LA LEGENDE DU ZARBI D’ARBY

 

 TTDA

 

Voici 30 ans dans BEST, GBD offrait son premier grand entretien hexagonal à un OVNI du nom de Terence Trent d’Arby. Mégastar instantanée, dès la publication de son fracassant premier LP « Introducing the Hardline According to Terence Trent d’Arby », TTDA incarnait le parfait chainon manquant entre Prince et Michael Jackson…sauf qu’il détestait qu’on le lui dise et de surcroit ce garçon possédait un caractère on ne peut plus soupe au lait. Mais, porté par ses imparables hits funky tels « If You Let Me Stay », « I’ll Never Turn My Back On You », « Dance Little Sister » et « Sign Your name » son album était absolument bluffant. Retour sur la carrière météorite de Terence « too much too soon » Trent d’Arby…si déconcertant qui vous apprend tout de go qu’il ne porte jamais ni slip, ni caleçon et qu’il ne chante jamais au lit. Flashback

 

TTDA by Jean Yves LEGRAS

TTDA by Jean Yves LEGRAS

Je me suis souvent dit que j’adorais la musique d’Oasis, mais que pour rien au monde je n’aurais envie de tendre mon micro aux frères Gallagher. Terence c’était un peu cela, sauf que, je ne pouvais guère le deviner avant d’avoir expérimenté face à lui le jeu du chat et de la souris de l’interview. C’était certes un gamin de 25 piges, mais avec tout ce qu’il avait déjà expérimenté, ce gamin-là avait déjà eu neuf vies…sans compter toutes les réincarnations successives que le jeune homme revendiquait également (voir l’ITW qui suit). TTDA était manifestement habité. Et  aussi joyeusement mégalo, comparant crânement son LP inaugural au « Sgt Pepper » des Beatles.  Je n’oublierai jamais, je crois que c’était en 88, pour la sortie de son second album « Neither Fish Nor Flesh », il s’affichait en couverture de BEST…sous les traits d’un Christ crucifié ! Cette « une » du mag rock avait fait largement polémique. Mais c’était tout ce qu’aimait TTDA, ne surtout jamais paraitre mainstream et de toujours désarçonner l’auditoire. Mais après son 3éme album de 93 « Symphony or Damn », l’ingérable star s’oppose ouvertement à son label Columbia et pète les plombs. Enregistré sur un label indépendant , l’album suivant ne sortira carrément jamais. TTDA va  alors disparaitre…pour réapparaitre sous les traits de son nouvel pseudo cosmique et spirituel de Sananda Maitreya, qui signifie renaitre en sanskrit . Il aurait eu un rêve, où il s’était vu mourir pour renaitre sous ce nouvel alias. Like a virgin ! Ou si vous préférez, zarbi d’Arby.  Je vous l’ai dit, le garçon est doué…mais chtarbé ! Cela ne lui réussit pourtant pas si mal puisqu’il publie depuis l’aube des années 2000 de nombreux albums, dont le dernier et 12 éme album, «  Prometheus and Pandora », aurait dû sortir en fin d’année, mais qui a été manifestement retardé. Cependant, on ne peut que regretter que sa carrière n’ait pas durablement caressé les sommets à l’instar de celles de Prince et de Jackson. Terence très zarbi aurait-il plombé la carrière de TTDA ? That’s the question…

 

Publié dans le numéro 232 de BEST sous le titre :

 LORD D’ARBY

TTDA  

Nouvelle super-sensation, mégastar, surdoué, génie, autodidacte doré, Terence Trent d’Arby fait couler à torrents l’encre des superlatifs comme les pêcheurs de perles enfilent leurs trésors arrachés à l’océan. Deux 45 tours et un album ont fait de TTDA LA révélation de l’année, le maillon manquant de l’évolution funk/rock après Michael Jackson et Prince. Dans sa suite de palace, Terence boude silencieusement. Mince, presque maigre, moulé dans son 501, il tourne dans la pièce comme un fauve en cage avant de se jeter sur le téléphone. Diva jusqu’au bout du bracelet-montre, Terence met un point d’honneur à faire attendre les journalistes. Avalanche de papiers, dithyrambe exacerbé, en six mois Terence a mis la presse à genoux. Trop d’entretiens, trop d’intervieweurs stériles, à  24 ans Terence est déjà médiatiquement blasé. Comme Prince – justement – après son premier LP, il décide de faire le black out sur son passé. Qui est pourtant plus riche en rebondissements qu’un polar d’Agatha Christie.

