LA SAGA FRANK DARCEL Épisode 4
De ses débuts de guitariste en Bretagne à ses dernières aventures avec Marquis, en passant par Marquis de Sade, Octobre, Senso puis Republik, sans oublier ses multiples casquettes de producteur (Etienne Daho, Paulo Gonzo, James Chance, Alan Stivell) et de romancier, combien de médailles sur sa poitrine ? Frank Darcel incarne à lui seul un pan aussi massif que précieux de l’histoire du rock Hexagonal. Avec la sortie de l’album « Aurora », la saga Frank Darcel se révèle juste indispensable. Épisode 4 : De Marquis (de Sade) à Marquis
40 années de complicité ne se racontent pas en quelques lignes, alors avec la publication de l’album « Aurora » de Marquis ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/marquis-aurora.html ) qui se classe déjà parmi les albums les plus précieux de cette étrange année 2021 ( et son succès à l’étranger ne cesse de croître preuve de sa qualité) la Saga Frank Darcel se devait d’être largement contée. Et cela, dans les plus grandes largeurs, soit QUATRE épisodes qui vous tiendront, je l’espère, en haleine jusqu’à l’automne pour les concerts de la toute première tournée de Marquis ( voir les dates à la fin de l’article). Car l’histoire de ce guitariste hors-pair n’est-elle pas aussi la nôtre ? À travers ses disques, ses prods, ses romans aussi, Frank a su si durablement s’inscrire dans nos quotidiens, rythmant nos vies de ses créations soniques. Que ceux qui n’ont jamais dansé sur « Tombé pour la France » ou « Wanda’s Loving Boy » lèvent la main ! Déontologiquement, je dois confesser qu’après avoir rencontré ce fameux guitariste de l’ouest pour BEST ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/philippe-pascal-au-paradize.html ), quelques années plus tard, je crois avoir signé les bios d’Octobre et/ou de Senso. Ce qui ne retire en rien ma subjectivité musicale revendiquée le concernant.
Car Frank Darcel ne se distingue en rien par une virtuosité assumée, mais plutôt par une signature, une marque, une personnalité, une griffe, un style guitaristique aiguisé au rasoir, à des années-lumière d’un Clapton. En fait, pour tracer un point de comparaison il faut mieux chercher du côté de David Byrne. Mais pas que… Enfance, influences, itinéraire, réalisations, aventures étranges et étrangères, amour du rock et de la musique en général, Frank se livre ici pleinement. En espérant que cette saga vous éclaire, à l’instar d’une boule de bal, sur les multiples facettes d’un homme exemplaire, qui n’a jamais trahi son idéal musical, optant toujours pour l’indépendance artistique là où tant d’autres ont succombé aux sirènes de la gloriole et de la thune. En ce jour anniversaire de ses 63 printemps … happy BD et il était une fois Frank Darcel… dernière partie et épisode 4 : De Marquis (de Sade) à Marquis
« Résumé des épisodes précédents…nous sommes dans les années 2010…
J’ai produit cet album de James Chance and the Contorsions en 2012, qui s’appelle « Incorrigible ! ». J’ai aussi travaillé avec Nolwenn Korbell, une chanteuse bretonne dont on a sorti l’album « Avel Azul » en 2018. J’ai donc, en parallèle à Republik, recommencé à composer et à produire sur cette période. L’album de James a été très important parce qu’on en a fait une partie à New York en 2012 et ça m’a permis de faire la connaissance d’Ivan Julian (guitariste de Richard Hell and the Voivoids), que j’avais vu sur scène il y a très longtemps, mais que je ne connaissais pas. J’y ai aussi découvert une section de cuivres formidable, avec Mac Gollehon à la trompette. Ce sont des gens qui vont ensuite jouer avec Republik et aussi avec Marquis, donc ce travail avec James au début des années 2010, m’a permis de remettre un pied à New York et de consolider l’axe Rennes-New York, qui connait son apogée avec cet album de Marquis. Je brûle les étapes parce que Republik existe encore début 2017, mais la proposition de reformer Marquis de Sade arrive à ce moment-là, en avril 2017.
Comment s’est passé cette proposition ?
Ça vient de Patrice Poch un graphiste rennais, qui était ami avec Philippe et avec moi. Il arrive à faire le lien entre tout le monde, rappelle Éric et Thierry, qu’on n’avait pas vus depuis des lustres, et il propose à tous de faire un concert pour accompagner une exposition graphique sur MDS. C’est un peu saugrenu cette idée de concert au départ, mais je crois qu’on en avait tous envie.
Et vous avez accepté, c’est ça ?
Les retrouvailles se passent bien, on est émus de se revoir, en fait. Et de se dire : ce truc dont on nous rabâche les oreilles « Marquis de Sade… Marquis de Sade… », voyons un peu ce que ça vaut… Je crois que c’est lié au fait que l’émission « Chorus » de De Caunes a été ré-injectée sur Youtube au milieu des années 2000, et les jeunes comme les moins jeunes voient que ce groupe était à part sur la scène française. Mais on ne sait pas que cela va aboutir à un tel nombre de réservations. On voulait faire la salle de la Cité, mais cela n’a pas été possible car on a vendu 700 places en 24h…
Oui, parce que MDS c’est un peu le Velvet Underground à la Française !
