TERENCE TRENT D’ARBY STAR MÉTÉORE

 

TTDA

Voici 30 ans, dans BEST, BB ( Bruno Blum) tendait son micro à Terence Trent d’Arby pour une interview-fleuve de couverture aussi exclusive que polémique puisque l’ombrageux TTDA se faisait carrément crucifier tel un nouveau Christ du XXéme siècle. Souvenirs précieux d’une star météore, nouveau Prince avorté hélas, mais en pur et nostalgique  flash-back…

 

TTDALorsque je l’avais interviewé pour BEST quelques mois auparavant, TTDA refusait obstinément de prononcer SON nom. La preuve puisque, lorsque je lui demandais :« En écoutant ta musique, on ne peut s’empêcher de songer à Michael Jackson et Prince. Est-ce que tu les écoutes ? », il répliquait mordant : « Je voudrais que l’imagination des journalistes dépasse une simple image ou un visage. Les gens entendent ce qu’ils veulent bien entendre. Prince et Jackson ca suffit l Ma musique n’a strictement rien à voir avec la leur. Pour moi c’est de la paresse critique. En dehors de la couleur de ma peau, je n’ai rien à voir avec ces mecs. ». Quelques mois plus tard au micro de Blum il ne jure que par Prince ! Rien de surprenant à ce que je l’ai surnommé Terence Très Zarbi, vu la manière dont il est parvenu à flinguer sa carrière après seulement trois albums. À ma demande, Bruno Blum a accepté de voir son interview d’il y a trois décennies à nouveau publiée, avec ses photos du regretté Jean Yves Legras, et il a également accepté de replonger cet entretien dans son contexte… many thanx BB !

TTDA

Par Bruno BLUM

 

Quand j’ai rencontré Terence Trent d’Arby à Londres fin 1987, il était encore presque à peu près inconnu en France (sauf à BEST puisque GBD l’avait interviewé pour la toute première fois à en septembre 87 pour le numéro 232 voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/la-legende-du-zarbi-darby.html ), mais avait un énorme succès dans les pays anglo-saxons avec son album « Introducing the Hardline According to Terence Trent D’Arby », sorti chez CBS en juillet. Imprégné de culture gospel, Terence y fait allusion à des questions remettant en question l’hégémonie des églises, notamment aux États-Unis. Je l’ai longuement interviewé dans une église désacralisée à Londres sur la proposition de son manager et attachée de presse, la brillante franco-anglaise Claudine Martinet. Terence avait choisi ce lieu, car il avait grandi dans la culture chrétienne états-unienne : sa mère était une chanteuse de gospel et son beau-père et père adoptif était un évêque protestant. Il avait une haute opinion de lui-même et de son album, qui a obtenu une récompense Grammy l’année suivante.  Défiant les conventions, fin 1987 au sommet de son triomphe il avait choisi de poser crucifié, exhibant son corps d’athlète d’une grande beauté, qui a participé à son succès. Je n’ai appris que plus tard que toute la presse anglaise et américaine avait refusé de publier cette photo considérée blasphématoire. Au-dessus de sa tête, Terence avait même remplacé l’inscription INRI (« Iesus Nazarenus, Rex Judæorum/Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ») par le provocant « Fuck ’em if they can’t take a joke », ce qui signifie « Qu’ils aillent se faire foutre s’ils ne sont pas capables de bien encaisser une blague ». Alors que sa musique commençait à avoir du succès en France, merci aux radios, et alors qu’il avait fait remixer ses chansons par Lee « Scratch » Perry, Claudine Martinet m’a confié cette photo sulfureuse et encore inédite. À mon retour à Paris je l’ai tout de suite suggérée comme photo de couverture au rédacteur en chef de BEST, Christian Lebrun. Quand le numéro est sorti, on a reçu une lettre d’indignation du diocèse de Paris (église catholique) que Lebrun m’a lue. La lettre était menaçante, je m’en souviens encore, et laissait entendre que l’on pourrait subir des pressions. D’autres protestations sont apparues, à commencer par la direction du journal, qui n’avait pas vu de problème au moment du bouclage, mais prenait soudain conscience de la nature blasphématoire de cette image, qui trônait maintenant dans tous les kiosques à journaux de France. Je rappelle que contrairement à la rédaction de Best, la directrice de la publication, son mari avant elle et leur ami l’imprimeur du journal étaient proche du Front National et donc, je suppose, de l’Église catholique.

