DENYS LABLE LA SAGA D’UN GUITAR HERO MADE IN FRANCE ÉPISODE 2
France Gall et Michel Berger, Julien Clerc, Gainsbourg et Birkin, Nicoletta, Jonasz, Françoise Hardy, Cabrel, Dick Rivers et bien d’autres, au fil de son incroyable carrière Denys Lable a accompagné de sa guitare experte les plus grands et les plus talentueux de l’Hexagone. Vibrant guitar hero made in France, porté par son feeling illimité et son jeu d’une précision diabolique, quelque part entre Eric Clapton, Larry Carlton et Jeff Beck, il publie avec Christian Padovan le cool album « Dédoublé », l’occasion de retracer la saga d’un authentique pistolero du rock hexagonal. Épisode 2 : De Michel Berger et France Gall au regretté Patrick Verbeke en passant par Cabrel, son amour de la trilogie blues folk soul américaine et son petit dernier, ce cool CD intitulé « Dédoublé ».
Cela faisait près de 40 ans que je n’avais pas revu Denys Lable. Au début des années 80, nous étions voisins sur le même palier. Le jeune rock critic que j’étais alors était déjà bluffé par l’expertise de Denys Lable, comme par sa belle collection de grattes. Et surtout par sa coolitude exacerbée. Un feeling laid back avec sa guitare que l’on retrouve dans son nouvel album « Dédoublé » qui oscille entre le blues bayou de Dr John, le rock west coast et la swinguante perfection d’un Steely Dan. J’avais déjà chroniqué son disque « Archtop électrique » ( Voir sur Gonzomusic DENYS LABLE : « Archtop électrique » ) en 2016, retrouvailles avec un héros bien trop méconnu du rock made in France… Épisode 2 : De Michel Berger et France Gall au regretté Patrick Verbeke en passant par Cabrel, son amour de la trilogie blues folk soul américaine et son petit dernier, ce cool CD intitulé « Dédoublé ».
« Dans quel studio travailliez-vous ?
On était dans le petit studio au 12 avenue de la Grande Armée. Et à partir de là les choses se sont enchainées. Berger m’a appelé pour participer à « Tycoon » c’est-à-dire la version américaine de Starmania avec entre autres la chanson que chantait Balavoine « SOS d’un Terrien en détresse » reprise par Peter Kingsberry. Donc c’était ma première expérience avec Berger sur ce solo de guitare qui a marqué un peu, on va dire. Et on a fait quand même pas mal de choses ensemble, c’était en 92/90. Et je venais aussi de commencer Cabrel, puisqu’on avait aussi fait « Sarbacane » en novembre 88.
Ah, et c’est parce que tu avais fait Cabrel qu’il t’a appelé ?
Entre autres, l’histoire ne le dit pas, mais je pense que c’est vrai car je bossais pas mal à l’époque. Pour cet album-là, « Double jeu » France voulait un truc qui soit beaucoup plus rock’n’roll. Du coup, les guitares électriques étaient très présentes. Et puis surtout y a eu la façon dont on a préparé le Bercy 1992, c’est assez formidable. On a répété … mais toute l’année. France avait dit : « les garçons, ça serait bien, on va se voir 2 fois par semaine, on pourra trouver des idées comme ça.
Vous avez répété toute une année ?
Oui, mais l’esprit c’était vraiment comme à la maison. Donc tu trouves des choses ; il y a des choses qui s’installent, tu trouves une idée, tu as un riff. Puis ça rentre dans sa tête, puis elle te le chante aussi. Donc c’était un vrai truc. Moi je l’ai vécu comme ça. Sur scène ça a été aussi un gros machin, un gros truc. Moi je conserve un très bon souvenir musical de cette période-là.
Berger était un super compositeur à la base.
Et il venait juste de mourir, donc les gens étaient très touchés aussi. Avec cette série de concerts baptisés « Simple je », on a joué pendant quatre ou cinq soirs et je me souviens on disait : vous êtes les seuls avec Police à avoir fait Bercy à être aussi peu sur scène. On était simplement quatre musiciens et elle pendant les trois quarts du tour de chant. Puis, vers la fin, pour « Mademoiselle Chang » et je crois bien « Ella, elle l’a », il y avait plein de gamins du hip hop qui nous rejoignaient, les rappeurs de l’association Droit de Cité qu’elle parrainait . France sentait son époque, donc elle avait amené des gens qui étaient dans cette culture hip hop naissante dont elle pressentait l’importance.