Mais nous on n’a pas ça en tête, on n’a pas de recul. Avec Philippe quand on apprend qu’il va falloir aller jouer au Liberté, on va ensemble le visiter. On ne veut pas qu’il y ait trop de monde, donc on demande à bloquer la jauge à 2500 car avec plus de monde l’acoustique n’est pas bonne. Déjà elle n’est pas bonne, mais elle est encore pire. Mais après on nous demande de passer à 3000. Et à 3000 on bloque pour de bon. Et là je me dis : on va enregistrer le live. Et j’ai bien fait, parce qu’en fait Philippe a envie de continuer après ce concert incroyable, pendant lequel je n’ai quasiment rien entendu tellement le son était fort sur scène… Ce live va nous permettre d’avoir un support pour faire des festivals. Derrière le live, on donne une dizaine de concerts. Il y a des moments super comme Les Vieilles Charrues, où c’est particulièrement émouvant ou encore à l’opéra de Strasbourg. Entre temps, on a aussi initié un nouveau disque qui va être le 3ème album de Marquis de Sade. Ça prend du temps, mais c’est une incroyable aventure, c’est très excitant. Philippe chante trois titres en anglais en janvier 2019, mais il y en a un qu’il n’aime pas, donc on a une base avec deux titres achevés au printemps.
Les deux textes qu’il a écrits ?
Exactement.
Toi tu as enregistré des sons aux quatre coins du monde, y compris à New York où nous nous sommes croisés et Philippe a fait ses voix à Rennes ?
Oui, avant les prises new-yorkaises, on a fait nos basses batteries en Bretagne, déjà en 2018 et Philippe chante fin 18 début 19 en Bretagne également et c’est après qu’on part aux États-Unis. Après le dernier concert de MDS, en avril 2019 à Rennes, je pars à NY avec Thierry et Éric pour les sessions avec les musiciens américains, au Super Giraffe Sound d’Ivan Julian, à Brooklyn. C’est là que tu nous as retrouvés, le jour où James Chance est venu enregistrer. À mon retour, j’apprends que Philippe a eu un accident cardiaque assez grave. Quand je le revois fin juillet il est très fatigué, mais il veut néanmoins continuer à chanter sur l’album. Je lui dis que j’ai achevé des textes à partir de ce qu’il m’avait demandé de faire en début d’année, quand il voulait que je lui envoie des idées sans les finaliser complètement.
Donc il t’avait demandé d’écrire, c’est la première fois, c’était incroyable, non ?
Oui, mais c’est une chose dont on avait convenu après le concert de Tarbes, en novembre 2018. À l’époque, je lui fournis tout de suite des choses qui sont devenues en partie les chansons de l’album de Marquis. Il m’avait dit qu’il aimait ces idées, mais il n’a pas pris la balle au bond non plus. Il y a « Holodomoror » ( chantée par Christian « les Nus » Dargelos dans l’album « Aurora » de Marquis : NDR) qu’on avait répété deux fois chez moi avec Philippe et mon texte, mais je ne crois pas que cela le satisfaisait de chanter les textes des autres, je crois que c’était un pis-aller, sauf qu’il fallait essayer d’avancer… Je pensais en fait qu’il ne prendrait sans doute pas ces textes, mais que cela le motiverait à se remettre à écrire.
Oui, il fallait avancer !
Fin aout, on a fait une réunion de production chez moi, avec les quatre membres de MDS. Philippe avait récupéré physiquement et il était assez enthousiaste des prises new-yorkaises. Il était ok pour chanter la reprise du Velvet, « Ocean, », ( la reprise de Lou Reed qui figure sur « Aurora » vocalisé par la voix mythique du très regretté Dominic Sonic : NDR) à la mi-septembre, et éventuellement une autre chanson en français, sur laquelle il travaillait.
On n’a pas revu Philippe jusqu’à ce qu’on apprenne la triste nouvelle. C’était très violent, totalement inattendu, si on se réfère à notre dernière réunion. C’est le principe du raptus, je crois. On est restés à quai pendant trois mois, avant d’imaginer qu’on pourrait inviter un interprète par titre pour sortir l’album en une sorte d’hommage à Philippe.
Ce qui était une super idée.
Oui mais c’était très compliqué. On a fait appel à des amis bruxellois, parce qu’on voulait contacter Arno, mais on nous a appris qu’Arno n’était pas en forme. Et là, mon contact là-bas le clavièriste Adriano Comminotto, qui avait déjà joué sur ce nouvel album de Marquis de Sade, m’a dit : « Écoute, j’ai un jeune qui pourrait faire l’affaire et chanter même plusieurs titres ». Il nous a mis en contact avec Simon ( Mahieu) . Et Simon nous envoyé début 2020 des essais et on a trouvé cela super concluant. On a fait presque tout l’album avec lui, en dehors de quelques invités tels Dominic, Etienne Daho, Christian Dargelos et Dirk Polak ( le chanteur de Mecano), qui étaient prévus de longue date, et qui pour certains font bien sûr partie de la famille. Après, tu connais l’histoire, c’est la sortie de Marquis, voilà…
Simon, il n’était pas né quand le premier album de MDS « Dantzig Twist » est sorti ?