 

 

Publié dans le numéro 237 de BEST sous le titre : L’ANNONCE FAITE À DARBY

TTDA by JYL 2

TTDA by Jean-Yves LEGRAS

 

« C’est comme si une espèce de muse me disait : « Écoute, il faut qu’on fasse attention que la nouvelle génération n’oublie pas tout ce qu’il y a de bien dans la musique ! » Peut-être que l’une de mes missions, c’est ça. » Terence Trent d’Arby parle. » Christian LEBRUN

 

Mais qui est Terence Trent d’Arby, Terry pour les Intimes ! « C’est un gagneur à l’américaine », me confie Claudine, son manager (une Française qui nous a déjà fait découvrir Steel Pulse, les Stray Cats…), « quand il faisait son service militaire on Allemagne (dans le même bataillon que Presley), il voulait être boxeur, et il y est arrivé; il a gagné les gants d’or du régiment. C’est la religion qui le perdra, comme Little Richard ou Al Green », ajoute-t-elle.

« C’est un tombeur ! », m’explique Kristina, une top journaliste suédoise. Il s’est assis sur mes genoux dès le début de l’interview et il m’a dragué de façon charmante. »

« C’est le nouveau sex-symbol ! », s’exclame en chœur la presse anglaise.

« C’est un grand chanteur, qui nous vient des chants d’église, dans la tradition gospel d’Aretha Franklin, Marvin Gaye », disent ceux qui écoutent ses disques.

« C’est un branleur, un coup de presse ( Aujourd’hui on dirait un coup de com’ ) , une bulle de savon, de la variété », me soutiennent les collectionneurs érudits rock-pur de Vinyl Solution, qui n’ont sûrement pas écoute se version en public de « Under My Thumb » et de «Jumping Jack Flash ».

« Il est vraiment timide », m’a-t-on prévenu. Mol le l’ai trouvé un peu capricieux (J’ai vu pire après un disque d’or en France, trois numéros un en Angleterre, s’apprètant à partir conquérir son pays. les USA, le lendemain où l’attendent déjà trois récompenses dont le prestigieux Grammv Award), certes, mais définitivement intelligent, beau et plein de talent. J’ajouterai : sincère, même si une certaine naïveté – louable chez un type de 23 ans – transpire parfois de son enthousiasme ! L’interview a lieu dans un décor adéquat: le QG de Terence est une église du nord de Londres transformée en bureaux…

« On a des photos incroyables pour la couverture de ton canard ! Personne n’a voulu les publier dans toute l’Angleterre ils les trouvent trop osées!

Ma principale question, c’est : j’aime beaucoup certains de tes morceaux et certains de tes textes, surtout celui qui parle de ton père, m’ont beaucoup touché. Bon, maintenant, tout le monde attend énormément de toi, on te compare aux plus grands, tu es obligé presque de faire un truc génial, puisque tu en as maintenant les moyens et le talent. Quels sont tes projets ? Ce doit être une situation angoissante… tout le monde attend. Comment te sens-tu ?

D’abord… euh… je pense qu’il est bon, dans un sens, en tout cas normal que les gens attendent tant de moi. Je veux dire que quand tu fais un premier 33, ce doit être comme un… menu de ce qui pourrait suivre; c’est d’ailleurs pourquoi je ne dois pas être une seule chose à la fois, que je dois me diversifier un peu. De façon à ce qu’on puisse…que les gens puissent se douter qu’il ne faut pas attendre une seule chose de moi. Qu’ils voient qu’ils peuvent en attendre plus. Le mauvais coté, c’est que les gens se positionnent tellement pour ou contre, qu’ici à Londres les articles sur mon prochain 33 sont déjà écrits (alors que le disque n’est pas fait). Et la plupart des gros journaux ont déjà établi que mon prochain disque n’est pas aussi bon que le premier, que c’est de la crotte. Qu’il faut me faire redescendre un peu. Que je deviens trop gros.

