RACE WITH THE DEVIL
Auteur rock…par excellence, Pierre Mikailoff vient de contribuer d’une nouvelle furieusement rock and roll au superbe livre de photographies de bikers de Yan Morvan, justement intitulé RACE WITH THE DEVIL. Morvan s’est attaché à documenter la vie d’une bande de motards dans les 70’s, de vrai-faux Hells Angels en guerre ouverte avec les tenants « officiels » du titre, que l’on découvre au quotidien. Et ces images en cinéma-vérité se révèlent aussi fascinantes qu’un « Born to Be Wild » pour les yeux.
Je ne vous présente plus Pierre Mikaïloff, l’ex guitariste des Désaxés ayant souvent défrayé nos chroniques Gonzo ( voir dans Gonzomusic
https://gonzomusic.fr/pierre-mikailoff-auteur-rock-par-excellence.html , https://gonzomusic.fr/generation-s-telephone.html et https://gonzomusic.fr/les-desaxes-au-7eme-ciel.html ). Cette fois, notre ami écrivain signe une jolie nouvelle qui vous flash-backe jusqu’aux 70’s, sur la piste de la bande de motards capturée par les clichés de Yan Morvan. Et sur ces images rétro, ces Hells Angels se révèlent, fendant leur cuir comme certains fendent l’armure, pour se montrer mi-légendaires mi-pathétiques. Rencontre avec un aficionado éclairé des bikers, mister Pierre Mikaïloff.
« Il y a une chanson à la base…il y a toujours une chanson ?
Oui il y a effectivement toujours une chanson et là, en l’occurrence, il s’agit de Gene Vincent « Race With the Devil ».
Ah bon…
Tu pensais à Gun ?
Oui leur fameux… « Race With the Devil » justement !
C’est vrai, plusieurs morceaux portent ce titre-là. Mais vu le sujet je penche plus pour Gene Vincent. Il était d’ailleurs lui-même motard. Son problème à la jambe avait d’ailleurs été causé par un accident de moto. C’est un biker, celui qui a inspiré ces bandes de blousons noirs des années 50.
En France c’est arrivé un peu plus tard, non ?
Bien plus tard même, puisqu’il nous faudra attendre jusqu’aux années 70. Mais ce sont des gens qui sont complètement dans l’esprit des 50’s. Ils ont vraiment le look et les motos qu’on voit dans « L’équipée sauvage » avec Marlon Brando. Ils ont des vieilles Triumph. Des Royal Enfield. Quelques Harley, mais surtout de vieilles Anglaises, qui demandent de l’entretien. Des Norton. Des bécanes des années 60 qui tombent en panne tous les 50 km. Ce sont les premières bandes. Des gens qui font partie de ce qu’on appelle les 1%. À un moment donné, aux États-Unis, il y a eu une sorte de mouvement contre les Hells Angels, contre les premiers bikers. Et donc, les motards issus de la bourgeoisie, ont fait entendre leur voix disant : attention, les motards que vous vilipendez, les mauvais garçons, les voyous représentent 1%. Ceux qui se droguent, qui boivent, qui roulent sans casque. Mais 99% des motards américains sont de bons citoyens, de bons patriotes qui paient leurs impôts et qui élèvent leurs enfants. C’est ainsi que les premiers bikers rebelles se sont revendiqués des 1%. D’ailleurs, les Hells Angels d’aujourd’hui s’appellent eux-mêmes les 1%, en référence à cette époque.
Alors, puisqu’on parle des USA, dès qu’on évoque les bikers, il faut parler de « Easy Rider » avec Denis Hopper et Peter Fonda…
Et Phil Spector…
Et surtout Jack Nicholson qui y est incroyable. C’est son premier grand rôle au cinéma.
Il y a ce film-là et à l’opposé du spectre il y a Atalmont…Voilà, ce qui fait connaitre au public les Hells Angels, c’est le livre de Hunter S. Thompson et cet épisode d’Atalmont à l’époque aux États-Unis où on commence à utiliser les Hells Angels en tant que service d’ordre. Mais au festival d’Atalmont, les Hells sont payés en caisses de bière. Et ils font régner l’ordre à leur façon, c’est-à-dire à coups de battes de baseball, malheureusement pour certains spectateurs, dont un qui va y laisser la vie. Mais en même temps, qui avait un Colt à la main et qui visiblement visait la scène, dans des conditions que personne n’a vraiment élucidées.
