THE APHRODITE CHILD « 666 50th Anniversary Deluxe Edition »
S’il y a bien un jour pour chroniquer cette sublime réédition d’un des disques-culte le plus trippant de notre adolescence de baby-boomers, c’est bien celui-là, écarlate sur sa pochette… couleur MAGA (bien) avant l’heure, pour un Apocalypse aussi rock que hippie déjanté. Happy 50th birthday cher « 666 », dans cette version Deluxe où l’on découvre yeux et oreilles ébahis un mix dit « grec » de toutes ces chansons, alternatif à la version française que nous avions toujours connue. Plus planant, plus bordélique, encore plus barré coté psychédélique, comme un Pink Floyd hellène, ce double LP également remasterisé nous rappelle combien les dieux Aphrodite’s Child méritent ainsi de culminer dans notre Olympe rock.
C’est comme un acide lysergiquediethylamine pour les oreilles… en se basant sur l’Apocalypse selon Saint Jean, alias le Livre des Révélations, un épisode particulièrement prophétique et flippant du dernier livre du Nouveau Testament, les Aphrodite’s Child parviennent à nous arracher à l’attraction terrestre. Et c’est ainsi que porté sur un petit nuage de folie que l‘on découvre en musique le codex aux sept sceaux « qui ne pourra être ouvert que par l’agneau », les quatre cavaliers de l’apocalypse, la chute de Babylone et l’avènement de la Bête. En se jouant très librement de ce concept, nos rockers grecs créent cet album génial. Le claviers compositeur Vangelis O. Papathanassiou, le chanteur charismatique Demis Roussos, le batteur Lucas Sideras et le guitariste Silver Koulouris. Sans oublier et le réalisateur Costas Ferris qui écrit textes et concept, font de « 666 » cet OVNI sonic qui a su si bien nous scotcher jadis et qui prouve dans l’aveuglante transparence du son de cette réédition qu’il défie très largement le temps. Portées par les guitares wah wah et les chœurs incantatoires, ces chansons n’auront sans doute jamais été aussi planantes.
Car parallèlement au mix « français » de l’époque, on redécouvre toutes ces chansons sous un jour nouveau, dans leur version inédite dite du mix « grec ». Et elles sont encore plus débridées et barrées, en fait largement plus hippies hallucinées que dans leur version hexagonale plus polie, comme si la jouissance d’Iréne Papas avait déjà suffisamment choqué le bourgeois sans devoir lui infliger en plus un tel maelstrom en stéréo. Un demi-siècle plus tard, quel bonheur de se plonger à nouveau dans ces chansons que nous pensions connaitre par cœur et qui se révèlent sous un éclairage inédit avec un superbe et riche livret, sans oublier une 5ème rondelle regroupant les deux LP en version Atmos.
Voici la chronique du double LP original :
Alors, on connaît tous l’histoire, mais il est bon manifestement de la rappeler. Groupe grec et pop, les Aphrodite’s Child se retrouvent coincés à Paris en 68 à cause des fameux évènements. Contre mauvaise fortune, bon cœur nos Grecs se mettent alors à enregistrer à Paris des singles irrésistibles tels que « Rain and Tears » ou « It’s Five O’Clock ». Slows braguettes ou pièges à filles par excellence, les 45 tours des Aphrodite’s Child font un carton commercial. Mais lorsqu’ils se lancent dans l’incroyable aventure d’adapter « l’Apocalypse selon Saint-Jean » ou « Le livre des révélations » cela devient une toute autre histoire, nos allumés plongent direct de la lumière des émissions de Guy Lux à l’underground…et encore, sans le velours. Lorsqu’ils découvrent ce double 33 tours, les dirigeants de Phonogram restent sans voix et décident qu’il était urgent de ne rien faire. Jesus Christ Superstar en version antéchrist, sur lequel la comédienne Irène Papas éructe, glapit, gémit, hurle de manière on ne peut plus équivoque durant plus de cinq minutes, il faut avouer que « 666 » avait largement de quoi choquer le bourgeois. Disque maudit « 666 » prendra d’ailleurs plus d’un an la poussière sur une étagère avant de sortir enfin en juin 1972. Et si l’album échappe largement au poids des ventes et au choc des charts, « 666 » devient pourtant une légende instantanée dans nos cours de récré. Au grès de ses 24 titres apocalyptiques, sous sa pochette rouge écarlate où se détachent uniquement les trois chiffres maléfiques, l’album est né de la folie croisée de ses deux créateurs. Le claviers génial compositeur des Aphrodite’s Child Vangelis O. Papathanassiou qui signe toutes les musiques comme la prod limpide de cette superproduction et le réalisateur Costas Ferris qui écrit tout le concept comme les textes de cet « Apocalypse of John » revisité.
Si Demis Roussos, le chanteur des Aphrodite’s Child assure la plupart des voix, l’album comporte également de très nombreux chœurs féminins et de la narration. Mais son appendice puissant domine incontestablement ce disque majeur au texte si ésotérique, sans doute avec « Dark Side of The Moon » l’album le plus planant de sa génération. Psychédélique et ouvertement progressive, « 666 » illumine de son enfer sonique le crépuscule des hippies, dernier avatar puissant avant l’arrivée du glam rock et de ses paillettes. Pourtant, malgré toutes ces années écoulées « 666 » n’a rien perdu de son éclat. Au contraire. Ses guitares incendiaires, ses rock hallucinés, ses slows sensuels et habités, son orient désorienté qui enivre les sens, toute cette folie contribue au génie de ce « 666 » enregistré au Studio Europasonor à Paris. Hélas lorsqu’il sort enfin en 72, Vangélis s’est déjà mis à composer seul son fameux « Fais que mon rêve soit plus long que ma nuit » avant de signer toutes les fameuses BO qu’on lui connaît (Bladerunner, Les chariots de feu etc …). Quant au chanteur bassiste Demis Roussos, il a déjà décroché son numéro un au hit-parade avec l’insipide « We Shall Dance », premier single à succès d’une longue série de tubes de heavy variété. Quant au batteur Lucas Sideras, il avait déjà repris un vol pour Athènes accompagné du guitariste Silver Koulouris. Ainsi, lorsque « 666 » garnit enfin les bacs des disquaires, le groupe qui l’a créé s’est déjà atomisé. Les Aphrodite’s Child n’enregistreront plus jamais rien. Mais nos grecs finissent en beauté, avec un double LP historique qui égale son collègue « Ummagumma » de Pink Floyd, un invincible monument voué à la déesse pop music.