Tu as donc déjà le retour de flamme ?

Sans aucun doute. Il parait que je ne suis pas aussi bon qu’untel ou untel. Que je ne suis qu’un dérivé d’untel. Que je n’ai rien d’original, que j’essaye de copier, enfin tout ça. Mais, en même temps, ceux qui ont l’intention de me descendre ne savent pas à quoi ça va ressembler ni ce que je vais faire. Il y a donc des bons et des mauvais côtés. Le côté excitant, c’est que mon premier disque a laissé beaucoup de gens incapables de deviner comment serait le prochain. Et ça me donne une chance de monter un numéro, une façade on attendant. En fait, ça me donne plus de liberté. Les gens doivent attendre beaucoup. Ça m’empêche d’être complaisant, fainéant.

 De toute façon, tu sais ce que tu vas faire toi, quoiqu’il arrive.

Oui. Bien sûr, mais en ce moment… euh .. . je suis le genre de type qui a ses états d’âme ; parfois ça va, parfois non. Il arrive que tu te laisses atteindre par ça. En fait, je ne lis plus la presse. J’ai arrêté depuis longtemps. J’adore Londres, j’aime ce pays, j’ai un super feeling ici. Et si je me sens comme ça cette semaine, dans huit jours, je me prendrai peut-être pour une sorte de génie. Mais tout ça peut devenir vraiment ennuyeux pour moi. Je suis content que tu essayes de voir les choses sous un angle différent, mais la  plupart des gens… ils essayent de tirer quelque chose de toi. S’ils savent que t’as un problème, ils l’attaquent constamment là-dessus. Et le résultat c’est qu’ils m’ennuient très facilement. Alors… tu essayes de provoquer. D’abord parce que tu sais que ça rapportera, que ça intéressera plus de gens. Et en même temps ca fout un malaise. Mais ce que j’ai dit, c’est ni plus ni moins ce qu’on ressent tous : Tu te lèves le matin et tu te dis «  Bon Dieu, je suis la chose la plus horrible qui ait jamais existé.

Tu te sens comme ça ?

Oui. Et parfois, et c’est ce que je veux dire, tu te sens comme… pfff ! Je suis un génie. Je peux tout faire. C’est juste  humain, quoi ! Je me dis que si j’attends encore pour faire mon deuxième 33 tours, j’ai peur qu’il ne soit pas si bon parce que j’ai TROP d‘idées ! J’en suis au point où tout le truc est au sommet, je sais exactement ce que je veux faire. Il y a de grandes chances que ce soit un double album. Et sinon, je vais essayer de le faire d’une façon très différente. Je… euh… en fait je ne peux pas te le dire ! Mais… il ira partout, de tous les côtés, pleins de facettes différentes, avec un personnage central auquel les gens pourront se raccrocher

Si c’est ce que tu veux faire, rien ne pourrait aller mieux!

Mais parfois je me demande si.. j’ai le droit ! Ai-je le droit d’être différent, d’être d’expérimental. Ou bien est-ce que…Prince, par exemple, va être la seule personne que la plupart des rock critiques vont autoriser à être noir, au teint clair, à faire de la musique expérimentale dans ma décennie ? Et donc que tous ceux qui restent ne sont qu’au niveau en dessous ?’ Et tout le monde lorgne de son côté. Et tous attendent de lui (rires)? Et je suis très honnête en te disant que ça, ça m’embête. Parce que, premièrement je l’admire depuis…bien avant que la plupart des gens d’ici sachent qu’il existe. Si tu as tu la presse british, ce ne fait que deux ans qu’il est passé de l’autre coté de la barrière, qu’on voit en lui un être humain, qu’il est OK. Mais avant, on le descendait, et sans pitié. Toute sorte d’étroitesse d’esprit me rend malade. Et si tu y réfléchis, tu vois que c’est encore plus étroit maintenant : il n’y a plus qu’une seule personne qui existe, qui puisse faire une chose spécifique à la fois. Alors qu’avant, chaque décennie a eu ses cinq, six ou sept grands artistes Les sixties, je n’ai jamais trop craqué sur les Doors, je tes trouve chiants, mais bon, les Doors, les Stones, les Beatles, les Beach Boys qui…, surtout sur le tard, on fait reculer les frontières. Smash ! d’une façon extraordinaire, et les putains de Byrds et, d’un autre coté tu as les  Elvis, les Chuck Barry, les Little Richard, les Jerry Lee Lewis, Fats Domino qui existaient dans la même décennie ! Putain, dans la même année !

