MY LAST KEVIN ROWLAND INTERVIEW
Voici 30 ans dans BEST, GBD retrouvait son vieux complice Kevin Rowland, auto-divorcé de ses Dexys Midnight Runners après l’échec de leur « Don’t Stand Me Down » de 1985. Beaucoup d’espoirs étaient placés dans ce « The Wanderer », premier LP solo du héros de la scène de Birmingham. Le voyageur, le vagabond…un titre qui colle à la perfection à l’ami Kevin. J’ignorais, hélas, qu’après cet album il resterait silencieux durant près de 11 années avant de publier un nouveau disque, le délicat « My Beauty »…mais c’est encore une autre histoire du rock !
J’avais rencontré Kevin, à l’aube des 80’s, dans un troquet de New Bond Street en compagnie de Youri Lenquette qui était alors le correspondant de BEST à Londres. Si l’ombrageux chanteur des Dexys était particulièrement redouté de la presse rock british, il en était tout autre de ses relations avec les frenchies. Certes, notre rythme de mensuel nous protégeait de la frénésie des hebdos rock anglais, véritablement obsédés par leur quête de « la sensation de la semaine », nous avions bien plus de recul. C’est sans doute aussi un je ne sais quoi de latin chez Kevin qui nous liait. Au fil des années, au fil des rencontres, il s’était pris d’amitié avec Bill Schmock et moi-même. Ainsi juste avant la tornade « Come On Eileen » je m’étais retrouvé pour Actuel tout un week-end passé chez lui à deviser, boire du thé et refaire le monde. Nous nous étions aussi retrouvés pour la sortie de « Don’t Stand Me Down » ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/ma-derniere-interview-de-dexys-midnight-runners.html ) et lorsqu’il avait sorti son second solo « My Beauty », la fameuse pochette d’album de reprises où il apparait en tutu rose, j’avais assisté à son concert et nous nous étions retrouvés backstage après le show avec une émotion non dissimulée.
Voici deux ans, on assistait au come-back de Dexys Midnight Runners, tel le Phénix renaissant de ses cendres ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/dexys-midnight-runners-let-the-record-show-dexys-do-irish-and-country-soul.html ), mais je ne l’ai hélas pas revu. Flasback jusqu’en 1988 pour mon ultime entretien officiel avec mister Kevin Rowland.
Publié dans le N°: 241 de BEST sous le titre :
CHER VIEUX REBELLE SEUL
Comme les algues dévoreuses du triangle des Bermudes, le rock avait-il laissé doucement étouffer sa voix par les fioritures, re-re, arrangements et autres fanfreluches ? Je veux croire que les Whitney Houston, A-ha et autres Jojo Michael, bains usés de margarine pour frites molles vont bientôt occasionner de telles crises de courante qu’ils finiront par s’auto-évacuer. Si Leonard Cohen rides again, si TTDA déchaine les passions ou si les harmonies des frangins Christian font du Happy End sur les radios, c’est loin d’être un hasard. Chaque charnière de la grande évolution a son syndrome Sinatra. Une voix solide, étincelante, une voix acier trempée fichée dans le roc comme Excalibur, il n’en existe qu’un seul exemplaire par décade. Arthur Pendragon ou Robin des bois, Kevin Rowland était déjà une image d’Épinal bien avant de pulvériser les charts. Au début des 80’s, il « kidnappe » ses propres masters pour résister aux pressions de son label EMI. Quelque temps plus tard, il s’offre des pages de pub dans la presse rock anglaise pour se livrer à une critique féroce…des rock-critics. Pris entre deux feux, « les jeunes rebelles soul » de Dexys Midnight Runners ne manquent ni de feeling ni de cran.
« Avec le recul, c’était vraiment une attitude de duel », explique Kevin, notre Wanderer de 88, « le groupe commençait à marcher, mais je savais qu’à un moment ou un autre, cette presse-là allait nous rentrer dedans. Alors, mieux valait démarrer les hostilités et foncer dans le tas. A cette époque, je ne fonctionnais qu’à l’instinct. »
Et son instinct le pousse en avant jusqu’aux sommets. Deux ans plus tard, Kev transfiguré balance le génial « Too-Rye Ay » et troque son look néo boxeur pour celui d’un country boy barbe drue, gilet, salopette et foulard autour du cou. Comme Bowie à son zénith, de Ziggy au Thin White Duke jusqu’au Young American, Kevin transforme son image à chaque projet au nom de la sincérité. Séisme européen pour l’album, « Come On Eileen » propulse sa soul celtique au sommet des charts US, mais le LP ne suit pas :
« pour les Américains, nous n’étions qu’un nouveau gadget britannique, car nous n’avions aucune base là-bas », reprend Kevin, « Nul n’avait jamais entendu parler de « Searching For the Young Soul Rebels », alors on nous prenait pour des clowns. Je suis donc rentré en Angleterre pour me calfreuter dans ma retraite et bosser sur « Don’t Stand Me Down ». »
Chemise blanche, cravate, costar trois pièces et pompes vernies, le nouveau Kev est une réaction violente destinée à effacer la jeune pâtre de « Come On Eileen ». Les fans de Dexys sont désarçonnés et le public ne suit pas, l’album s’enterre. Perfecto ou petite veste sympa, Kevin aujourd’hui s’habille comme vous et moi. Débarrassé de son groupe, il ne craint plus de laisser pointer sa voix superbe et gorgée d’émotion.
« Si ce LP se distingue », explique notre Wanderer, c’est que pour la première fois il est solo. Tout est basé sur la puissance des vocaux. Pour la première fois de ma vie sans doute je me sens moi-même dans la peau d’un chanteur. En fait, je me planquais derrière Dexys. J’avais besoin des cuivres, des violons et de l’ensemble du groupe pour me rassurer. Ma voix n’était qu’un des instruments, désormais elle est ce qui compte le plus dans ma musique. Peut-être suis-je plus expérimenté, plus sûr de moi en tant que chanteur ? »
Notre Wanderer a quitté Birmingham pour Londres où le chanteur solo s’est installé… solo.
« Kevin Rowland, the Wonderer » -le voyageur – j’ai écrit cette chanson à cause de l’équipe de foot de mon enfance, les Wanderers de Woiverhampton, prés de Birmingham. J’ai ce nom dans la tête depuis si longtemps, je pouvais au moins en faire un titre d’album. »
Enregistré en trois mois à New York sous la houlette de Eumir Deodato- oui, celui-là même de “Aldo Spracht Zarathustra »- dans son studio Duplex sur Broadway, « The Wanderer » est un classique avant l’heure sur la piste des géants. Un brin de country, quelques beats rock and roll, une larme de soul, une pincée de pure adrénaline pop, quelques accents mélancoliques de doo wop, l’album est la palette des couleurs favorites de Kevin sans une once de gimmick. En fait, s’il se déguisait en boxeur, banquier ou fermier, c’était pour planquer sa pudeur. Sans artifice, Kevin Rowland, en osant être lui même, retrouve le feu et il est sacré. Il a passé ces trois dernières années à composer et à marteler ses chansons jusqu’à les rendre indestructibles. J’imagine qu’il existe au moins quinze versions de chacun des titres ouvragés en descendant des litres et des litres de thé. Kevin le Wanderer n’a décidément pas fini de voyager.
Publié dans le N°: 241 de BEST daté d’aout 1988