Et Cabrel c’est aussi une longue histoire qui a duré super longtemps… et qui dure toujours…. Il joue même sur ton projet « Autour du blues » avec Verbeke, Paul Personne, Jean Jacques Goldman, Claude Engel etc…
Oui cela dure toujours puisque qu’il a également joué sur deux de mes albums « Crapoulable » en 94 et le dernier « Dédoublé » en dehors de « Autour du blues », du « R&R Show » et ses disques à lui depuis 1985. Il y a un moment où finalement, le but de l’histoire, c’était de faire la musique que tu aimes. Sans compromis, puisque tu as réussi à gagner une certaine aura. Tu gagnes suffisamment d’argent, tu accompagnes des gens que tu aimes, tu es dans le haut de l’affiche, donc tu veux faire des disques que tu aimes pour toi.
Depuis les années 90 tu as ton propre studio à la maison où tu peux bricoler des trucs, même avec deux Revox où tu passais d’une piste à l’autre.
Tous mes albums, il y a toujours eu un début comme cela. Le dernier par exemple a été fait entièrement chez moi. D’autres on faisait des raccords après un passage par le studio Ferber, donc c’est un aboutissement.
Mais c’était important pour toi d’être indépendant, de pouvoir faire la musique que tu voulais.
Ça n’a pas de sens de ne pas essayer de faire quelque chose pour toi. Tu fais le studio, tu fais tout ce que tu as voulu faire et puis à un moment tu vois bien que tu as envie de faire quelque chose pour toi. Pour moi, c’était un moteur.
Mais tout ce que tu fais pour toi s’est aussi nourri de toutes tes expériences avec les autres ?
Bien sur, d’autant que je n’étais pas à la recherche de faire un tube.
D’où te viens cet amour du rock US, parce qu’en fait ton feeling pour la musique est beaucoup plus américain qu’anglais… ou d’anglais qui ont fini américains comme Fleetwood Mac.
Les Anglais, si tu veux pour moi, c’est le blues boom la découverte des Blues Breakers. Donc c’est Clapton, bon Hendrix c’est un Américain qui a fait sa carrière en Angleterre. Mais après, au cours du studio d’ailleurs, je me souviens quand on fait toutes les séances avec Yared, un jour, il me dit : « est-ce que tu connais un mec qui s’appelle Larry Carlton ? Tu devrais écouter un peu ce qu’il fait ». Voilà, ça m’a amené ailleurs. C’est vrai j’ai toujours écouté ce que faisaient les Américains. Les sessions américaines à travers la musique que j’aimais car elles sont toujours teintées un peu de blues, de soul, des choses comme ça. Donc ça m’a ramené à écouter toute une époque californienne…
… James Taylor…
… et tous les autres, qui sont été pour moi une nourriture Incontournable.
Parce qu’il y a à la fois du folk, du blues et de la soul ?
Exactement. Tu as dit les trois mots qui correspondent à ce que j’aime comme musique, parce que le vrai, le vrai blues pur et dur, je l’ai découvert un peu plus tard avec tous les grands chanteurs, tous les Howlin’ Wolf , Muddy Waters, Robert Johnson. Donc, dans la façon de s’exprimer à la guitare, même si tu me demandes de jouer une grille quelconque, il y aura toujours un truc un peu blues dans la façon de le concevoir. Je sens toujours les choses avec la corde un peu vibrée.
Quand on est un guitariste expérimenté comme toi, on écoute forcément les autres guitaristes. Lesquels tu trouves super et lesquels tu trouves… pas si super que ça et pourtant malgré la réputation de virtuose qu’ils peuvent avoir ?
Alors écoute, c’est compliqué mais pour faire rapide. Par exemple, un mec comme Jeff Beck. J’ai beaucoup écouté les Yardbirds, mais j’e n’ai jamais essayé de copier ce qu’il faisait. Tu sens que c’est une personnalité tellement complexe. Voilà. Tu découvres le solo de « I Feel Free », par exemple, là tu as envie de comprendre ce qui se passe, parce que ça te touche. La raison pour laquelle ça te touche, c’est que c’est un jeu, un peu plus sensuel.