Oui c’était un petit black et eux des gros blancs, comme par hasard….
On le voit à l’image dans le film des frères Maysles tenir le flingue. On voit Jagger visionner les rushes, il y a un passage au ralenti où on le voit tenir une arme.
Pour revenir à nos bikers en version made in France qu’écoutaient-ils ?
Essentiellement du rockabilly. Mais, ce qui les intéressait surtout, c’était de trainer en bande, de faire des conneries, de foutre la merde, de s’amuser à aller effrayer les bourgeois. De délirer en bande, de faire des runs…de faire des virées comme ça, à 40 bécanes. C’était plus cette vie communautaire qui les bottait.
Dans « Quadrophenia », il y a cette bataille épique à Brighton entre les mods à scooter et les rockers en bécanes ; en France il n’y avait pas de mods. Contre qui se sont opposés ces premiers bikers alors ?
À peu près contre tout le monde, car ce sont des gens qui aimaient la castagne. En vérité, ils étaient assez racistes et menaient des expéditions punitives à la limite des ratonnades. Ils étaient ultra violents. En fait, ils tapaient sur tout ce qui ne faisait pas partie de leur bande. À la limite, sur d’autres bandes de bikers. On est en 1976. Ils faisaient un peu de SO (service d’ordre) pour gagner leur vie. Ils aimaient la baston et parfois même se battaient entre eux pour une femme ou une moto. Tous les prétextes étaient bons pour faire le coup de poing.
Comment ont-ils commencé à se structurer et comment sont arrivées les premières bandes ?
Dans les années 70 à Malakoff il y a une bande qui commence à faire parler d’elle. On parle de voyous à moto, de blousons noirs. Les premiers bikers français sont issus de la banlieue rouge.
Là aussi, pas de rapport puissant à la musique, ça arrive bien plus tard.
Non, ils ont plus un rapport au culte de la moto. Avec une forte référence aux Hells Angels américains, qui les font fantasmer, qui les font rêver. Ils ne sont pas du tout en contact avec eux, mais ils s’en inspirent et ils s’auto-baptisent « Hells Angels français » ce qui va leur poser des problèmes lorsque les Hells Angels américains vont débarquer en Europe pour un peu distribuer le véritable label Hells Angels à différents groupes de bikers, dont ceux du bouquin ne font justement pas partie. Donc, cela va leur poser un problème de se revendiquer Hells, alors qu’ils ne sont pas reconnus par les Hells officiels.
Il faut préciser que les Hells américains vivent de la prostitution, des trafics de drogue et d’armes .
Oui et les Hells américains vont aussi donner le coup de poing du côté des flics et des militaires quand ceux-ci vont réprimer des manifs étudiantes ou des manifestations contre la guerre du Vietnam. Ils sont plutôt réacs.
Comme les Hells actuels de Poutine en Russie ?
Exact, sauf que ce ne sont pas des Hells, mais des Knights de quelque chose, tout en étant aussi violents. Et bien entendu proche du pouvoir.
En fait, en France ces bandes prennent vraiment leur essor dans les années 80?
À la fin des années 70, oui. C’est le moment où les Hells américains débarquent en Europe et vont décider pays par pays à quel groupe de bikers attribuer la « marque » Hells Angels.
Pourquoi tes bikers n’ont-ils pas obtenu le label officiel ?
Parce qu’ils se sont auto-proclamés Hells sans demander l’autorisation de personne ; donc du coup, les autres n’ont pas aimé. Et ça s’est réglé à la Hells Angels, c’est à dire de façon assez physique, à coups d’énormes bastons contre ces usurpateurs. Ils ont été pourchassé par les Hells et il y a eu des bagarres assez sérieuses.
Quand tu dis pourchassés par les Hells, il s’agit de Hells français cooptés par les Hells américains ?
