QUAND TERENCE TRENT D’ARBY ECRIVAIT DANS BEST
Voici 30 ans dans BEST, le mag de la rue d’Antin recrutait un pigiste de luxe Terence Trent d’Arby. Pour le numéro 241 qui sort cet été 1988, le chanteur se mue en collaborateur de notre revue rock, en rédigeant pour nous, un article de presse inédit, en forme d’hommage très appuyé à Michael Jackson, celui qui a su lui donner la vocation de monter sur scène lorsqu’il était un petit TTDA chez lui en Floride. Introducing Terence le rock-critic…
Terence Trent d’Arby et BEST, c’est une longue histoire d’amour ( Voir sur Gonzomusic ma première interview de TTDA en novembre 1987 https://gonzomusic.fr/la-legende-du-zarbi-darby.html puis l’entretien et la photo crucifiée exclu-Lulu pour la « Une » du numéro 237 de BEST par Bruno Blum https://gonzomusic.fr/terence-trent-darby-star-meteore.html et enfin mon « Autographe » de juillet 1988 pour le BEST 240 où je relate le premier grand live de TTDA au Zenith de Paris https://gonzomusic.fr/autographe.html ), mais pour le numéro 241 daté d’aout 1988 notre cher D’Arby zarbi fait encore plus fort qu’avec sa couverture du magazine en Christ crucifié puisqu’il rédige et signe un article où il déclare tout son amour à celui qui l’aurait le plus influencé depuis l’enfance : un certain Michael Jackson.
Publié dans le numéro 241 de BEST sous le titre :
DANSE, PETIT FRÈRE !
« Un collaborateur de luxe pour BEST : Terence Trent d’Arby qui signe un message de fan à Michael Jackson » Christian LEBRUN
Par TERENCE TRENT D’ARBY
James Brown et Barishnikov plus proches du clopin-clopant que du pied d’acier, Astaire parti causer escaliers en colimaçon avec « Bojangles » Robinson, il s’avère peut-être que (excuses à Prince) Michael Jackson, le Dieu Pan de la pop soit le plus grand gesticulateur vivant du monde de la musique. Une vrille et une pirouette, une flexion et un déhanchement, et il s’anime en un éclair. Sur une scène de regards et de chaleur, il recommande son âme tourmentée au purgatoire, en catholique à la croyance perverse que s’exhiber nu aidera son esprit à s’enfuir du péché. Tel est l’excitant et hypnotique pouvoir de Michael Joseph Jackson. Les événements (contrairement aux simples anecdotes) ont une façon de s’y prendre avec nos inconscients collectifs qui affecte notre mémoire génétique. On réfléchit à la question: « Qu’avais-tu d’abord l’intention de faire quand tu serais grand ? » ou « À quel âge as-tu appris à jurer ? » Mais la réponse au moment de votre premier baiser ou à l’endroit où vous vous trouviez à la mort de Kennedy est quasi immédiate. J’habitais la Floride. Daytona Beach exactement (ceci pour faire mentir la thèse que je sois natif de New York), et je jouais dans la cour attenante à notre maison quand, depuis l’autre côté de la rue, de l’intérieur d’un porche, mais irrésistible par l’intensité de la voix, provint la musique des Jackson 5. Je fus transfiguré, à la façon de la conversion de Saul à Paul, et mon calendrier mental fut réordonné en Avant et Après-Jackson. À ce jour, « l Want You Back » reste le premier disque le plus sensationnel de son ère. Pour des millions de gosses, à travers le monde et particulièrement les gosses noirs américains, les Jackson 5 étaient des merveilles à contempler. À un moment où nos frères et sœurs aînés relevaient le défi du vague concept conflictuel d’égalité, les cinq frères de Gary, lndiana, s’évertuaient à nous ramener, nous, les plus jeunes, à une vérité plus réconfortante, selon laquelle ce ne serait pas un univers aussi impitoyable après tout, mais que l’on pouvait le caresser comme un matou si l’on était vraiment super.
Un jour, un vieux pochard imbibé de whiskey (un sage, pour les candides) me dit que les grands artistes étaient le produit de la façon que Dieu avait de se détendre après une rude journée de boulot à prévoir les fléaux et autres nuées de sauterelles pour le lendemain. Le vieil homme imaginait que Dieu en aurait ras le bol, jouerait aux dés et s’occuperait du juke-box. Dans sa saoûlardise, il jonglerait avec les combinaisons, tels de jeunes Temptations, emmenés par un James Brown jeune, avec à ses côtés l’irruption des voix de Jackie Wilson et de Diana Ross. Cela me sembla alors absolument ridicule : cela me le semble encore. Sans doute parce que nous ne voulons pas faire confiance à la sagesse des pochetrons, les soupçonnent d’en savoir bien plus long que nous. Peut-être Dieu (si Elle existe) picole-t-il (n’a-t’elle pas inventé les journalistes) et communie-t-il mieux avec les soulots. (Je sais, je m’éloigne un peu, mais quoi qu’il en soit, c’est mon damné article.)
