-là. Donc, grâce à Alain, j’ai pu assister à des concerts incroyables, comme Elvis Costello, en 78, durant la tournée de « This Year’s Model ». J’avais aussi beaucoup de chance, car j’habitais juste à côté du Pavillon Baltard, qui était alors une des seules grandes salles parisiennes pour le rock.
Tu as donc assisté au fameux Festival « Rock of the 80’s » en 1980 ?
Tout à fait. Je me souviens d’avoir rencontré, toujours avec Alain, Pierre Wolfsohn le batteur de Taxi Girl. Il y avait aussi l’enregistrement de « Chorus » (pour les enfants du Rock) tous les dimanches; j’allais voir les concerts tournés à l’Empire pour l’émission de Caunes. Et puis Brigitte a commencé à bosser pour ZE records avec Esteban et m’a présenté des gens comme Gilles autre confrère de BEST! qui chantait alors dans Casino Music. Je chéris les dieux d’avoir connu cette époque, où teenager chaque semaine, j’assistais à un concert incroyable.
Comment se sont déroulés tes premiers pas dans le métier de la musique ?
J’ai eu des groupes assez longtemps comme Eleonora. On a fait pas mal de concerts et on a failli décrocher un contrat deux ou trois fois. On avait signé chez l’éditeur BMG publishing, mais hélas on a été incapable de transformer l’essai. On a fait des tas de premières parties, on a joué avec beaucoup de gens. Mais les labels signaient beaucoup de groupes alternatifs à l’époque et nous étions vraiment pop. On a failli aller chez FNAC Music, mais cela ne se fait pas. J’ai néanmoins réussi à me faire signer en artiste solo chez Mercury où j’ai fait deux albums en 97 et 99.
Est-ce qu’un producteur t’avait déjà influencé ?
Le premier sur lequel j’ai craqué, c’est Brian Eno. J’adorais son travail sur Bowie. Entre sa carrière solo et aussi ses prods avec les Talking Heads ou avec U2, j’adorais sa manière de rester dans l’ombre des artistes avec lesquels il bossait. J’avais remarqué que les musiciens qui me touchaient le plus avaient toujours une production singulière. J’adorais Robert Smith pour le son des Cure qui avait vraiment un truc de spécial. Joy Division idem. Comme toute la vague, pourtant tant décriée, de pop synthétique avec les premiers Depeche Mode, même si après j’ai réalisé que c’était Daniel Miller qui était aux commandes. Le Velvet aussi avec l’empreinte de John Cale. Moi j’ai toujours aimé décortiquer: comment s’est fait ? Comment cela a pu être fait ? Et avec l’évolution technologique, je me rends compte que je peux bosser chez moi avec des ordinateurs. Je donne alors des coups de main à des amis.
Qu’est-ce qui t’a fait réaliser que c’était ta voie ?
Je bosse avec des copains comme Florent Marchet qui démarrait. Ensuite, un mec me branche pour écrire une chanson pour Dani. J’avais deux ou trois trucs, mais je me suis dit qu’il me fallait un vrai auteur et là je croise Daniel Rozoum. En fait, avec mon groupe, à un moment donné, on a eu Laurent Sinclair comme claviers. Et on avait aussi fait la première partie de Daniel au New Morning, quand ils avaient ressorti Taxi girl chez New Rose. Et donc là je branche Daniel pour voir si on ne peut pas faire une chanson ensemble pour Dani . C’était « Rouge Rose » et c’est sorti. Ensuite, on a fait « Crêve-cœur » et on a eu un retour énorme. Daniel et moi on était assez secoué, on ne pensait pas que cela marquerait autant. Et je suis aussi propriétaire des bandes puisque je suis producteur. Je fais une licence chez Mercury avec le taulier qui m’avait rendu mon contrat, Santi. Et pour l’anecdote, il y a trois chansons de « Crêve-cœur » qui sont faites à partir de musiques de mon premier album. J’avais vraiment une vision de ce qu’il fallait faire sur Daniel et certaines des chansons qu’on écrivait ne rentraient pas dans la ligne éditoriale que nous avions tracée. Je voulais vraiment que d’un coup cet album soit une claque .