Oui. Car seuls les Hells français officiels avaient le droit de porter les couleurs du groupe. Alors forcément ils faisaient le ménage.
Alors quelle différence y avait-il entre tes bikers et les autres ?
Les bikers qu’on trouve dans le livre sont des vrais bikers, mais des faux Hells Angels qui n’avaient donc pas le droit de mettre sur leurs blousons les mots Hells Angels . Selon le code des Hells ils étaient dans l’illégalité.
Ce sont des rebelles de rebelles !
Exactement. Ils transgressaient la loi des Hells, mais de façon sans doute innocente. Ils n’avaient sans doute pas réfléchi au fait qu’il fallait auparavant en référer aux Américains, pour avoir le droit d’arborer ces couleurs. Ce ne sont pas gens qui réfléchissaient beaucoup. Ils avaient des motos, ils achetaient des blousons en cuir et se disaient : tiens, on va être les Hells français sans réfléchir plus loin.
Et donc, du coup, n’importe qui pouvait se faire broder n’importe quoi sur son blouson !
N’importe qui peut se faire broder Hells Angels, sauf que si les vrais Hells l’apprennent, là commencent les problèmes.
Ces Hells parallèles représentent combien de gars ? Ils sont nombreux ?
Non, ils sont entre trente et quarante. Ces sont des petites bandes.
Pourquoi s’être intéressé à cette bande en particulier ?
Les photos sont signées par Yan Morvan. Et lui se considère comme un anthropologue. Ce qu’il aime, c’est rentrer dans un groupe d’individus qui mènent une vie un peu particulière, avec des codes un peu particuliers et dans les années 70 il s’intéressait à tous les mouvements français inspirés des États-Unis. Et il a commencé à observer ces bikers, qui vivaient à l’américaine. Et donc il a vécu en immersion avec eux pendant six mois. Lui-même avait une moto, une Norton. Il était intégré, en étant en même temps à l’extérieur puisqu’il était photographe ; et il savait qu’il n’était là que le temps de son reportage. Il voulait voir comment des jeunes Français vivaient à l’américaine, en autarcie, hors société, sans travailler, en se battant, en dealant, en faisant du service d’ordre, en passant leurs temps à chercher la baston, à chercher des emmerdes et en faisant comme les Américains, des runs, des randonnées de plusieurs centaines de kilomètres en bande, sans casque…vraiment des plans à la « Easy Rider » où tu roules sur ton chopper vers la mer, sur l’autoroute, avec ta copine derrière, tout ce côté liberté de la moto. La moto, dans les années 70, c’est un truc important pour la contre-culture ; cela fait partie d’un mode de vie différent. La culture bikers est une culture en opposition à la bourgeoisie française, donc il y a un côté très rebelle dans le fait d’avoir une moto et de rouler en moto dans ces années-là. Et eux poussent ce côté rebelle à son paroxysme.
À l’époque du Palace et de Serge se distinguait un certain Fifi. Il faisait partie de cette bande ?
Non, Fifi appartenait justement aux Hells Angels officiels, dite la bande de Crimée, où ils avaient leur fief. D’ailleurs Loulou de Crimée, un des Hells de cette époque témoigne dans le livre. Et il appartenait à ceux qui ont fait le ménage à cette époque.
Comment cela se passait-il ? Ils leur cassaient la gueule ? Ils leur arrachaient leur blouson ?
Tu as bien résumé. Cela se passait exactement de la sorte, façon règlement de compte modèle western.
Ils piquaient la moto en plus ?
J’ignore s’ils piquaient la moto, mais en général après leur passage, l’engin devait nécessiter de sacrées révisions. C’était très physique, on n’envoyait pas d’abord un avis par huissier en recommandé, c’était bien plus direct !
Donc, cette bande représente une quarantaine de motards, documentée par Yan Morvan et l’on partage vraiment leur quotidien…on les voit avec leurs copines, etc…
Oui, on les découvre avec leurs copines, on les voit quasiment faire l’amour, on les voit rouler, on les voit se battre, on les voit aller à des concerts. Ils vivaient dans des squats, donc on découvre leur mode de vie parallèle, complètement en marge de la société de l’époque.