Moi j’ai un problème avec Jeff Beck. C’est le problème que j’ai avec le jazz-rock c’est trop bien fait, c’est trop sophistiqué, trop masturbo-barré … bref trop parfait. Moi je suis ému par un Santana je suis ému par un Jimmy Page ou un Neil Young. Clapton, je suis bluffé par la dextérité, mais ça me bouleverse moins.
Mais j’étais obligé de m’intéresser aux musiciens de studio américain, donc il y a quelques noms effectivement, Carlton, Robben Ford, Dean Parks, des gens comme ça. Si tu veux, moi j’aime bien aussi le côté Nashville Telecaster des musiciens de studio donc, comme James Burton ou Vince Gill ( Voir sur Gonzomusic Eagles live at the LA Forum ) , qui ont fait beaucoup de studios pour les autres, avant même de développer leur propre musique. Mais au départ, les premiers chocs guitaristiques, ça a quand même été Clapton, Hendrix et j’ai mis de côté Jeff Beck, tout en reconnaissant une personnalité forte. Jimmy Page par contre ne m’a jamais vraiment branché.
Même un truc comme « Dazed And Confused » qui est particulièrement blues ?
Oui mais quand tu sais d’où cela vient, tu trouves cela un peu trop sur-joué. Mais il a quand même fait Led Zeppelin et cela n’est pas rien. Non, à la base pour moi un guitariste pour qu’il m’émeuve il faut qu’il ait du jeu, des solos, enfin quelque chose d’un peu sensuel et intelligent. Si c’est uniquement un super rythmicien, il va m’intéresser, mais pour d’autres raisons, pour savoir comment il fait.
Et Pete Townshend, par exemple ?
Townshend n’est pas spécialement un soliste. C’est un compositeur, un mec qui a une vision globale des choses, par contre il a une démarche…
…et un vrai son …
« My Generation » c’est un truc énorme.
Tu reconnais immédiatement son jeu de guitare.
Voilà.
Comme George Harrison, tu reconnais tout de suite dès qu’il joue.
Harrison c’est pareil. Alors oui, les gens que tu reconnais immédiatement, dans ce sens-là Jeff Beck tu reconnais tout de suite. C’est le meilleur des compliments qu’on puisse faire quand quelqu’un met un nom sur une personnalité.
Keith Richards tu reconnais illico
Lui c’est encore autre chose, il avait ce qu’on appelle des open tunings ; il joue une espèce de truc basique qui est dans l’univers rock, blues … un peu au cœur de ce que tu aimes bien.
Alors justement, parlons de ton album « Dédoublé » on s’y sent bien, c’est ce qu’on peut qualifier de feel good music, avec des références laid-back qui nous parlent comme du Dr John et ce côté bayou un peu rugueux ou la perfection super léchée d’un Steely Dan. Et surtout il a un son juste incroyable.
C’est un disque home-studio mais c’est surtout qu’à un moment je sentais que je devais enregistrer.
Un petit mot justement sur ton complice Christian Padovan ?
On n’habite pas loin l’un de l’autre. Lui il a toute une histoire très proche de la mienne, c’était le bassiste de feu Systéme Crapoutchick et je lui ai dit : qu’est-ce que tu en penses on pourrait faire quelque chose ensemble. Le fait qu’on soit géographiquement très proche a servi de déclencheur. C’est très campagnard dans le fond. Et on a travaillé comme ça : lui venait avec des idées et on avait défini un cadre conceptuel, même si c’est un peu excessif, mais il n’y a pas de claviers dans ce disque. Par contre j’ai beaucoup d’instruments, donc je me suis un peu plongé dedans, des banjos, des cinq cordes, des vrais trucs, des mandolines, des mandoles. Je me suis dit : on doit pouvoir faire quelque chose. J’avais vu ce groupe the Punch Brothers avec un mandoliniste formidable, des mecs qui chantent à trois ou quatre voix. Ils étaient mandoline, guitare, basse… je me suis dit : n’ayons pas peur… allons-y ! Ca a donné un peu ce son-là.
Vous avez un peu les mêmes gouts musicaux l’un et l’autre non ? Le son du disque est un peu une symbiose de vos deux personnalités ?