Quand on l’a reçu, on s’est dit « voilà sans doute le meilleur album de Daniel Darc ! »
Quand on faisait ce disque, Daniel était encore un proscrit, mais dés la sortie de « Crêve-cœur », c’était une toute autre musique. Le téléphone ne cessait plus de sonner. Et après Daniel, je me retrouve à faire Stephan Eicher avec « Eldorado ». Il est presque aussi fou que Daniel, même si c’est moins visible. On a mis huit mois à enregistrer huit chansons.
Pour revenir à Daniel ce qui vous liait c’est que vous aviez les mêmes références rock, comme celles qu’il énumère sur le dernier titre de l’album des inédits de « Crêve-cœur ».
Oui, « Hank Williams ».
Après Daniel et Stephan ?
Je fais les « Chansons d’amour » d’Alex Beaupain avec lequel on a décroché un César de la « Meilleure musique de film ». Parallèlement, avec Daniel on a fait les mercenaires en écrivant pour Johnny, Alizée ou Marc Lavoine, qui était fan de Daniel. C’est d’ailleurs grâce à Marc qu’on avait pu signer chez Universal avec Daniel. C’est lui qui a convaincu Pacsal Nègre de signer « Crêve-cœur ».
Et 3 ou 4 ans plus tard, vous avez fait le second album « Amours suprêmes »
Là, c’était beaucoup plus compliqué à faire, car Daniel avait 150 000 potes autour. Et pas toujours les meilleurs. La valise du bon Docteur Feelgood était toujours pleine, on va dire. Donc, très difficile à gérer. Mais il y a eu de super rencontres, heureusement comme ce duo avec Bashung. Avec Robert Wyatt en tant qu’invité, Steve Nieve, des gens comme ça. Car cette fois, vu qu’on avait les moyens, je ne voulais pas faire tout l’album tout seul, comme sur « Crève-cœur » où je compose et où je joue de tout…mais tout seul. Daniel était complètement absent ; 95% du temps, il dormait à côté de moi. Mais j’aime beaucoup cet album tout de même, car il était plus en tension. C’était plus dur, donc il a un côté plus aride. Mais j’aime beaucoup ce disque. Après, c’était trop compliqué, on n’arrivait plus. On était moins libre, on avait moins de temps. Je faisais des prods, Daniel tournait. Quand on devait se voir, il arrivait avec quatre heures de retard défoncé. Notre lune de miel était derrière nous, comme on dit. Après, j’ai fait un disque avec Pony Pony Run Run. Là je suis d’ailleurs en train d’achever leur troisième album où je ne suis que réalisateur. Souvent je co-écris des titres que je ne co-signe pas toujours.
Parce que tu modifies tellement entre les maquettes et le résultat final que tu rajoutes des trucs?
C’est cela, il m’arrive aussi de composer un refrain. J’ai ainsi bossé avec Maxime Leforestier, j’ai fait beaucoup de choses très différentes.
Tu es très éclectique, on va dire!
À la fois j’ai une culture musicale qui est plutôt anglo-saxonne …mais j’ai toujours fait ce que j’aimais, en restant cohérent avec moi même. En donnant toujours le meilleur de ce que je pouvais donner sur le projet que j’acceptais. un gars comme Leforestier pour moi c’est très proche de Dylan de James Taylor. Et aussi de Cohen, Crosby, Stills & Nash. Après, quand tu réalises un disque comme « Crêve cœur », le bizness vient à toi. Et il y a toujours en France des gens qui ont du talent comme Alain Chamfort.
Belle association et aujourd’hui il vient de te confirmer que vous alliez refaire des trucs ensemble.
Moi je trouve cela génial de pouvoir apporter quelque chose à la carrière d’un artiste tel qu’Alain. D’une autre façon, cela m’a fait le même effet que lorsque j’ai croisé Daniel. Tu les as devant toi et tu sens que tu peux inventer quelque chose de bien avec eux. Et en même temps, tu as la sensation d’être seul à t’en rendre compte. Ils n’ont plus de contrat, personne ne les aide à faire un disque, aucun producteur ne les finance. Alain est un survivant, mais malgré tout ils peuvent douter. Quand je l’ai rencontré, il ne pensait plus faire de disque après l’échec programmé de son album de duos sorti chez Mercury.
