WILL VIDEO KILL THE ROCK STARS : Épisode 1 Todd Rundgren

Todd RundgrenVoici 42 ans dans BEST GBD se posait cette question carrément existentielle : will video kill the rock stars (la vidéo tuera-t-elle les rock stars ?) lorsque les premiers clips ont commencé à doucement déferler sur nos écrans cathodiques, révolutionnant notre manière d’écouter/voir/et désormais consommer de la musique. Pour y répondre, il avait tendu son micro de BEST reporter à Todd Rundgren, son héros de toujours, magicien d’un video-art naissant, mais aussi à l’étoile montante Thomas Dolby, ainsi qu’à la fameuse prod vidéo pionnière British Millaney Grant, qui signe le sublime « Ashes ta Ashes » (Bowie) ou le « Vienna » (Ultravox), tout comme les clips réalisés par les prodigieux Kevin Godley et Lol Creme, sans oublier chez nous à Paris David Niles et son Captain Video. Flashback ! Épisode 1 : Todd Rundgren, un magicien une vraie vidéo-star !

Todd RundgrenLa vidéo tuera-t-elle les rock stars ? En 1982 bien avant le « Money for Nothing » fondateur et le lancement de MTV, les tout premiers vidéo-clips viennent accompagner les singles novateurs d’ABC, Duran Duran, les Residents ou Ultravox. Bien entendu, on se souvient des premières vidéos des Beatles, parfois diffusées sur la BBC en guise de cadeau de Noël comme leur « Magical Mistery Tour ». Ensuite Queen avait ouvert la voie avec son fulgurant « Bohemian Rhapsody » et l’Histoire de la religion cathodique était en marche. Quatre décennies auparavant, je faisais cette prévision pariant que « un jour grâce aux cristaux liquides, les écrans seront si larges qu’ils occuperont tout l’espace de nos murs ». Pour comprendre si la vidéo pouvait supplanter la radio-star, j’ai d’abord interrogé mon héros, Todd Rundgren, déjà rencontré un an auparavant à New York ( Voir sur Gonzomusic ALL MY NEW YORK 1981 HEROES ,  SOLO STUDIOS HEROES Épisode 1 ,  SOLO STUDIOS HEROES Épisode 2 ,  TODD RUNDGREN “Healing”  ,  TODD RUNDGREN « Space Force »   et aussi UNBURYING THE GEMS : TODD RUNDGREN ).

Épisode 1 : Todd Rundgren, un magicien une vraie vidéo-star !

Publié dans le numéro 171 de BEST sous le titre:

VIDEO STARSThomas Dolby

« Le rock entre-t-il dans un âge cathodique où il ne serait que la bande originale ? Gérard Bar-David le demande à Todd Rundgren et Thomas Dolby qui investissent déjà pleinement dans la vidéo, ainsi qu’à ces Anglais passés maitres dans la confection de cet art nouveau ».

Christian LEBRUN

Le bar du Venue, dans son atmosphère chargée de nicotine, ressemble à la boîte futuriste d’Alex « Orange Mécanique » et ses Droïds : cocktails d’alcool, de couleurs et de sons se superposent au milieu des plantes tropicales synthétiques. Le dos au bar, on est fasciné par l’ultime perversion rock and rollienne, un cube de plastique d’un mètre de côté recouvert de touches numérotées et son écran géant. « Veuillez patienter SVP. Je cherche pour vous notre prochaine sélection. » Après les video-sets, les home-videos et les video games, le juke-box vidéo va se vulgariser dans tous les lieux publics comme son ancêtre le Wurlitzer. Celui du Venue fonctionne comme un Scopitone en stéréo, il offre un choix d’une trentaine de séquences. Sur l’écran, Haircut 100 chante son « Fantastic Day » tassé dans un roadster qui traverse un paysage country and western des 30’s. Au Venue, on consomme les video-clips comme des cacahuètes salées : ABC, Duran Duran, les Residents ou Ultravox, il suffit d’une pièce de 25 p. Le video-clip est au film rock ce que la nouvelle est au roman : un scénario de trois minutes, pour un mini film qui n’a plus rien de commun avec le playback des shows télé. Cet art neuf gorgé d’énergie et d’imagination rappelle étrangement l’explosion rock des années soixante, dont l’épicentre se situait en Angleterre. En 74, Queen ouvre le feu avec un des premiers clips de l’histoire : « Bohemian Rhapsody ».

