DENYS LABLE LA SAGA D’UN GUITAR HERO MADE IN FRANCE Épisode 1

Denys LableFrance Gall et Michel Berger, Julien Clerc, Gainsbourg et Birkin, Nicoletta, Jonasz, Françoise Hardy, Cabrel et bien d’autres, au fil de son incroyable carrière Denys Lable a accompagné de sa guitare experte les plus grands et les plus talentueux de l’Hexagone. Vibrant guitar hero made in France, porté par son feeling illimité et son jeu d’une précision diabolique, quelque part entre Eric Clapton, Larry Carlton et Jeff Beck, il publie avec Christian Padovan le cool album « Dédoublé », l’occasion de retracer la saga d’un authentique pistolero du rock hexagonal. Épisode 1 : Des Shows à Françoise Hardy, en passant par les Sharks, France Gall, Claude François, Herbert Leonard, Monty Julien Clerc et Michel Jonasz.

Denys LableCela faisait près de 40 ans que je n’avais pas revu Denys Lable. Au début des années 80, nous étions voisins sur le même palier. Le jeune rock critic que j’étais alors était déjà bluffé par l’expertise de Denys Lable, comme par sa belle collection de grattes. Et surtout par sa coolitude exacerbée. Un feeling laid back avec sa guitare que l’on retrouve dans son nouvel album « Dédoublé » qui oscille entre le blues bayou de Dr John, le rock west coast et la swinguante perfection d’un Steely Dan.  J’avais déjà chroniqué son disque « Archtop électrique » ( Voir sur Gonzomusic DENYS LABLE : « Archtop électrique » )  en 2016, retrouvailles avec un héros bien trop méconnu du rock made in France… Épisode 1 : Des Shows à Françoise Hardy, en passant  par les Sharks, France Gall, Claude François, Herbert Leonard, Monty Julien Clerc et Michel Jonasz.

« Bonjour Denys. Il y a un Y dans ton prénom tu peux nous dire pourquoi ?

Parce que j’ai un grand-oncle qui a dit à ma mère : si tu l’appelles Denis, il faut que tu mettes un Y, en rappel de l’évêque dont les Romains ont coupé la tête car il était contre l’arianisme. Vers 250, Denys est envoyé par le pape en Gaule avec six autres évêques missionnaires. Il s’établit à Paris dont il devient le premier évêque et y subit le martyre par le glaive. En gros je crois que c’est une histoire comme ça.

Donc il y en a eu d’autres avant toi, tu n’es pas le premier Denys. Et à l’école tout le monde oubliait d’orthographier Denys avec un « Y » ?

Il était effectivement souvent oublié. Oui, et aussi sur de nombreuses pochettes de disques. Mais maintenant, on va dire qu’il est souvent correctement écrit. Mais même sur la réédition récente de mon premier groupe les Shows, ils ont réussi à l’orthographier de travers. Tu vois tout est possible…

Dis-moi comment devient-on un immense guitariste tel que toi ? Quel a été le déclic ?Denys Lable

Écoute, le déclic, c’est justement ce grand-oncle en question qui avait dit à ma mère « Il faut qu’il porte un Y dans son prénom », quand cet homme a quitté le monde des vivants, il y a eu des héritages et moi je me suis retrouvé avec une guitare, une « Vieux Paris » de l’époque, qu’il possédait et qu’il m’a légué.

C’est quoi une « Vieux Paris » ?

C’est leur nom : une vieux Paris ! Ce sont des guitares de la fin de fin du 19e siécle, voilà. Et donc avec cette guitare, je ne sais pas ce qui s’est passé, il y a eu un véritable déclic, on peut dire ça.

Quel âge avais-tu ?

Denys Lable

Les Shows

J’avais une dizaine d’années. Donc le déclic vient de là.  Après, tu te regardes un peu dans la glace avec la guitare. Ce qui était assez drôle, quand j’y repense. Et puis, à partir de là, a germé l’idée de faire un groupe. Et tu fais tes études et tu rencontres un copain, Yves Picoche qui est aussi branché musique. Tu t’aperçois qu’il a des disques. On se voit chez lui, il jouait de la basse, il était passionné de basse. Et ensemble, avec aussi mon frère Richard, on a fondé un groupe qui s’appelait Les Shows qui a bien rayonné entre 65 et 67 et qui dépassait un peu les frontières de l’Hexagone puisqu’on a même joué en Belgique.

Tu avais déjà craqué sur des artistes et sur des disques ?