Oui. Ce sont de vrais amplis, ce sont de vrais micros, tout est enregistré à l’ancienne. Ce n’est pas du son numérique… même si ça a été enregistré avec un Protools. Mais Christian et moi n’avons pas précisément les mêmes goûts musicaux. Toute la culture blues, lui il est plus pour les choses très léchées…
…d’où ma référence à Steely Dan !
Exactement. En fait ce qui est bien c’est que tu vas pouvoir fouiller. Ce qui nous intéressait aussi c’était de faire de la production. De pouvoir produire vraiment quelque chose de vraiment achevé. Par opposition au groupe où tu joues, tu t’enregistres en live, c’est un peu diffèrent. Ça reste en même temps un travail de studio, un travail de groupe sous nos deux noms, c’est un peu la même démarche. C’est toute l’idée de produire un truc assez fouillé.
Et les cuivres sont des vrais cuivres ?
Bien sûr, ce sont de vrais cuivres, tout est vrai dans ce disque. C’est Yvon Guillard qui a fait partie de la grande époque d’Higelin qui joue remarquablement. Les batteries c’est Claude Salmieri, on va dire « the best drummer », quelque part. Et c’est donc enregistré à l’ancienne dans mon studio avec une paire de micros d’ambiance, comme on le faisait autrefois. Et ça sonne bien. Ça sonne vraiment.
Les voix sont cool aussi…
Alors moi quand j’avais le groupe en 67, les Shows, j’aimais bien essayer de chanter un peu; il fallait bien chanter, car il n’y avait pas de chanteur. Mais je ne me suis jamais assumé l’idée d’être un chanteur, parce que ça assume d’autres choses. Ce qui m’intéressait, c’était la guitare. Mais quand même, l’idée de pousser un peu la chansonnette. Ça a toujours existé un peu dans tout ce que j’ai fait.
Vous chantez les deux, puisque Padovan fait aussi des harmonies ?
Ah mais il fait bien plus que des harmonies. A une époque en plus d’être bassiste il faisait aussi pas mal de voix.
Il faut souligner que vous avez un excellent accent anglais lorsque vous chantez. Pour des Français, ce n’est pas honteux, ce n’est pas Jean Louis Aubert qui chante en anglais.
Ah non, mais là on a vraiment travaillé la question, on y a passé du temps.
Oui, mais c’est réussi. À aucun moment on ne se dit : putain ils font chier avec leur accent camembert.
Ça reste équilibré sur l’ensemble du disque. Voilà. Verbeke qui chante, c’est aussi très émouvant.
Parce que c’est son dernier enregistrement.
La chanson « Blues For Pipa ». Il est mort avant. Il n’a pas pu la terminer, donc je l’appelais au téléphone, en fait il s’est éteint au bout du fil. Je n’ai pas de problème avec lui, car il était aussi prof d’Anglais et ça marche. Olivier Constantin chante remarquablement, lui il vient du milieu de Broadway. Il a beaucoup travaillé sur les comédies musicales. C’est le bras droit de Polnareff quand il est venu faire sa tournée en France, il prépare toutes les voix puisque c’est le choriste principal. Il chante remarquablement, il n’a pas l’ombre d’un accent. Et puis moi, le peu que je chante, je peux te dire que j’ai bien réfléchi à soigner ça. Un pote américain m’a envoyé de Washington une version acoustique.
En fait, on aimerait bien voir vivre ces chansons sur scène ?
C’est tout le problème : pour pouvoir les jouer sur scène, cela demande un minimum d’organisation derrière. Vu nos grands âges, courir à transporter nos amplis, nos guitares, c’est un peu plus compliqué. Il faut quand même se faire aider. Vu le niveau de la production c’est un peu compliqué, cela demande un peu de background derrière.
Donc c’est « oui mais » ou « non pas du tout » ?
Non ce n’est pas « non pas du tout » mais il faut qu’une production s’y intéresse. Il faut voir si on peut monter quelque chose qui soit à peu près équilibré et où on a à se soucier surtout de bien jouer, mais de manière confortable. Mais cela suppose prendre un ou deux musiciens, puisque moi j’ai fait toutes les guitares, les banjos, les mandolines. Donc ce sont des répétitions… il faut trouver la salle etc… c’est aussi un vrai boulot de producteur et c’est assez compliqué. Mais pourquoi pas…« Voir sur Gonzomusic DENYS LABLE LA SAGA D’UN GUITAR HERO MADE IN FRANCE Épisode 1