BowieDepuis cette date, les British se sont taillés la plus belle part de ce marché tout neuf, malgré la résistance de quelques allumés comme David Niles, ce yankee qui avait planté à Paris son Captain Video. Avec Gilian Le Gaelic et son car labo-video, Niles jouait à l’apprenti sorcier en superposant des séquences, en jouant sur leur rythme et la répétition. Avec sa squeeze box et quelques autres gadgets il pouvait faire vivre une image au sein d’une autre : ce mur est un visage dont les yeux et la bouche s’animent jusqu’à s’envoler par la fenêtre. Le jour, Niles tournait des clips pour les maisons de disques et la nuit son studio se transformait en discothèque up to date. Directement du producteur au consommateur, le soir même l’artiste pouvait inviter son manager et ses copains à visionner son clip autour d’un verre. La rapidité de la video n’est pas son unique avantage sur le cinéma : elle permet surtout des trucages électroniques à un coût moins élevé que les procédés chimiques nécessaires au traitement du film. En France, l’arrivée en masse des vidéos à la télé a coïncidé avec la mise en place d’un certain nombre d’émissions rock. Le showbiz ringard à la Carpentier ou intello à la Chancel avait toujours imposé un barrage protectionniste contre ces vidéos étrangères décadentes qui ruinaient notre play-back national. Pour passer à la télé française, il fallait être sur place, même pour remuer les lèvres, ce qui limitait d’autant les passages des groupes anglo-saxons à l’antenne. Aujourd’hui les Kim Wilde, Visage ou Duran Duran vendent exclusivement sur video-clips et refusent la scène. A mi-chemin entre le court métrage et le spot publicitaire, le clip permet de diffuser une image rock avec les méthodes du marketing. Le rock va-t-il connaitre une évolution semblable à celle du cinéma, lorsque le parlant a succédé au muet ? Certains artistes laisseront des plumes dans l’hécatombe, tandis que d’autres comme Meat Loaf s’en tireront sans problème : ils sont des acteurs nés. «Je pense visuel, dont je suis »; pour Meat les disques ont toujours accroché par l’image. Le public veut voir ce qu’il entend. Meat Loaf ne craint pas la video wave. Ses shows filmés ne sont qu’un argument de vente supplémentaire. Si la video parvient à se substituer à la scène, elle peut aussi s’intégrer au show pour offrir un spectacle total. C’est la solution adoptée par Todd Rundgren pour sa tournée en solitaire.

Todd Rundgren

TODD RUNDGREN : Aventures dans l’utopie

En 75, le magicien Todd, intrigué par le phénomène vidéo, a commencé à édifier son propre studio dans sa retraite de Bearsville, près de Woodstock, au nord de l’État de New York. Son goût pour les synthés et ses magnétoscopes rudimentaires l’entrainant d’abord vers une expression proche du pop art. «A cette époque », raconte Rundgren, « Je n’avais pas encore senti que la vidéo drainerait un tel courant. Pour moi, c’était juste un monde nouveau qui m’intriguait. Une nouvelle génération de matos déboulait sur le marché, on pouvait enfin jouer à l’expérimentation : superpositions, mixages etc. Au début je me suis essayé aux figures abstraites, des jeux de couleurs évolutives dans le style LSD art. J’avoue que mon intérêt pour cette nouveauté trouvait en partie sa source dans les étroites relations que j’entretenais avec les drogues psychédéliques. » Les acid-videos de Todd sont la transposition exacte de sa musique du moment. Par la définition de l’image, il joue sur les intensités. Ses couleurs déterminent une ambiance qui évolue au fil de la mélodie. Todd utilise en fait une double gamme : couleur et musique. Or, on sait depuis longtemps que l’une et l’autre ont une influence directe sur le comportement humain :

Todd Rundgren« Ce qui détermine la réaction, ça n’est pas le fait de jouer une note, mais plutôt la manière dont tu vas l’associer aux précédentes. Lorsque je travaille sur l’écran, j’ai exactement la même démarche. » Todd manipulait un « synthétiseur video », un clavier où chaque touche correspondait à une note et une tonalité sur un principe dérivé des modulateurs de lumières. Contrairement au cinéma, la vidéo n’est pas une science exacte. Tandis que le film est complètement axé sur l’objet caméra, la vidéo est essentiellement électronique. Le matériel que j’utilisais au début n’était pas relié à un ordinateur. Pour dessiner mes figures j’avais un alter-ego vidéo des synthés que j’employais d’habitude en musique. La création est instantanée, l’écran monitor renvoyant simultanément l’image finale, alors qu’au cinéma il faut d’abord capturer l’image, puis la traiter pour enfin la visionner et vérifier si l’effet recherché est obtenu ou non. Le son était enregistré en synchro sur les pistes sonores de la machine. J’improvisais en audiovisuel comme vos auteurs surréalistes utilisaient l’écriture automatique dans leurs romans. »