Tu auras été son « bon ange »?
Mais lui aussi a été mon « bon ange » à ce moment-là. C’est génial d’avoir quelqu’un de ce niveau, de cette gentillesse, et de ce talent. Et de pouvoir lui donner les moyens de continuer sa route..
Et toi en tant qu’artiste, alors ?
Écoute c’est un peu une Arlésienne…je suis sur le même album depuis dix ans sans jamais parvenir à l’achever. »
GBD
Publié dans le BUZZ N°18 de janvier 1997
« La Marne bleue »
Personnage romanesque digne de « l’intranquillité » animant Fernando Pessoa et des chants fiévreux de Lautréamont mêlés aux couchants de José Maria Heredia, Frédéric Lo est un jeune auteur puisant sa force dans la détresse d’une intimité mise à nu, un compositeur à la subtilité exacerbée n’ayant pas son pareil pour fondre âpreté des mélodies et sophistication des arrangements, un chanteur de charme à la timidité maladive et un guitariste habile ayant assimilé la tendresse de Nick Drake et la fureur de Neil Young. Son parcours initiatique dans l’univers de la musique démarre au cœur du classicisme le plus rigoureux. Frédéric Lo étudie d’abord solfège et technique d’écriture, avant de s’adonner avec délectation aux hymnes pervers, électriques et métalliques d’un rock animalier encagé par Lou Reed au milieu des années 70. Le jeune homme branche sa guitare sur les lignes à haute tension tracées par Roxy Music et The Cure, c’est l’époque des premiers groupes de rock, apprentissage d’un son et d’un idiome, tissage d’un état d’esprit. Aujourd’hui, Frédéric Lo nous livre un premier album fort et poignant, traduisant la complexité des sentiments en les exprimant au paroxysme de la simplicité, soit une démarche difficile et minutieuse, à l’opposée de celle, simpliste, consistant à brouiller l’évidence de la réalité en la verrouillant de codes élitistes. Frédéric Lo chante l’amour, la solitude, l’absence, le silence, enrobe ses rêves de violons pluvieux et nous emmène faire un tour sur le manège étourdissant de son univers microcosmique. Souvent grave, le ton est religieux. La voix, personnelle et troublante, s’affirme et n’a rien à envier à celle des monstres sacrés de la chanson française (Brel, Brassens, Ferré), et la justesse des mots n’a d’égale que ces arpèges de guitare en lambeaux, tantôt acoustiques et cristallins, tantôt électriques, rageurs et tapageurs. Peu importe de savoir sous quelle étoile Frédéric Lo est né, cet artiste brille déjà au firmament et nous offre son âme comme on respire la poussière du paradis, sereinement.
Frédéric Lecomte
Publié dans le BUZZ N°35 de novembre 1999
“Les anges de verre”
Artiste déviant entre variété française et pop anglo-saxonne, Frédéric Lo s’invente des nuits américaines et réclame, à corps et à cris, des rêves à rêver. Poète sensible, mélodiste habile, subtil embrouilleur de pistes, Lo est une sorte d’anti-héros, locataire d’une âme qu’il squatte à travers ses chansons, reflets d’images virtuelles dont il crame les contrastes pour immoler les imperfections. Un type insaisissable, fêlé, mais incassable. Après “La Marne bleue”, premier album aux chœurs noués, Monsieur Lo souffle “Les anges de verre”, précieux recueil de confessions intimistes aux plombages affinés et aux ramages raffinés. D’une parfaite précision, ce deuxième état des lieux fait l’inventaire d’une homogénéité déconcertante, doublée d’un calibrage ad lib. La force de l’osmose entre mots et musique finit par créer un barbarisme hybride qu’on pourrait traduire par “ mosique ”, où comment transformer ses frustrations en jouissances à flux tendu.
Frédéric Lecomte
Excellent article
Bravo Fred , je te souhaite le meilleur, pour ton nouveau travail .
Salut et a bientôt.
Jes