Mais je crois que c’est ce que les gens attendent, maintenant aussi, et ça ne les dérangera pas si quelqu’un de génial arrive.

Mais c’est ce que je dis ! C’est ce que je ne comprends pas ! Pourquoi ça devient si étroit ? Je ne comprends vraiment pas. C’est comme si maintenant une personne est ceci ou bien cela. Quand tu penses qu’à un moment, il y avait Marvin Gaye, Al Green, Curtis Mayfield, Smokey Robinson, ils faisaient  partie de la même ère. La même décennie. Et leurs meilleurs disques ont été créés presque au même moment. Mais bon, écartons ce sujet, fuck that ; je pense que les gens ont envie de voir mon deuxième 33 comme quelque chose en évolution, comme celui d’une personne qui essaye de jeter un pont entre deux périodes, eh bien ceux-là seront exaucés. Leur foi sera récompensée. Mais, en même temps, une des premières choses que la maison de disques a publie sur moi, c’est que me façon de créer, c’est de pousser les choses très en avant, mais en gardant un pied dans le passé. Voilà qui ne peut pas être faux, c’est ce que je me suis dit.

Mais quel passé ? Sur quoi as-tu craqué  tout môme ?

Je ne sais pas. D’abord, je suis que!qu’un de très  Spirituel (NDR: dans le sans « âme »). Je ne  suis pas du tout religieux en quelque sens qu’il soit (sa famille si, son père est même prêtre baptiste}.  Juste spirituel, dans le même sens peut-être, que Marvin Gave l’a été. Ou Lou Reed… Et bien souvent je ressens que je ne suis qu’un canal, par lequel les idées arrivent. C’est comme si quelqu’un m’avait dit :  « Je veux que tu fasses ceci, que tu ailles jusqu’au bout. Parce que je te crois capable d’y arriver. Je pourrais le donner à faire à un autre, mais il pourrait se faire sauter la cervelle, heu, comme Johnny Ace et un trou du cul va tout foirer et s’exploser d’ici deux ans. Mais toi peut-être que tu peux ». Comme si une espèce de Muse quelque part ou… je ne sais pas qui me dirait : « Écoute, il faut qu’on fasse attention que Ia nouvelle génération n’oublie pas tout ce qu‘il y a eu de bien dans la musique ». Et bon je ne fais pas de revival !  Et peut-être que l’une de mes missions, c’est ça ; mais en même temps c’est d’injecter tout ce qui est nouveau et frais autour de moi, et même devant moi si j’y arrive. Les mettre ensemble, d’une façon ou d’une autre, et de continuer vers l’avant.

TTDA by Jean-Yves LEGRAS

 

Je suis heureux que tu me racontes cela, parce que tout le monde m’a suggéré de te demander si tu étais pédé ou si tu te sautes les nanas qu’on voit dans tes vidéos ?

Demande-le-moi !

Ce n’est pas tellement ce qui me branche ! De savoir si tu es le nouveau George Michael…

Ce qui m’énerve toujours, c’est la vision qu’ont les gens entre, bon, poser des questions débiles à George Michael, et poser les grosses questions profondes sur les choses spirituelles à Al Green. Et bine, je veux connaître le point de vue d’Al Green sur les choses spirituelles, mais je veux aussi connaître ses histoires de cul si passible. Je viens de lire un bouquin sur la vie de Marvin Gaye qui montre la profondeur de son esprit, mais qui expose aussi le Côté trivial qu’il avait. Et c’est vraiment intéressant. Les gens risquent d’être déçus  si on ne parle que de qui je baise. Mais ce sera pareil si on ne parle que de la personne spirituelle et profonde que j’aimerais être ! Si on mélange les deux, on a une chance d’avoir un truc qui représente un petit peu ce que je suis parce qu’il y a des jours où je me dis que je m’en branle d’être spirituel !