Lorsqu’il a fini son exploration de l’abstrait, Rundgren sort enfin de son studio, sa caméra portable au poing. New York, 1979, Todd est un cyclope moderne, qui évolue dans les quartiers nord de Manhattan. Son troisième œil enregistre les images de la crise : un enfant noir assis sur un escalier branlant martèle une poubelle rouillée. On gravit les marches tandis que s’éloigne l’écho du tam-tam improvisé pour se retrouver sur un palier lépreux. A travers la porte, les cris d’un nouveau-né se mêlent au fracas des mitraillettes d’un vieux série B à la gloire de l’US Air Force. Trois coups frappés. « Come in », et la porte se dérobe. Une grosse femme en bigoudis a le regard de la détresse et son visage grossit, s’allonge jusqu’à occuper toute la Surface de l’écran… Ces séquences de video-vérité sont ensuite montées dans le studio de Bearsville où Todd investit ses royalties de producteur à succès (Patti Smith, Meat Loaf, Steinman). Parallèlement à l’alburn d’Utopia « Adventures in Utopia », il écrit un scénario de science-fiction pour une série vidéo du même nom, destinée à la télé par cable. D’abord Todd auto-finance son projet, mais devra bientôt l’abandonner en cours de tournage, faute de moyens. Bearsville records aurait dû participer aux dépens de production, mais le label de Rundgren retire ses billes au tout dernier moment. Lorsque le contrat avec Bearsville s’achèvera, Rundgren et son groupe iront rejoindre Network records, un nouveau label créé par Al Corey, le nabab de l’époque dorée de RSO. En attendant, ils doivent encore un certain nombre d’albums à Bearsville et Todd se console en tournant lui-même ses clips. Une petite équipe d’artistes réalise des dessins qu’il intègre dans ses videos. Pour «Time Heals » – le single de « Healing »-, Todd évolue dans une collection de reproductions de Dali et Magritte. Le clip est un puzzle géant et intellectuel : à force de mélanges, les tableaux forment une fresque surréaliste qui colle parfaitement au mysticisme synthétique de la musique.

Todd_Rundgren« J’ai toujours été intéressé par le surréalisme sous toutes ses formes : l’art, l’écriture… le cinéma », raconte Todd. « Comme le dadaïsme, il m’intrigue parce qu’il révèle le mécanisme de la pensée. Pas la pensée structurée, le masque, mais ce qui se cache vraiment dans l’esprit des gens. On réalise ainsi qu’ils sont beaucoup moins rationnels- qu’Ils ne l’admettent. Le courant de la pensée ne suit pas toujours le chemin le plus logique, heureusement. J’ai passé des mois à expérimenter des séquences pour connaître mes limites. Aujourd’hui, j’ai encore beaucoup à apprendre sur l’art vidéo même si je suis déjà capable de produire les clips que je présente sur scène. »

Les quatre concerts du Venue sont sold-out. Face à Victoria Station, tout autour du bloc, la file d’attente se mord la queue. Dans chaque pays, Todd Rundgren sait qu’il peut compter sur un petit groupe d’inconditionnels qui le suivent de ses origines psychédéliques — avec Nazz en 67 — à nos jours. Lorsqu’il se retrouve seul sur scène avec un synthé, un piano, deux guitares et un magnétoscope, c’est pour aller jusqu’au bout d’une expérience, un vieux fantasme d’égonaute le tiraillant depuis toujours : peut-on encore créer un spectacle total ? Dans le pinceau du projecteur, Todd apparait déterminé à le prouver. Lorsqu’on est seul dans la lumière, face aux visages dans l’ombre, on cherche à communiquer. Todd parle des jeux-vidéos et de ses figures géométriques avant qu’elles n’apparaissent derrière lui. Tout au long du show, le dialogue s’établit. Todd se raconte avec des mots, une mélodie et des couleurs. Il chante « Compassion » au piano ou « Tiny Demons » au synthé et offre une séance exclusive de domptage de demi-queue. Todd est obsédé par le concept de participation, il fait monter son public sur scène pour l’accompagner sur « When I Pray ». Dommage qu’on n’ait pas intégré plus de video clips dans la performance. Mais Rundgren refuse de glisser dans la routine facile d’un spectacle 100 % vidéo. Il préfère doser ses histoires et ses chansons pour retrouver l’esprit du ménestrel du moyen âge, un amuseur tous terrains qui chante, jongle, danse et qui parfois fait réfléchir. En pariant sur la vidéo, Todd Rundgren est conscient de son impact potentiel :

Todd_Rundgren« Aux USA. les mômes étaient complètement branchés par le vinyle, aujourd’hui ils sont obnubilés par le tube cathodique de leur téléviseur. Ils utilisent leur magnétoscope comme un mini cassette et parfois même s’emparent d’une caméra, comme jadis ils se sont emparés des premières guitares électriques. Mais il y a encore un fossé énorme entre le matos domestique et le matériel pro, la même différence qu’entre un Teac Porta-studio et une console Studer 24 pistes. Le concept du magnéto Teac permet de passer d’une piste à l’autre sans employer deux machines. Un montage vidéo nécessite deux magnétoscopes et un équipement spécial pour les faire tourner exactement à la même vitesse. Le signal optique est bien plus complexe que le signal sonore car il est constitué de six variables : couleur, lumière, contraste etc. Il ne suffit pas de brancher son magnétoscope sur un autre en espérant que cela marchera tout seul. » Plus tard, Rundgren trace un parallèle entre la drogue et l’image video : « Les gens ne raisonnent pas en termes d’usage mais d’abus. Ils cherchent à s’échapper au lieu d’avancer. Ceux-là font le même usage de la drogue, de la musique ou de la télévision. »

Todd Rundgren a dépassé la trentaine, mais jusqu’à présent son flair s’est rarement émoussé : tour à tour rock star, producteur et session man, il a choisi en 82 de devenir l’une des premières vidéo-stars, une star qui brillera peut-être sur une scène parisienne cet automne.

A SUIVRE

Publié dans le numéro 171 de BEST daté d’octobre 1982BEST 171

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.