Né en 62 à Manhattan(New York) d’un père pasteur et d’une mère chanteuse de gospel, Terence est un parfait enfant de chœur de légende soul. Plongé jusqu’à l’adolescence dans les chants religieux, il échappe donc à l’emprise du rock and roll. Avec la fac, son pieux cocon finit par exploser. Il devient journaliste, puis sur un coup de flip il décide de se lancer dans les combats de boxe. Quelques KO victorieux plus tard il décroche le titre des Golden Gloves. Mais Terence l’archange se lasse très vite de ce genre de challenge. Il se reconvertit dans le management pour women mud wrestlings, c’est-à-dire le catch féminin pratiqué dans la boue. Trop de combats ou trop de boue, l’infatigable Terence disjoncte et s’engage dans l’US Army. ll se retrouve en Allemagne dans la 3° Division Blindée, le même régiment qu’Elvis ! C’est un signe. Il déserte au bout de dix-huit mois pour faire de la musique. Carrément. Un habile homme de loi lui évite de justesse le peloton d’exécution, mais Terence est chassé de l’armée et le rock and roll a gagné son étoile montante. Écœuré par les States, il s’expatrie à Londres où il signe avec CBS. Il se marièrent et firent beaucoup de petits disques d’or…Too much, too soon, le passé de d’Arby parait trop sensationnel pour être crédible. Peu importe. Bluff ou réalité, les vraies stars ne sont-elles pas dotées de ce super-pouvoir, cet extraordinaire droit au mensonge qui leur sert souvent de ballon d’oxygène. Respire fort Terence, la route est longue. Avec 45 minutes de retard sur le planning, j’accède enfin à la suite de Terence. Chaleur estivale, notre jeune fauve se bagarre avec les rideaux et autres double-rideaux de la pièce, pour ouvrir toutes les fenêtres. Dans ce combat inégal, ses dreadlocks-crinières s’agitent de tous les côtés. Enfin il finit par triompher des fenêtres récalcitrantes. Sans un mot, il me jette un regard noir, en me désignant un fauteuil aux antipodes du sien. Comme je n’ai ni la gale ni un bras téléscopique pour tenir mon micro, je m’installe d’office à côté de Terence pour l’enregistrer.

En écoutant ta musique, on ne peut s’empêcher de songer à Michael Jackson et Prince. Est-ce que tu les écoutes ?

Je voudrais que l’imagination des journalistes dépasse une simple image ou un visage. Les gens entendent ce qu’ils veulent bien entendre. Prince et Jackson ca suffit l Ma musique n’a strictement rien à voir avec la leur. Pour moi c’est de la paresse critique. En dehors de la couleur de ma peau, je n’ai rien à voir avec ces mecs.

 Alors parlons de Stax et de Motown.

Chez mes parents, je n’avais pas le droit d’écouter cela; à la maison on n’écoutait que du gospel. J’ai découvert tout cela après coup. Motown c’était super, mais sa structure était bien trop limitative. Le rythme à quatre temps et les chansons brillantes, c’était une époque parfaite pour les tubes, mais moi je suis un artiste à album même si mes singles peuvent accrocher isolément. Mais pourquoi ne me demandes-tu pas si j’aime les Stones, les Who ou Marc Bolan ?

 Tu n’as que vingt-quatre ans n’est-ce pas ?

Mais ça ne m’empêche pas de savoir regarder en arrière. Lors de mon dernier séjour à Paris, je suis passé au Louvre et crois-moi ca n’était pas pour y chercher un objet des années 80. Mais la plupart des trucs exposés étaient ennuyeux. ll n’y en avait que pour le Christ. Je sais que c’est un mec cool et qu’il n’a pas mal réussi, mais à travers les siècles il doit bien y avoir quelques autres types au moins aussi intéressants que lui. Le problème c’est que tous les artistes étaient maqués par la classe dirigeante.

Tu as choisi de quitter les USA pour vivre à Londres, c’est pour une histoire de bouffe ?

Pas vraiment. Disons que je m’y sens mieux. Simple question de vibes. Je ne supporte plus l’Amérique. Je ne parviens pas à oublier que Manhattan a été construit sur les cadavres des Indiens exterminés par les blancs. L’Amérique c’est comme l’Afrique du Sud, un way of life bâti sur l’hypocrisie. A Camden dans le nord de Londres, je ne pense pas à tout cela. J’ai un petit appart’ à côté d’un asile de fous. Je n’ai pas besoin de grand-chose; avec un lit et un truc où poser mes disques et mes bouquins, je suis heureux. Je n’ai pas besoin de grand-chose pour créer. Tout se passe dans la tête et je vais en studio pour le retranscrire. C’est un pari avec moi-même que j’ai souvent gagné.

Comment t’es-tu retrouvé chez CBS Londres ?

Parce que le directeur artistique, Muff Winwood croyait très fort en moi.

LE Muff Winwood du Spencer Davis, le frère de Stevie ?

CE Muff Winwood-là… et si j’ai signé c’est vraiment pour lui.

Tu parlais des Stones et des Who tout à l’heure…TTDA

Je suis un authentique fan des Stones et je n’ai qu’un espoir c’est qu’ils se reforment pour tout faire sauter. J’en ai surtout marre qu’on me parle exclusivement d’Otis Redding et des stars noires. Je n’en sais pas plus que la moyenne des gens. D’ailleurs, je n’aime pas vraiment Otis. On ne nous parle jamais du rock blanc, comme si nous étions sur une autre dimension. Malgré tous les grands artistes noirs qui ont explosé ces dernières années en bouleversant totalement la perception de la musique, on nous enferme encore dans le ghetto de cette putain de soul ou de funk. Je ne connais rien au funk, c’est trop étriqué. Heureusement qu’il y a des gens comme Prince et moi – (carrément en toute simplicité ! NDR) -. Beaucoup de gens détestent ma franchise, ils me trouvent arrogant. Tant pis, cela ne m’empêchera jamais de m’exprimer.