 À cette époque-là, c’était toute l’explosion du blues boom anglais.  Nous, on était branché Animals, tous ces trucs-là. Après, me suis un peu plus focalisé sur les solos de guitare qui me frappaient, comme le solo de Cream sur « I Feel Free ». Là, tu prends un sacré coup dans la tronche ! Puis 2ème coup à la suite. Je pars faire mes études à Paris, je venais juste de quitter Auxerre. J’étais à l’école Boulle et là dans une petite piaule, je me souviens que c’était pendant la guerre des six-jours. J’entends « Hey Joe » de Jimi Hendrix. Et Hendrix faisait des intervalles de notes inédits, un truc nouveau extraordinaire se passe. Et dans un second temps, j’encaisse le choc de « The Wind Cries Mary », avec son jeu polyphonique, guitare et blues, sublime. Dès lors, j’avais ce rêve un peu caché. En fait, quand j’achetais les disques américains, notamment sur les premiers Stax, car j’ai écouté ça très, très tôt, tout cet univers-là, tu as tout le casting au dos de la pochette avec bassiste, Pierre, guitariste, Paul, batterie, Bob. Je me suis donc dit que l’idée d’avoir son nom marqué sur la pochette d’une chanson me plaisait bien. Que je voudrais bien être connu comme ça, ce qui est arrivé par la suite.  Sauf qu’il existe un petit décalage entre la France et les États-Unis; car tu ne te retrouves pas d’emblée sur un casting où tu as l’impression d’avoir été derrière Otis Redding, ce n’est pas exactement le même combat. C’était peut-être plus facile et plus ouvert aussi à l’époque aux États-Unis qu’en France. De surcroit, faire des séances de studio, ce n’est pas exactement le rêve que tu avais dans la tête au final. Et là où je voulais en venir, c’est qu’en fait en France, on a dû être des pionniers, probablement les premiers à avoir nos noms marqués, comme sur des disques de James Taylor. C’est-à-dire sur l’album de Julien Clerc qui s’appelait « Terre de France » en 74.julien Clerc

Oui, c’est vrai, moi tous mes vieux Gainsbourg ou tous mes albums des années 60 70, il n’y a aucun crédit de musicien.

 Et non, il y a simplement avec l’orchestre de ou accompagné par l’orchestre de.

Comment tu passes des Shows au show… biz ?

Alors là… excellente question ( rire). Alors en fait simplement, ça s’est arrêté en 67 parce que moi je suis monté à Paris pour faire l’école Boulle.  Mais je rentrais le week-end et on jouait quand même. Mais ça s’est arrêté fin 67. Voilà, le groupe s’est éclaté, c’était une fin logique. Entre-temps, pendant cette époque-là, on a eu quelques visites. Claude François pour ne pas le nommer à l’époque, qui était avec France Gall, ma cousine au tout début. Quand il a débarqué à Auxerre, il a joué dans la cave où on répétait avec le groupe. Ça, ce sont des choses, que je n’ai jamais racontées, c’est perso ce que je te dis.

Rassure-toi, moi je n’ai pas non plus une super image de lui, car je l’ai rencontré quand j’avais 9 ou 10 ans et le petit gamin que j’étais avait déjà envie de lui filer des claques. Et il s’est comporté comme une ordure avec France. C’est ce qu’on voit dans le film de Joann Sfar « Gainsbourg vie héroïque » où elle est devant sa porte, et il ne lui ouvre même pas. J’étais choqué de la manière dont il  traitait ses pauvres danseuses devant moi.

On est bien d’accord, mais il se trouve qu’il y avait des musiciens et il y en a un qui a dû me remarquer. Il s’appelait Mat Camison. Qui était quelqu’un à l’époque, entre autres le chef d’orchestre de ma cousine France Gall; il faisait toutes les séances importantes. C’est un peu l’endroit où je voulais aller faire du studio, jouer de la guitare et résultat, c’est comme ça que j’ai mis un pied dans ce qu’on appelle le « métier professionnel ». Donc j’ai fait mes premières séances de guitare. Je m’en souviens, c’était chez Barclay. Pour un chanteur qui s’appelait Peter Holmes, une star suédoise, mais qui visiblement avait aussi une carrière un peu en France. Et donc on m’a appelé pour jouer sur son album, sur son album où il faisait deux adaptations des Platters « Only You » et une autre interprétée à la manière de Steve Cropper de Booker T and the MG’s, le groupe maison de Stax. Et, à partir de là, tu mets un pied dans cet univers-là.

Et on est en quelle année-là ?

On doit être en 69. Alors ,après ça je suis entré dans un groupe qui s’appelait les Sharks à l’époque.les Sharks

C’était un groupe de requins de studio avec un nom pareil ?

C’était un groupe de rythm and blues. Avec, il y avait un guitariste, un nom assez connu que je trouvais assez brillant et en fait j’ai pris la place de ce mec là car il avait été rattrapé par des stupéfiants et des états seconds où il n’assurait plus. Donc avec ce groupe-là on s’est retrouvé aux Jeux Olympiques de Grenoble en 1968, on jouait en première partie de Traffic avec Stevie Winwood.  Avec les Sharks on accompagnait les vedettes françaises un peu branchées, comme Herbert Léonard ou Monty, des yé yés, mais pas de base. On jouait un peu rythm and blues et un peu rock. Puis après on est descendu dans le sud, on a joué au club de Valbonne et à l’Akou Akou, qui étaient des boîtes  qui accueillaient plein de groupes anglo-saxons. Et on avait joué là, on avait accompagné un mec qui s’appelait Rocky Roberts and the Airedales, qui jouait des trucs Motown. Avec les Sharks, on avait aussi accompagné Nicoletta à l’époque où elle chantait « Il est mort, le soleil ». Je ne joue pas sur le single, mais on l’a accompagnée sur scène durant la tournée qui a suivi. J’ai souvent accompagné des gens au moment de leur grand succès à eux.