Que t’inspires justement ce mode vie parallèle ?
Je suis plutôt fasciné par ce jusqu’au-boutisme, ce refus de la société, ce nihilisme quasiment ; par contre je suis beaucoup moins client de leur fascination pour le nazisme, le fait de se couvrir de brassards et de décorations nazies. Ce qu’ils ne comprenaient pas, à l’époque, car ce ne sont pas des gens très cultivés, c’est que les premiers bikers américains, à la fin des années 40, eux portent des insignes nazis, parce que ce sont des anciens Gi’s qui rentrent d’Europe et qui ont ramené avec eux des trophées de Guerre sur des gens qu’ils ont vaincus.
À l’instar de ceux sur le front Pacifique qui ont ramené des sabres de samouraï ou autres ?
Voilà. Tu portes l’ennemi vaincu en effigie. Et ce que ne comprennent pas les abrutis des années 70 qui portent des croix gammées. Les Hells ne faisaient pas l’apologie du nazisme. Alors que les bikers français des 70’s, certains étaient carrément pro-nazis, il ne faut pas le cacher.
Si on devait composer une bande-son pour accompagner cette chronique de bikers, quelles seraient les 5 chansons à écouter ?
Mise à part « Race With the Devil » de Gene Vincent, il y aurait le morceau de Steppenwolf « Born To Be Wild », « Easy Riders » des Byrds, un Hendrix comme « Crosstown Traffic » et un Creedence Clearwater Revival comme « Fortunate Son ».
Il n’y a pas d’artiste français lié à ce phénomène de bikers ?…À part Johnny Halliday ?
Oui…voilà même si c’était un vrai fan de moto, mais il a un coté biker chic avec de belles motos toutes neuves, lui avait du personnel pour les entretenir. Il n’allait pas mettre les mains dans le cambouis, lorsque les vrais bikers font tout eux-mêmes.
Que sont devenus les héros du livre ?
Certains sont morts d’overdose, car il y avait beaucoup de dope qui trainait dans cette bande. D’autres sont toujours en vie et toujours tricards chez les Hells officiels. La haine est tenace chez les bikers. Certains sont toujours sur leur deux roues. Mais beaucoup sont décédés. D’autres sont en prison aussi.
Pourquoi Yan Morvan a-t-il attendu aussi longtemps avant de publier ses photos ?
Comme beaucoup de photographes, Yan a des milliers de pellicules chez lui, sur des tas de reportages, des tas de sujets, certains publiés, d’autres non. Il a un jour montré ces photos à l’éditeur qui lui a dit : « mais c’est génial, qu’est-ce que tu en as fait de ces photos ? Les as-tu déjà publiées ? ». Yan a répondu qu’elles étaient inédites. L’éditeur a eu envie d’en faire un livre et il m’a ensuite contacté pour que j’écrive une nouvelle inspirée par ces images.
Que raconte ta nouvelle ? On partage les aventures de cette bande ?
En fait, j’imagine une fille qui sort du Bataclan, d’un concert de Crazy Cavan and the Rythm Rockers. Elle vient de se fâcher avec son copain et traine vers la place de la Bastille, où elle commence à se faire emmerder par deux mecs relous qui veulent plus ou moins la violer. A ce moment-là, les bikers arrivent, leurs phares éclairent cette fille agressée par ces deux mecs qui filent alors à toute blinde. Elle, n’ayant nulle part où dormir, part avec eux et s’intègre à la bande. Et je dépeint cette bande, à travers les yeux de cette fille, qui découvre leurs codes. Et qui rencontre un personnage inspiré par Yan Morvan qui partage son dégout pour les croix gammées et ceux qui ne savent même pas ce que représentent vraiment tous ces symboles sur leurs blousons.
Et tu n’as jamais conduit une seule moto de ta vie !
Non, la moto la plus puissante que j’ai jamais conduite, c’était un 101 Peugeot. Ça fait pas rêver, même avec une fourche rallongée. »
RACE WITH THE DEVIL
Par Yan Morvan, Pierre Mikaïloff & Loulou de Crimée
Chez Serious Publishing