Alors, ton prochain album sera punk ?

Pourquoi pas… ou country and western. Je ne sais même pas si j’aurais envie de faire un deuxième disque. Si j’en ai fait un, c’est par curiosité. Maintenant, j’ai envie de réaliser un film sur Malcolm X (Initiateur du « Pouvoir Noir» dans les 60’s NDLR). La plupart des artistes jouissent de la même liberté que moi, mais ils n’osent pas la saisir. Peut-être ne sont-ils pas assez forts ou assez déterminés. Moi, pour mes convictions, j’ai toujours la tête dure. C’est un choix : la gloire instantanée des hits ou le souvenir des siècles. Dans cent ans que restera-t-il des tubes d’aujourd’hui ? Mais un disque génial restera toujours génial. C’est toute la différence entre la pop star et le musicien.

Tu as fait une école de ciné pour apprendre à réaliser ?

Je n’ai jamais appris la musique non plus. Tu as cela en toi ou tu ne l’as pas. Si j’ai quitté l’école de journalisme c’est que je trouvais parfaitement débile qu’on essaie de m’apprendre à écrire. Je ne voulais pas subir leurs cours pour me laisser modeler à LEUR conception de l’écriture. ll ne faut jamais se laisser spolier de son individualité et c’est pareil en musique. Je peux admirer plein de gens comme Prince ou Stevie Wonder et baigner dans leur musique, je n’ai pas pour autant envie de devenir EUX.

Mon image de T.T.D.A. c’est celle du cow-boy solitaire du happy end à la fin du film.

Si les gens doivent m’accepter dans leur collection de disques, je veux qu’ils me donnent au moins la même liberté que celle que je m’accorde… si je fais un autre disque.

C’est drôle, tu n’arrêtes pas de dire « si je fais un autre disque… » ? Pourtant tu n’es pas du genre à douter de toi ?

Bien sûr, j’ai des doutes, mais je n’ai pas besoin d‘escalader le Mont Blanc pour en informer la population. ll y a des choses qu’il faut savoir garder en soi. La force réside dans l’esprit, pas dans le corps. Moi je me sens fort et faible à la fois.

Tu as arrêté la boxe, pratiques-tu encore un autre sport ?

Oui le sexe. C’est le plus vieux sport du monde, un sport de contact. J’essaie de ne pas perdre la main, même si le temps manque parfois pour le pratiquer. D’ailleurs quand je fais l’amour, je me dépêche de jouir une première fois pour attendre ensuite le second orgasme qui se trouve ainsi décuplé.

Je ne t’imagine pas en train de draguer dans les clubs, alors quel est ton terrain de chasse, Terence ?

Tu as tout à fait raison, moi je préfère les galeries d’art, les filles y sont plus bandantes. Pour information, je ne porte jamais ni slip, ni caleçon et je ne chante jamais au lit.

Quel est ton message à l’univers ?

Ne pas croire que tu doives accepter tout ce qui te tombe dessus dans ce monde en espérant un monde meilleur dans l’autre vie. Si la vie nécessite un changement radical, il ne faut jamais attendre la mort pour être récompensé. Tu peux tirer ta récompense ici et Ià-bas, il est fou de croire que c’est incompatible. Maintenant est le plus important. Le ciel peut attendre.« 

 

Menteur ou baratineur, Terence Trent d’Arby reste cohérent. ll a refusé une de ses chansons à Stallone pour son « Over The Top» car il n’a aucun désir de se retouver associé à un « pareil facho ». Si d’Arby est un peu zarbi, Terence ne manque pas de trempe. Il est persuadé d’avoir neuf vies et s’il faut en croire ses déclarations à la presse british, il a déjà foulé cette terre quatre fois : en 6 avant JC il était potier en Ethiopie, puis il a été un peintre de la Renaissance, un chanteur country and western de Nashville un peu raté et enfin l’étoile montante que nous connaissons. Branché tarot et féru d’astrologie, notre star s’est auto-prédit quatorze ans de succès. DJ’s, VJ’s, speakers, branchés de tous poils et autres postillonneurs du micro, entrainez-vous dès à présent à prononcer sans faute le nom de Terence Trent d’Arby, soul révélation du moment. Manipulé ou pas par l’habile Martyn Ware (Human League puis Heaven 17, BEF et les liftings de Tina Turner) son producteur, il est troublant de songer que Terence a explosé en Angleterre grâce à ses prestations au show TV The Tube présenté par Paula Yates que jadis Martyn avait fait chanter sur une compil’ BEF. Collusion ou collision, je m’en fiche. La voix de Terence est assez angélique pour décrocher les lustres. Avec elle, j’ai beau être sobre, je ne parviens jamais à dé-souler.

 

Publié dans le numéro 232 de BEST daté de novembre 1987

 

BEST 232

 

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