C’est une incroyables chanson, très soul. On n’avait jamais rien entendu de tel en français.

NicolettaOui, formidable chanson en français. C’est une composition d’Hubert Giraud. Ensuite Ray Charles l’a américanisée et en a fait un hit international, pas mal pour une chanson française. Enfin, je fais une parenthèse, j’ai re-croisé Nicoletta, j’étais avec ma fille il y a  3 ou 4 ans. Elle sortait d’une bagnole, on est tombé dans les bras l’un de l’autre. C’était comme si on ne s’était pas vu depuis 3 semaines, même si ça fait quand même très longtemps. Et puis, en accompagnant Nicoletta, un jour débarque un pianiste qui devait faire un remplacement. Un mec qui en impose quand même car c’était le pianiste de Julien Clerc. Et il me dit, à moi et au batteur qui accompagne Nicoletta : « est-ce que ça vous intéresserait de jouer avec Julien Clerc ? ». Donc tu dis oui, parce que là tu as la sensation de gravir une marche, oui.

Et on est en quelle année ?

 Et là, avec Julien Clerc, moi je suis arrivé en cours de tournée, au milieu. On m’avait envoyé les chansons, pour connaitre un peu les choses et c’était en mars 71. Je suis donc rentré en mars 71. Et jusqu’en novembre 72 ou 73, ma mémoire me fait défaut, j’étais avec ce premier orchestre de Julien Clerc, qui a plus ou moins splitté. Mais moi, je suis resté avec le pianiste et j’ai fait rentrer mon frère Richard qui était multi-instrumentiste, et des gens comme ça. On est resté avec Julien Clerc jusqu’en fin 75. Et avec lui on est allé jouer au Vietnam, on est allé jouer au Japon, c’était une bonne période.

Mais là tu jouais aussi sur les albums ; tu ne faisais pas uniquement accompagnateur de tournées ?

PLVG

PLVG

Justement on a été les premiers à faire à la fois les disques et les tournées, alors qu’avant c’était bien deux mondes à part. Tu avais les requins de studio qui méprisaient les accompagnateurs et les accompagnateurs qui tournaient et qui étaient souvent issus de la variété. Pour résumer, nous on faisait les deux.  Mais on apportait notre créativité, on n’était pas des simples exécutants. On était un vrai groupe – Baptisé PLVG pour les initiales des noms de famille de Jean Claude Poligot batteur, Denys ET Richard Lable respectivement guitariste et chanteur/claviers, Stéphane Vilar ( fils de Jean Vilar) guitares 12 cordes électriques et Philippe Gall ( frère de France et cousin de Denys et Richard) basse. PLVG avait publié un LP éponyme qui sonne irrésistiblement  C, S, N & Y à la française qui a été réédité chez Monster Melody – . D’ailleurs, on a ouvert en première partie d’une des dernières tournées de Julien Clerc. Et puis après, on l’accompagnait durant son concert et ça nous a amené jusqu’à en octobre 75 lorsque Julien décide de se séparer de tout le monde. Moi, il me demande de de rester et de lui monter un nouvel orchestre. Mais j’avais déjà je commencé à faire un peu de studio. Et en fait, je suis rentré dans le l’équipe de Gabriel Yared et on a attaqué les albums de Michel  Jonasz. D’abord un premier album, qui s’appelle « Guigui » et après le fameux « Les années 80 commencent ». Il y en a un 3éme « La nouvelle vie ».  Mais il y a eu surtout le live au théâtre de la ville qui est un album culte, on va dire. On était tous sur scène avec Yared, Jannick Top tout ça. Puis dans cette période-là, on a  aussi fait les albums de Françoise Hardy.Denys Lable

Alors autant Jonasz mec, sympa, chaleureux, cool, simple. Françoise Hardy, elle est un peu spéciale quand même ?

Elle est très spéciale, mais on a eu quand même de bons moments musicaux. Et j’ai d’ailleurs une petite anecdote. Je me souviens qu’on était en studio et elle s’en va au moment où je pensais qu’elle allait chanter.  On avait répété, on était prêt à tourner, mais soudain elle devait partir, parce qu’il fallait qu’elle s’occupe de donner le biberon à son petit, pour faire rapide si tu veux. Le petit qui est devenu Thomas en fait. Et c’est drôle, parce qu’elle a raconté cette anecdote du biberon, dans un livre. Elle écrivait la plupart des textes et Yared assurait les musiques. C’était vraiment des séances à l’américaine. Et là j’avais enfin la sensation que mon rêve se réalisait. C’était une concrétisation.

À suivre…

Voir sur Gonzomusic :  DENYS LABLE LA SAGA D’UN GUITAR HERO MADE IN FRANCE ÉPISODE 2

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2 réponses

  1. Patrick Menager dit :

    Quel régal, tant pour les questions que les réponses !

  2. Gilles Menardi dit :

    Super merci pour cette belle découverte d’un sacré Guitariste français
    Et JGW génial je suis un grand Fan
    Bonne et longue Continuation

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