J’aimerais tout de même savoir ce qui t’a marqué comme musique dans ta prime jeunesse : ça me donnerait peut-être des indices quant à ta musique future.

Quand j’étals très jeune, je me souviens, souvent, je rentrais de l’école à pied, j’étais très solitaire, je l’ai toujours été, je n’ai jamais voulu que les gens m’embêtent avec leurs mesquineries triviales, je m’en foutais. En marchant, j’avais toujours des chansons dans la tête. Et, pour une raison étrange, c’était toujours invariablement des chansons de gospel ou de rock. Du rock presque pur. J’ai toujours au beaucoup d’imagination, et à cet àge-là, tu as tendance à penser que tout in monde pense  comme toi. Je me disais . « Ce n’est pas une chanson », tu vois, tout le monde fredonne comme ça mille chansons qu’il a en tête, mais qu’il n’a jamais entendues avant. Mais en même temps j’ai toujours été  très sensible, très perceptif, et je me rendais compte que, pour trop de gens en Amérique, j’étais d’abord un noir. Et que donc, ce genre de potentiel ne se réaliserait jamais. Et puis, un jour, je suis tombé sur Prince, qui est aussi un métis, ou je ne sais pas, mais comme moi, avec la même peau et qui avait beaucoup d’idées, qui, en un sens faisaient presque parfaitement écho à certaines de MES idées. Alors, évidemment, je me suis intéressé à lui, senti proche de lui. Et aujourd’hui encore, cette relation est restée. Je ne peux pas m’en empêcher. C’est un de mes rares contemporains qui… je ne veux pas être comme lui, non, mais il a pris sa liberté, et il l’a utilisée de la bonne façon. C’est un vrai artiste. Il faut que je fasse attention à qui je dis ça parce que pour trop de gens ce va être : « ça y est ! Il a admis qu’il voulait être comme Prince. Et ce n’est pas ce que je dis du tout. C’est comme deux trains qui partent de la même gare, ils font un bout de chemin ensemble, mais au bout il y en a un qui va à Paris et l’autre à Lyon. Alors, pendant deux cents bornes, ils sont parallèles. Et puis ils tournent, l’un à gauche, l’autre à droite. Prince et moi on partage ces quarante pour cent là, mais il reste soixante pour cent de choses que je ne pourrais jamais imaginer qu’il fasse. Et vice-versa. C’est ce que je sens. Il m’est arrivé de penser que la différence de mes Idées me faisait peur je ne les comprenais pas. Il est venu, et j’ai vu clair!  Peut-être que Prince m’a été donné pour briser une porte. Parce qu’après moi viendront d’autres gens qui feront leur truc d’une autre façon, mais toi tu vas être la personne à qui l’on confie la CLEF. Pour ouvrir la porte. En football américain tu fous par terre les gros durs, et il y en a un qui part en courant avec la balle, qui  marque le point. Je me vois comme quelqu’un qui, quand ce moment sera arrivé aura encore plus de succès commercial que… Prince. Mais ça, cela n’a rien à voir avec le talent !

Toi, tu es un nouveau venu. Plus tu seras toi-même, mieux ça vaudra pour tous !

Oublions le rock une minute. Parlons de ce qu’on a fini par appeler la soul,le rythm blues.  Prends tous les grands performers noirs qui ont une grande influence aujourd’hui. Il n’y en a pas un qui n’ait pas été d’abord un dérivé de quelqu’un. Si tu me dis James Brown, je te dirai Little Willie John et Archie Brownee & the Five Blind Boys, un groupe de gospel de l’Alabama. S tu dis Marvin Gaye, je te réponds Sam Cooke. Presque entièrement. Al Green ? C’est Claude Jeter et les Swan Silverstones. Ray Charles ? Charles Brown et Nat King Cole. Sly & the Family Stone ? C’est James Brown. On en revient toujours à James Brown. Quiconque connaît la soul et le r’n b sait qu’ils ont tous commencé comme ça. Il ont payé leur tribut, appris leurs leçons et pris cela comme tremplin pour leurs nouvelles idées.

Tes racines sont tous ces gens. Mais tu parles souvent de gospel… c’est important pour toi ?

