KANYE WEST : « The Life of Pablo »
ENFIN…on aura attendu ce nouveau West un peu comme le messie. Cela tombe à pic car God lui-même figure au générique de ce 7éme album de Kanye West où le profane se mêle étroitement au sacré, un combat singulier entre Dieu et diable auquel on n’avait pas assisté depuis Marvin Gaye. « The Life of Pablo », porté par d’éblouissantes séquences gospel est sans doute le projet le plus abouti du rapper de Chicago né à Atlanta, incontestablement le plus brillant depuis « My Beautiful Dark Twisted Fantasy » (2010). Bref…à l’écoute de « The Life of Pablo », on sait que nous n’avons pas attendu en vain. Welcome back mister West !
Un imposant ouvrage de 18 titres, dés la première écoute on sent combien Kanye West a voulu s’investir dans ce projet mille fois rebaptisé et autant de fois repoussé. « So Help Me God » puis « SWISH » et Waves » pour finalement opter pour « The Life of Pablo », Kanye choisit de jouer sur les trois tableaux, preuve qu’un fameux Pablo peut en cacher d’autres. D’abord Pablo Picasso auquel le rapper né à Atlanta fait directement référence dans « No More Parties in LA », mais également Pablo…Escobar, le baron de la drogue Colombien et enfin…Pablo, alias Saint-Paul pour l’immense ferveur religieuse et les emprunts au gospel qu’on retrouve au gré de l’album. Pourtant, ne croyez pas pour autant que Kanye West milite pour que nous nous engagions dans les ordres. Car « The Life of Pablo » est tout sauf pudibond, on y trouve au contraire de la sueur, des larmes et du sexe livrés sans pudeur ni artifice pour des émotions à l’état brut livrées dans un style direct. L’autre évolution majeure, c’est que pour une fois, Kanye n’a pas souhaité jouer aux cow-boys solitaires. Au contraire, il s’est entouré d’un impressionnant casting choisissant avec soin chaque intervenant dans le creuset le plus vivace de la musique noire contemporaine. Par ordre d’apparition à l’écran, comme on dit au cinéma, on retrouve ainsi à ses côtés Kelly Price, Chance the Rapper, Rihanna, Young Thug, Chris Brown, The Weeknd, Ty Dolla $ign, Frank Ocean, Andre 3000 et Kendrick Lamar…not bad, hein ? Mais la grande force de ce « The Life of Pablo » c’est son aveuglante luminosité. Dès le premier titre « Ultralight Beam », Kanye épaulé par la vibrante Kelly Price fait entrer le gospel dans nos cœurs comme un rayon de soleil pour 5’ 21’’ de pure grâce. Dés le tout début Kanye joue et gagne en pariant sur l’émotion. Puis la foi de Kanye se répand sur « Father Stretch My Hand », une cool prière en autotune où s’élèvent les voix puissantes du pasteur T.L Barrett et de Kirk Franklin. Un peu plus loin, Riri ouvre le bal avec « Famous » et tout son charme insulaire venu de la Barbade. Kanye réplique à ses irrésistibles vocalises acidulées fruitées tropicales et l’on réalise immédiatement qu’il s’agit là d’une des séquences fortes de cet album. Pourtant, elle est loin d’être isolée. Avec l’étrange « Feedback » Kanye renoue avec ce sens de l’expérimentation qu’il avait déjà exercé avec « Yeezus » son prédécesseur qui avait plutôt déboussolé les aficionados. Fort heureusement cette drôle de track dure moins de trois minutes.
Good vibes
Les good vibes reviennent immédiatement avec « Low Lights » où une jeune inconnue récite sa déclaration d’amour…à son enfant. Kanye a expliqué cette chanson dans un Tweet : « Je l’ai mise sur l’album en songeant à toutes les mamans qui conduisent leur enfant chaque matin à l’école et qui s’en vont ensuite travailler ». Kanye deux fois papa désormais assume ainsi la plénitude de ses responsabilités de père et de mari, une constante que l’on retrouve à d’autres reprises sur l’album comme dans la polémique « Famous » et sa référence directe à Taylor Swift (https://gonzomusic.fr/le-torchon-brule-t-il-vraiment-entre-kanye-et-taylor.html ) . Après « Low lights » suit « Highlights » soit la 7éme chanson où l’on retrouve le mot « light » dans le titre et la troisième de cet album qui en compte trois (avec « Ultralight Beam » ) illuminé par la présence de Young Thug et son texte cru « Parfois je souhaiterais que ma queue soir une Go-Pro/Car je pourrais me repasser tout le machin au ralenti ). Après un drôle de « Freestyle 4 » bien givré, Kanye s’offre ses 45 secondes de vantardises avec le nombrilique a capella « I Love Kanye » où il parvient à glisser 25 FOIS son prénom Kanye, un exploit dont il avait gardé la primeur samedi dernier durant le fameux Saturday Night Live en mimant une bataille avec le comédien Kyle Mooney. « Waves » a bien failli devenir la chanson-titre de cet album et elle l’aurait très largement mérité, musclée par la présence de Chris Brown et de Chance the Rapper, elle est sans doute l’une des plus vibrantes love-songs de « The Life of Pablo ». Et si l’amour est à l’honneur, la fidélité également avec « FML » (For My Lady) où Kanye avoue avoir renoncé aux autres femmes pour conserver l’amour de la sienne. Le tout déclaré sur un mode expérimental où les séquences s’entrechoquent. C’est dans ces moments-là que West fend son armure pour se révéler terriblement humain. Retour au sacré avec « Wolves » où une jeune voix haute angélique vocalise au-dessus des rimes de Kanye et de son invité Frank Ocean. Il y oppose la pureté au péché. Ne sommes nous pas entourés de loups ? S’interroge-t-il…avant de demander carrément « dis-moi si je peux être ton Joseph » ? Kanye plonge en plein sacré pour étayer sa piété amoureuse. Retour au cool groove avec la funky « 30 Hours » où il retrouve son concitoyen Andre 3000 sur un sample emprunté à Arthur Russell. 30 heures est une référence directe à la durée de la route que West empruntait pour aller de LA à Chicago au tournant des années 00 pour retrouver la femme qu’il aimait alors, Sumeke Rainey, à l’aube de sa carrière. C’est une superbe love-song nostalgique et pourtant résolument contemporaine sur ses choeurs robotisés.
Le meilleur pour la fin
Et comme s’il gardait le meilleur pour la fin, Kanye achève son nouvel album sur deux bombes ; la festive « No More Parties in LA » sa collaboration avec le brillant Kendrick Lamar. Déjà polémique, grâce aux déclarations outrées de Taylor Swift, il y cite pourtant pêle mêle Steve Jobs, Erykah Badu, Lauryn Hill et Amber Rose qui ont nettement moins fait de barouf que la blonde du Texas; il y prononce également les mots « I feel like Pablo when I’m working on my shoes » ( je me sens comme Pablo lorsque je crée mes chaussures en référence à ses (Adidas) Yeezy Boost…qui ont donc inspiré le patronyme de ce 7éme album. Enfin, vient l’apothéose avec le titre final où figure Ty Dollar$ign « Fade » sur son imparable sample de la chanson des Temptations « I Know I’m Losing You » mais dans sa version « rock » avec Rare Earth, le seul groupe blanc du label Motown, un symbole en forme de clin d’œil pour clore ce qui ressemble fort, ou je me trompe, à un « Best Seller ». Dans « Drink To Me » Paul McCartney saluait déjà le maitre Picasso et l’album « Band on the Run » est entré dans l’Histoire. On peut parier que celle fois également Picasso saura entrainer Kanye West au plus haut.