Effectivement, il est né en 88.
Il a écouté les deux 33 tours de MDS ?
Au départ non, il n’a pas voulu écouter, mais on savait qu’il aimait la même musique que nous. Il était fan de Bauhaus et de cette mouvance-là. Cela étant, il est flamand et il faut savoir que la frontière linguistique en Belgique est aussi une frontière culturelle. Les Flamands n’écoutent pas de musique francophone, qu’elle vienne de France ou de Wallonie. Simon ne connaissait pas Etienne Daho par exemple, il ne connaissait rien de notre vie. C’est très exotique de travailler avec lui et c’est très exotique pour lui de travailler avec nous.
Et il a fini par écouter après coup tout de même ?
Après coup, il a regardé le concert des Vieilles Charrues dont je lui avais envoyé le lien, il a été impressionné, vraiment. Il a découvert que nous étions connus. Mais il ne voulait pas se mettre de pression, il n’a absolument pas l’impression de remplacer Philippe, qui est de toute manière irremplaçable. Pour lui c’est vraiment un nouveau groupe. Et c’est vrai, d’où Marquis. Et en ce qui concerne MDS, l’année prochaine, on devrait sortir un coffret Marquis de Sade intégrale, avec les deux chansons que Philippe a enregistrées, les deux LP, dont « Dantzig Twist » remixé et « Rue de Siam » re-masterisé, plus le live et quelques inédits.
C’est bien d’avoir ces deux projets séparés
Oui, cela n’a rien à voir, en fait. Mais on est très content de l’accueil qu’a reçu « Aurora », je crois que de toute ma carrière, je n’ai jamais vu autant de bonnes critiques. Ensuite la crise sanitaire nous a mis dedans, comme tout le monde, pour ce qui est de jouer live, mais on va se rattraper sous peu ! On a hâte, c’est très excitant. Je t’ai raconté qu’en arrivant à Lisbonne en 95 en m’installant j’ai vécu ma deuxième adolescence, et là maintenant que je suis dans un nouveau groupe de rock à 63 ans …
C’est ta troisième adolescence…
Sans aucun doute. »
Frank évoque alors la tournée, mais les dates ont été repoussée à cette rentrée pour cause de COVID ; Marquis avait aussi prévu de partir jouer aux États Unis, où ils espéraient « faire quelques petits concerts et présenter l’album à la presse à New York », mais ces dates-là ont été repoussées également.
« Ce qui signifie que ce que MDS n’a pas réussi à accomplir c’est-à-dire percer aux USA, Marquis pourrait y parvenir ?
Je ne sais pas, mais ça a toujours été un rêve. On a fait une campagne promo sur les radios universitaires américaines au printemps et on a obtenu de très bons résultats. Des présentateurs radio se sont proposés pour nous trouver des clubs dans leur ville, on essayera de mettre ça au point l’année prochaine. Mais certains titres d’Aurora ont aussi été intégrés à des playlists américaines sur Spotify et autres où nous étions les seuls « non » anglo-saxons. Je crois que c’est dû au très bon accent anglais de Simon. Quant au clip de « More Fun Before War », il a été joué sur une dizaine de MTV dans le monde, dont MTV Afrique du Sud. Cela ne veut pas dire que nos disques sortiront dans ces pays, mais ça veut dire qu’on peut peut-être aller jouer dans des clubs ici et là. Wait and see…
Vous pensez à des clubs précis sur NY ?
Hélas, la plupart des historiques ont fermé. Mais j’ai un ami qui a ce restaurant français huppé à Manhattan, La Grenouille, et il nous propose la salle du haut pour présenter notre album à la presse. C’est un début. Et j’ai aussi des connections avec des clubs irlandais où ils passent des groupes sur NY. L’idéal serait bien sûr de réinvestir le CBGB pour l’occasion, qui est devenu un magasin de fringues tenu par un proche d’Édith Nylon je crois. Le temps d’une soirée, avec tous ces musiciens amis qui jouaient là-bas à la grande époque. Pourquoi pas ?
Il y a toujours le Whisky A Gogo à Los Angeles !
Je ne sais pas si on va faire la côte ouest, on a eu plus de touches en radio sur la côte Est : Pennsylvanie, New Jersey, Virginie, NY. Mais bon, jouons d’abord ici ! Et c’est vrai que pour l’instant c’est encore partie remise car Éric doit rester auprès de sa femme, mais cela viendra et en attendant, on a jeté les bases du deuxième album de Marquis, sur lequel la collaboration avec Simon sera plus étroite. La tournée aura donc lieu à la sortie de ce deuxième album, ce qui n’empêchera pas le groupe de jouer dans des clubs dès 2022. Wait and see ! »