Seulement dans le sens où c’est ce dont on m’a nourri. Je n’avais pas le choix. Si on écoute mon disque et qu’on en trouve dedans, ce n’est pas étonnant. Pour l’enfant que j’étais, ma forme a moi d’évasion, c’était la radio. Mas racines involontaires, c’est le gospel. Les volontaires, c’est simplement le top 40 de la radio. Enfant, je m’éclipsais discrètement. J’avais peur qu’on m’attrape. Je ne changeais pas la fréquence. Donc si ma sœur avait tourné le bouton sur une station country et que j’entendais Hank Williams, j’avais appris à l’apprécier comme étant le moment présent où je vivais.

Moi je m’envoyais Hendrix ou les Who, à fond au casque et ça me défonçait complètement les neurones. Tu n’as pas eu de choc comme ca ?  Le top 40. c’est un peu léger, quoi…TTDA

Je me rends compte maintenant que cette enfance que tu décris, je la vis en ce moment. Parce que je n’avais pas le droit à ça. Et je n’avais pas non plus le droit de cerner ce que seraient mes influences. Donc, tout ce que j’entendais, je me l’enfonçais dans le crâne a l’instant présent. Parce que, deux minutes après, je pouvais me faire gauler, mon père aurait été en colère, m’aurait pris la radio et peut-être bien donné une raclée. Alors que ce soit Hank Williams ou les Temptations, ça n’avait pas d’importance, ce n’était de toute façon pas ce que j’étais censé écouter. C’était donc gratifiant, en un sens. Aujourd’hui, je peux enfin remonter la temps. J’ai juste assez d’argent pour entrer chez un disquaire et ne pas m’inquiéter du nombre de disques que j’achète. Un magasin de disques, pour moi, c’est ce qu’un marchand de jouets ou un libraire est a un enfant. Demande à tous les gens qui sont venus chez mol, le matin je me lave et j‘écoute Maria Callas, après ça m’ennuie, alors je mets James Brown, le soir Hank Williams at avant de me coucher ce sera peut-être Sam Cooke.  En ce moment, j’ai une obsession pour le Velvet Underground. Cette semaine, je les ai tous écoutés, et il y aura un indice sur mon album, puisque je vais reprendra une de leurs chansons l

Laquelle l

 

(silence)  Je peux couper le Magnéto ?  (Il coupe et me répond). Ne pouvant livrer le secret, je dirai juste que c’est sur la face un du troisième Velvet . Ne le publie pas l Tu sais, j’ai tendance a être un artiste schizophrène. Du coup la personne que je suis en tant qu’auteur- compositeur n’est pas la même que celui qui chante. En général, un auteur cherche le meilleur interprète possible pour sa chanson. Et le chanteur te dira qu’il est le meilleur choix possible pour telle chanson et il se mettra dans le rôle du  personnage le plus proche possible de celui qu’il faut. Moi je fais cela presque consciemment quand j’interprète une chanson. Beaucoup de critiques trouvent que j’imite d’autres gens. Je pense qu’il y a un peu de vrai là-dedans. Quand j’entends un truc, je me di : si Mavis Staples et les Staple Singer chantaient cela, ce serait dément. Et je l’entends. Alors quand j’approche la chanson en studio. c’est presque inconsciemment que je deviens partiellement ce que je crois être Mavis Staples. Et je chante.

Bon, mais toi, qu’est-ce qui t’éclates vraiment ? Quand est-ce que tu te marres, que tu es toi-même 7 ?