La métamorphose ouverte de Michael Jackson, littéralement comme une phaIène dans la transformation du nain bubble-gum hurleur en condensé de « Bi-ambiguité Webstérienne n’est un glacial rappel de ce qui arrive quand on ne laisse pas les enfants tranquilles d’être des enfants, mais qu’on les dresse à l’art de l’estompe dans un but de consommation de masse. La transfiguration en gros plan est une triste mise en cause de l’identité noire en Amérique : le garçon brun dans sa bulle a tellement détruit sa propre image sépia que tout signe particulier l’apparentant à son père n’est désormais qu’un sujet de conversation prisé dans le salon d’un chirurgien esthétique, ni plus ni moins qu’une tête de rhinocéros. Comme lcare, qui avec ses ailes de cire toutes neuves s’aventure trop près du soleil pour juste s’abîmer dans la mer, Jackson est probablement le seul (autre qu’Elvis) à ressentir toute la douleur et l’isolement des limites les plus reculées de la célébrité. La polarisation changeante d’une si grande gloire – en ce qu’elle n’est qu’extrême, soit vous conduisant à affronter la réalité, soit vous interdisant la vue générale d’un pont trop loin- l’emmaillote et le dorlote en un lieu où, tel encore le garçon dans la bulle, même un jet de véritable oxygène risque de détruire l’atmosphère de son cocon.
Ceci posé, cependant, on l’écoutera exalter « Billie Jean », où la sobre et subtile terreur (comme un hémophile qui ne peut être égratigné de peur que son sang ne voie la lumière, on peut avoir approché l’exhibition de la réalité de ses conflits internes) cohabite sans gêne avec la joie névrosée de l’abandon conduisant la chanson vers une issue d’implacable tension. La dualité qui existe dans cette seule chanson s’est manifestée depuis des lustres pour embarrasser et stimuler. Depuis les bluesmen du Delta jusqu’à Jerry Lee Lewis, Al Green et après, l’occupation d’une âme par deux natures fut la volatile friction qui mûrit la vraie soul. Très peu d’artistes ont cultivé à un haut niveau à la fois le pur charnel et le spirituel. Marvin Gave saute à l’esprit. Je me demande en quoi (bien que ce ne soit pas vraiment mon problème) Michael différerait s’il devait coucher? (Si l’on en croit ses protestations de virginité.) Si la peine de la tension sexuelle. l’insécurité et la jalousie devaient pénétrer son royaume et l’exposer à une paranoïa qu’il ne comprend peut-être pas pleinement. Le désespoir creuse de profondes tombes, et tout grand et captivant chanteur qu’il reste, il a, passé la puberté, réalisé peu de choses qui l’emportent en puissance et urgence vocale sur l’époque où, pur enfant (pardon, il ne fut jamais un « pur » enfant) il plaçait haut l’espoir que « Maybe Tomorrow » elle changerait d’avis.
Il semblait alors utiliser tout son corps comme un récipient dans lequel transformer le sentiment en sédiment, papier et ciseaux en roc. Il pouvait alors jeter des pierres dans sa maison de verre, parce que le micro se trouvait dans un studio de briques et sur une scène de planches dures et que rien d’autre ne semblait compter. Que se passa-t-il qui altéra la motivation ? En fin de compte, c’est vrai que nos motivations changent. Peut-être fuit-il l’évidence ? Parfois, quand un artiste carbure à la friction dichotomique, celle-ci doit toujours perdurer sous quelque forme, sinon la lumière meurt. Pour certains, c’est sous la forme du réel, l’alcool et les illusions de la drogue, ou la marche des mécanismes d’autodestruction qui vous font choisir l’amante dont vous savez qu’à terme elle vous rembarrera et se portera sur un autre. J’espère (en vrai fan) qu’il n’a pas perdu la boussole. Mais n’est-il pas évident qu’il cherche un édifice de remplacement pour y déverser son âme ? Le sexe, Michael. Et vite. Oublie le sacré Elephant Man, oublie le caisson à oxygène et dépasse toutes ces communions quotidiennes avec des poupées Disney. Par pitié, ne laisse jamais mourir l’enfant, mais autorise l’homme à son péché. Tombe amoureux, marie-toi et rentre la rejoindre à la maison après avoir fait l’amour avec une autre (bon pour l’un, poison pour l’autre) tandis qu’elle te mentira en vain. Dis-nous d’aller tous nous faire foutre pendant que vous partirez remettre votre cœur en place (sauf une partie, c’est bon pour la soul). Reviens, vire Quincy (une légende, mais tu n’en es plus à la nécessité du Son, non ?), dépouille, dérouille et assume. Prince n’est pas le seul avec un savant génie arrogant. Tu es juste aussi brillant. L’humilité peut être bonne pour l’âme, mais William Shenstone déclara voici plus de 200 ans que « l’humilité est au génie ce que l’éteignoir est à la bougie ». Garde un peu plus de contenance, Michael, et ne sois plus contrarié par les rumeurs et les accusations. Les journaux à lectorat téte- de-nœud comme le Sun ne comprendront jamais les mécanismes du merveilleux. Revoici la saison de Michael Jackson, prometteuse de plein d’action, frissons et palpitations. L’indéniable odeur de la machine est dans l’air, alors que le numéro de fil-de-fériste amène le cirque en ville. Cette fois-ci, cependant, la hauteur et la longueur du fil sont moins importantes que sa solidité. Colle-nous au mur, baby pop. Ouais.