D’abord, artistiquement, je crois que mon sens de l’humour sa trouve sur mon disque. Il serait difficile de ne pas le voir ! Par exemple,  « Wishing Well » est presque entièrement au deuxième degré J’essaye.pas trop, mais un peu, de sonner très sexy, très bandant. C’est au deuxième degré, parce que pour moi cette chanson est très sex. Le rythme, le feeling sont rampants,  séducteurs. Le sens de l’humour passe sur tout l’album, même dans les passages sérieux. Je suis connu pour mon sens de l’humour, pour aimer rire. On me trouve très sarcastique et très cynique. Ça ressort dans la musique et dans les paroles. Et l’art, c’est tout ce que tu arrives à faire avaler aux gens (rire) Non ! Sérieusement ! Si Dali avait chié sur un bout de toile, qu’il l’avait touillée un peu, beaucoup de gens seraient passés à côté sans rien voir.  Et même s’il l’avait  avoué,s’il l’avait dit « c’est de la merde sur une toile », beaucoup de gens auraient dit : génial ! Dali a fait reculer les limites de l’art D’autres gens diraient : c’est de la Merde ! Tu vois ? Donc, il y en a qui marchent, d’autres pas. On dit : « Tu peux te moquer de certains a tous moments ou de tous à certains moments, mais pas de tous tout le temps !  Eh bien ce n ‘est pas vrai !

Si tu prends  « It’s Gonna Be A Beautiful Night » sur le dernier  Prince (live au Zénith !), il y a du James Brown, du rap, un élément très moderne, du sax très jazz…en mélangeant tout ça, il y a beaucoup plus de chances qu’on  le traite de génie que s’il faisait, disons, du blues.

Quelqu’un d’autre pourrait dire qu’il n’y comprend rien et avoir la même discussion.  Un autre dirait peut-être que ce n‘est qu’un dérivé d’autre chose et aurait la même discussion. Tout le truc d’être un génie ou non, c’est quoi ? C’est à peu près aussi impalpable que de savoir qui est le vrai leader religieux et qui ne l’est pas. Parce que je pense qu’il est plus facile, en un sens, d’être… BRILLANT! Il y a plein de gens qui ont atteint un certain niveau et qui peuvent à nouveau l’atteindre, et cela de manière consistante. Alors qu’un génie tend à faire plus d’erreurs, il fait des pas plus  maladroits, de plus grands pas, donc, parfois il va glisser et tomber.  Tous les disques de Marvin Gave postérieurs à son départ de Motown sont de la merde. Je pense que Marvin Gave c’est… c’est…  la TERRE. Ouais, c’est un des piliers de la musique. Pour certains, c’est Beethoven. Moi, c’est Marvin. À la fin, c’était étrangement erratique et horrible.  Mais ses autres disques avaient le sens qu’il cherchait. Même ses disques ratés, pour moi c’est comme le phénix qui renait de ses cendres. J’ai toujours conviction et foi en toutes les idées qu’il a eues Je les sors, j’en fais la sauvetage, je les raffine toutes. Et ça marche ! Mais ça c’est la nature de la bête que fut Marvin Gave. Et pour moi. ça c’est un génie! Stevie Wonder aussi. Mais il était plus consistant. Et, dans le même sens, il y a des gens qui n’étaient pas des génies, mais qui étaient plus consistants. Et même plus brillants et consistants que Marvin Gave. C’est un terrain très étrange. C’est un truc que tu ressens, on ne peut pas décrire le génie. Bien souvent, je crois qu’il faut avoir beaucoup de références et être malin.  Comme un plasticien, qui moule le tout ensemble. Alors, savoir si c’est du génie ou juste un malin, c’est un débat qui durera jusqu’à ce qu’on soit tous réduits en cendres. Tout ça, c’est juste une histoire de feeling. Si je vais dans un musée, je n’ai pas besoin qu’on me dise : tiens, ça  c’est génial ! Je le sens. C’est ce qui me plait ou non. Si cela ne te branche pas, c’est moi qui l’achète et je la fous sur mon mur. »

Pour ceux ou celles qui trouvent que le coté sexe de Terry n’apparaît pas assez dans cette interview je signale qu’il m’a confié écrire ses nouvelles chansons dans l’inspiration que lui procure sa ravissante copine et je vous livre une anecdote de Claudine qui était assise entre ses deux sœurs lors du premier show où sa famille était présente. Quand Terry a arraché sa chemise d’un viril revers du droit. les deux petites se sont caché les yeux en criant : « Oh my GOD ! » Il revient de loin, sans blague.

 

Bruno BLUM

 

P.S. : Écouter absolument le nouveau maxi « Sign Your Name » remixé par un authentique génie : Lee  « Scratch » Perry.

 

Publié dans le numéro 237 de BEST daté d’avril 1988TTDA

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